Le Dhamma de la Forêt |
Le but, dans cette
méditation, c’est la beauté du silence, du calme et de la clarté d’esprit.
La méditation, c’est le
moyen de parvenir au lâcher prise. Dans la méditation, on lâche prise du monde
extérieur, complexe, pour atteindre le monde intérieur, serein. Dans tous les
types de mysticisme, ainsi que dans de nombreuses traditions, ceci est connu
comme la voie vers l’esprit pur et puissant. L’expérience de cet esprit pur et
libéré du monde est merveilleuse et heureuse.
Pendant cette retraite, il
y aura du travail difficile à faire au début, mais consentez à endurer la
difficulté du travail, vous rappelant qu’il vous fera vivre des états très
beaux et significatifs. Ils en vaudront bien la peine ! C’est une loi de la
nature que sans effort on ne progresse pas. Qu’on soit laïque ou moine, on
n’arrive nulle part sans effort, qu’il s’agisse de la méditation ou de
n’importe quoi d’autre.
Pourtant l’effort seul ne
suffit pas. Il doit être appliqué astucieusement. Cela signifie diriger votre
énergie juste aux bons endroits et l’y maintenir jusqu’à ce que la tâche soit
accomplie. Un effort appliqué avec astuce n’est ni gênant ni dérangeant, et il
produit cette belle paix de la méditation profonde.
Pour savoir où diriger
votre effort, il vous faut comprendre clairement le but de la méditation. Le
but de la méditation, c’est la beauté du silence, du calme et de la clarté
d’esprit. Si vous parvenez à comprendre ce but, alors le lieu d’application
de votre effort et le moyen d’atteindre le but deviennent très clairs.
L’effort est dirigé vers le lâcher prise, vers le développement d’un esprit qui tend à l’abandon. Une des nombreuses déclarations simples mais profondes du Bouddha est « qu’une personne qui médite, dont l’esprit tend à l’abandon, atteint sāmadhi facilement » (précisément le but de la méditation). Une telle personne obtient ces états de béatitude presque automatiquement. Ce que disait le Bouddha c’est que la principale cause de la méditation profonde, pour atteindre ces états puissants, c’est la volonté d’abandon, de lâcher prise et de renoncement. Pendant cette retraite de méditation, ce n’est pas l’esprit qui accumule et s’accroche aux choses que nous allons développer, mais plutôt l’esprit qui consent à lâcher prise, à poser les fardeaux. En dehors de la méditation, nous devons porter le fardeau de nombreux devoirs, comme autant de lourdes valises, mais pendant la période de méditation tous ces bagages ne sont pas nécessaires. Pendant la méditation, voyez donc si vous pouvez décharger autant de bagages que possible. Considérez ces choses comme des fardeaux, de lourds fardeaux qui vous pèsent. Ce sera alors l’attitude correcte pour lâcher prise de ces choses, les abandonner librement, sans vous retourner. Cet effort, cette attitude, ce mouvement de l’esprit qui tend à l’abandon, c’est ce qui va vous mener à la méditation profonde. Dès les premières étapes de cette retraite, voyez si vous parvenez à générer cette énergie de renoncement, la volonté de donner et, petit à petit, le lâcher prise se fera. A mesure que vous abandonnez les choses dans l’esprit, vous vous sentirez beaucoup plus léger, délesté et libre. Dans la voie de la méditation, cet abandon des choses se fait par étapes, pas à pas.
Vous pouvez franchir les
étapes initiales rapidement si vous le désirez, mais si c’est le cas, faites
très attention. Parfois, en franchissant les étapes initiales trop vite, on
trouve que le travail de préparation n’a pas été accompli. C’est comme essayer
de construire une villa sur des fondations faibles et posées à la va-vite. La
structure grimpe très vite, mais elle retombe très vite aussi ! Vous seriez
donc sages de passer beaucoup de temps sur les fondations, et sur le «
rez-de-chaussée » aussi, en accomplissant un bon travail de base, solide et
ferme. Ensuite lorsque vous procéderez aux étages supérieurs, les états
méditatifs de félicité eux aussi seront solides et fermes.
Dans la méthode que
j’emploie pour enseigner la méditation, j’aime bien commencer par l’étape toute
simple d’abandonner les bagages du passé et du futur. Vous pourriez être
tentés de croire que c’est quelque chose de très facile à faire, que c’est trop
fondamental. Si toutefois vous prenez tout votre temps, si vous ne vous
précipitez pas aux étapes ultérieures de la méditation sans avoir correctement
atteint le premier but qu’est l’attention maintenue sur le moment présent,
vous trouverez plus tard que vous aurez établi une fondation très solide sur
laquelle bâtir les étapes suivantes.
Abandonner le
passé
signifie ne même pas penser à votre travail, votre
famille, vos engagements,
vos responsabilités, votre histoire, les bonnes et mauvaises
périodes de votre
enfance... Vous abandonnez toute expérience passée en
n’y accordant absolument
aucun intérêt. Vous devenez quelqu’un qui n’a
aucune histoire pendant la
période consacrée à la méditation. Vous ne
pensez même pas à l’endroit d’où
vous venez, où vous êtes né, qui étaient vos
parents ou ce qu’a été votre
éducation. Toute cette histoire, on y renonce dans la
méditation. De cette
façon, tout le monde en retraite ici se trouve sur le même
pied d’égalité,
simplement quelqu’un qui médite. Ça perd de son
importance de savoir depuis
combien d’années vous méditez, si vous avez de
l’expérience ou si vous êtes
débutant. Si vous pouvez abandonner toute cette histoire, nous
sommes alors
tous égaux et libres. Nous nous libérons de certaines de
ces préoccupations, de
ces perceptions et de ces pensées qui nous limitent et nous
empêchent de
développer la paix née du lâcher prise. Donc au
bout du compte, vous lâchez
prise de chaque « partie » de votre histoire, même
l’histoire de ce qui vous
est arrivé jusqu’ici pendant cette retraite, même le
souvenir de ce qui vous
est arrivé il y a un instant encore ! De cette manière
vous ne transportez
aucun fardeau du passé dans le présent. Quoi qu’il
vienne d’arriver, vous ne
vous y intéressez plus et vous lâchez prise. Vous ne
permettez pas au passé de
se réverbérer dans votre esprit.
