Le Dhamma de la Forêt |
Quand il s’agit du Dhamma, nous devons réaliser que nos opinions sont une chose et que le Dhamma en est une autre.
S’observer avec vigilance
Vous devez commencer par prendre conscience de vos capacités d’endurance et ensuite observer : observer vos activités, vos allées et venues ; observer ce qui vous vient à l’esprit.
Le Bouddha nous a recommandé d’être pleinement conscients de tout ce qui se présente à nous, de tout ce qui nous entoure. Ainsi, nous serons conscients de ce qui est juste et de ce qui est faux, de nos sentiments de joie ou de satisfaction, nous serons conscients de tout.
Actuellement, quand notre esprit observe les choses, ce n’est pas avec une parfaite clarté. Nous avons conscience de certaines choses mais nous en laissons passer d’autres. C’est comme mettre une barrière autour d’un champ ou d’une maison mais sans clôturer complètement : si on ne barricade qu’un côté, les voleurs passeront de l’autre, du côté qui n’a pas été clôturé. Pourquoi ? Parce que notre barrière n’est pas encore assez efficace. Mettre une barrière signifie établir l’attention et demeurer toujours vigilant. Si nous agissons ainsi, le Dhamma ne s’échappera nulle part, il viendra vers l’intérieur. Observons donc sans cesse, ajoutons plus de barrières, fermons les portes de la distraction, encore et encore.
Observer l’esprit et ses humeurs
Si vous persévérez ainsi, vous percevrez clairement vos bonnes et vos mauvaises humeurs, vos sentiments de bien-être et de mal-être. C’est en vous que vous pourrez les observer. Vos humeurs et vos préoccupations sont une chose, l’esprit en est une autre. Faites bien cette distinction ! D’habitude, quand une humeur agréable nous vient, nous la suivons volontiers ; s’il s’agit d’une humeur désagréable, nous nous en détournons. Voyez qu’il ne s’agit pas là d’observation de l’esprit mais de poursuite du plaisir. Une humeur est une humeur, l’esprit est l’esprit. Nous devons bien faire la distinction entre les deux pour savoir ce qu’est une humeur et ce qu’est l’esprit.
Quand nous sommes assis tranquillement, comme en ce moment, nous nous sentons bien, détendus mais, si quelqu’un venait nous insulter, nous serions aussitôt assaillis par la mauvaise humeur puis par des pensées négatives. Nous aurions alors perdu notre point d’ancrage dans la tranquillité. L’esprit qui se laisse tromper par les humeurs qui le traversent va poursuivre les pensées qui accompagnent cette humeur. Nous devenons esclaves de nos humeurs. Nous devons comprendre que toutes nos humeurs sont des mensonges. Elles n’ont rien de vrai. Elles sont très éloignées de l’enseignement du Bouddha. Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est nous mentir sur tout.
Le Bouddha nous a appris à méditer pour voir cette vérité du monde. Le monde, ce sont nos humeurs, nos préoccupations, et nos préoccupations sont le monde. Si nous ne connaissons pas le Dhamma, si nous ne connaissons pas l’esprit, si nous ne sommes pas conscients de nos préoccupations, nous nous saisissons de l’esprit et de ses préoccupations, et nous mélangeons le tout en disant : « Oh ! Mon esprit n’arrive pas à se calmer ! » mais ce n’est pas le cas. Ce sont seulement des humeurs et des préoccupations qui s’agitent dans l’esprit. Nous ne connaissons pas notre propre esprit, alors nous courons derrière nos préoccupations. Mais si vous vous asseyez en méditation, vous verrez que les choses continuent simplement à suivre leur cours.
L’impermanence
Le Bouddha nous a appris à observer les choses précisément là où elles apparaissent. Une fois apparues, elles ne durent pas ; elles disparaissent et d’autres choses apparaissent qui finissent aussi par disparaître – mais ce n’est pas ce que nous voulons ! Quand notre esprit est en paix, nous voulons qu’il continue à être en paix, nous ne voulons pas qu’il s’agite, nous voulons nous sentir bien or ce souhait est contraire à la réalité. Le Bouddha nous a dit de commencer par voir et comprendre clairement la nature de tout ce qui nous entoure. Ce n’est qu’ensuite que l’esprit sera vraiment calme et paisible. Tant que nous ne connaîtrons pas ces choses, tant que nous ne comprendrons pas nos humeurs, nous demeurerons des personnes changeantes, nous nous attacherons à nos humeurs et cela tournera à l’entêtement et à l’orgueil.
Tournez-vous vers l’intérieur, comme le recommande le Bouddha, et dites-vous bien que les choses ne font que suivre un ordre naturel : les humeurs fonctionnent ainsi, l’esprit fonctionne ainsi. Alors, que pouvez-vous faire pour vous sentir bien ? Simplement observer, ici-même.
La résistance à ce qui est
Nous ne voulons pas que les choses soient comme elles sont, voilà pourquoi nous sommes malheureux. Pourtant, où que vous alliez pour chercher à y échapper, elles continueront à suivre leur cours naturel. Nous devons donc comprendre que les choses sont comme elles sont et c’est tout. C’est la vérité. Le Dhamma est impermanence, souffrance et non-soi : il n’y a rien de mal à cela ; les choses sont comme elles sont mais nous leur attachons trop d’étiquettes et d’intentions. Vous vous sentirez bien mieux quand vous en aurez pris conscience.
Imaginons que, pendant deux ou trois jours d’affilée, votre concentration soit bonne, votre esprit soit paisible, vous vous sentiez bien et, un beau matin, quand vous vous asseyez pour méditer, c’est comme si vous étiez assis sur un nid de fourmis rouges ! Vous avez beau essayer, vous n’arrivez pas à rester immobile. Vous êtes contrarié et vous vous dites : « Mais pourquoi est-ce différent des autres jours ? Pourquoi était-ce si agréable avant ? » Vous ne pensez qu’aux autres jours, vous voulez que ce soit « comme avant » et c’est précisément là que vous êtes dans l’erreur. Les choses changent, elles ne sont ni constantes ni certaines, elles ne sont pas stables, elles ne font que suivre leur cours naturel. Le Bouddha nous a appris à voir que telle est la loi naturelle des choses. Ce qui apparaît, ce ne sont seulement que de vieilles choses qui refont surface. Il n’y a rien d’important là-dedans mais nous y attachons des étiquettes et nous décrétons : « J’aime ceci ; je n’aime pas cela. » Ce que nous aimons nous rend heureux – mais heureux à cause de notre aveuglement, pas heureux parce que c’est juste.
La tranquillité
Quand l’esprit est calme, le Bouddha nous recommande de ne pas trop nous en réjouir ; quand il est agité, il nous dit de ne pas trop nous en inquiéter.
