Le Dhamma de la Forêt


Le filet du braconnier


Ajahn Chah


Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/ 


Extrait du livre Être ce qui est, éd. Sully


Ni maux ni douleurs physiques, ni fièvre ni maladie — est-ce possible ? Nous, êtres sentants, sommes pris dans les filets de Mara, le mal. Si nous sommes pris dans le filet, Mara peut nous faire tout ce qu’il veut : causer de la douleur à nos yeux, nos oreilles, nos membres — n’importe où.

C’est comme quand quelqu’un tend un piège pour un animal, creuse un trou ou appâte un hameçon. Quand un oiseau vient manger et se fait prendre, que peut-il faire ? Le filet le tient par le cou ; où peut-il aller ? Il essaie de voler mais ne peut s’échapper ; il se débat mais ne peut casser le filet. Ensuite le braconnier qui a placé le piège arrive et voit l’oiseau pris dans le filet, comme il l’espérait. Il se saisit de lui et si l’oiseau se débat ou essaie de le piquer, le braconnier peut lui casser le bec ; s’il essaie de s’envoler, il peut lui couper les ailes ; s’il essaie de courir, il peut lui briser les pattes. C’est le poseur de filet qui a la haute main et, quoi que fasse l’oiseau, il n’y a pas d’échappatoire.

De la même manière, nous sommes pris au piège. Le Bouddha a vu et compris les choses clairement en accord avec la vérité. Il était prince, héritier du trône, il jouissait de tous les trésors et les privilèges associés à sa position royale, mais quand il perçut la réalité des choses, il renonça à tout. De manière parfaitement claire et indubitable, il vit la nature de l’existence ordinaire et, sans regrets, la laissa derrière lui. Considérant ce type de vie comme un danger, il prit la fuite. Du fait qu’il était né, piégé par la naissance, il vit qu’il était comme un oiseau pris dans un filet. Le nœud était autour de son cou et il perçut le danger, c’est pourquoi il laissa tout et tourna les talons. Après son Eveil il montra, dans son enseignement, ce qui est bénéfique et ce qui ne l’est pas dans ce monde où règne l’incertitude. Il refusa de se laisser submerger et noyer par elle, il refusa d’en mourir, il refusa de se laisser prendre dans le nœud, c’est pourquoi il fut capable de renoncer au monde, de s’en retirer. Ayant vu, ayant atteint la réalisation, il nous dispensa alors l’enseignement qui nous permettrait de connaître toutes ces choses.

Pourtant, bien qu’il nous ait expliqué les faiblesses et les dangers de la vision ordinaire du monde, les obstacles mentaux des gens les empêchent de voir. L’esprit est parfois tellement épais, tellement sombre, et il continue à accumuler souffrances et désirs. Si nous observons bien les choses, nous pouvons voir la lourdeur et la souffrance qu’ils contiennent. Comme il est dit dans les textes : « La naissance est souffrance. » Nous sommes nés dans ce monde — souffrons-nous ? Nous sommes entrés en contact avec la naissance : nous avons des bras et des jambes, des yeux et des oreilles, et quand toutes ces choses viennent à exister, c’est tout simplement la souffrance qui vient à exister. Il nous faut alors trouver un moyen de survivre, nous luttons pour subvenir à nos besoins, élever une famille, et ainsi de suite. Nous entrons en contact avec quelque chose et nous nous retrouvons piégés dans l’attachement ; nous touchons quelque chose d’autre et nous nous y embourbons. Nous nous inquiétons et nous angoissons pour nous-mêmes, pour nos enfants, pour notre richesse et nos possessions.

Du simple fait que nous soyons nés, tout peut dégénérer à tout moment : les oreilles peuvent être atteintes de surdité, les yeux devenir aveugles, les membres peuvent souffrir ainsi que tout autre partie du corps. Nous ne pouvons pas y échapper parce que nous sommes piégés dans le filet, le filet du braconnier. C’est donc maintenant au braconnier d’agir comme il le souhaite ; nous, nous sommes dans le piège. Il va peut-être prendre soin de nous et nous élever ou bien nous casser le bec et nous couper les ailes. Ce piège représente le démon des agrégats ou le démon des souffrances.

Le problème c’est que, dans leur grande majorité, les êtres humains ne comprennent pas le dhamma et veulent seulement échapper à la réalité. Ils font de leur mieux pour l’éviter et se débattent pour fuir. Ils ne veulent pas que les choses soient comme elles sont et souhaitent qu’elles soient autrement, ce qui ne mène qu’à la souffrance du fait du désir sensoriel, du désir de devenir et du désir de ne pas être.

