Questions et
réponses sur la méditation
Ajahn Brahmavamso
Session de
questions et réponses pendant la retraite de mai 2007
à Bangkok
Titre
original : Q & A Happiness through
meditation
traduit
par Luc Guillard
Ce
soir, il y a un prix spécial attribué
à la meilleure question : ce sera
une coupe de cheveux gratuite pour moi ! (Rires)
Question : Pourquoi
les Cinq Préceptes sont-ils importants pour la pratique de
la méditation ?
Réponse : Les gens
pensent, étrangement, qu’en se comportant mal ils
pourront être plus heureux ;
mais il me paraît évident que, si on veut une vie
agréable, il vaut mieux être
bon. En tant que moine ma vie se passe bien parce que je suis bon.
Observer les
Cinq Préceptes est une manière
d’éviter les problèmes dans la vie.
Pour ceux
d’entre vous, messieurs, qui aiment être en galante
compagnie et pensent ne
jamais se faire attraper, ne croyez pas cela. Vos femmes ne sont pas
stupides !
On se fait toujours attraper dans la vie. Ne faites pas cela car vous
créez
beaucoup de problèmes, pour vous comme pour les autres. Il
en va de même pour
l’alcool. Parfois, en Thaïlande, on me
demande : « Est-il possible de
boire juste un peu ? » Je
réponds : « Pourquoi
pas ? Allez-y :
buvez juste un peu, tuez juste un peu, volez juste un peu, commettez un
petit
peu d’adultère. » Tout cela est
il bien ? Bien sûr que non ! Mieux
vaut observer les préceptes … Vous
économiserez des frais d’avocat pour votre
divorce ! (Rires)
L’idée
qu’il est bon de boire un peu d’alcool tous les
jours car cela réduit le taux
de cholestérol dans le sang a été
démentie scientifiquement très
récemment ;
je l’ai lu dans un article, il y a un mois. Ce
n’était pas de la science exacte
mais plutôt ce que les gens voulaient croire. En
réalité, selon cet article, à chaque
fois que l’on boit de l’alcool, la taille du
cerveau retrécit. Quelqu’un qui
aura bu toute sa vie aura perdu deux et demie pour cent de sa masse
cérébrale
en vingt ou trente ans. Si vous n’êtes pas
très intelligent avant de commencer
à boire, vous l’êtes encore moins
après des années d’alcool !
Quand on
pense que nous n’utilisons que dix pour cent de notre cerveau
en temps normal, deux
et demie pour cent en moins c’est
considérable ! (Rires)
En
fait, observer les Cinq Préceptes est très simple
et cela vous rend plus
heureux. J’explique souvent aux jeunes Occidentaux
qu’après avoir arrêté de
boire de l’alcool, quand j’étais
étudiant, je m’amusais plus qu’avant. Et
ceci
n’est pas le discours d’un moine ;
simplement des conseils que je donne
aux jeunes pour les encourager à arrêter de
consommer de l’alcool et des
drogues. Quand vous allez faire la fête ou que vous sortez le
soir, vous les
jeunes, vous cherchez une jolie fille et puis vous cherchez
à vous isoler avec
elle — je n’ai pas besoin d’en dire plus,
tout le monde sait de quoi je veux parler.
Quand j’ai arrêté de boire
j’ai commencé à apprécier
cette partie de la nuit,
j’étais complètement conscient de ce
qui se passait, j’étais pleinement
attentif, alors qu’auparavant je ne me rappelais jamais de ce
qui était arrivé !
Si vous voulez sortir et profiter de votre soirée, ne buvez
pas et ne prenez
pas ces terribles drogues — vous vous amuserez bien
plus ! Pourquoi les
gens boivent ils ? C’est vraiment insensé.
Je
vais vous raconter une très vieille histoire de
fantômes. Je sais que les Thaïlandais
ont peur des fantômes et il y en a un qui devrait vraiment
vous faire peur.
Parfois on nous demande, à nous les moines :
« Avez-vous déjà vu un
esprit ? » C’est un esprit que
j’ai vu de nombreuses fois ; j’ai
vu des gens être possédés par cet
esprit et ils parlaient d’une manière
bizarre, comme dans les films, quand la voix et les gestes des
personnes ne
sont plus comme d’habitude. J’ai vu cet esprit tuer
des gens — même ici en
Thaïlande. C’est l’esprit le plus
dangereux du monde : il s’appelle
« l’esprit
de la bouteille ». Il vit dans les bouteilles
d’alcool de riz et de bière
et dès que la bouteille est ouverte, l’esprit en
sort et prend possession de
vous. Il vous fait faire des choses très étranges
– vous marchez bizarrement,
vous dites des choses incompréhensibles. Et il peut
même vous tuer sur la route.