Le calme de l’esprit ou tranquillité arrive quand on est loin des préoccupations. S’il n’y a pas trop de bruit, l’esprit s’apaise et se calme. Pour obtenir cette sorte de calme, il faut se retirer du monde, dans un lieu tranquille et paisible. Si vous pouvez échapper à vos soucis, ne pas voir ceci, ne pas savoir cela, l’esprit peut se poser. Mais c’est comme avec un cancer : il y a une grosseur mais pas de douleur. Assis là, au calme, on ne se sent pas mal, on n’est pas tourmenté, de sorte que l’on a l’impression d’être bien – comme si l’esprit était libéré des voiles de l’ignorance. Voilà comment l’esprit se sent, parfois. Tant que l’on reste à l’écart du monde, il est paisible mais quand il reprend contact avec des objets qu’il voit et des sons qu’il entend, c’en est fini ! Il n’est plus paisible du tout ! Mais comment rester coupé du monde sans rien voir et rien entendre, sans sentir, goûter ou toucher quoi que ce soit ? Où aller pour cela ? Nul lieu au monde ne vous offrira cet isolement total des sens.
Le Bouddha voulait que nous voyions des choses, que nous entendions des sons, sentions des parfums, goûtions des saveurs et touchions des objets : chaud, froid, dur, doux. Il voulait que nous connaissions l’essence de tout cela, pas que nous fuyions loin de tout. Il voulait que nous regardions et, ayant regardé, que nous comprenions : « Voilà comment les choses fonctionnent. » Il nous a dit que cette observation donnait naissance à la sagesse.
Savoir accepter le changement
Comment donnons-nous naissance à la sagesse ? Le Bouddha a dit que ce n’est pas difficile. Quand les distractions arrivent, nous devons nous dire : « Il n’y a rien de certain ; tout change. » Quand l’esprit est calme, ne vous dites pas : « Comme ce calme est agréable ! » parce qu’il changera aussi. Si vous ne me croyez pas, essayez ! Pensez à un plat que vous aimez particulièrement et essayez d’en manger tous les jours. Pendant combien de temps allez-vous l’apprécier ? Vous ne tarderez pas à vous dire : « J’en ai assez de ce plat, il me rend malade. » Vous comprenez ? On peut arriver à être dégoûté même d’une chose que l’on aime.
Le changement est indispensable à la vie, alors faites-vous à l’idée que tout change. Le plaisir ne dure pas, la douleur ne dure pas, le bonheur ne dure pas, le calme ne dure pas, les perturbations ne durent pas. Rien ne dure, rien n’est stable ni définitif. Quoi qu’il arrive, dites à cette chose : « N’essaie pas de me tromper. Je sais qu’il n’y a rien de sûr en toi, que tu ne dureras pas. » Ainsi, tout perd de son importance. Il serait bon que vous arriviez à penser ainsi. Les choses que vous n’aimez pas ne durent pas, rien de ce qui apparaît ne dure. Tout change, tout bouge dans un sens puis dans l’autre.
Nibbida, le désenchantement, fruit de l’impermanence
L’impermanence signifie que rien n’est sûr et certain. Voilà la vérité. Pourquoi ne voyons-nous pas la vérité ? Parce que nous n’avons pas regardé d’assez près pour la voir clairement. Si vous voyez l’impermanence de toute chose, vous ressentirez nibbida, le désenchantement ; vous verrez au travers de l’illusion et vous vous direz : « Ce n’est que ça ? Pas grand-chose, finalement ! » A ce moment-là, être bien concentré en méditation ou pas n’est « pas grand-chose finalement ».
Quand vous parvenez à tout voir de ce point-de-vue, il devient facile d’observer les choses. Quel que soit le souci qui vous préoccupe, vous pouvez vous dire : « Ce n’est pas grand-chose, finalement » et tout s’arrête là. Tout devient vide et vain parce que tout est impermanent ; tout bouge et change. Les choses sont impermanentes, insatisfaisantes et impersonnelles. Rien n’est stable ou sûr.
Si vous trouvez une certaine chose agréable, que vous l’aimez vraiment beaucoup, n’en soyez pas si sûr car elle est comme un morceau de métal incandescent : où que vous la preniez, où que vous la saisissiez, elle vous brûlera de toute manière. Alors, on arrête de vouloir la saisir en se disant : « C’est impermanent. Rien n’est sûr, rien ne dure. »
Nos pensées elles-mêmes sont impermanentes. Pourquoi sont-elles impermanentes ? Parce qu’elles sont impersonnelles, elles ne nous appartiennent pas. Elles sont obligées d’être ce qu’elles sont ; elles sont impermanentes et changeantes. Ramenez toujours tout à cela.
Regardez ce verre : il est très joli, alors on va bien le ranger pour qu’il ne se casse pas mais rien n’est certain. Un jour, il sera au bord d’une table et, d’un geste involontaire, on le fera tomber et il se cassera car il est « cassable » par nature. Le Bouddha nous apprend à ne pas nous investir dans de telles choses parce qu’elles sont impermanentes.
Le Bouddha a dit des choses impermanentes qu’elles sont la vérité et que cette vérité est la seule chose permanente qui soit. Elle est permanente dans la mesure où c’est ainsi que les choses fonctionnent toujours. Vous aurez beau essayer d’intervenir, ce sera sans effet ; les choses continueront à être ainsi, apparaissant puis disparaissant. Tout ce qui apparaît doit disparaître un jour. C’est ainsi que l’impermanence devient la vérité. Le Bouddha et ses nobles disciples se sont éveillés du fait de choses impermanentes.
Quand on voit clairement l’inévitabilité de l’impermanence, nibbida apparaît : le désenchantement ou la fin des illusions. Il ne s’agit pas d’un dégoût des choses, vous savez. Nibbida n’a rien à voir avec le dégoût ordinaire. Par exemple, si vous avez une femme et des enfants et que la vie de famille ne vous satisfait plus, il ne s’agit pas de nibbida. Il s’agit plutôt d’une grosse pollution mentale qui vous oppresse et que vous voulez fuir.
Inversement, imaginons que vous soyez gentil envers les gens, prêt à donner tout ce que vous avez et compatissant envers leurs malheurs ; vous les trouvez beaux, sympathiques et gentils avec vous. Attention ! Il ne s’agit pas d’une gentillesse liée au Dhamma mais d’une autre forme de pollution mentale. C’est une gentillesse égoïste dont, plus ou moins consciemment, vous voulez retirer quelque chose.
Même chose avec votre soi-disant « désenchantement ». Dire : « J’en ai assez de tout cela. Je vais tout quitter » n’est pas juste du tout ; c’est une pollution mentale qui n’a du désenchantement que le nom. Le désenchantement dont parle le Bouddha est différent : on pose les choses, on les laisse aller tranquillement ; on ne fait aucun mal et on n’est pas spécialement gentil non plus. On se contente de poser les choses, de tout poser, sans faire de différence. Voilà comment s’exprime le véritable nibbida. Alors seulement pourrez-vous dire que votre esprit a lâché prise, qu’il est vide, vide de saisie et d’attachement.