Je décris ceci comme
transformer l’esprit en cellule insonorisée. Quelle que soit l’expérience, la
perception ou la pensée qui entre en contact avec la paroi de la « cellule
insonorisée », elle ne rebondit pas. Elle est simplement absorbée par le
rembourrage et s’arrête là. Ainsi, nous ne permettons pas au passé de faire
écho dans notre conscience, en tout cas pas à ce qu’il s’est passé hier et
auparavant, parce que nous cherchons à développer un esprit enclin au lâcher
prise, à l’abandon et au délestage. Il y a des gens qui se disent que s’ils se
mettent à contempler le passé, ils peuvent d’une certaine manière en apprendre
quelque chose et résoudre les problèmes du passé. Il vous faut toutefois
comprendre que lorsque vous regardez le passé, vous êtes immanquablement
entrain de le regarder à travers des verres déformants. Quel que soit le
souvenir que vous en ayez, il ne correspond pas vraiment à la réalité. C’est
pour ça que les gens se disputent sur ce qui s’est passé, même il y a quelques
instants. Il est bien connu des policiers qui enquêtent sur les accidents de la
route que, même si un accident a eu lieu il n’y a qu’une demi-heure, deux
témoins oculaires différents, tous deux entièrement honnêtes, rapporteront des
faits différents. Notre mémoire n’est pas fiable. Si vous considérez un peu le
manque de fiabilité de la mémoire, vous n’accorderez alors aucune valeur à
ressasser le passé. Vous pouvez alors lâcher prise. Vous pouvez l’enterrer,
tout comme vous enterrez quelqu’un qui est mort. Vous le mettez dans un
cercueil, en terre, ou vous l’incinérez, et c’en est fini, terminé. Ne traînez
pas sur le passé. Cessez de trimballer sur votre tête les cercueils de moments
passés ! Si vous le faites, vous vous appesantissez de lourds fardeaux qui ne
vous appartiennent pas vraiment. Laissez aller tout ce qui est passé et vous
avez la possibilité d’être libre dans le moment présent.
Quant au futur, aux
anticipations, aux peurs, aux projets et aux attentes - laissez aller tout ça
aussi. Le Bouddha a dit une fois, au sujet du futur, « quoi que vous imaginiez,
ce sera toujours différent » ! Ce futur est connu des sages comme incertain,
inconnu et imprévisible. C’est souvent complètement stupide d’anticiper le
futur, et c’est toujours une grande perte de temps de penser au futur dans la
méditation.
Lorsque vous travaillez
avec l’esprit, vous trouvez qu’il est si étrange. Il peut faire des choses
merveilleuses et inattendues. Il est très commun que les gens qui vivent des
temps difficiles dans la méditation, qui ne connaissent pas beaucoup de calme,
soient assis à penser « Ça y est, encore une heure de frustration ». Bien
qu’ils commencent par penser ainsi,à anticiper l’échec, quelque chose d’étrange
se passe et ils entrent dans une méditation très calme.
J’ai récemment entendu
parler d’un monsieur qui faisait sa première retraite de dix jours. Après le
premier jour, il avait si mal dans tout le corps qu’il a demandé à rentrer chez
lui. Le maître a dit « restez un jour de plus et la douleur disparaîtra, je
vous le promets ». Il est donc resté un jour de plus, la douleur a empiré et il
a à nouveau voulu rentrer. Le maître a répété « un seul jour de plus et la
douleur disparaîtra ». Il est resté un troisième jour et la douleur était
encore pire. A chacun des neufs jours, le soir venu il allait voir le maître,
tout endolori, pour demander de pouvoir rentrer chez lui et le maître répondait
« juste un jour de plus et la douleur disparaîtra ». Ça a été de façon
complètement inattendue que, le dernier jour, à la première assise du matin, la
douleur a disparu ! Elle n’est pas revenue. Il pouvait passer de longues
assises sans aucune douleur du tout ! Il était stupéfait : ce que cet esprit
est merveilleux, et comme il peut produire des résultats aussi inattendus !
Donc, vous ne connaissez pas le futur. Il peut être si étrange, même bizarre,
complètement au-delà de toute attente. Des expériences comme celle-ci vous
donnent la sagesse et le courage d’abandonner toute pensée concernant le futur,
et aussi toute attente.
Quand vous méditez et
pensez « combien de minutes reste-t-il ? combien de temps encore dois-je
endurer ceci ? », ce n’est encore une fois que s’égarer dans le futur. La
douleur pourrait disparaître à tout instant. Le prochain instant pourrait être
l’instant de liberté. Vous ne pouvez tout simplement pas anticiper ce qui va
arriver.
En retraite, quand vous
méditez déjà depuis de nombreuses séance, vous pouvez parfois penser qu’aucune
de ces séance n’a servi à quoi que ce soit. À la séances suivante, vous vous
asseyez et tout devient très paisible et facile. Vous pensez « ouaah !J’arrive
enfin à méditer ! », et puis la méditation suivante est à nouveau horrible. Que
se passe-t-il donc ici ?
Mon premier maître de
méditation m’a dit quelque chose qui m’a paru, à l’ époque, assez bizarre.
Il a dit qu’une mauvaise méditation, ça n’existe pas ! Il avait raison. Toutes
ces méditations que vous appelez mauvaises, frustrantes et qui ne sont pas à la
hauteur de vos attentes, toutes ces méditations sont celles où vous travaillez
dur pour votre « chèque de paie »...
C’est comme une personne
qui va travailler toute la journée le lundi et ne reçoit pas un sou à la fin de
la journée. « Pourquoi est-ce que je fais ça ? », se demande-t-il. Il travaille
toute la journée le mardi, et toujours rien. Encore une mauvaise journée. Toute
la journée le mercredi, toute la journée le jeudi, et toujours rien après tout
ce dur labeur. Voilà quatre mauvaises journées d’affilée. Et voilà qu’arrive le
vendredi, il accompli exactement le même travail qu’avant et à la fin de la
journée le patron lui donne un chèque de paie. « Ouaah ! Pourquoi chaque jour
n’est-il pas jour de paie ? »
Pourquoi chaque méditation
ne serait-elle pas « jour de paie » ? Vous comprenez maintenant la comparaison
? C’est au cours des méditations difficiles que vous accumulez les crédits, que
vous produisez les causes du succès. En travaillant pour le calme pendant les
méditations difficiles, vous augmentez votre puissance, l’inertie vers le
calme. Puis, quand il y a suffisamment de crédits de bonnes qualités, l’esprit
entre dans les états de félicité.