C’est pourquoi ces boissons sont appelées des
« spiritueux ». (Rires.
Ajahn Brahmavamso fait ici un jeu de
mots en utilisant deux mots très proches :
spirit qui veut dire
« esprit » et spirits qui veut dire « boisson
alcoolisée ».)
Donc
suivre les Préceptes est une très bonne chose.
Ils vous apportent plus de paix,
plus de présence, plus de bonheur.
Question : Quelle
est la meilleure manière d’aborder la
méditation et les retraites de méditation
quand on n’est pas habitué à rester
assis longtemps et que l’on vit
généralement à cent à
l’heure ?
Réponse : Si vous
roulez sur la voie rapide de l’autoroute, pour
réduire votre vitesse allez-y
doucement, rétrogradez progressivement. Si vous freinez
brusquement vous allez
être projeté dans le pare-brise ! Il en
va de même pour la méditation. Si
vous arrivez très agité dans une retraite, prenez
le temps de vous détendre,
allez-y tranquillement. Lors d’une retraite que
j’ai donnée à Sydney, il y a
quelque temps, une femme qui était cadre dans son
entreprise, est arrivée tard
le premier soir parce qu’elle avait eu du travail
à terminer. C’était une femme
d’affaires de haut niveau et elle était
intelligente. Elle a bien écouté mes
conseils. Je lui ai dis de prendre trois jours pour entrer doucement
dans la
retraite. Donc, pendant les trois premiers jours, au lieu de commencer
à quatre
heures du matin avec les autres, elle se levait à sept
heures pour le petit
déjeuner puis allait se recoucher ; et, en plus,
elle faisait une sieste
après le déjeuner ! Pendant son
entretien avec moi, elle m’a dit que les
femmes de son dortoir la regardaient de travers mais je lui ai
répondu :
« Ce n’est pas de la
méchanceté, c’est de la jalousie parce
qu’elles aimeraient
bien faire comme vous mais elles n’en ont pas le
courage. » A cause
de son « déficit de
sommeil » — c’est le terme
technique en médecine
— dû à sa vie mouvementée,
elle a eu besoin de dormir pendant trois jours mais,
après tout ce repos, elle a rejoint les autres et elle les a
très vite rattrapés.
Pendant les six jours qui restaient, elle a été
fantastique. Cette retraite lui
a été très profitable ; elle
a appris à faire la paix avec elle-même. Si
vous êtes fatigués, prenez du repos.
Ne
fixez pas d’avance la durée de votre
méditation – trente minutes, une heure ou
plus. Restez simplement assis tant que vous vous sentez bien et ensuite
allez
faire autre chose. Ce n’est pas jeter
l’éponge ! Si vous le faites
consciemment,
avec attention, votre méditation sera plus aisée
plus douce. Ce n’est pas la
pratique d’anapasati mais
la vraie
méditation bouddhiste.
Vous
savez bien que le Bouddha était un être empli de
compassion. Pensez-vous qu’il
aurait enseigné une technique de méditation qui
vous causerait de grandes
douleurs en vous forçant à rester assis des
heures durant ? Vous savez ce
qu’Ajahn Chah disait à ce propos,
n’est-ce pas ? « Si le fait de
rester assis pendant des heures en méditation pouvait mener
à l’Eveil, alors
toutes les poules de Thaïlande, qui restent des heures
à couver leurs œufs,
seraient toutes devenues des Arahants ! » (Rires) C’est ce que
l’on appelle « la méditation
des
poules » : le mental couve des tas de
pensées mais on ne trouve
jamais la paix ni l’Eveil …
Donc,
quand vous commencez une retraite de méditation, prenez le
temps de réduire
votre rythme et faites-le doucement, tranquillement. Ainsi les gens
n’ont pas
peur de la méditation et ils peuvent développer
leur pratique en douceur. En
fait, c’est la manière la plus rapide de
progresser car si votre effort est
trop tendu, vous perdez votre temps. En étant gentil et
délicat avec vous-même,
vous atteindrez des états de méditation
très profonds, des états de bonheur où
le
calme est d’une grande puissance. C’est ce que
l’on appelle « la Voie du
Milieu »,
celle qui évite les extrêmes.