Vacuité et attachement
La vacuité ne signifie pas que rien n’existe. Voyez ce verre : il n’est pas nécessaire qu’il n’existe pas pour que nous puissions dire qu’il est vide. Ce thermos existe, les gens existent, tout existe mais ceux qui ont la connaissance savent, au fond de leur cœur, que ces choses sont des « vérités » dans la mesure où elles sont incertaines, où elles suivent le cours de leur nature : ce sont des dhamma, des phénomènes qui apparaissent puis disparaissent – rien de plus.
Prenez cette bouteille Thermos : si nous l’aimons, elle ne réagit pas pour autant ; l’appréciation vient seulement de notre part. Si nous la détestons et que nous la jetons au loin, elle ne réagira toujours pas. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi. Nous l’aimons ou la détestons du fait de nos attachements ; nous la trouvons bien ou pas bien. Si nous l’aimons, nous en sommes affectés ; si nous la détestons, nous en sommes affectés. Dans les deux cas, nous sommes victimes de nos pollutions mentales.
Il est donc inutile de fuir les choses. Comprenez simplement ce principe et continuez à observer. Tout est là. L’esprit va voir que tout cela n’est vraiment pas un problème. Les choses sont simplement comme elles sont. Si nous les détestons, elles ne réagissent pas ; si nous les aimons, elles ne réagissent pas. Nous nous rendons fous tout seuls ! Les choses ne font rien pour nous déranger mais nous en sommes tout perturbés. Essayez de considérer tout ce qui vous entoure de ce point-de-vue !
C’est aussi vrai pour le corps, vrai pour l’esprit, pour nos humeurs et nos soucis : voyez-les comme étant impermanents, insatisfaisants et impersonnels. Ils sont simplement comme ils sont. Nous souffrons parce que nous ne voulons pas qu’ils soient ainsi. Nous voulons avoir ce que nous ne pouvons tout simplement pas avoir.
Souffrance de ne pas obtenir ce que l’on désire
Y a-t-il quelque chose que vous vouliez obtenir ?
« Je suppose que c’est comme quand je veux être concentré, je veux que l’esprit se calme. »
Oui, c’est vrai que c’est ce que vous voulez mais quelle est la cause qui empêche votre esprit d’être calme ? Le Bouddha nous a recommandé de chercher la cause de ce qui apparaît. Toute chose arrive suite à des causes.
Si vous plantez des graines de légumes et que vous oubliez de les arroser, les légumes ne pousseront pas ; là où nous oublions de mettre de l’engrais, ils ne poussent pas. Réfléchissez bien à ce principe et la sagesse viendra.
Imaginons que vous donniez une bouteille d’eau à quelqu’un qui a soif. Quand il aura fini de boire, il vous en redemandera. Pourquoi ? Parce que l’eau est dans une bouteille. Mais si vous lui montrez la source, il pourra lui-même aller y chercher de l’eau, il pourra s’y assoir et en boire autant qu’il voudra sans vous déranger car l’eau de la source ne cesse jamais de couler. Il en va de même quand nous prenons clairement conscience de l’impermanence, de l’insatisfaction et de l’impersonnalité de tous les phénomènes : cette prise de conscience va loin en profondeur car nous savons vraiment, nous savons jusqu’au fond des choses. La connaissance ordinaire ne va pas au fond des choses. Quand on sait vraiment à fond, cette connaissance ne faiblit jamais. Quoi qu’il arrive, c’est juste ; quand quelque chose disparaît, c’est juste. Tout est toujours juste.
Attitude juste et paix
Quand vous en venez à dire : « C’est ainsi. C’est bien comme c’est », vous y êtes ! Vous avez l’attitude juste et vous vous sentez bien ; vous en avez fini avec la souffrance. Les problèmes qui vous enfermaient ou auxquels vous vous attachiez se dénouent peu à peu. Comme l’a dit le Bouddha, on voit simplement que les choses apparaissent puis disparaissent. Observez ce flux constant, développez cette observation et cultivez-la sans cesse. Vous parviendrez alors à un réel sentiment de désenchantement. De quoi serez-vous désenchanté ? De tout, absolument tout.
Dès lors, nous comprenons les choses qui nous parviennent par les oreilles, par les yeux, par le nez, par la langue, par le toucher. Nous comprenons aussi les choses qui apparaissent dans notre esprit. Il s’agit toujours de la même chose : eko dhammo, un seul dhamma et ce dhamma est impermanent, insatisfaisant et impersonnel. Ne vous attachez à rien du tout ; c’est ainsi que le véritable désenchantement apparaîtra.
Quand les yeux voient une forme, vous la comprenez pleinement ; quand le nez sent une odeur, vous la comprenez pleinement. Vous comprenez clairement tout ce qu’il y a à comprendre. Ces choses vous rendront parfois joyeux, parfois tristes ; elles éveilleront parfois l’amour, parfois la haine ; mais vous savez déjà tout d’elles. Si vous vous y attachez, elles deviennent un problème ; si vous les laissez aller – si vous laissez les formes n’être que des formes, les sons n’être que des sons, etc. – si vous les renvoyez et les laissez poursuivre leur cours naturel, le Bouddha dit que toute la question de l’impermanence sera comprise. Quelles que soient les inquiétudes qui apparaissent, elles sont toutes vides de sens, vaines ; elles ne sont qu’illusion.
Quand nous voyons clair dans les choses qui nous perturbaient autrefois, quand nous sommes décidés à être attentifs et vigilants, à voir les choses dans leur vérité, nous ne voyons rien de nouveau. Nous voyons simplement que tous les soucis qui apparaissent sont ce qu’ils sont et rien de plus. Même si l’esprit vagabonde pendant une méditation, cela n’a pas d’importance ; ce n’est qu’une question de pensées. Evitez simplement de croire à la réalité de ces pensées. Et si, au contraire, l’esprit est paisible, ne vous en réjouissez pas trop, n’oubliez pas que la paix est impermanente, elle aussi. Il n’y a rien que des choses impermanentes. Vous pouvez vous assoir en méditation et observer le Dhamma juste là. Alors, la sagesse s’éveille : pourquoi souffrir ?
Vous souffrez parce que vous voulez obtenir ceci, être comme cela. Les nobles êtres éveillés ont cessé de vouloir être comme ceci ou comme cela mais nous continuons à vouloir obtenir ceci et cela, à vouloir être quelque chose ou quelqu’un. Si vous considérez que cet endroit est bien et que cet autre endroit est mieux ou moins bien, il ne s’agit que d’une opinion personnelle qui n’a aucune vérité absolue. Si vous parvenez à observer vos propres fonctionnements, vous cesserez de dire ce genre de choses.