Au cours d’une retraite
que j’ai donnée récemment à Sydney, pendant une période d’entrevues, une dame
m’a dit qu’elle avait été en colère avec moi toute la journée, mais pour deux
raisons différentes. Au cours de ses premières méditations, elle passait des
moments difficiles et elle était en colère avec moi parce que je ne sonnais pas
la cloche suffisamment tôt pour terminer la méditation. Au cours des
méditations suivantes, elle est entrée dans un bel état de paix et elle était
en colère avec moi pour avoir sonné la cloche trop tôt. Les sessions étaient
toutes de la même durée, exactement une heure. Il n’y a simplement pas moyen de
gagner comme maître en sonnant la cloche !
Voilà ce qui arrive lorsque
vous anticipez le futur, et pensez « Combien de minutes encore jusqu’à ce que
la cloche sonne ? » C’est là que vous vous torturez, où vous épaulez un lourd
fardeau qui n’est pas de vos affaires. Alors faites bien attention de ne pas
soulever cette grosse valise de « combien de minutes reste-t-il ? » ou «
qu’est-ce que je fais ensuite ? » Si c’est là ce que vous pensez, alors vous
n’êtes pas entrain de prêter attention à ce qui se passe maintenant. Vous
n’êtes pas entrain de faire la méditation. Vous avez perdu le fil et vous
cherchez des ennuis.
A cette étape de la
méditation, maintenez simplement votre attention dans le moment présent, au
point de ne même plus savoir quel jour on est ou l’heure qu’il est. Est-ce le
matin ? l’après-midi ? Sais pas ! Tout ce que vous savez c’est quel moment on
est juste là, maintenant ! De cette manière vous arrivez à cette belle échelle
de temps monastique où vous êtes simplement entrain de méditer dans le moment
présent, sans conscience du nombre de minutes qui se sont ´écoulées ou qui
restent à venir, sans même vous souvenir du jour qu’on est.
Une fois, comme jeune
moine en Thaïlande, j’avais même oublié quelle année c’était ! C’est
merveilleux de vivre dans ce règne hors du temps, un règne tellement plus libre
que le monde braqué sur l’horloge dans lequel nous vivons habituellement. Dans
ce règne intemporel, vous vivez ce moment-ci, comme tous les êtres sages qui
vivent ce même moment-ci depuis des milliers d’années. Ça a toujours été
simplement ainsi, pas autrement. Vous êtes entré dans la réalité de maintenant.
La réalité de maintenant
est magnifique et ébahissante. Quand vous avez abandonné tout passé et tout
futur, c’est comme si vous étiez enfin vivant. Vous êtes ici, vous avez
l’esprit présent. C’est la première étape de la méditation, rien d’autre que
cette présence d’esprit maintenue dans le présent uniquement. Arrivé jusqu’ici,
vous avez déjà accompli beaucoup. Vous avez lâché prise du premier fardeau qui
empêche la méditation profonde. Investissez donc beaucoup d’efforts pour
atteindre cette première étape jusqu’à ce qu’elle soit bien établie, solide et
ferme. Ensuite nous allons raffiner la conscience du moment présent jusqu’à la
prochaine étape : une conscience silencieuse du moment présent.
Le silence : source de
sagesse et de clarté
Dans le premier volet de
cet article tripartite, j’ai décrit le but de cette méditation, à savoir la
beauté du silence, du calme et de la clarté d’esprit. Ces états conduisent à
des révélations profondes. J’ai ensuite montré le thème sous-jacent qui
sous-tend toute méditation comme un fil conducteur, qui est lâcher prise des
fardeaux matériels et mentaux. Pour finir, dans cette première partie, j’ai
longuement décrit la pratique qui mène à ce que j’appelle la première étape de
cette méditation. Cette première étape est atteinte lorsque la personne qui
médite demeure confortablement dans le moment présent pour de longues durées
sans interruption. Comme je l’ai écrit plus haut, « la réalité de maintenant
est magnifique et ébahissante... Arrivés jusqu’ici, vous avez déjà accompli
beaucoup. Vous avez lâché prise du premier fardeau qui empêche la méditation
profonde. » Pourtant, après avoir accompli tout ça, il faut aller plus loin,
s’engager dans le silence de l’esprit, encore plus beau et plus vrai.
Il peut être utile ici de
relever la différence qui existe entre la conscience silencieuse du moment
présent et le fait d’y penser. Il peut être instructif d’utiliser la
comparaison avec un match de tennis qu’on regarde à la télévision. En regardant
un tel match, vous pouvez remarquer qu’il y a en fait deux matches qui se
jouent en simultané : il y a le match que vous voyez à l’écran, et celui que
vous entendez, décrit par le commentateur. En effet, si un australien joue
contre un français, le commentaire du présentateur australien a bien des
chances d’être très différent de ce qui se passe en réalité ! Un commentaire
est souvent biaisé. Dans cette comparaison, regarder l’écran sans commentaire
symbolise la conscience silencieuse dans la méditation, prêter attention au
commentaire symbolise y penser. Il faut vous rendre compte que vous êtes bien
plus proche de la vérité lorsque vous observez sans commentaire, lorsque vous
vivez simplement la conscience silencieuse du moment présent.
C’est parfois par
l’intermédiaire du commentaire intérieur que nous croyons connaître le monde.
Dans les faits, ce commentaire intérieur ne connaît rien du tout ! C’est lui
qui tisse les illusions qui sont la cause de la souffrance. C’est lui qui
provoque la colère contre ceux dont nous faisons nos ennemis et l’attachement à
ceux dont nous faisons nos êtres chers. Le discours intérieur provoque tous les
problèmes de la vie. Il fabrique la peur et la culpabilité. Il crée l’angoisse
et la dépression. Il construit ces illusions aussi sûrement qu’un commentateur
habile peut manipuler une audience pour créer la colère ou les larmes. Donc si
vous cherchez la vérité, il vous faut avoir de l’estime pour la conscience
silencieuse, la considérer plus importante, lorsque vous méditez, que n’importe
quelle pensée qui soit.
C’est la grande valeur que
l’on accorde à nos propres pensées qui forme l’obstacle majeur à l’expérience
de la conscience silencieuse. Soigneusement ôter l’importance que l’on accorde
à nos pensées, puis réaliser la valeur et la véracité de la conscience
silencieuse, voilà la révélation qui rend possible cette deuxième étape : la
conscience silencieuse du moment présent.
Une belle
façon de
surmonter le commentaire intérieur c’est de
développer une conscience du moment
présent si raffinée, d’observer chaque moment de si
près que vous n’avez
simplement pas le temps de faire des commentaires sur ce qui vient
d’arriver.