Il
est important d’enseigner ainsi et c’est ce que je
fais depuis des années avec
succès. C’est indispensable pour amener les gens
à ces états très profonds de
concentration que l’on appelle les jhānas
et qui sont une expérience extraordinaire. Si vous forcez,
vous serez dans le
contrôle et le renforcement de l’ego.
C’est le contraire du lâcher prise, c’est
en faire encore plus. Alors, allez-y doucement, gentiment.
C’est la voie la
plus rapide.
Question : Quelle
est le meilleur moment pour commencer la
méditation ?
Réponse : Ah,
Ah ! C’est toujours maintenant. Maintenant est le
seul moment dont nous
disposions vraiment et si nous remettons toujours à demain
notre première méditation,
nous serons morts avant d’avoir commencé. (Rires)
Cela vaut la peine d’investir un peu de votre temps, il ne
sera pas perdu —
c’est ce que l’on appelle
« être efficace ».
Certaines personnes sont
tellement efficaces qu’elles savent faire plusieurs choses en
même temps sans
donner l’impression de beaucoup travailler parce
qu’elles sont heureuses –
elles mettent de la passion et de l’énergie dans
leur travail, elles ont un
esprit très puissant. Le bonheur mène au
succès, alors si vous arrivez à
développer votre bonheur intérieur en
méditation, c’est le succès qui
s’ouvre à
vous.
Question : Que
dois-je faire si je m’endors souvent quand j’essaie
de méditer ?
Réponse : Dormez,
appréciez
votre assoupissement, laissez aller, ne combattez pas le sommeil! La
raison qui
vous pousse à vous endormir est que vous essayez de rester
éveillé. N’essayez
pas de contrôler votre esprit, faites la paix avec lui,
restez dans le courant
de votre esprit. Si vous êtes très
fatigué, acceptez que votre esprit
s’engourdisse et, avec le peu d’attention qui vous
reste, observez
l’engourdissement – « ouvrez la
porte de votre cœur » à votre
endormissement. En agissant ainsi, le sommeil ne va pas
durer ; par contre
si vous le combattez, si vous voulez vous en débarrasser,
c’est là que vous
allez vous endormir. Les gens sont un peu
détraqués de nos jours : le
soir, quand ils vont se coucher, ils n’arrivent pas
à s’endormir, et quand ils
méditent, ils s’endorment. Si tel est votre cas,
rappelez-vous quel est
l’endroit le plus confortable de votre maison –
c’est le lit ! On y est
tellement bien, c’est agréable, c’est
douillet. Donc si vous n’arrivez pas à
vous endormir le soir, profitez de l’endroit le plus
confortable de votre
maison.
Il
y a un an et demi, je revenais d’un voyage très
fatigant aux USA où j’avais
donné beaucoup d’enseignements et,
après ces longues heures d’avion,
j’étais en
transit à l’aéroport de Singapour. A
peine arrivé, j’ai rencontré des
étudiants
à moi (il y en a plusieurs qui travaillent dans cet
aéroport) qui m’ont invité
à déjeuner et m’ont posé
beaucoup de questions sur le dhamma.
J’étais très fatigué et je
me suis demandé comment faire
pour trouver un peu de calme sans offenser ces personnes si gentilles
avec moi.
Je leur ai dit : « Je dois aller aux
toilettes » (Rires).
A peine étais-je entré dans les
toilettes que la personne responsable de ce lieu m’a
interpellé :
« Ajahn Brahm ! Ajahn Brahm !
Puis-je vous poser une question
sur la méditation ? » (Rires).
J’ai
donc décidé de laisser aller les choses telles
quelles se présentaient. Cette
personne a voulu faire une donation à notre
monastère et, deux semaines plus
tard, nous avons reçu une lettre de sa part qui contenait
vingt dollars de
Singapour. Cela m’a beaucoup ému. C’est
merveilleux, c’était une somme
importante pour cet homme.
Question : Quelle
est la meilleure manière pour gérer
l’anxiété pendant la
méditation ?