C’est
pourquoi, si nous voyons qu’il n’existe qu’un seul et unique
dhamma,
et si nous comprenons que les caractéristiques de toute chose sont
les mêmes, le désenchantement apparaît. Ce désenchantement n’est
pas du dégoût ; c’est simplement l’esprit qui relâche sa
pression : il en a assez, il est vide, il est dégrisé. Il n’y
a pas d’amour, pas de haine, pas de fixation sur quoi que ce soit.
Si l’on possède quelque chose, c’est bien ; si on ne
possède rien, c’est bien aussi. On est détendu ; on est en
paix.
Nibbanam
paramam sukham
Nibbanam
paramam suññam.
Le
nibbana est bonheur suprême,
Le
nibbana est paix suprême, vacuité.
Sachez bien que le bonheur qu’offre le monde n’est pas le bonheur ultime. La vacuité du monde n’est pas la vacuité ultime. La vacuité ultime est vide de toute saisie ; le bonheur ultime est la paix. Il y a la paix et il y a la vacuité, la vacuité ultime. En ce moment, l’esprit est peut-être en paix, mais ce n’est pas la paix suprême. Il est heureux mais ce n’est pas le bonheur suprême.
Voilà pourquoi le Bouddha a décrit le nibbana comme la vacuité suprême et le bonheur suprême. Il change la nature du bonheur en paix. L’esprit est heureux sans être fixé sur le moindre objet. La douleur existe encore mais, à ce stade, on considère que douleur et plaisir se valent.
Ce n’est pas encore le cas pour nous : les objets que nous aimons nous sont vraiment agréables, tandis que nous avons envie de jeter ceux que nous n’aimons pas – autrement dit, ils n’ont pas la même valeur à nos yeux. Pourtant, dans la réalité absolue, ils ont la même valeur. En quoi sont-ils semblables ? En ce qu’ils ne sont pas stables, ils ne sont pas permanents. Souvenez-vous constamment de cette similitude en toute chose !
Si nous gardons bien à l’esprit les principes d’impermanence, d’insatisfaction et d’impersonnalité, nous sommes sur la Voie. Nous voyons clair à chaque instant.
Maintenir la stabilité de l’esprit
Quand vous êtes assis en méditation, au bout d’un certain temps, l’esprit s’évade en un éclair ; vous le ramenez au présent mais, vous avez beau faire, il continue à s’échapper. Essayez de retenir votre respiration – l’esprit s’en va-t-il encore ? Peut-être mais pas très loin. Il ne va pas partir maintenant, il fait des cercles autour de vous, ici même, parce qu’il a l’impression qu’il va mourir.
Même chose avec les sons. A une époque, je remplissais mes oreilles de cire parce que les bruits me gênaient dans ma méditation. Ensuite, tout était très silencieux, je n’entendais que le son venu de l’intérieur même de mes oreilles. Pourquoi faisais-je cela ? Je me le suis demandé. J’ai réfléchi à la question et je me suis dit : « Si les gens pouvaient trouver l’Eveil simplement en bloquant tous les sons venus de l’extérieur, toutes les personnes atteintes de surdité seraient des Eveillés. Pareil pour la vue : tous les aveugles seraient des Eveillés. » J’ai écouté mes pensées… et la sagesse est venue !
« A quoi bon boucher tes oreilles ? A quoi bon fermer les yeux ? Tu ne fais que te tourmenter. » Mais j’ai tout de même appris quelque chose de ces expériences. J’ai appris et j’ai arrêté de les faire. J’ai arrêté d’essayer de me fermer aux choses. Inutile de se battre, inutile de couper le tronc d’arbre déjà mort, cela ne mène nulle part. On finit par s’épuiser et puis on reste là, comme un idiot.
Mes premières années de méditation ont été un tel gâchis, un tel gâchis vraiment ! Quand j’y pense, je vois à quel point j’étais aveugle. Le Bouddha nous a enseigné à méditer pour nous libérer de la souffrance et moi, je n’ai fait qu’ajouter à ma souffrance. Assis, je n’étais pas en paix ; couché, je n’étais pas en paix.
Pratiquer dans la nature
Si nous nous coupons du monde physiquement (kaya-viveka), c’est pour permettre à l’esprit de se couper du monde mentalement (citta-viveka), de s’éloigner des choses qui engendrent des réactions. Ces choses s’enchaînent. Upadhi-viveka se refère à un éloignement de nos pollutions mentales : quand nous savons les reconnaître, nous pouvons nous en extraire ; nous pouvons sortir de l’état dans lequel l’esprit s’est mis. C’est la seule raison pour laquelle nous recherchons la solitude. Mais, sans sagesse, on peut se créer beaucoup de difficultés quand on se coupe du monde.
Quand vous partez vivre dans des régions sauvages, ne vous y attachez pas sinon vous deviendrez vous-même sauvage ! Le Bouddha ne nous a jamais enseigné qu’il fallait être ceci ou cela. Quand on vit dans un lieu paisible, l’esprit devient paisible. « Ah, enfin la paix ! Mon esprit est en paix. » Mais quand vous quittez les espaces naturels, l’esprit est-il en paix ? Non, il ne l’est plus. Qu’allez-vous faire, alors ?
Le Bouddha ne nous a pas demandé de passer notre vie dans des lieux sauvages ; il nous a dit de les utiliser parce qu’ils sont propices à l’entraînement de l’esprit. Vous allez dans la nature pour trouver une certaine paix, permettre ainsi à la méditation de progresser et à la sagesse de grandir, de sorte que, de retour en ville, quand vous aurez affaire aux gens, que vous verrez, entendrez, sentirez, goûterez ou toucherez des choses, vous serez fort, vous saurez vous conduire de façon appropriée. Vous saurez bien observer les choses et voir qu’elles ne sont pas sûres et permanentes. Quand on va dans la nature dans cette perspective, on peut vraiment réussir à devenir plus fort. Si vous croyez que vous pouvez pratiquer n’importe où, même entouré de beaucoup de gens, sachez que c’est une lame à double tranchant : si vous n’avez pas développé une force intérieure, vous risquez de vous créer beaucoup de difficultés.
C’est comme les moines qui étudient l’Abhidhamma [livre de commentaires philosophiques sur les enseignements du Bouddha]. Ils prétendent que, quand on étudie l’Abhidhamma, on n’a pas besoin de s’attacher à une pratique, pas besoin de fixer son attention sur quoi que ce soit ; inutile aussi d’observer les préceptes, il suffit de se concentrer sur l’esprit. C’est de la vantardise ; ce n’est pas appliquer le vrai Abhidhamma. Ils prétendent que l’Abhidhamma est à un niveau supérieur au niveau humain : « Quand on est à ce niveau-là, peu importe qu’une personne soit près ou loin. Il n’y a pas de près, pas de loin. Il n’y a rien à craindre. Les femmes sont des êtres comme nous. Il n’y a qu’à prétendre que ce sont des hommes ; ainsi vous pourrez vous approcher d’elles et les toucher, les sentir. Faites comme si elles étaient des hommes. » Est-il possible de croire à ce genre de chose ? C’est une lame à double tranchant. Si nous parlions vraiment le langage de l’Abhidhamma, ce ne serait effectivement pas un problème mais cet Abhidhamma est un faux-semblant.