Le Bouddha nous a donc appris à étudier le corps de près pour faire naître le désintéressement, le détachement et le désenchantement et pour que nous voyions que ces conditions ne sont pas un être, un individu ou un « soi ». C’est comme quand on travaille dans les champs : quand la moisson mûrit, on met un épouvantail pour que les oiseaux ne viennent pas picorer les grains de riz. On attache de la paille autour de quelques bâtons pour fabriquer une forme que l’on habille ensuite d’une vieille chemise et d’un pantalon. Les oiseaux en ont peur et ne mangent plus le riz. L’épouvantail nous a rendu service, le riz a maintenant une chance de mûrir, ensuite nous le récolterons et le travail sera fait. Pourtant, il ne s’agissait que d’un squelette fait de paille et de bâtons. Une fois la moisson récoltée, nous démantelons l’épouvantail dans le champ et c’est tout.

Nous sommes comme cet épouvantail. Quand la conscience quitte le corps, il ne reste rien, rien de plus que le squelette de paille. L’épouvantail dans le champ ne va nulle part et, finalement, il est simplement démantelé sur place.

Mais pour le moment nous pouvons bouger, nous pouvons nous déplacer. Nous avons toutes sortes de pensées et de sentiments, le désir de faire des choses et de voyager. Nous pensons à aller quelque part et nous y allons ; nous pensons rester sur place et nous y restons. Nous voulons danser, chanter et jouer comme on le fait dans le monde. Pour dire les choses simplement, c’est comme si nous attendions le jour de notre mort. Le temps de la récolte arrive, le riz est moissonné, regroupé et engrangé, et l’épouvantail est abandonné dans le champ.

Quand le jour de la moisson arrive, nous partons. Celui qui ne connaît pas le début et la fin des choses éprouvera tour à tour joie et tristesse, et continuera à tourner en rond, refusant la maladie quand il tombe malade, refusant la vieillesse quand il vieillit, refusant la mort quand il meurt, refusant de voir la vie disparaître. Mais les choses sont ainsi.

Nous ne comprenons pas la loi de la nature et nous voulons que les choses soient stables et qu’elles durent éternellement. « Je suis ceci ; elle est cela. » Tout est vu en termes de moi et mien sans jamais considérer le dhamma. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à la fin du compte, tout le monde doit tout laisser derrière. Gain matériel, réputation, gloire, souffrance ou bonheur, tout est laissé ici dans le monde car ces choses sont accomplies dans le monde.

Nous, les humains, ne sommes pas différents d’un oiseau confiné dans une cage ou un poisson dans son bocal. Quand le propriétaire veut s’en saisir, il le fait ; s’il veut les tuer, il peut le faire parce qu’ils sont piégés dans la cage ou le bocal. Telle est la souffrance dans la ronde du samsara. Il n’y a pas moyen d’y échapper sauf en apprenant le dhamma pour connaître les choses dans leur vérité.

Pour considérer le dhamma, n’allez pas chercher loin. Si vous regarder au loin, vous ne verrez rien. Si vous doutez du dhamma, regardez-vous, regardez ce corps et cet esprit. Qu’y a-t-il en eux de certain, de stable ? Dans quelle mesure sont-ils vous ? Quelle essence contiennent-ils ? Sont-ils stables, permanents, ou durables ? Il n’y a pas une seule parcelle de ce corps ni de cet esprit qui soit ainsi.

Nous avons des cheveux et ils vont blanchir. Nous avons des dents et elles vont s’abîmer puis tomber. Les oreilles entendront moins bien, la vision s’affaiblira, la peau deviendra sèche et ridée. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Parce que nous n’avons aucun pouvoir pour forcer les choses à être comme nous les voudrions. Elles suivent leur propre route selon leur nature et n’écoutent les ordres de personne.

C’est comme si nous voyons une rivière couler vers le sud et que nous souhaitons la voir couler dans la direction opposée. Que peut-il se produire ? Il ne peut y avoir que de la frustration. L’eau coule vers le sud et nous voulons qu’elle coule vers le nord. Quand pourrons-nous jamais résoudre une telle situation ? Est-ce l’eau qui a tort ? Est-ce nous qui avons tort ? Ceci ne peut qu’engendrer de la frustration. La nature est ainsi, les choses suivent leurs lois. Quel que soit notre désir de forcer les choses pour qu’elles soient autrement, elles suivent leur route. Que faire alors ? Si nous fonctionnons ainsi, où pouvons-nous trouver le bonheur ? La rivière continue à couler dans la même direction et nos pensées ne peuvent changer son cours. Si nous essayons d’y faire quelque chose, nous constaterons que c’est au-delà de nos possibilités.