Réponse : La peur
est toujours la peur de perdre quelque chose. Et, quand la peur arrive
pendant
votre méditation, demandez-vous :
« Qu’est ce que je ne veux pas
lâcher ou laisser
disparaître ? » Essayez de
découvrir ce qui crée
cette peur et vous empêche de lâcher prise un peu
plus. La méditation est
l’activité la plus sûre que vous
puissiez faire. Ce sont les autres activités
de votre vie qui devraient vous faire peur. Vous pouvez avoir de
nombreux
problèmes : du stress, de l’hypertension,
le cancer ...
Quand
vous êtes heureux et que vous riez, vos artères se
dilatent ; par contre,
si vous êtres stressé ou
énervé, elles se contactent. C’est
pourquoi, vous l’avez
peut-être remarqué, les personnes fortes sont
toujours heureuses (Rires). Si vous êtes gros
et toujours inquiet, vous
cumulez un taux de cholestérol important et des
artères qui se rétrécissent, et
cela n’est pas bon pour votre avenir. Seules les personnes
fortes et heureuses
survivent. Si vous êtes en surpoids, rigolez et pratiquez la
méditation — cela
compensera les effets de votre surpoids.
Si
nous sommes heureux, nous sommes moins anxieux, nos peurs diminuent.
Nos
craintes sont souvent projetées vers le futur, sur ce qui va
arriver, et
souvent de manière irrationnelle. Récemment je
suis allé à Singapour pour
donner une conférence pendant
l’épidémie de SRAS (pneumopathie
atypique) et les
organisateurs étaient très inquiets. Ils
m’ont dit que quatre-vingt-dix-neuf
personnes étaient atteintes depuis le début de
l’épidémie et qu’il faudrait
certainement annuler la conférence. « De
quoi avez-vous peur ?» leur
ai-je dit. « Il y a trois millions
d’habitants à Singapour, cela veut dire
que deux millions neuf cent quatre vingt dix neuf mille neuf cent une
personnes
n’ont pas été
contaminées ! »
Expliqué ainsi, leurs inquiétudes ont
diminué car ils ont réalisé que les
risques étaient très faibles … et
notre
conférence a bien eu lieu.
C’est
l’histoire du mur avec deux briques mal
posées : nous
ne voyons que ces
deux briques mal posées dans notre futur, nous
n’avons pas
de perspective plus
large. La meilleure manière de gérer notre
anxiété est d’être simplement
dans
le moment présent. Ce qui doit mal se passer se passera mal,
alors pourquoi
s’en inquiéter à
l’avance ? Si vous
devez mourir, appréciez vos derniers
instants ! Quand j’étais jeune moine au
monastère d’Ajahn Chah, un jour
j’ai eu une très grosse fièvre et on
m’a
emmené à l’hôpital.
J’étais
très
déprimé car c’était au
moment de Noël.
Mais voilà que le grand maître, Ajahn
Chah, est venu me voir — moi !
C’était
incroyable, je ne pouvais pas le
croire. C’était très inspirant
jusqu’au au
moment où il m’a parlé. Il a
dit :
« Brahmavamso, vous allez vivre ou
peut-être
mourir » et puis il est
parti (Rires). Pourquoi
m’inquiéter ?
J’allais soit guérir soit mourir mais, dans tous
les cas cette maladie ne
durerait pas éternellement.
En
méditation il n’y a rien qui puisse vous
inquiéter. Dans le moment présent,
l’anxiété ne peut rien contre vous. Par
contre, si vous vous perdez dans le
futur, la peur vous rattrapera. Le meilleur moyen de
préparer votre avenir,
c’est maintenant, car c’est dans le moment
présent que votre avenir se
construit. En étant très attentif au moment
présent, vous vous construisez le
meilleur avenir possible.
Question : Le
langage est-il un obstacle dans la compréhension du
bouddhisme ? Par
exemple, dans votre cas, quand vous étiez avec Ajahn Chah
sans comprendre le thaï ?
Réponse : C’est
vrai, j’ai de très bons souvenirs avec Ajahn Chah
et, avec lui, il fallait
apprendre très vite le thaï. A mes
débuts, j’étais au monastère
de Wat Pah Pong
(c’était avant que Wat Pah Nanachat ne soit
créé) et nous avions très peu de
moyens. Toutes les possessions du monastère se trouvaient
dans une grande jarre
dans la petite hutte d’Ajahn Chah – piles,
dentifrice, sandales, etc. Quand
nous demandions quelque chose, il regardait dans cette jarre pour voir
s’il
pouvait nous le donner. Un jour, je suis allé demander du
savon mais, comme
j’ai mal prononcé le mot en thaï, il a
compris que je voulais une pomme de pin.