Le Bouddha nous a appris à vivre dans la nature. Quand un moine va pratiquer dans la nature, il est censé trouver un endroit calme, marcher dans la nature silencieuse, sans s’encombrer de compagnons et d’autres formes de distraction. Voilà la manière juste de pratiquer dans la nature mais ce n’est pas ce que font la plupart des moines. Ils s’installent dans un lieu tranquille et s’attachent à la tranquillité. Ensuite, dès qu’ils voient quelque chose ou qu’ils entendent des sons, toutes leurs pollutions mentales ressurgissent. C’est trop extrême ; c’est un manque de sagesse.
Vision juste et persévérance
Avec la vision juste, on peut vivre sans problème au sein d’un grand groupe ou avec très peu de gens ; on peut vivre dans la forêt ou dans une grotte sans problème ; mais ce résultat ne peut être obtenu sans effort.
Il faut faire en sorte que votre esprit arrive vraiment à ce stade, qu’il connaisse le Dhamma. Quand il connaît le Dhamma, faites-lui voir le Dhamma. Pratiquez le Dhamma jusqu’à ce que l’esprit soit le Dhamma. A quoi bon se contenter d’en parler ? Le Bouddha a enseigné pour nous permettre d’aller jusqu’à la vérité ultime mais nous nous arrêtons à mi-chemin, nous avançons par demi-mesures. Voilà pourquoi il est si difficile de progresser.
C’est comme s’entraîner à planter du riz : une fois qu’on l’a planté, il pousse petit à petit. Si rien ne vient entraver sa croissance, tout va bien. Mais que se passe-t-il ? Dès que les grains de riz commencent à poindre, un petit buffle d’eau vient les manger. Nous le chassons et nous surveillons les plants mais dès que d’autres grains apparaîtront, le petit buffle reviendra les manger et il continuera. Si c’est le cas, comment obtiendrons-nous du riz ? Comment progresserons-nous sur la voie ?
Les stratégies que vous devrez mettre en œuvre viendront de l’esprit. Ceux qui ont de la sagesse développent une connaissance intuitive et ceux qui ont une connaissance intuitive grandissent en sagesse. Voilà comment cela fonctionne. Est-il possible de n’avoir que la connaissance intuitive ou que la sagesse ? Non, il faut avoir les deux. Ce sont des qualités qui viennent de notre propre expérience ; ce n’est pas dans un livre que vous les trouverez : elles naissent de votre esprit. N’ayez pas peur !
J’ai lu dans un Jataka, une histoire de notre Bouddha quand il était encore un bodhisatta. Il était comme vous : il était devenu moine et avait rencontré beaucoup de difficultés au point de vouloir défroquer mais il avait honte de ce que les gens diraient : « Comment ? Il est resté moine tant d’années et il veut tout de même défroquer ? » Pourtant, les choses ne se passaient pas comme il l’aurait souhaité et il envisageait de partir. C’est alors qu’il rencontra un écureuil dont le petit avait été emporté par le vent dans l’océan. L’écureuil courait dans l’eau, y trempait sa queue, puis il courait vers la plage, secouait sa queue et repartait la tremper dans l’eau. Le moine ne comprenait pas ce qu’il faisait. Il lui demanda :
Quand le bodhisatta entendit cela, son cœur en fut frappé. Il se leva et persévéra avec ardeur dans ses efforts. Il ne battit pas en retraite et c’est ainsi qu’il devint le Bouddha.
Il en va de même pour nous. C’est justement quand les choses ne vont pas bien qu’elles peuvent aller bien. C’est vous qui faites advenir les choses quand elles n’arrivent pas encore. C’est là où vous faites erreur que la connaissance apparaîtra.
Où poser notre attention
Ajahn Thongrat m’a dit un jour : « Chah, perce le trou juste dans l’alignement de la cheville. » C’est tout ce qu’il a dit. Je venais juste de commencer à pratiquer la méditation et je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire.
Il a dit aussi : « Si ça descend, saute par-dessus. Si ça monte, glisse-toi dessous. »
Je n’avais aucune idée de ce qu’il racontait. Alors je suis parti méditer et j’ai longtemps réfléchi à ces paroles. En fait, il me disait comment résoudre mes problèmes. « Perce le trou juste dans l’alignement de la cheville » signifie : « Où que le problème surgisse, observe précisément là ; si tu te trompes quelque part, observe juste là. Si tu es attaché à quelque chose, observe cette chose de près, sous toutes ses coutures. » Voilà ce que signifie « perce le trou juste dans l’alignement de la cheville ». N’allez pas creuser loin ; creusez juste là où ça fait mal.
C’est comme quand on marche sur une épine : on prend une épingle et on pique là où se trouve l’épine, pas ailleurs ! Cherchez là où l’épine est plantée dans votre pied et, si ça fait mal, vous devrez l’endurer. Continuez à chercher et puis sortez-la. Voilà comment on extrait une épine : si elle est plantée dans le pied et que vous essayez de l’extraire de votre postérieur, quand en aurez-vous fini ?
J’ai donc bien médité sur ces paroles. Je me suis dit : « Les maîtres méditent selon le langage de leur propre esprit. Ils ne vont pas chercher des formules dans les livres comme nous le faisons. Leurs propres formulations viennent de la réalité de leur expérience. »
Alors, qu’est-ce qui descend et qui monte ? « Si ça descend, saute par-dessus. Si ça monte, glisse-toi dessous. » J’ai longtemps médité sur ces paroles et j’ai compris qu’il parlait de nos humeurs et de nos soucis. Certains nous tirent vers le bas, d’autres nous poussent vers le haut, et nous devons tout observer de près pour éviter de suivre ces mouvements. S’ils nous aspirent vers le bas, on saute par-dessus ; s’ils nous attirent vers le haut, on se glisse dessous. On fait ce que l’on peut pour ne pas en être victime. C’est la pratique. Pour avoir cette connaissance-là, observez à l’endroit précis où vous êtes dans l’erreur. Tous les autres problèmes sont de la fiente et du crottin ; vous n’avez pas à vous en préoccuper. Voilà comment il faut prendre les choses dans la méditation.
