Avant le début de la Retraite des Pluies, je découvris un
excellent ami dans le Dhamma en la personne du vénérable Glom, de la province
de Loei. Par deux fois, nous montâmes ensemble à la grotte de Tam Puang, sur la
montagne Poo Lek, pour y approfondir notre méditation : quatre nuits la
première fois et six nuits la deuxième. Le chef du village, appelé Orn-see (qui
devint plus tard l’Officier de Sous-district Khun Prajak puis fut ordonné et
mourut moine) s’arrangea pour que quelqu’un monte chaque jour nous offrir de la
nourriture. Je n’oublierai jamais sa gentillesse et sa bonne volonté. Ajahn Mun
lui-même avait remarqué ce chef intelligent et avisé en tout — depuis sa
vivacité d’expression jusqu’à son travail et ses activités sociales en faveur
de sa communauté. Il semblait capable de tout gérer parfaitement. En ce qui
concerne son aide aux moines, ses talents étaient remarquables car, à la
moindre suggestion, il était capable d’organiser efficacement tout ce dont nous
pouvions avoir besoin. Mon compagnon de méditation et moi-même bénéficiâmes donc
des quatre éléments qui favorisent la pratique[1],
ce qui nous permit d’aller plus loin dans nos efforts. Plus nous méditions,
plus nous étions reconnaissants au chef du village et aux villageois de leur
bonté. Notre repas quotidien consistait en une boule de riz au gluten de la
taille d’un bael[2] et de
poudre de poivron séché. Cela suffisait à nous sustenter pour notre pratique de
la méditation, sans effets néfastes. Diminuer la quantité de nourriture
journalière lorsque l’on veut augmenter ses efforts de méditation, donne la
sensation d’un corps plus léger, facilite l’attention et l’accès au samadhi[3].
Je méditais avec beaucoup de diligence et ma faculté de concentration
s’améliora. J’entraînais mon attention à se maintenir constante, de jour comme
de nuit. Je refusais de laisser s’installer la moindre absence qui aurait
permis à mon esprit de s’évader vers l’extérieur. Ainsi mon attention
s’affermit et s’établit exclusivement dans le corps et l’esprit. J’allais
jusqu’à m’assurer de retrouver, au réveil, le même état d’esprit qu’au moment
où j’entrais dans le sommeil ; mais il restait parfois encore un peu de
distraction au moment du repas. Approfondir mes efforts me permit d’apprécier d’autant plus
la bonté des villageois — comme si l’un était inséparable de l’autre. J’avais
une conscience aiguë du fait que, étant moine, mon existence reposait entre
leurs mains. Je continuais donc aussi à pratiquer aussi en dédommagement de ma
dette et je fis en sorte que, cette fois-là, mes efforts de méditation,
compensent totalement mes obligations. A l’approche de la Retraite des Pluies, nous descendîmes
séjourner auprès d’Ajahn Singh, au monastère du village de Nong Lart. En tant
que moine nouvellement ordonné, je n’avais que très peu de responsabilités,
hormis, bien sûr, celles de veiller aux besoins du doyen des moines[4]
et de pratiquer consciencieusement la méditation. En cela, le vénérable Ajahn
nous accorda une attention toute spéciale. Tout au long de la Retraite des Pluies, j’approfondis encore
davantage ma méditation, selon les lignes que je m’étais tracées en méditant
sur la montagne. J’expérimentais aussi quelques techniques de yoga: c’est ainsi
que je réduisis progressivement ma quantité journalière de nourriture en
passant de soixante-dix petites boules de riz au gluten jusqu’à trois bouchées,
puis remontant progressivement jusqu’à trente bouchées, pour redescendre à
cinq. Chaque étape durait trois ou quatre jours et je continuai ainsi tout au
long de la Retraite des Pluies, bien qu’il y eût une période plus longue où je
mangeai quinze bouchées de nourriture, exclusivement végétarienne, par jour.
Déjà très mince de nature, je finis par être si maigre que les villageois s’en
aperçurent. Tous ceux qui me voyaient s’inquiétaient à mon sujet, mais j’eus la
volonté et la force de poursuivre mes devoirs et ma méditation, comme
d’habitude. Dès la fin de la Retraite des Pluies, je recommençai à
manger de la viande et du poisson, mais comme ils sentaient mauvais à présent !
Nous, êtres humains, consommons la chair des animaux morts et la transformons
en chair pour notre propre corps, mais c’est comme voler une chose infecte pour
ensuite l’absorber. Il n’est guère surprenant que les deva et autres
créatures célestes refusent d’approcher les humains — c’est à cause de leur
odeur nauséabonde. Pourtant les êtres humains, quant à eux, ne semblent avoir
aucune difficulté à embrasser et admirer ces cadavres que nous sommes. Après la Retraite des Pluies, je remontai sur la montagne,
mais cette fois accompagné d’Ajahn Singh lui-même. Au bout de neuf jours, il
tomba malade et me demanda de descendre chercher les autres moines de notre
groupe. Mais lorsque nous comprîmes qu’il ne serait pas facile de le soigner
là-haut, nous descendîmes tous dans la région forestière de Nong Boo-a
(aujourd’hui un village). Ajahn Mun nous fit alors parvenir un message selon lequel il
me demandait de le retrouver dans le district de Tah Bor. Je m’inclinai devant
ces instructions et pris congé d’Ajahn Singh. Par hasard, je rencontrai Ajahn Mun et Ajahn Sao sur la route. Ils avaient reçu une
invitation de Wat Bodhisomphorn, dans la ville de Udorn-thani. C’est à cette
époque que « grand-mère »[5]
Noi (la mère de Phraya Rajanukoon) vint participer à la cérémonie de
consécration, pour la pose du mur d’enceinte[6]
de Wat Bodhisomphorn. Elle y rencontra Ajahn Mun pour la première fois et, en
entendant l’un de ses discourss, sentit une immense foi naître en elle. Je
séjournai là avec Ajahn Mun pendant plusieurs jours, puis nous partîmes tous
deux pour Tah Bor.
[1]Sappaya
:
climat, logis, nourriture et nobles compagnons.
[2]Aegle
marmeloa :
fruit médicinal à coque dure, de la taille d’une orange.