Le Bouddha voulait donc que nous pratiquions la méditation, que nous écoutions le dhamma et que nous observions les choses attentivement pour les voir dans leur vérité, la vérité de la rivière. Si elle coule vers le sud, laissons-la couler dans cette direction, ne nous battons pas contre elle. Si une personne possédant l’œil de la sagesse se tient près de la rivière, la voit couler vers le sud, et peut l’accepter parce que c’est dans la nature des choses, il n’y a ni conflit ni frustration. L’eau coule ainsi et puis c’est tout. C’est le dhamma, c’est la nature. Il y a le vieillissement, la maladie et la mort. Au début il y a la naissance, au milieu le vieillissement et à la fin le démantèlement et la disparition. Ceux qui peuvent contempler cette vérité et la voir clairement seront en paix.

Le Bouddha a enseigné la sagesse qui connaît les sankhara. L’eau est sankhara. Ce corps que nous croyons être nous est simplement composé de terre, d’eau, de feu et d’air et tous ces éléments sont dans un flux constant. Depuis que nous avons été conçus, depuis que nous sommes nés et arrivés dans le monde, nous n’avons cessé de changer : de petits enfants nous sommes devenus adultes, nous avons mûri et puis nous avançons vers la vieillesse. Nous avons changé jusqu’à ce jour, évoluant selon les lois de la nature.

Quand nous voyons cela, nous voyons qu’il ne s’agit pas vraiment d’une personne, d’un soi ou d’un autre mais simplement de la nature. On peut toujours s’en lamenter, cela n’y changera rien ; on peut en rire, ce sera toujours la même chose. Les choses ne sont pas ainsi pour faire plaisir à quiconque. Le Bouddha nous a pressés d’observer cela en profondeur. Cet être, ce « soi », n’a rien de permanent ni de stable. Si nous ne le connaissons pas pour ce qu’il est réellement, il est source de souffrance. Il n’y a là que terre, eau, feu et air. C’est tout. Et, à la fin, ils se séparent et disparaissent. Telle est la loi de la nature.

Si nous souhaitons pratiquer le dhamma et vivre en accord avec le dhamma, nous devons observer la nature. Avez-vous remarqué les arbres ? Il y en a des grands et des petits, des gros et des minces. A la saison sèche, les feuilles tombent ; quand les pluies arrivent, les feuilles reviennent. Quand vient le moment de tomber, elles tombent ; quand vient le moment de pousser, elles poussent ; quand vient le moment de se décomposer, elles se décomposent. Exactement comme nous. Telle est la nature des sankhara. Nous naissons, nous vieillissons, nous tombons et puis nous reprenons naissance, tout comme les arbres, comme les feuilles — nous ne sommes pas différents.

Dans la forêt il y a de beaux arbres et puis des arbres moins beaux. Certains sont grands et droits, d’autres penchés et tordus. Certains ont une essence, d’autres n’en ont pas. Exactement comme les gens : il y en a des bons et des mauvais, des droits et des tordus — c’est aussi la nature. Mais dans le cas des arbres, quelles sont les causes et les conditions de leur existence ? Ce sont le sol et la terre qui les nourrissent et leur permet de pousser et de fleurir. Pour nous, les humains, c’est le kamma. Le kamma ce sont nos actions à cause desquelles nous sommes aujourd’hui forts ou faibles, sages ou manquant de sagesse. Les arbres ont des saisons qui sont celles de la nature ; les humains apparaissent en fonction de leur kamma, de leurs actions.

Quand on agit bien, les choses deviennent bien, quand on agit mal, les conséquences sont douloureuses. De belles actions rendent la vie belle, tandis que des actions laides apportent la laideur. Cette vérité de l’existence des êtres s’appelle le kamma. Aujourd’hui, par exemple, pourquoi écoutez-vous ces paroles ? Vous êtes venu chercher un certain type de kamma. Vous voulez trouver la paix, être heureux, ressentir du bien-être. Le fait de prendre les préceptes aujourd’hui et de les suivre, de pratiquer la méditation et d’écouter les enseignements est une cause racine qui crée la source et fait du kamma positif.

Quand on écoute le dhamma, il faut qu’il y ait la compréhension. Si votre compréhension est grande, les fruits seront abondants ; si votre compréhension est limitée, les fruits seront rares. Si votre vision juste est limitée, il y aura beaucoup de souffrance ; avec beaucoup de vision juste la souffrance disparaîtra et la tranquillité se fera jour.