Lâcher prise
En réalité, il ne s’agit pas de « prendre » : on prend les choses en les abandonnant. C’est la bizarrerie du langage où tout est à l’envers : on lâche, on pratique le lâcher-prise. Votre but n’est pas de devenir « celui qui est entré dans le courant » ou « celui qui ne reviendra qu’une fois ». Si vous commencez la pratique avec de telles suppositions, vous êtes mal parti ! Vous ne devez pas être ces choses. Si vous êtes quoi que ce soit, c’est le chaos. Si vous êtes ceci ou cela, c’est vous qui êtes le problème. Par conséquent, vous n’avez pas à être quoi que ce soit. Il n’y a qu’à lâcher prise ; lâcher prise et puis avoir la connaissance des choses telles qu’elles sont réellement. Quand on sait comment les choses fonctionnent de toutes les manières possibles, il n’y a plus aucun doute… et on n’est plus rien du tout !
Réfléchissez : si quelqu’un s’en prend à vous mais que vous ne répondez pas sur le même ton, tout s’arrête là, cela ne vous atteint pas. Par contre, si vous vous saisissez de ces insultes et que vous ne lâchez pas prise, vous êtes dans de mauvais draps. Pourquoi enfoncer ces insultes en vous ? Si on s’en prend à vous, laissez tomber ! Si quelqu’un crie des insultes de l’autre bout de la pièce et que vous les portez à vos oreilles alors que vous êtes assis ici, c’est comme si vous aimiez souffrir ! Cela s’appelle ne pas comprendre la souffrance : vous jetez de l’huile sur le feu avec vos pensées et créez toutes sortes de problèmes.
En réalité, la pratique n’est pas longue du tout, elle est courte. Si vous dites qu’elle est longue, elle sera plus que longue ; si vous dites qu’elle est courte, elle sera plus que courte. Quand il s’agit de la pratique, on ne peut pas utiliser les façons de penser ordinaires.
Il faut avoir de la patience et de l’endurance ; il faut faire un effort. Quoi qu’il arrive, vous n’êtes pas obligé de vous saisir d’un problème et d’en porter le fardeau. Quand les choses sont d’une certaine manière, elles sont ainsi et c’est tout. Quand nous voyons le Dhamma ainsi, nous ne nous saisissons de rien. Si quelque chose est agréable, nous en sommes conscients ; si quelque chose est désagréable, nous en sommes conscients.
Quand le Bouddha et ses grands disciples ont trouvé l’Eveil, ils ont continué à trouver que les confiseries étaient douces. Elles sont douces pour eux comme pour nous. Quand les Eveillés mangent un fruit acide, ils plissent les yeux exactement comme nous. Vous comprenez ? Les choses sont comme avant ; la seule différence est que les Eveillés ne s’y attachent pas, ne se fixent pas dessus. Si vous soutenez que ce fruit est affreusement acide, ils diront : « Acide, c’est bien. Doux, c’est bien. Ni acide ni doux, c’est bien. » Voilà ce qu’ils diront.
Les mêmes principes s’appliquent ici : si quelqu’un vient nous dire des choses fausses ou méchantes, nous les entendons mais cela n’a pas d’importance ; nous ne les relevons pas. Si vous parvenez à ne pas réagir comme cela, vous allez rajeunir, vous sentir beaucoup plus jeune. Vous ne serez pas obligé de porter ce fardeau sur vos épaules.
Comment pratiquer dans la nature
J’ai vu de vieux moines faire tudong dans la forêt [voyager en recherchant des endroits propices à la méditation] mais je ne sais pas pourquoi ils le font. Ils portent un grand parapluie ou krot qui leur sert de tente. Les vieux moines n’aiment pas les petits parapluies comme les jeunes, vous savez. Ils aiment transporter de grands krots. Le matin, dès que le soleil se lève, ils les replient. Ils ne peuvent pas les utiliser pour se protéger du soleil dans la journée car le krot ne tient pas ouvert sous la pression du vent. Alors ils le portent sur l’épaule toute la journée en marchant sous le soleil brûlant. Le soir venu, ils l’ouvrent à nouveau – je me demande pourquoi puisqu’il n’y a plus de soleil – et, le lendemain, au réveil, ils le replient encore et repartent chargés sous le soleil.
J’ai fait la même chose, moi aussi, jusqu’à en avoir assez de cette pratique. Je suis parti faire tudong mais je n’ai fait que souffrir dans la jungle jusqu’à comprendre que ce n’était pas le but. Alors, j’ai cherché à sortir de la jungle et c’est ainsi que je suis devenu un « moine qui cherche à sortir de la jungle ». [Jeu de mots en thaï entre tudong, la pratique consistant à errer et méditer dans la forêt ; thukdong, souffrir dans la jungle ; et thaludong, chercher à sortir de la jungle.]
En réalité, si le Bouddha nous a appris à rechercher la proximité de la nature, c’est pour que nous trouvions la sagesse. Nous devons avoir l’occasion d’être face à la souffrance, face à la réalité de la souffrance, pour la voir et la comprendre. Et puis un jour, on finit par en avoir assez de ce qui cause la souffrance. Ce n’est pas qu’aller dans la nature ne soit pas une bonne chose ; c’est une bonne chose, au contraire, car cela finit par éveiller la sagesse.
Puisque nous parlons de la pratique de tudong, je voudrais souligner qu’il ne s’agit pas de se contenter d’enfiler son bol et sa tente-parapluie sur l’épaule, et de s’exposer au soleil et à la pluie jusqu’à épuisement, à la manière des fermiers qui vont vendre leurs buffles dans les plaines centrales. Tudong est une forme de pratique. Il s’agit d’apprendre à se contenter de peu, d’apprendre à modérer son appétit, à modérer son sommeil.
Observez ici et maintenant
Inutile de regarder ailleurs, inutile de lire beaucoup de livres. Observez votre propre esprit, c’est là que se trouvent les principes de base. Ainsi vous pourrez méditer sans vous laisser piéger.
Si les gens vous parlent d’une manière qui irrite vos oreilles, qui vous met en colère, dites-vous : « Il n’y a rien de sûr. Tout change. » Si vous mangez quelque chose de délicieux et que vous vous dites : « Mm… c’est vraiment bon », rappelez-vous qu’il n’y a rien de sûr. Quoi qu’il vous arrive, dites-vous : « Ce n’est pas sûr ». Pourquoi ? Parce que c’est là que se trouve le Dhamma.
Si vous voyez vraiment l’impermanence, vous voyez le Dhamma. Et pourquoi ne le verriez-vous pas ? Après tout, c’est là que se trouve la vérité. Si vous voyez le Dhamma, vous voyez le Bouddha et inversement : si vous voyez le Bouddha, vous voyez le Dhamma. Quand vous voyez les choses ainsi, vous pouvez vivre absolument n’importe où. Quand vous êtes assis, le Bouddha vous donne un enseignement ; quand vous êtes allongé, il vous donne un enseignement ; quoi que vous fassiez, il vous enseigne. Le Dhamma apparaît et le Dhamma veille sur ceux qui le pratiquent pour qu’ils ne prennent pas un mauvais chemin.
