La pratique du Dhamma va à
l’encontre de nos habitudes; la vérité va à l’encontre de nos désirs : c’est
cela la difficulté de la pratique. Certaines choses que nous pensons fausses
peuvent se révéler exactes, alors que d’autres que nous tenions pour justes
sont erronées. Pourquoi cela ? Parce que notre esprit est dans les ténèbres,
que nous ne voyons pas clairement la vérité. Nous ne connaissons pas
grand-chose et nous sommes dupés par les mensonges des autres. Ils nous
présentent des choses vraies comme étant fausses et nous les croyons ; ce qui
est faux, ils nous disent que c’est vrai et nous les croyons. Cela se peut
parce que nous ne sommes pas encore notre propre maître. Nos états d’esprit
nous mentent en permanence. Nous ne devrions pas nous laisser guider par cet
esprit et ses pensées, car il ne connaît pas la vérité.
Certaines personnes ne
veulent rien entendre des autres, mais ce n’est pas ainsi que l’on parviendra à
la sagesse. Un homme sage doit tout écouter. De même, celui qui écoute le
Dhamma, doit tout écouter, que cela lui plaise ou pas, et il ne doit pas croire
aveuglément ou tout rejeter en bloc. Il doit savoir rester sur la voie du
milieu, au point central, et surtout rester attentif. Alors, il écoute simplement
et il étudie minutieusement pour faire éclore le résultat juste.
Un homme sage doit étudier
et voir les causes et les effets par lui-même avant de croire ce qu’il entend.
Même si le maître dit la vérité, ne le croyez pas, parce que vous ne connaissez
pas encore la vérité par vous-mêmes.
C’est la même chose pour
nous tous, moi y compris. J’ai pratiqué bien avant vous ; et j’ai
entendu de nombreux mensonges avant. Par exemple, « La pratique est difficile,
c’est vraiment dur ! » Pourquoi la pratique est-elle si dure ? C’est seulement
parce que vous ne pensez pas de manière juste, parce que vous avez une vue
erronée.
Auparavant, je vivais avec
d’autres moines, mais je ne me sentais pas bien au milieu d’eux.
Alors je suis parti pour la forêt et les montagnes, fuyant la foule, les moines
et les novices. Je pensais qu’ils n’étaient pas comme moi, qu’ils ne
pratiquaient pas avec la même ferveur que moi ; qu’ils étaient « tièdes ». Je
me disais qu’Untel était comme ceci et que tel autre était comme cela. Tout
cela me mettait dans un état d’agitation, c’était la raison de ma fuite
perpétuelle.
Mais, que je
vive seul ou
avec d’autres, je ne trouvais la paix nulle part. Quand
j’étais seul face à
moi-même, je n’étais pas satisfait ; au milieu
d’un groupe, je n’étais pas
satisfait. Je pensais que ce mécontentement était
dû à mes compagnons, ou qu’il
était dû à mes états d’esprit, ou au
lieu où je résidais, ou à la nourriture,
au temps qu’il faisait, à ceci ou à cela. Je
cherchais en permanence quelque
chose qui conviendrait à mon esprit.
En tant que moine tudong (1),
je voyageais, mais les choses n’allaient pas comme je le voulais. Alors, je
réfléchissais : « Que puis-je faire pour que les choses aillent bien ? Que
dois-je faire ? ». Vivant avec beaucoup de gens, j’étais insatisfait, vivant
avec peu de gens, j’étais insatisfait. Pour quelle raison ? Je ne pouvais pas
voir cette raison. Pourquoi cette insatisfaction ? Parce que j’avais une vue
erronée, tout simplement ! Je persistais à m’accrocher aux mauvais dhamma.
Partout où j’allais, j’étais mécontent, pensant : « Ici, ce n’est pas bien, il
n’y a rien de bien », et ainsi de suite. Je rejetais la faute sur les autres.
Je blâmais le temps, la chaleur ou le froid, je blâmais tout comme un chien fou
furieux qui mord tous ceux qu’il rencontre.