Aujourd’hui, vous êtes venus ici chercher une nourriture spirituelle. Nous essayons d’éduquer l’esprit en regardant extérieurement et intérieurement ; cela s’appelle venir pratiquer le dhamma. A travers tout ce corps, le dhamma existe ; nous pouvons le voir clairement sans avoir à chercher bien loin. Quand nous le voyons effectivement clairement, on sent émerger un manque d’intérêt et un détachement, il nous vient une désaffection par rapport au monde. Il y a une certaine peur aussi et le mental la rumine avec inquiétude.

Le Bouddha nous a incités à pénétrer les réalités de la naissance, du vieillissement, de la maladie et de la mort, à les voir selon la loi de la nature, c’est-à-dire le dhamma. Si nous voyons les choses selon la loi de la nature, on peut dire que nous pratiquons le dhamma. Nous verrons que nous, les humains, ne sommes pas différents les uns des autres. Peu importe de quel village, de quelle province ou de quel pays nous venons, si nous regardons vraiment, nous ne verrons pas de différences entre nous. Au début nous naissons ; au milieu il y a le changement et à la fin nous disparaissons de ce monde. C’est la même chose pour absolument tout le monde.

Le Bouddha voulait donc que nous contemplions la vertu morale et le dhamma pour voir que les autres sont comme nous et que nous sommes comme eux. A partir de là il peut y avoir compréhension et pardon parce que nous sommes tous semblables ; nous sommes frères par la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort. Nous faisons tous partie de ce même clan. Quand on sait cela, un sentiment de sérieuse détermination pénètre notre cœur. Quand nous méditons sur le corps, nous savons que nous sommes tous pareils ; l’enfant de quelqu’un d’autre est comme notre enfant ; les parents des autres sont comme nos parents ; notre propre existence est comme celle de quelqu’un d’autre ; l’autre est exactement comme nous. Si l’esprit en vient à voir les choses ainsi, c’est la fin de l’action mauvaise, de l’envie et des conflits, de l’agressivité.

Voir les choses ainsi c’est avoir la vision juste. S’il y a vision juste, on est sur la Voie. Quand la vision est juste, la pensée est juste, l’action est juste, la façon de mener sa vie est juste, la parole est juste, l’effort en méditation est juste — tout est juste quand on est entré sur la Voie par la vision juste. Si nous agissons ainsi, tout est pratique du dhamma, où que nous soyons.

 Le Bouddha nous a appris à nous observer de l’intérieur. Il n’a pas montré le ciel ou la terre, les montagnes ou les nuages. Le dhamma est quelque chose qui est avec nous. Si nous apprenons à nous connaître l’attachement et la saisie commence à se désagréger, à diminuer, à se retirer. C’est du fait de la vision juste que cela peut se produire. Si on ne voit pas les choses correctement, l’attachement ne peut pas diminuer, il n’y a pas d’espace pour respirer.

Ceux qui pratiquent le dhamma devraient connaître les fruits de leurs efforts. Il ne s’agit pas de pratiquer sans en avoir la moindre idée ; on devrait vraiment savoir ce qui se passe en soi, si on pratique correctement ou pas et quelle sorte de résultat on obtient. Si les gens ne le savent pas encore, ils ne récoltent aucun fruit de leur pratique. Il ne se passe pas vraiment grand-chose. C’est comme s’ils agissaient parce que quelqu’un leur a demandé de le faire, comme s’ils suivent un groupe les yeux bandés. On leur a dit de le faire, alors ils le font mais sans que rien ne se passe de leur fait. Le Bouddha voulait que nous ayons du discernement, que nous soyions fins, que nous utilisions la sagesse pour voir et connaître les choses dans l’instant présent. Il ne s’agit pas d’attendre la mort pour avoir la connaissance. Si nous ne voyons pas et ne connaissons pas maintenant, nous ne connaîtrons pas davantage plus tard. Nous devons voir maintenant.

Si nous étudions bien notre corps jusqu’à ressentir éloignement et détachement, nous verrons que nous sommes comme l’oiseau dans le filet ou le poisson dans le bocal. On peut être sorti de là et être détruit à tout moment. Nos membres, nos sens et nos organes — notre corps — peuvent nous lâcher à tout moment, c’est leur caractéristique, nous ne pouvons pas les en empêcher, ils ne nous obéiraient pas. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas réels, ils ne sont pas vraiment nous, ils n’ont aucun fondement stable. Ils ne sont pas vraiment nos jambes, nos bras nos yeux ou nos oreilles ; c’est seulement une réalité conventionnelle qui nous les fait décrire ainsi comme nôtres.