Quand le Dhamma est aux commandes, l’esprit est toujours conscient de ce qui se passe. Il sait ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il reconnaît la souffrance, la cause de la souffrance, ce qui permet de mettre fin à la souffrance et la pratique qui met effectivement fin à la souffrance. C’est la voie. Tout se retrouve dans la voie. Tandis que vous renforcez la voie, vos pollutions mentales faiblissent. Ces pollutions sont comme une armée, vous savez. Si elles augmentent, la voie faiblit ; si la voie se renforce, les pollutions disparaissent peu à peu, leur force diminue et vous ne gardez plus que ce qui est juste et bon. Ce qui est mauvais est abandonné, complètement abandonné et la voie erronée arrive à son terme.
C’est à ce moment-là que la voie juste est bien établie et que vous pouvez vivre où vous voulez. A partir de là, gagner ou perdre revient au même, il n’y a plus de problème. L’esprit est en paix grâce au discernement, à la sagesse. Quand on voit les choses ainsi, on ne se fixe pas sur ceci ou cela. Si quelqu’un vous propose d’échanger une chose contre une autre, vous n’y attachez aucune importance. C’est à ce moment-là que vous trouvez la véritable certitude. Souvenez-vous bien de cela.
C’est comme connaître des fruits : voilà une olive ; voilà une goyave ; voilà une mangue. Une fois que vous savez les reconnaître, on pourra les mélanger sur un plateau puis les prendre l’un après l’autre et vous demander de les identifier, vous répondrez facilement. On pourrait continuer à vous poser la question à propos d’une centaine ou d’un millier de plateaux de fruits, vous ne vous tromperez jamais : vous voyez une mangue comme une mangue, une olive comme une olive ; vous voyez chaque fruit pour ce qu’il est. Voilà quand les choses sont sûres, quand personne ne peut vous tromper. Vous ne pouvez pas vous éloigner de la voie car tout ce qui habite l’esprit est la voie juste. Quand vous êtes assis, vous avez la vision juste ; quand vous marchez, vous avez la vision juste ; quand vous êtes allongé, vous avez la vision juste. L’esprit est toujours semblable à lui-même, tel qu’il est : détendu, en paix.
Ce genre de chose est difficile à décrire. Le niveau de dhamma le plus élevé n’est pas le plaisir mais la paix parce que la paix ne peut plus être perturbée par le plaisir ou la douleur ; elle est vacuité, elle n’est fixée à rien, attachée à rien ; où que vous alliez, elle demeure ainsi.
Par exemple, si la mauvaise humeur de quelqu’un se retourne contre vous et qu’il s’écrie : « Vous savez, vous êtes un vrai chien ! », vous restez calme. Une fois que vous êtes sûr de vous, c’est ainsi que cela se passe. Par contre, si on vous traite de chien et que vous devenez vraiment un chien en réagissant férocement, cela montre que vous n’êtes pas sûr de vous. Vous n’êtes pas sûr. Une fois que vous serez sûr, vous ne serez rien du tout. Pourquoi voudriez-vous être quoi que ce soit ? Monsieur Ceci, Monsieur Cela, Madame Unetelle : vous n’avez pas toujours porté ce nom ; on vous l’a donné il n’y a pas si longtemps. Si les gens disent que vous êtes quelqu’un, y a-t-il de quoi se réjouir ? S’ils vous traitent de chien, y a-t-il de quoi se fâcher ? N’est-ce pas signe que vous êtes mal engagé ?
Nous continuons donc à observer, à regarder les choses de près, jusqu’à ce que nous les voyions de manière juste, encore et encore. On voit juste quand on est assis, juste quand on est allongé ; quoi que l’on fasse, c’est juste et ça reste juste. Mais si vous commencez à vous chamailler à propos du Dhamma, vous ne pourrez pas échapper à la souffrance. C’est comme un morceau de métal incandescent où on ne trouve pas le moindre endroit froid : si on le touche par-dessus, il est brûlant ; si on le touche par-dessous, il est brûlant ; si on le touche sur les côtés, il est brûlant. Pourquoi ? Parce que l’ensemble est un morceau de métal incandescent. Où donc pourrait-il être froid ?
Il en va de même ici : quand vous vous saisissez de quelque chose, de quoi que ce soit, vous êtes aussitôt dans l’erreur. Tout est erreur, tout est souffrance. Si vous vous saisissez de ce qui est mauvais, vous souffrez ; si vous vous saisissez de ce qui est bon, vous souffrez.
Le plus souvent, ce sont les bonnes choses qui trompent le plus les gens. Ils sont trompés par ce qui est bon. Quand le bon n’est pas parfaitement juste, il n’est pas bon, vous savez. Vous avez vu ce qui s’est passé pendant la saison des pluies, cette année ? Il y avait tellement de bonnes pluies, qu’elles ont été plus que bonnes : elles ont inondé les habitations ! Voilà ce qui se passe quand le bon n’est pas parfaitement juste.
Le Bouddha nous a appris à être intelligents. « Si ça descend, saute par-dessus. Si ça monte, glisse-toi dessous. Perce le trou juste dans l’alignement de la cheville. » Emportez ces principes avec vous. Concentrez-vous juste là et le problème ne vous quittera pas. C’est l’authentique vérité. Ne vous concentrez pas sur le fait d’être jeune ou vieux, sur le nombre de jours et de nuits qui se sont écoulés ou sur le jour de la semaine que nous sommes. Continuez simplement à travailler sur votre esprit de cette manière.
Quand vous pratiquez, ne croyez pas que vous êtes obligé de vous assoir pour être en méditation, que vous êtes obligé de marcher de long en large pour être en méditation. Ne pensez pas ainsi ! La méditation est seulement une question de pratique. Que vous donniez un sermon, que vous soyez assis à écouter ou que vous partiez d’ici, maintenez la pratique dans votre cœur. Soyez vigilant à ce qui est correct et ce qui ne l’est pas.
Ne décidez pas qu’il est bien d’observer quelques pratiques ascétiques pendant la retraite des pluies et de les arrêter à la fin de la retraite. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas ainsi que les choses s’équilibrent. C’est comme quelqu’un qui voudrait préparer un champ : il se donne beaucoup du mal pour faucher les mauvaises herbes pendant des heures et des heures et, quand il est fatigué, il s’arrête pour se reposer ; il pose sa binette… et revient un ou deux mois plus tard ! Entre-temps, les mauvaises herbes ont repoussé très haut et s’il faut encore désherber ce que l’on avait déjà fait la dernière fois, ce sera trop de travail.