Quand l’esprit est ainsi,
notre pratique ne peut jamais être stable. Aujourd’hui, nous nous sentons bien,
demain çà n’ira pas. C’est ainsi en permanence. Nous ne pouvons pas atteindre
la satisfaction et la paix. Le Bouddha, un jour, vit un chacal, un chien
sauvage, jaillir de la forêt dans laquelle il vivait. Le chacal s’arrêta un
moment puis il courut dans les broussailles. Ensuite, il courut se réfugier
dans la cavité d’un arbre puis il fonça se réfugier dans une grotte pour en ressortir
aussitôt. Il s’arrêtait une minute et, la minute suivante, il se remettait à
courir, puis il se couchait, puis il sautait. Le chacal avait la gale. Quand il
se tenait tranquille, la gale devait lui ronger le pelage, alors il se mettait
à courir. En courant, il ne se sentait pas bien, alors il s’arrêtait. A
l’arrêt, il ne se sentait toujours pas bien, alors il se couchait. Puis il se
remettait à sauter, à courir dans les broussailles, dans le creux d’un arbre,
ne restant jamais en place.
Le Bouddha dit : « Moines,
avez-vous vu ce chacal, cet après-midi ? Debout il souffrait, courant il
souffrait, assis il souffrait, couché il souffrait. Dans les broussailles, dans
la cavité de l’arbre comme dans la grotte. Il blâmait la position debout pour
son inconfort, il blâmait la position assise ou couchée, il blâmait l’arbre,
les broussailles et la grotte. Mais en fait, le problème n’était lié à aucune
de ces choses. Le chacal avait la gale. Le problème était la gale. »
Nous, moines, sommes comme
ce chacal:notre mécontentement est dû à une vision des choses incorrecte.
Nous ne nous exerçons pas à contrôler nos sens, préférant rejeter la faute de
notre insatisfaction sur des causes extérieures à nous. Que nous vivions à Wat
Pah Pong, en Amérique ou à Londres, nous ne serons jamais satisfaits. Et
pourquoi cela ? Parce que nous avons encore des vues fausses en nous. Où que
nous allions, nous ne trouvons pas le contentement. Mais, comme pour le chacal
qui, une fois la gale guérie, se sentira bien où qu’il aille, il en sera de
même pour nous.
Je réfléchis souvent à
cela et j’enseigne souvent cela parce que c’est très important. Si vous
parvenez à connaître la vérité sur vos états d’esprit, vous parviendrez au
contentement. Qu’il fasse chaud ou qu’il fasse froid, vous vous en satisferez.
Le contentement ne dépend pas du nombre de personnes se trouvant autour de
vous, il vient seulement de la vue juste. Si nous avons la vue juste alors, où
que nous soyons nous serons satisfaits.
Mais, pour la plupart,
nous avons une vue erronée de la réalité. C’est comme une larve – une larve
vivant dans un endroit dégoûtant et mangeant des choses dégoûtantes mais
adaptées à sa vie de larve. Si vous prenez un bâton pour essayer d’extraire
cette larve de son tas d’immondices, elle se débattra pour y retourner. Il en
va de même quand un ajahn nous enseigne la vue juste. Nous résistons, parce que
nous ne nous sentons pas bien. Nous courons nous réfugier dans notre « tas
d’immondices » parce que c’est là que nous nous sentons chez nous. Nous sommes
tous comme cela. Si nous ne voyons pas toutes les conséquences nocives de nos
vues fausses alors nous ne pouvons pas les lâcher, la pratique est difficile.
Alors, nous devrions
écouter. Il n’y a rien d’autre pour la pratique.
Si nous avons la vue juste, où que nous allions, nous sommes satisfaits. J’ai
pratiqué ainsi et vu ceci souvent. Ces temps-ci, il y a beaucoup de moines, de
novices et de laïcs qui viennent me voir. Si je ne savais pas, si j’avais
toujours des vues erronées, je serais mort à l’heure qu’il est !
Le bon domicile pour un moine, l’endroit calme, c’est la vue juste elle-même.
Nous ne devrions pas rechercher autre chose.
Ainsi, même si vous êtes
malheureux, cela n’a pas d’importance, car le
malheur est impermanent.
