Le Dhamma de la Forêt


Vertus et mérites du bouddhisme 

Ajahn Tate


Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/


Ajahn Tate a vécu de 1902 à 1996. A l’âge de 93 ans il a rédigé son autobiographie, véritable document de référence sur la vie d’un moine de la forêt en Thaïlande. Ajahn Tate est considéré comme l’un des disciples « complètement éveillés » d’Ajahn Mun.

Pour lire l'intégralité de cette autobigraphie: “Autobiographie d'un Moine de Forêt” 


Extrait de « Autobiographie d’un Moine de Forêt » (p.196-199)


J’évoque mes maîtres et les grands initiés du passé, dont le Bouddha est le meilleur exemple, et comment ils ont conduit et guidé l’Enseignement. Il me vient à l’esprit que, moi aussi, j’ai, petit à petit, contribué à poursuivre ce développement. Ma naissance en tant qu’être humain n’a pas été inutile. De plus, j’ai été ordonné moine bouddhiste et j’ai dûment rempli mes obligations. 


Chaque fois que l’on m’a rendu hommage ou fait des offrandes, je me suis dit : « Que vénèrent-ils ? Eux et moi sommes identiques dans la mesure où nous sommes tous un agglomérat des quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air. Ils doivent, par contre, rendre hommage à l’habit couleur safran qui est l’emblème et la bannière des arahants. C’est ce type de foi qui soutient la religion et, même si leur conviction intérieure est tiède, ils ont foi en ce qui leur a été transmis ». 

Je suis pleinement conscient de la vertu et de la valeur immenses du bouddhisme. Depuis la cérémonie de mon ordination, j’ai été constamment soutenu et nourri pour devenir un homme bon et vertueux. L’Enseignement ne m’a jamais conduit à commettre la moindre action immorale. 

Malgré tout, il faut toujours que nous résistions ; nous sommes récalcitrants et continuons à mal agir. Notre logement et notre lit, nos matelas, oreiller et moustiquaire et même la nourriture que nous mangeons — tout ce que nous prenons ou utilisons chaque jour, tout cela appartient à l’enseignement du Bouddha. Les remèdes, destinés à soigner toute maladie que nous pourrions avoir, appartiennent aux fidèles pratiquants bouddhistes qui nous en font don généreusement.

 Au début, lorsque nous sommes ordonnés moines, nous sommes complètement dépendants de la robe safran, emblème des Nobles Etres, que notre précepteur et nos maîtres nous accordent. (Précepteurs et maîtres sont simplement les représentants des enseignements bouddhistes puisqu’ils ont tous, sans exception, pris refuge dans le Triple Joyau). Lorsque vous avez reçu ce vêtement incomparable, les gens s’inclinent devant vous avec respect et vous soutiennent par de continuelles offrandes. J’ai pu survivre jusqu’à ce jour grâce à cet enseignement. Le bouddhisme a apporté des bénédictions infinies et une vertu inouïe, à moi personnellement ainsi qu’à nous tous dans le monde. 

En venant vivre ici, et partout où j’ai vécu auparavant, j’ai toujours fait tout ce que j’ai pu, tant que ma santé me l’a permis, pour poser la base de constructions solides et durables pour le bouddhisme. Maintenant que je suis vieux et que je n’ai plus la force de me lancer dans des projets de construction, des fidèles laïcs ont l’inspiration voulue pour financer les constructions qui me représenteront à l’avenir. Toutes les sommes restantes sont réparties entre les autres monastères.

Malgré tout, je ne deviendrai jamais l’esclave des briques, du béton et du bois parce que je sais que ces matériaux ne sont que des objets extérieurs. En dépit de leur beauté et de l’élégance de leurs lignes et, indépendamment des millions qu’ils coûtent, si nous nous conduisons de manière immorale, tout cela devient creux et complètement dépourvu de sens. 

Le vrai noyau, ou « coeur du Bouddha », ne réside pas dans les choses matérielles mais dans les actes des individus. Tel a été mon principe fondamental. Le fait de s’avancer pour être ordonné s’appelle nekkhamma ou renonciation parce que cela représente le renoncement à toutes les formes de sensualité. Après avoir pris la résolution de s’instruire selon la Noble Vérité de l’enseignement du Bouddha pour échapper à toute souffrance, il serait absurde de s’enterrer sous une pile de briques et de ciment.  … Ce type de projets de construction risque d’entraîner de nombreuses complications et des difficultés, et il arrive souvent qu’ils échouent par manque de ressources adéquates et, pire encore, par manque de vertu morale. La réussite de ces projets apporte bonheur et satisfaction, tandis que l’échec entraîne crises et agitation. Je ne me suis jamais permis d’éprouver de tels sentiments vis-à-vis de mes projets et je suis resté tout à fait impartial et détaché quant à leur aboutissement. 

Je considère chaque projet comme faisant simplement partie des devoirs de la religion. Les fonds proviennent tous des laïcs car je n’ai moi même aucune fortune. Quand la tâche est accomplie, elle profite au bouddhisme et apporte beaucoup de mérite aux fidèles laïcs. Il ne devrait pas être nécessaire de solliciter des fonds. Cela ne fait qu’embarrasser les gens, qui se lassent ensuite de ce genre de choses. 

J’ai pu réaliser tous les projets grâce aux dons venus de partout, y compris ceux d’outre-mer. Toutes les offrandes … en faveur de Wat Hin Mark Peng ont été spécifiquement mises de côté à cet effet … tandis que toutes les contributions qui me furent données pour être destinées à mon usage personnel — qu’il s’agisse d’un baht, de dix, cent et même de millions — je les ai toutes réparties entre les différents projets de la communauté ci-dessus mentionnés. Ces fonds n’ont jamais cessé d’affluer et je constate toujours un grand intérêt pour soutenir mes projets … Il ne me semble pas avoir, moi-même, régressé à cause de cela et tout s’est passé en douceur. Sadhu ! Sadhu ! Sadhu ! (Tout est bien !) Le mérite passé m’a probablement permis de mener à bien ces missions. 

…N’avoir pour seul but que le bien du bouddhisme et l’intérêt commun, sans en retirer de profit personnel, sera très profitable, bénéfique, tandis qu’entreprendre une action pour des motifs égoïstes apportera des résultats désastreux. Il serait très préjudiciable d’essayer de tirer un profit personnel en entreprenant des projets liés au bouddhisme. Ceci est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de ces « moines» qui, après s’être investis dans des travaux de construction, se laissent emporter par eux au point d’en abandonner leur travail spirituel et leur discipline. Ils construisent au dehors mais ne réussissent pas à construire leur réalité intérieure, et ceci mène à un terrible déclin.