Une pensée, c’est souvent une opinion sur ce qui vient
d’arriver, par exemple «
ça, c’était bien », « ça,
c’était grossier », « c’était
quoi, ça ? » Tous ces
commentaires se font d’une expérience qui vient de passer.
Lorsque vous faites
une remarque, ou un commentaire sur une expérience qui vient de
passer, vous
n’êtes alors plus entrain de prêter attention
à l’expérience qui vient
d’arriver. Vous vous occupez de vieilles visites et vous
négligez les nouvelles
visites qui arrivent en ce moment-même !
Imaginez votre esprit
comme l’hôte d’une réception, accueillant les invités quand ils passent le pas
de la porte. Si, lorsqu’un invité arrive, vous l’accueillez et vous vous mettez
à bavarder, vous n’êtes alors plus entrain de faire votre devoir, qui est
d’accorder votre attention au nouvel invité qui arrive. Á chaque instant, il y
a un invité qui passe le pas de la porte. Par conséquent, tout ce que vous
pouvez faire, c’est en accueillir un, puis tout de suite aller accueillir le
suivant. Vous ne pouvez pas vous permettre d’engager la moindre conversation
avec ces invités, puisque cela signifie que vous allez manquer le suivant qui
se présente. Au cours de la méditation, toutes nos expériences passent le pas
de la porte, ou passent par les sens, pour arriver dans l’esprit une par une,
successivement. Si vous accueillez une expérience avec présence d’esprit et
engagez la conversation avec votre invité, vous allez manquez la prochaine
expérience qui suit juste derrière.
Quand vous êtes
parfaitement dans le moment présent à chaque expérience, avec chaque invité qui
arrive dans votre esprit, vous n’avez alors tout simplement pas la place pour
ce discours intérieur. Vous ne pouvez pas vous mettre à bavarder avec vous-même
parce que vous êtes complètement occupé à tout accueillir attentivement à
mesure que ça se présente à votre esprit. Ça, c’est une conscience du moment
présent raffinée au point de devenir une conscience silencieuse du présent à
chaque instant.
Vous découvrez, en
développant ce degré-là de silence intérieur, que c’est comme se décharger d’un
autre gros fardeau. C’est comme si vous aviez porté un gros sac à dos sur vos
épaules pendant quarante ou cinquante ans et, pendant ce temps, vous aviez
péniblement parcouru de nombreux, nombreux kilomètres. Maintenant vous avez eu
le courage et trouvé la sagesse d’ôter ce sac à dos et de le poser au sol pour
un moment. On se sent si immensément soulagé, si libre parce que, maintenant,
on n’est plus chargé de ce gros sac à dos qu’est le discours intérieur.
Une autre manière utile de
développer ce silence intérieur est de reconnaître l’espace entre les pensées,
entre les périodes de discours intérieur. Si vous observez de près avec une
présence d’esprit pointue, quand une pensée se termine et avant qu’une autre
pensée ne commence : là ! C’est ça la conscience silencieuse ! Il se peut que
ce ne soit que momentané au début, mais à mesure que vous reconnaissez ce
silence fugace, vous vous y accoutumez, et à mesure que vous vous y accoutumez,
le silence se met à durer plus longtemps. Vous commencez à apprécier ce
silence, une fois que vous l’avez finalement trouvé, et c’est pour ça qu’il
grandit. Mais souvenez-vous, le silence est timide. Si le silence vous entend
parler de lui, il s’évanouit immédiatement !
Ce serait merveilleux si
chacun d’entre nous pouvait abandonner le discours intérieur et demeurer dans
la conscience silencieuse du moment présent suffisamment longtemps pour se
rendre compte du délice que c’est. Le silence produit tellement plus de sagesse
et de clarté que la pensée. Quand vous réalisez combien il est appréciable et valeureux
de rester silencieux intérieurement, alors le silence vous attire d’avantage et
devient plus important pour vous. Le silence intérieur devient ce vers quoi
tend l’esprit. L’esprit recherche ce silence constamment, au point de ne penser
que s’il le doit vraiment, seulement s’il y a une raison de le faire. Puisqu’à
ce niveau vous vous êtes rendu compte que la plupart de vos pensées sont de
toute façon sans but, qu’elles ne vous mènent nulle part, ne font que vous
donner des maux de tête, vous passez joyeusement et facilement plus de temps
dans le silence intérieur.
La deuxième étape de cette
méditation est donc la conscience silencieuse du moment présent. Vous
risquez bien de passer le plus clair de votre temps à développer ces deux
seules étapes, parce que si vous arrivez jusqu’ici, vous aurez alors déjà
parcouru une longue route dans votre pratique de la méditation. Dans cette
conscience silencieuse du « simplement maintenant », vous goûterez à bien de la
paix, de la joie et par conséquent de la sagesse.
Si vous voulez aller plus
loin, alors plutôt que d’être silencieusement conscient de tout ce qui vient à
l’esprit, vous choisissez la conscience silencieuse dans le moment présent
d’une chose unique. Cette chose peut être l’expérience de la respiration, une
pensée de bienveillance (mettā), un disque coloré visualisé dans
l’esprit (kasina) ou quelques autres points de focalisation de
l’attention qui sont moins communs. Ici nous allons décrire la conscience
silencieuse dans le moment présent de la respiration.
Le choix de fixer son
attention sur une seule chose, c’est lâcher prise de la diversité et c’est le
mouvement vers son contraire, l’unité. A mesure que l’esprit s’unifie, en
maintenant l’attention tout simplement sur une seule chose, l’expérience de la
paix, de la félicité et de la puissance augmente sensiblement. Vous découvrez
ici que la diversité de la conscience c’est comme avoir six téléphones sur un
bureau qui sonnent tous en même temps : c’est le bagne, et lâcher prise de
cette diversité, c’est ne permettre qu’une seule ligne, privée de surcroît :
quel soulagement ! Ça engendre de la félicité. Comprendre que la diversité est
un fardeau est crucial pour être capable de se poser sur la respiration.
Si vous avez soigneusement
développé une conscience silencieuse du moment présent pendant de longues
durées, vous trouverez alors assez facile de tourner cette attention vers la
respiration et de la suivre à chaque instant, sans interruption. C’est ainsi
parce que les deux obstacles majeurs à la méditation sur la respiration ont
déjà été levés. Le premier de ces deux obstacles est la tendance de l’esprit à
filer dans le passé ou le futur. Le deuxième obstacle est le discours
intérieur. Voilà pourquoi j’enseigne les deux étapes préliminaires que sont la
conscience du moment présent et la conscience silencieuse du moment présent
comme formant une préparation solide pour aller plus profond dans la méditation
sur la respiration.