Il m’a regardé l’air
étonné : « Mais
pourquoi voulez-vous une pomme
de pin ?» « Mais pour me
laver ! » lui ai-je répondu. Et
il
est partit dans un grand éclat de rire quand il
m’a imaginé en train de me
laver avec cette pomme de pin (Rires).
Depuis ce jour, je n’ai jamais oublié comment dire
les mots « savon »
et « pomme de pin » en
thaï ! C’est parfois très
drôle
d’apprendre.
J’ai
appris une chose du temps où j’étais
professeur : quand vous faites une
erreur et que toute l’assistance rit, riez avec tout le monde
— ainsi les gens
ne rient pas de vous mais avec vous.
Ajahn
Chah a eu de nombreuses occasions de rire des bêtises des
moines occidentaux et
de ces incompréhensions linguistiques.
Un
jour, le premier ministre de Thaïlande est venu voir notre
maître et lui a
demandé : « Vous avez beaucoup
de disciples occidentaux et vous ne
parlez pas anglais. Comment faites-vous pour leur
enseigner ? » Ajahn
Chah lui répondit : « Ah, mais
enseigner aux Occidentaux est très
facile ; c’est comme entraîner des buffles
d’eau : vous les tirez par
ici, et vous les poussez par là, jusqu'à ce
qu’ils comprennent ! » (Rires). Les buffles sont comme nous
à
l’époque : ils ne comprennent pas le
thaï mais, quand on les dirige dans
le bon sens, ils finissent par comprendre ce que l’on attend
d’eux.
Question : Pourriez-vous
dire quelques mots au sujet des études intellectuelles et de
la recherche ainsi
que du développement d’une sagesse
institutionnelle ?
Réponse : C’est
une
question importante : la sagesse intellectuelle et la sagesse
née de
l’expérience. Parfois la sagesse intellectuelle
est utile pour nettoyer le
chemin et on peut utiliser la raison pour arrêter de faire
des choses stupides.
Par exemple, en Thaïlande, il y a cette superstition
grandissante au sujet des
médaillons bénis — il serait bon
d’arrêter tout cela.
Vous
connaissez peut être cette histoire avec Ajahn Chah. Un jour,
un jeune
militaire qui devait partir sur la frontière laotienne, est
venu le voir – à
cette époque beaucoup de soldats étaient
tués ou blessés au combat. Ce jeune
homme lui demanda : « Pourriez-vous me
donner un médaillon pour me
protéger des balles ennemies ? »
Ajahn Chah lui répondit : « Les
moines de forêt ne font pas cela, c’est de la
superstition. » « Mais,
écoutez, Ajahn ! J’ai aidé
votre monastère, j’ai donné beaucoup de
nourriture ; vous pourriez au moins avoir un peu de gratitude
et me donner
un petite statue du Bouddha pour me protéger des balles.
Pourquoi parlez-vous
de la gratitude et ne la mettez-vous pas en pratique
vous-même ? »
« C’est
d’accord », répondit Ajahn
Chah, « je vais vous donner
un bouddha que vous pourrez accrocher autour du cou et je vous garantis
que ce bouddha
vous protégera des balles ennemies ». Cet
homme était heureux et il y
avait de quoi ! C’était la
première fois que je voyais Ajahn Chah donner
un bouddha en disant qu’il protégerait contre les
balles. Et puis Ajahn Chah ajouta :
« Accrochez autour de votre cou la grande statue du
Bouddha de notre
monastère et je vous garantis qu’elle
vous protègera contre les balles.
» (Rires)
Dans
les bus, en Thaïlande, on assoit les moines sur le premier
siège à l’avant, en espérant
que leur bon karma protégera tous les passagers. Une fois,
j’ai essayé de faire
la même chose quand je voyageais sur Thaï Airways en
classe économique ;
je leur ai dit : « Si vous
m’installez à l’avant de
l’avion, cela
vous protégera contre les accidents »
— mais ils ne m’ont pas cru … (Rires)
Il
y a une quinzaine d’années, un
général de l’armée
thaïlandaise, alors qu’il
avait bu plus que de raison, se vantait d’avoir
acheté très cher un médaillon
protecteur provenant de Wat Mahathat. Persuadé
qu’il était protégé contre
les
balles, il donna l’ordre à l’un de ses
subordonnés de lui tirer dessus et, bien
entendu, il fut tué. La superstition a tué ce
général. La superstition rend les
gens inconscients, elle tue beaucoup de monde, ce n’est pas
une chose futile.