Ajahn Mun a dit un jour que notre pratique doit avoir la forme d’un cercle. Un cercle n’a pas de fin et la pratique doit se poursuivre ainsi, sans arrêt, en continu. Je l’ai écouté et je me suis dit : « Quand j’aurai fini d’écouter cet enseignement, que vais-je faire ? » La réponse est : rendre l’esprit akaliko, intemporel, hors du temps. Assurez-vous que l’esprit sache bien et voie clairement, à tout moment, ce qui est correct et ce qui ne l’est pas.
C’est comme l’eau dans cette bouilloire. Si vous la penchez un tout petit peu, les gouttes tombent lentement l’une après l’autre : plop… plop… – ce seront des gouttes d’eau. Si vous la penchez un peu plus, les gouttes seront plus rapprochées : plop-plop-plop. Si vous penchez encore plus, l’eau s’écoulera en un flux. D’où vient ce flux ? Il vient des gouttes d’eau qui, si elles ne sont pas continues, demeurent des gouttes.
L’eau ici, est comparable à notre qualité d’attention. Si vous augmentez vos efforts, si votre attention est continue, votre présence consciente sera pleine et entière. De jour comme de nuit, elle demeurera pleine et entière. Elle sera devenue un flux. Comme on nous l’enseigne, les nobles êtres ont une attention soutenue en permanence. Faites en sorte que votre attention demeure continue. Dès lors, si quelque chose ne va pas, d’une manière ou d’une autre, vous le saurez immédiatement. Votre attention tournera en boucle, elle sera présente partout. Telle est la direction de la pratique.
Savoir fixer ses objectifs
Cela ne signifie pas que vous devriez vous pousser, vous forcer exagérément. Certains sont très sérieux quand ils s’assoient en méditation : « Que mon sang s’écoule, que ma peau se fende ; si je n’atteins pas l’Eveil, je suis prêt à mourir. » Ils ont lu ces mots dans la biographie du Bouddha mais, quand il s’agit d’eux, quand la douleur fait vibrer tout leur corps jusqu’à la base du crâne, leur détermination finit par s’effondrer. Ils finissent par ouvrir les yeux et regardent le bâton d’encens qui brûle devant eux : « Oh, non ! Je pensais qu’il serait presque consumé depuis le temps mais il en reste encore beaucoup ! »
Ils prennent une profonde inspiration et s’engagent à ne pas ouvrir les yeux, quoi qu’il advienne, tant que le bâton d’encens ne sera pas entièrement consumé. Mais, au bout de quelque temps, la douleur devient vraiment difficile à supporter, ils sentent la pression à la base du crâne, alors ils ouvrent les yeux : « Oh non ! Je pensais qu’il serait complètement consumé maintenant mais il en reste encore beaucoup ! »
Finalement, ils abandonnent avant que l’encens ne soit consumé et, plus tard, ils se disent : « Je suis vraiment un cas désespéré. » Ils ne savent pas à qui s’en prendre, alors ils s’en prennent à eux-mêmes : « Je n’ai pas tenu mon engagement ». Ils se maudissent : « Je suis vraiment irrécupérable. Je me crée beaucoup de mauvais karma. Je vis un enfer », et ainsi de suite. « Pourquoi rester moine si je ne suis même pas capable de cela ? Tout mon mauvais karma va me dévorer jusqu’à l’os. » C’est ainsi qu’ils se donnent une bonne raison de tout abandonner. « Ne serait-il pas mieux de mener une vie de laïc en observant les cinq préceptes ? » Voilà ce qu’ils pensent mais ils ne le disent à personne. Plus ils y pensent, plus ils en sont convaincus.
Mais pourquoi se donner de tels objectifs ? Le Bouddha a dit que, quand nous méditons, nous devons demeurer présents à nous-mêmes. Voyez les marchands qui chargent un chariot : ils ont conscience de ce qu’ils font et savent combien de sacs de riz ils peuvent mettre dans chaque chariot en fonction de la force des bœufs et de la solidité des chariots.
Quand vous pratiquez, vous devez tenir compte de votre propre force. Peut-être n’avez-vous qu’un seul chariot et que votre bœuf est minuscule, alors pourquoi vouloir lui faire porter autant qu’un camion à dix roues ? Vous voyez de gros camions à dix roues passer sur la route et vous voulez être comme eux mais vous n’êtes pas un camion à dix roues ! Vous êtes un simple chariot qui va sûrement s’effondrer si vous le chargez trop. Vous êtes ce que l’on appelle un fruit gâté avant d’avoir mûri, ou un plat brûlé avant d’être cuit.
C’est ainsi que certains méditants sérieux finissent par défroquer. Ensuite, ils commencent à se dire : « Quand j’étais moine, les choses allaient beaucoup mieux que maintenant. Peut-être devrais-je me faire ordonner à nouveau. Cette voie était beaucoup plus lumineuse, pas aussi sombre que ma vie actuelle. » Après y avoir encore pensé quelque temps, ils se refont ordonner et prennent un nouveau départ. Au début, il semble que tout va aller bien, comme un nouveau boxeur qui n’a pas encore besoin d’eau. Leur énergie est bonne, ils sont appliqués et font des progrès mais, peu à peu, ils commencent à faiblir.
« On dirait que je vais encore échouer. C’est ma deuxième chance et je n’y arrive toujours pas. Si je reste moine, je vais m’effondrer encore plus ; mieux vaut défroquer puisque je n’arrive à rien. Après tout, certains des disciples du Bouddha ont été ordonnés moines et ont défroqué jusqu’à sept fois. » Voilà qu’ils prennent pour modèles ceux qui se sont fait moines et ont défroqué sept fois ! Ne prenez pas les mauvais exemples en modèle !
Il n’y a rien dans le Dhamma enseigné par le Bouddha qui soit au-delà des possibilités humaines. N’allez pas focaliser votre attention sur des choses que vous ne pouvez pas voir, comme le paradis ou le nirvana, là-haut dans le ciel. Tout ce que nous avons besoin de connaître et de voir, le Bouddha l’a expliqué en détail. Quant aux choses que l’on ne peut pas voir, ne vous en préoccupez pas, ne leur portez aucune attention. Regardez plutôt le présent. Comment menez-vous votre vie ? Si la souffrance apparaît, pourquoi y a-t-il souffrance ? Que se passe-t-il ? Comment pouvez-vous résoudre le problème sur-le-champ ? Qu’est-ce qui vous bloque ? C’est l’attachement et les idées arrêtées. Vous vous attachez à l’idée que vous êtes meilleur que les autres, égal aux autres ou inférieur aux autres… à toutes sortes d’idées. Quand vous vivez avec des gens, vous les jugez sévèrement : « Celui-ci agit mal. Celui-là se trompe. » Alors vous partez vivre en solitaire et, comme vous ne savez plus qui critiquer, vous finissez par vous critiquer vous-même – exactement comme vous l’avez dit !