Il arrive
souvent que les
gens se mettent à méditer alors que leur esprit saute
encore du passé au futur,
et que l’attention est noyée de commentaires
intérieurs. Sans préparation, ils
trouvent la méditation sur la respiration très difficile,
même impossible et
abandonnent par frustration. Ils abandonnent parce qu’ils
n’ont pas commencé au
bon endroit. Ils n’ont pas accompli assez de travail
préparatoire avant de
prendre la respiration comme point de focalisation de
l’attention. Toutefois,
si l’esprit a été bien préparé, en
complétant ces deux premières étapes, vous
trouverez que vous êtes aisément capable de maintenir
votre attention sur la
respiration. Si par contre vous trouvez ça difficile,
c’est un signe que vous
vous êtes précipité dans les deux premières
étapes. Retournez aux exercices
préliminaires ! La patience exercée avec soin est la voie
la plus rapide.
Lorsque vous vous
focalisez sur la respiration, focalisez sur l’expérience présente de la
respiration. L’expérience vous raconte ce que fait la respiration, si elle
rentre, sort, ou se trouve entre deux. Certains maîtres disent d’observer la
respiration au bout du nez, d’autres disent de l’observer au niveau de
l’abdomen et d’autres encore disent de la déplacer ici, puis là. Pour ma part,
j’ai trouvé que ça n’a aucune d’importance. En fait, c’est mieux de ne pas la localiser
où que ce soit ! Si vous placez la respiration au bout du nez ça devient la
conscience du nez, et non plus la conscience de la respiration, et si vous la
placez au niveau de l’abdomen ça devient la conscience de l’abdomen. Posez-vous
simplement la question « maintenant, suis-je entrain d’inspirer ou d’expirer ?
» Comment le savez-vous ? Là ! Cette expérience-là qui vous dit ce que fait la
respiration, voilà ce sur quoi il faut se focaliser pendant cette méditation
sur la respiration. Laissez tomber la préoccupation de savoir où se situe cette
expérience ; focalisez-vous simplement sur l’expérience elle-même.
Un des obstacles fréquents
à ce stade, c’est la tendance à contrôler la respiration, et ça rend la
respiration inconfortable. Pour surmonter cet obstacle, imaginez vous comme
passager d’une voiture, qui regarde sa respiration par la fenêtre. Vous n’êtes
pas le conducteur et n’avez pas de télécommande, alors cessez de donner des
ordres, lâchez prise et appréciez la ballade. Laissez respirer la respiration,
et ne faites que regarder, sans intervenir.
Quand vous savez que la
respiration rentre, ou qu’elle sort, pour, disons, une centaine de cycles
respiratoires consécutifs, sans en manquer un, vous avez alors atteint ce que
j’appelle la troisième étape de cette méditation, l’attention maintenue sur
la respiration. C’est encore plus paisible et plus joyeux que l’étape
précédente. Pour aller plus profondément, il vous faut maintenant viser la
pleine attention maintenue sur la respiration.
Cette quatrième étape, ou la
pleine attention maintenue sur le moment présent, survient lorsque
l’attention s’étend pour intégrer absolument chaque instant de la respiration.
Connaissez l’inspiration dès son tout premier instant, lorsque apparaît sa
première sensation. Puis observez le développement progressif de ces sensations
pendant toute la durée de l’inspiration, sans enmanquer ne serait-ce qu’un seul
instant. Lorsqu’elle se termine, connaissez-la à cet instant-là, suivez-la dans
votre esprit jusqu’à son dernier mouvement. L’instant suivant est comme une
pause entre deux mouvements respiratoires, avec de nombreuses autres pauses,
jusqu’à ce que débute l’expiration. Voyez ensuite le premier instant de
l’expiration, puis chacune des sensations subséquentes à mesure qu’elle évolue,
jusqu’à ce qu’elle disparaisse, une fois sa fonction complétée. Tout ceci se
fait en silence et juste ici, dans le moment présent.
Vous ressentez donc chaque
partie de chaque inspiration et chaque expiration, de façon continue, pendant
des centaines de cycles respiratoires consécutifs. Voilà pourquoi on appelle
cette étape « la pleine attention maintenue sur la respiration ». Vous
ne pouvez atteindre ce degré de tranquillité qu’en lâchant prise d’absolument
tout dans l’univers entier, à l’exception de cette expérience instantanée de la
respiration qui a lieu en silence, maintenant. Ce n’est pas « vous » qui
atteignez cette étape ; c’est l’esprit qui l’atteint. L’esprit fait le travail
de lui-même. L’esprit reconnaît cette étape comme une demeure très paisible et
agréable, de juste être seul avec la respiration. C’est là que le « faiseur »,
la partie majeure de notre ego, commence à s’effacer.
Vous trouverez la
progression facile à cette étape de la méditation. Vous n’avez qu’à vous ôter
du chemin, lâcher prise, et regarder tout ça se faire. L’esprit sera
naturellement enclin, si vous lui en donnez l’occasion, à cette union toute
simple, paisible et délicieuse avec une seule chose, d’être simplement uni à la
respiration, à chaque instant. Ça, c’est l’unité d’esprit, l’unité dans
l’instant, l’unité dans la tranquillité.
La quatrième étape est ce
que j’appelle le « plongeoir » de la méditation, parce d’ici on peut plonger
dans les états de félicité. Si vous ne faites que maintenir cet état d’unité de
conscience, sans intervenir, la respiration va se mettre à disparaître. La
respiration semble disparaître à mesure que l’esprit se focalise sur ce qui se
trouve au centre de cette expérience de la respiration, à savoir une paix, une
liberté et une félicité impressionnantes.
À cette étape, j’utilise
le terme de « belle respiration ». L’esprit reconnaît que cette respiration
paisible est extraordinairement belle. Vous en êtes constamment conscient,
instant après instant, sans interruption du fil de l’expérience. Vous n’êtes
conscients que de cette belle respiration, sans effort, et pendant une longue
durée.