Les gens pensent que la bénédiction des moines va
les protéger alors ils ne
sont plus attentifs aux dangers. Soyez bien conscients de cela.
Question : Comment
savoir si la joie née de la méditation ne va pas
créer seulement lobha,
du désir ?
Réponse : C’est
une
très bonne question. Le Bouddha nous a expliqué
qu’il y a deux sortes de
bonheurs dans la vie et que nous devons faire la différence
entre les plaisirs
- les plaisirs du monde et les plaisirs nés de
l’esprit. Les plaisirs du monde
sont dangereux parce qu’ils disparaissent rapidement, ils ne
durent pas, ils sont
difficiles à atteindre et s’obtiennent souvent au
détriment de quelqu’un d’autre.
Mais
ne soyez pas effrayés par les plaisirs
intérieurs, nés de l’esprit ;
savourez
ces plaisirs, ils vous amèneront toujours à de
bonnes choses – le plaisir
d’être gentil, d’avoir de la compassion,
d’être bon. Vous savez tous les
bénéfices que nous retirons en étant
gentils avec les autres. Ce monsieur qui
avait donné 20 dollars à notre
monastère, celui qui s’occupait des toilettes de
l’aéroport, m’avait donné
beaucoup de bonheur en faisant une si belle action.
Vous ne devez pas avoir peur du bonheur né de la
générosité, de la gentillesse,
de l’amour, de la paix, de l’inspiration ni du
bonheur de la méditation.
Le
Bouddha nous a expliqué que nous pouvons attendre quatre
résultats si nous nous
attachons au bonheur né de la méditation
sotapanna :
celui qui est entré dans le courant
sakadagami :
celui qui ne revient qu’une seule fois
anagami :
celui qui ne revient plus
arahant :
le parfait éveillé
En
étant attaché à la joie née
de la
méditation, vous devenez un être
éveillé.
Alors, allez-y ! Recherchez cette joie !
C’est une
occupation louable,
en ce monde. N’est-ce pas merveilleux de connaître
un
bonheur et une joie qui
ne sont pas dangereux et vous rendent plus calme, paisible, bon et en
meilleure
santé ? C’est la méditation,
et c’est un
bon attachement car, pour
atteindre ces états de calme, vous devez lâcher
prise. Ce
sont des états de lâcher
prise progressif. C’est un bonheur né du
lâcher
prise et non du désir.
Question : Que
doit-on pratiquer en premier : sati
ou samadhi ?
Réponse : Sati
c’est l’attention et Samadhi
le calme et ils fonctionnent
tous les deux ensemble. Vous ne pouvez pas vraiment dire que
l’un mène à
l’autre. Si vous êtes calme, vous devenez plus
attentif et si vous êtes
attentif, vous devenez plus calme.
Nous
sommes peu à enseigner qu’il y a
différents niveaux d’attention et de
conscience. J’aime bien utiliser les termes de
« puissante attention »
ou de « super attention ». Vous
êtes dans une voiture qui roule à
toute vitesse et votre vie défile à travers la
vitre – vous voyez si peu, vous
ressentez si peu, votre vie est monotone, elle a peu de sens, elle est
même
sans passion. Si vous ralentissez le rythme, votre vie prend plus de
sens, elle
devient plus belle, plus intéressante, les couleurs sont
plus belles, les
saveurs sont plus fines — tout s’éclaire
dans votre vie. Vous y gagnez une
puissante attention, vous voyez en profondeur. Et plus votre
méditation devient
calme, plus votre attention se renforce. Vous appréciez plus
la vie, vous
appréciez plus votre nourriture. Les dépressifs
ne goûtent plus la nourriture,
ils trouvent la vie ennuyeuse, rien ne les satisfait. Une bonne
définition de
la dépression pourrait être : une
attention très faible.
La
meilleure traduction du mot samadhi
est « calme ». N’utilisez pas le
mot « concentration ».
Certaines retraites de méditation ressemblent trop
à des camps de concentration
où les moines vous font assoir pendant des heures
— ce n’est pas la méditation.