Ce malheur est-il vôtre ? A-t-il une substance qui lui soit propre ? Est-il
réel ? Voyez qu’il n’a aucune réalité tangible. Le malheur n’est rien de plus
qu’un sentiment furtif qui apparaît et qui disparaît.
La joie est pareille. La
joie a-t-elle une consistance ? A-t-elle une entité réelle ? C’est simplement
un sentiment qui fuse soudainement et qui s’en va. A peine apparu qu’il a déjà
disparu !
L’amour brille un moment et disparaît. Où est la consistance de l’amour, de la
haine, du ressentiment ? En réalité, il n’y a aucune entité substantielle
là-dedans, rien de plus que des impressions qui émergent dans l’esprit et qui
s’évaporent. Elles nous trompent en permanence ; nous ne trouvons aucune
certitude en elles. Tout comme l’a dit le Bouddha : « Quand le déplaisir
apparaît, il dure un instant puis disparaît. Quand le déplaisir disparaît, le
contentement arrive, dure un moment et meurt. Quand le contentement disparaît,
le déplaisir apparaît à nouveau… » et ainsi de suite.
A la fin, vous ne pouvez
dire qu’une chose : à part l’apparition, la durée et la cessation de
l’insatisfaction, il n’y a rien. Rien que cela. Mais nous qui sommes ignorants,
nous courons et nous saisissons de tout cela, en permanence.
Nous ne voyons jamais la
vérité de ceci, cette vérité simple, à savoir qu’il n’y a rien, rien qu’un
incessant changement. Si nous parvenons à comprendre cela, alors nous n’avons
pas besoin de penser beaucoup, et cependant nous avons davantage de sagesse. Si
nous ne savons pas cela, nous pensons bien plus que nous avons de sagesse – et
peut-être même, n’avons-nous aucune sagesse du tout ! Tant que nous ne voyons
pas les conséquences néfastes de nos actions, nous ne pouvons pas nous en
défaire. De la même manière, tant que nous ne voyons pas les réels bienfaits de
la pratique, nous ne pouvons pas pratiquer et travailler à rendre notre esprit
meilleur.
Si nous coupons un rondin
de bois et que nous le jetons dans une rivière, et si ce rondin ne coule pas ou
ne pourrit pas, s’il ne va pas s’échouer sur l’une ou l’autre berge de la
rivière, ce rondin finira bien par atteindre la mer. Notre pratique est
comparable à cela. Si vous pratiquez en suivant le chemin indiqué par le
Bouddha, si vous le suivez rigoureusement, vous transcenderez deux choses. Et
quelles sont ces deux choses ? Simplement, les deux extrêmes que le Bouddha
nous a enseigné à éviter car ils ne sont pas la voie que doit suivre un vrai
méditant – se complaire dans les plaisirs et se complaire dans la douleur. Ce
sont les deux berges de la rivière. Une de ces berges est la haine, l’autre
berge est l’amour. Ou bien vous pouvez dire qu’une de ces berges est le
contentement et l’autre berge, l’insatisfaction. Le « rondin », c’est l’esprit.
Comme il « descend cette rivière », il fera l’expérience du contentement et de
l’insatisfaction, du bonheur et de la souffrance. Si l’esprit ne s’accroche ni
au bonheur, ni à la souffrance, il atteindra « l’océan » du Nibbana. Vous devez
juste voir qu’il n’y a que le contentement et l’insatisfaction, le bonheur et
la souffrance apparaissant et disparaissant.
Si vous n’allez pas vous
échouer sur les berges que sont ces deux choses, vous êtes sur la voie du vrai
méditant.
Tel est l’enseignement du Bouddha. Bonheur, malheur, amour et haine n’existent
dans la nature qu’en fonction de la loi constante de la nature. Une personne
sage ne les suit pas, ne les encourage pas ; elle ne s’y attache pas non plus.
Ainsi est l’esprit qui lâche prise et laisse aller la complaissance pour les
plaisirs et la complaisance pour la douleur. C’est la pratique juste. Juste
comme le rondin de bois qui flottera jusqu’à la mer.
Ainsi, l’esprit qui ne
s’attache pas à ces deux extrêmes atteindra immanquablement la paix.