À présent, laissez
disparaître la respiration et, tout ce qu’il vous reste, c’est le « beau ». La
beauté désincarnée devient l’unique objet de l’esprit. L’esprit est entrain de
trouver son propre objet. À présent, vous n’êtes plus du tout conscient de la
respiration, du corps, des pensées, des sons ou du monde extérieur. Tout ce
dont vous êtes conscient, c’est la beauté, la paix, la félicité, la lumière, ou
peu importe le nom qui lui sera trouvé plus tard. Vous ne percevez que la
beauté en continu et sans aucun effort, sans qu’il n’y ait quoi que ce soit qui
soit beau. Ça fait déjà longtemps que vous avez laissé tomber tout bavardage,
les descriptions et les évaluations. Ici, l’esprit est si tranquille que vous
êtes incapable de dire quoi que ce soit. Vous êtes simplement entrain de goûter
à la première floraison de félicité dans l’esprit. Cette félicité va se
développer, grandir, devenir très stable et solide. C’est ainsi que l’on entre
dans ces états de méditation nommés les jhānas. Mais ça, c’est pour la
troisième partie de cet enseignement !
Ne rien faire
Ne faites absolument rien
et voyez comme la respiration peut paraître fluide, belle et intemporelle.
Les parties 1 et 2
décrivent ce que nous appelons ici les quatre
Ce sont :
1. la conscience de
l’instant présent
2. la conscience
silencieuse de l’instant présent
3. la conscience
silencieuse de la respiration dans l’instant présent
4. la pleine attention
maintenue sur la respiration
Chacune de ces étapes doit
être bien développée avant de pouvoir passer à l’étape suivante. Si l’on
précipite ces « étapes de lâcher prise », les étapes suivantes demeureront
inaccessibles. C’est comme construire un grand immeuble sur des fondations
inadéquates. Le rez-de-chaussée est vite construit, le premier et deuxième
étage aussi. Toutefois, en ajoutant le troisième étage, la structure commence à
vaciller. Puis, en essayant d’en ajouter un quatrième , le tout s’écroule.
Alors je vous en prie, passez beaucoup de temps sur ces quatre étapes
initiales, rendez-les fermes et stables, avant de procéder à la cinquième
étape. Vous devez être capable de maintenir la quatrième étape, « la pleine
attention maintenue sur la respiration », conscient de chaque instant de la
respiration sans aucune interruption, pendant facilement deux ou trois cent
cycles respiratoires successifs. Je ne dis pas qu’il faut compter les cycles
pendant cette étape, mais je vous donne une indication de la durée qu’il faut
passer sur cette quatrième étape avant de poursuivre. Dans la méditation, la
patience est la voie la plus rapide !
La cinquième étape
s’appelle « la pleine attention maintenue sur la belle
respiration ». Souvent, cette étape suit naturellement la
précédente, de façon fluide. Tandis que la pleine attention demeure sur
l’expérience de la respiration avec facilité et constance, sans que rien
n’interrompe le flux uniforme de la conscience, la respiration se calme. Elle
passe de grossière et ordinaire à une « belle respiration » très fluide et
paisible. L’esprit reconnaît cette belle respiration et s’en délecte. Il
perçoit un approfondissement du sentiment de contentement. Il est heureux de
juste être là, à regarder cette belle respiration. Il n’y a pas besoin de
forcer. Il reste avec la belle respiration de lui-même. « Vous » ne faites rien
du tout. Si vous tentez de faire quoi que ce soit au cours de cette étape, vous
dérangez le processus et la beauté est perdue. C’est comme quand on atterri sur
la case avec la tête du serpent, dans le jeu de société des serpents et des
échelles : vous devez reculez de nombreuses de cases. Le « faiseur » doit
disparaître dans cette étape de la méditation, ne laissant que le « connaisseur
» qui observe passivement.
Un truc utile pour accéder
à cette étape est d’interrompre le silence intérieur juste une fois et de
penser doucement : « Calme ». C’est tout. A cette étape de la méditation,
l’esprit est d’habitude si sensible qu’un simple petit coup de pouce comme ça
suffit, et l’esprit suit l’instruction. La respiration se calme et la belle
respiration émerge.
Lorsque vous ne faites
qu’observer passivement la belle respiration dans l’instant présent, les
perceptions d’inspiration, d’expiration, de début, milieu ou fin d’un cycle
respiratoire doivent toutes pouvoir disparaître. La seule chose qui est connue
est l’expérience de la belle respiration qui a lieu maintenant. L’esprit ne se
soucie plus de savoir si c’est cette partie-ci du cycle respiratoire ou une
autre, ni dans quelle partie du corps elle a lieu. Ici nous simplifions l’objet
de méditation. C’est l’expérience de la respiration dans l’instant présent. On
laisse tomber tous les détails qui ne sont pas nécessaires, on va au-delà de la
dualité de « dedans » et « dehors », et on n’est conscient que de la belle
respiration qui apparaît fluide et continue, à peine changeante.
Ne faites absolument rien
et voyez comme la respiration peut paraître fluide, belle et intemporelle.
Voyez jusqu’où vous pouvez laisser aller le calme. Prenez le temps de savourer
la douceur de la belle respiration, toujours plus calme, toujours plus belle.
Ce qui se passe ensuite,
c’est que la respiration va disparaître, non pas lorsque « vous » le voudrez
mais lorsqu’il y aura suffisamment de calme, ne laissant que le « beau ». Il y
a une métaphore dans la littérature anglaise qui illustre cela. Dans « Alice au
Pays des Merveilles » de Lewis Carroll, Alice et la Reine Blanche aperçoivent
dans le ciel un chat du Cheshire, souriant. Tandis qu’elles regardent, la queue
du chat disparaît, puis les pattes, ainsi que reste des jambes. Peu après, son
buste disparaît aussi, ne laissant que la tête, toujours souriante. Puis la
tête elle-même disparaît progressivement, en commençant par les oreilles et les
moustaches, suivis de la tête entière, à l’exception du sourire qui reste là,
suspendu dans le ciel ! C’est un sourire sans lèvres pour le produire, mais
néanmoins un sourire, visible. Voilà une métaphore très précise pour décrire le
processus de lâcher prise qui se fait à cette étape de la méditation. Le chat
au visage souriant, c’est la belle respiration. Le chat qui disparaît, c’est la
respiration qui disparaît et le sourire désincarné, encore visible dans le
ciel, c’est l’objet mental pur de « beauté », clairement visible dans l’esprit.