Le calme décrit mieux le Samadhi
et
vous montre aussi le chemin qui mène au samadhi
car, si vous êtes en activité, vous
n’êtes pas calme. Si vous reposez dans le
calme, votre attention devient de plus en plus forte. C’est
une merveilleuse
expérience, pendant une retraite, de retrouver le
goût des aliments, de voir
une fleur d’une beauté qui vous était
inconnue jusqu’alors. Ce n’est pas la
fleur qui est différente mais votre attention qui est
devenue forte. Vous
faites partie de la vie, vous aimez cette vie et, dans votre travail,
vous êtes
plus productif, plus efficace. Votre esprit gagne en puissance et en
efficacité,
vous voyez plus en profondeur que vos collègues de travail.
Question : Vous nous
avez dit que nous pouvons être heureux quels que soient les
évènements. Mais quand
de mauvaises choses nous arrivent, comme de la violence ou le
décès d’un
proche, le chagrin ou la peine ne sont-ils pas naturels ?
Réponse : Devons-nous
être malheureux face aux difficultés da la
vie ? Il est merveilleux de
voir des personnes qui refusent d’être
malheureuses. Quand mon père est mort,
je n’ai pas pleuré. Je l’aimais pourtant
énormément mais j’ai simplement vu sa
mort comme la fin d’un concert. Quand
j’étais encore jeune homme, en Angleterre,
je n’ai jamais pleuré à la fin
d’un grand concert mais j’étais empli
d’un
sentiment de gratitude. Pour que la souffrance disparaisse, il nous
suffit de
changer notre attitude face aux événements.
J’ai
un enseignement qui utilise un langage un peu vulgaire. Vous savez
Ajahn Chah
utilisait souvent le mot thaï kee
qui
veut dire
« excrément ». Il
utilisait ce mot car le Bouddha nous a
dit, dans le Vinaya, que le Dhamma doit être
enseigné dans le
langage local. Ajahn Chah disait donc :
« Si vous marchez dans une
crotte de chien, vous ne devez pas l’enlever de vos
chaussures. Ne faites pas
cela ! Ramenez-la plutôt à la maison et
enterrez-la au pied de votre
manguier. Un an plus tard vous pourrez déguster les mangues
les plus
savoureuses que vous aurez jamais mangées … Mais
rappelez-vous, à ce moment-là,
ce que vous êtes en train de manger : de la crotte
de chien transformée. (Rires)
Quand
les choses vont mal, ce que nous pouvons appeler
« les crottes de chien de
la vie », si nous allons dans le même sens
que la souffrance, nous ne
comprenons pas le Dhamma ni comment
apprendre de ces situations. Le Bouddha nous a expliqué que
deux flèches peuvent
nous atteindre – la flèche physique et la
flèche mentale. Le monde est ainsi et
nous ne pouvons rien y changer – les gens meurent, certains
nous font du mal,
nous sommes séparés de nos proches, nous avons
des déceptions – ceci est la
souffrance du monde, dukkha, la
flèche physique. Nous ne pouvons pas changer le monde et
nous devons
expérimenter ces choses difficiles — nous marchons
de temps en temps dans une
crotte de chien. L’autre flèche, la
flèche mentale, est la réaction que nous
avons face à ces expériences difficiles de la vie
et là, nous pouvons avoir le
plein contrôle, nous ne sommes pas obligés de
souffrir mentalement face à ce qui
nous arrive, même face à la souffrance physique.
J’ai
souvent vu des moines, des nonnes, des méditants
expérimentés avoir de grandes
souffrances physiques mais rester souriants et heureux grâce
à leur incroyable
force d’esprit. Ils n’avaient pas
supprimé leur souffrance mais utilisaient
leur sagesse et leur attention pour laisser être la douleur.
Ils ouvraient la
porte de leur cœur à la souffrance de la vie, ils
faisaient la paix plutôt que
la guerre — c’est la voie qui mène
à la fin de la souffrance.
Ma
réponse est : très bonne question.
C’est possible. Le Bouddha l’a
réalisé.
De nos jours aussi certains le réalisent. Cela
s’appelle « être
éveillé »
ou « la joie née de la
méditation ». Le Bouddha peut le faire,
les
moines et les nonnes peuvent le faire — pourquoi pas
vous ? Ce n’est pas
de la répression mais la compréhension, la
libération.