Cet objet mental pur
s’appelle une nimitta. « Nimitta » signifie un signe, ici un
signe mental. C’est un véritable objet dans le paysage de l’esprit (citta)
et, lorsqu’il apparaît pour la première fois, c’est extrêmement étrange. On n’a
tout simplement jamais rien vécu de tel auparavant. Néanmoins, l’activité
mentale qu’on appelle « perception » recherche dans sa banque de données
d’expériences vécues quelque chose de semblable, même si ce n’est qu’un peu,
pour fournir à l’esprit une description de ce phénomène jusqu’ici inconnu. Pour
la plupart des gens qui méditent, cette « beauté désincarnée », cette joie
mentale est perçue comme une belle lumière. Ce n’est pas une lumière. Les yeux
sont fermés et la conscience visuelle est éteinte depuis longtemps. C’est la
conscience de l’esprit libérée pour la première fois du monde des cinq sens.
C’est comme la pleine lune, comparée ici à l’esprit radieux, qui se dégage des
nuages, ces derniers étant comparés ici au monde des cinq sens. C’est l’esprit
qui se manifeste, et non une lumière, mais pour beaucoup, ça apparaît comme une
lumière, c’est perçu comme une lumière, parce que cette description imparfaite
est la meilleure que la faculté de perception ait à offrir.
Pour d’autres gens, cette
faculté de perception choisit de décrire cette première manifestation de
l’esprit selon des sensations physiques telles qu’une tranquillité ou une extase
intenses. Encore une fois, la conscience physique (celle qui ressent
l’expérience de plaisir et de douleur, de chaud et de froid, etc.) est éteinte
depuis longtemps, et ceci n’est pas une sensation physique. Ce n’est que «
perçu » comme étant semblable au plaisir. Certains voient une lumière blanche,
d’autres une étoile dorée, d’autres une perle bleue... Il est important de
savoir que ce sont toutes des descriptions du même phénomène. Ces gens goûtent
tous au même objet mental pur et les détails différents sont rajoutés par leurs
différentes faculté de perception.
Vous pouvez reconnaître
une nimitta d’après les 6 critères suivants :
1. elle n’apparaît
qu’après le cinquième stade de la méditation, après que la personne méditant
soit restée longtemps sur la belle respiration ;
2. elle apparaît lorsque
la respiration disparaît ;
3. elle n'apparaît que
lorsque les cinq sens externes de la vue,l’ouïe, l’odorat, le goût et le
toucher sont complètement absents;
4. elle ne se manifeste
que dans l’esprit silencieux, lorsque les
pensées descriptives (le
discours intérieur) sont totalement absentes ;
5. elle est étrange mais
fortement attirante ;
6. c’est un objet
magnifiquement simple.
Je vous fais part de ces
caractéristiques pour que vous puissiez faire la différence entre les vraies nimitta
et celles qui viennent de l’imagination.
Cette sixième étape se
nomme « l’expérience de la belle nimitta ». Elle
est atteinte lorsqu’on lâche prise du corps, de la pensée et des cinq sens (y
compris la conscience de la respiration) à un tel point qu’il ne reste que la
belle nimitta.
Parfois, lorsqu’elle
commence à apparaître, la nimitta peut paraître « manquer d’éclat ». Il
faut alors retourner immédiatement à l’étape précédente de la méditation, la
conscience silencieuse maintenue sur la belle respiration. On a passé à la nimitta
trop tôt. Des fois la nimitta est vive, mais instable, clignotant
comme la lumièred’un phare. Encore une fois, ceci indique que vous avez quitté
la belle respiration trop tôt. On doit être capable de maintenir facilement son
attention sur la belle respiration pendant longtemps avant que l’esprit ne soit
capable de maintenir une attention claire sur la nimitta, bien plus
subtile. Entraînez donc l’esprit sur la belle respiration, entraînez-le avec
patience et diligence, puis, quand il est temps de passer à la belle nimitta,
elle sera vive, stable et facile à maintenir.
La raison principale pour
laquelle la nimitta peut paraître manquer d’éclat, c’est que la
profondeur du contentement est insuffisante. Vous êtes encore à « vouloir »
quelque chose. D’habitude, vous avez envie d’une nimitta vive ou d’une jhāna.
Souvenez-vous, et c’est important, les jhānas sont des états de lâcher
prise, des états de contentement incroyablement profonds. Alors débarrassez-vous
de l’esprit affamé, développez le contentement avec la belle respiration et la nimitta
et les jhānas viendront d’elles-mêmes.
La principale raison
d’instabilité d’une nimitta, c’est que le « faiseur » ne veut tout
simplement pas arrêter de s’en mêler. Le « faiseur », c’est celui qui contrôle,
celui qui veut piloter depuis le siège arrière, qui se mêle constamment de ce
qui ne le regarde pas et gâche tout. Cette méditation est un processus naturel
qui mène
Un truc utile pour
parvenir à un lâcher prise aussi profond est d’offrir délibérément votre
confiance à la nimitta. Interrompez le silence juste une seule fois,
très très délicatement, et chuchotez, comme dans votre esprit, que vous donnez
votre pleine confiance à la nimitta, pour que le « faiseur » puisse
abandonner tout contrôle et tout simplement disparaître. L’esprit, représenté
devant vous par la nimitta, prendra alors en main le processus et vous
n’avez qu’à observer le déroulement de l’affaire.
Ici, vous n’avez rien
besoin de faire, parce que la beauté intense de la nimitta est plus que
capable de retenir l’attention sans votre aide. Prenez garde, ici, de ne pas
vous mettre à évaluer. Des questions telles que « qu’est-ce que c’est que ça ?
», « est-ce que c’est une jhāna ? », « que dois-je faire ensuite?», et
ainsi de suite sont toutes l’oeuvre du « faiseur » qui essaie à nouveau de
prendre les choses en main. Ceci dérange le processus. Vous pouvez tout évaluer
une fois le voyage terminé. Un bon scientifique n’évalue une expérience qu’à la
fin, après avoir collecté toutes les données. Alors pour l’instant, n’essayez
pas d’évaluer ou de tout saisir. Il n’y a aucun besoin de prêter attention au
contours de la nimitta : « est-elle ronde ou ovale ? », « les bords
sont-ils clairs ou flous ? ». Tout ceci n’est pas nécessaire et ne mène qu’à
d’avantage de diversité, de dualité entre « dedans » et « dehors », à
d’avantage de dérangements.
Laissez l’esprit aller
vers ce qui l’attire, généralement le centre de la nimitta. C’est au
centre que se trouve la partie la plus belle, où la lumière est la plus
brillante et la plus pure. Lâchez prise et appréciez le voyage à mesure que
l’attention est attirée au centre et y plonge, à mesure que la lumière s’étend
tout autour et vous enveloppe complètement. C’est en fait une et une seule
expérience perçue depuis différents points de vue. Laissez l’esprit se fondre
dans la béatitude. Laissez surgir la septième étape de cette voie de méditation,
la première jhāna.
Deux obstacles sont
communs au seuil de la première jhāna : l’excitation ou la peur.
L’excitation, c’est s’agiter. Au moment où l’esprit pense « Ouaah, la voilà !
», il est alors très peu probable que la jhāna se montre. Cette réaction
« ouaah ! » doit être subjuguée en faveur d’une passivité absolue. Vous pouvez
garder toutes les exclamations pour plus tard, quand vous émergerez de la jhāna,
à un moment où elles seront plus appropriées. L’obstacle toutefois le plus
probable, c’est la peur. La peur apparaît dès que sont reconnues la puissance
et la béatitude absolues de la jhāna, ou quand on reconnaît que, pour
complètement pénétrer dans la jhāna, il faut abandonner quelque chose :
vous ! Le « faiseur » est silencieux avant la jhāna, mais toujours
présent. Dans la jhāna, par contre, il disparaît complètement. Le «
connaisseur » fonctionne toujours, vous êtes pleinement conscient, mais toutes
les commandes sont maintenant hors de portée. Vous ne pouvez même pas formuler
une seule pensée, sans parler de prendre une décision. La volonté est gelée et
ceci peut paraître effrayant pour le débutant. Ça ne vous était encore jamais
arrivé auparavant dans votre vie d’être aussi dénué de tout contrôle, et
pourtant aussi complètement éveillé. Cette peur, c’est la peur de céder quelque
chose d’aussi essentiellement personnel que la volonté de faire.
Cette peur peut être
surmontée par la confiance dans les enseignements du Bouddha ainsi que dans la
séduisante béatitude que l’on peut apercevoir un peu plus loin comme
récompense. Le Bouddha a souvent dit « qu’il ne faut pas s’effrayer de cette
béatitude qu’il y a dans la jhāna, mais la suivre, la développer et la
pratiquer souvent » (Latukikopama Sutta, Majjhima Nikāya). Alors juste avant
que n’apparaisse la peur, offrez votre pleine confiance à cette béatitude et
maintenez votre foi dans les enseignements du Bouddha et l’exemple des nobles
disciples. Faites confiance au Dhamma et laissez la jhāna vous embrasser
chaleureusement pour une expérience sans effort, en-dehors du corps et de
l’ego, béatifiante et qui sera la plus profonde de votre vie. Ayez le courage
de complètement abandonner le contrôle pour un moment et de vivre tout ceci par
vous-même.
Si c’est une jhāna,
elle va durer longtemps. Ça ne mérite pas de s’appeler une jhāna si ça
ne dure que quelques minutes. Habituellement les jhānas supérieures
persistent pendant plusieurs heures. Une fois entré dedans, on n’a plus la
possibilité de choisir. Vous ne sortirez de la jhāna qu’une fois que
l’esprit est prêt à en sortir, lorsque les « crédits » d’abandon accumulés
auparavant sont complètement dépensés. Ce sont des états de conscience si
tranquilles et satisfaisants que leur nature même est de persister pendant très
longtemps. Une autre caractéristique de la jhāna est qu’elle n’arrive
qu'après qu’on ait discerné la nimitta telle que décrite plus haut. En
outre, il vous faut savoir que lorsque vous êtes immergé dans n’importe
laquelle des jhānas, il est impossible de ressentir le corps (p.ex. la
douleur physique), d’entendre un son de l’extérieur ou de produire une seule
pensée, pas même une « bonne » pensée. Il n’y a qu’une unicité de perception,
claire, une expérience de béatitude non duelle qui se poursuit sans
modification pendant très longtemps. Ce n’est pas une transe, mais un état de
conscience élevé. Ceci est dit pour que vous puissiez savoir par vous-même si
ce que vous prenez pour une jhāna est réel ou imaginaire.
La méditation, c’est
encore beaucoup plus que ceci, mais ici n’est décrite que la méthode
fondamentale de développement, en utilisant sept étapes qui culminent avec la
première jhāna. On pourrait en dire bien plus sur les « cinq obstacles »
et comment les surmonter, sur le sens de la présence d’esprit et comment elle
est employée, sur les quatre fondements de la présence d’esprit (satipatthāna),
les quatre voie du succès (iddhipāda), les cinq facultés (indriya)
ainsi qu’évidemment sur les jhānas supérieures. Tout ceci concerne aussi
cette pratique de la méditation, mais nous devons le garder pour une autre
occasion.
Pour ceux qui pourraient
méprendre tout ceci pour « rien que de la pratique de samatha sans
considération pour celle de vipassana », sachez que ce n’est ni vipassana
ni samatha. Ça s’appelle « bhāvana », la méthode enseignée
par le Bouddha et reprise dans la tradition de forêt du nord-est de la
Thaïlande, de laquelle mon maître, le vénérable Ajahn Chah, faisait partie.
Ajahn Chah disait souvent que samatha et vipassana ne peuvent
être séparées, et que cette paire ne peut pas non plus se développer séparément
de la vue juste, la pensée juste, la conduite morale juste et ainsi de suite...
En effet, pour progresser dans les sept étapes décrites plus haut, la personne
qui médite a besoin d’une compréhension et une acceptation des enseignements du
Bouddha, et ses préceptes doivent être purs. Une révélation sera nécessaire
pour atteindre chacune de ces étapes, c’est-à-dire une révélation de la
signification du « lâcher prise ». Plus on développe ces étapes, plus les
réévélations seront profondes, et si vous allez jusqu’à la jhāna, votre
comprèhension toute entière en sera bouleversée. En fait, la révélation danse
autour de la jhāna, et la jhāna autour de la révélation. C’est la
voie vers le nibbāna. Le Bouddha a dit « pour celui qui s’adonne à la jhāna,
quatre résultats sont à attendre : la réalisation du sotāpanna (la
personne qui est entrée dans la voie), du sakadāgāmī (celui à qui il ne
reste qu’un seul retour unique), de l’anāgāmī (celui qui a atteint la réalisation
de non-retour) ou de l’arahant (celui qui a atteint le but ultime) » (Pasādika
Sutta, Dīgha Nikāya).