Si nous contemplons tous ces choses-là, ces agrégats de forme, sensations, perceptions pensées et conscience — appelés les cinq agrégats, les dhamma du nom et de la forme ou simplement le mental et le corps, car c’est ce à quoi nous nous résumons — il n’y a pas autre chose, autre chose de lointain.


Le Bouddha a dit : « Bhikkhu ! Qui observe son esprit échappera aux filets de Mara. » Mais connaissons-nous vraiment l’esprit ? Il nous dit de pleurer et nous pleurons ; il nous dit : « Ris ! » et nous rions ; quand il conseille de désirer quelque chose, nous le désirons. Tout cela n’est pas difficile à voir ; en fait l’esprit devrait être facile à former mais les gens ne lui apprennent rien. S’il se met en colère, disciplinez-le immédiatement ! Prenez le bâton et il se tiendra bien ! Mais nous ne nous entraînons pas ainsi.

Si nous entraînions véritablement notre esprit, jamais nous ne dormirions comme nous le faisons actuellement ! Dormir ne signifie pas sombrer dans le néant chaque nuit. Entraînez-vous à ce moment chaque jour. Quand vous posez la tête sur l’oreiller, observez l’air qui entre et qui sort et dites-vous : « Tiens ! Ce soir je respire encore. » Dites-vous cela tous les jours. Pas besoin de chants et de récitations, simplement : « Est-ce que je respire encore ? » Et puis vous vous réveillez le matin et vous vous dites : « Hé ! Je suis encore en vie ! » Le jour passe, la nuit revient et, à nouveau, vous vous dites les mêmes choses. Demandez-vous : « Si je m’allonge, vais-je me relever ? » Reposez-vous un petit moment et puis levez-vous. Quand vous êtes fatigué, avant de vous allonger, posez-vous la même question. Il faut faire cela encore et encore, jour après jour. Si vous persévérez sans faille, les choses vont se mettre en place et vous verrez. Vous verrez la vérité de ce que l’on prend pour « soi » et « les autres ». Vous verrez ce que sont conventions et suppositions. Vous comprendrez ce que sont vraiment toutes ces choses. Dès lors, ce qui est lourd devient léger, ce qui est long devient court, et ce qui est difficile devient facile. Avant tout, il faut générer de l’enthousiasme pour cette tâche mais on peut y arriver. Si vous faites partie des paresseux qui ne veulent que dormir, qu’en retirerez-vous ?


Si on regarde à l’extérieur, on ne « voit » pas. Si nous regardons, nous constatons que nous avons déjà ce que nous cherchons : nous sommes nés, donc tout est là. Dès qu’une chose apparaît, nous sommes capables de voir immédiatement qu’elle est impermanente, qu’elle mène à la souffrance et qu’elle n’est pas « nous ». Nous voyons cela et reconnaissons que nous sommes ainsi et que les autres sont également ainsi. C’est la première étape de la contemplation du dhamma. C’est la voie qui a une fin ; la voie qui met fin à la naissance ; la voie qui met fin à la mort.

Si on est attentif, on finit pas savoir. C’est comme quand on travaille dans les champs : le soleil est-il déjà haut ? Le soir tombe-t-il ? On le sait simplement en regardant le soleil et quand le crépuscule arrive, on ne peut rien faire de plus, c’est l’heure de rentrer à la maison.

Quand on travaille, il faut savoir reconnaître le moment et l’occasion. Si on est attentif tout au long de la journée, la connaissance vient. Est-ce l’heure de quitter le champ pour rentrer à la maison ? Si nous regardons, nous ne manquerons pas de voir et de savoir. De même, si nous observons continuellement l’esprit et le corps, nous aurons la connaissance. Etait-ce ainsi avant ? Comment est-ce maintenant ? Est-ce comme un petit enfant ? Si nous réfléchissons ainsi et observons bien les choses, l’esprit se retournera. Le cœur s’attristera, ressentira la désolation de l’insécurité et la solitude qui résultent d’une vie d’ignorance, de vision erronée des choses. Regarder ici avec persévérance causera le retournement de l’esprit. S’il ne se retourne pas, nous ne pouvons pas voir le dhamma.

Il doit y avoir des causes ; les choses apparaissent à partir d’une cause. Or quand nous nous efforçons de pratiquer le dhamma, nous créons des causes. Prenons l’exemple d’un mari et d’une femme qui vivent ensemble ; ils font l’expérience de l’amour mais aussi des désaccords et des querelles. Si l’un d’eux meurt laissant l’autre seul, là où il y avait un couple aimant, il ne reste qu’une personne et il y a de fortes chances pour que cette personne aille chercher un monastère. Comme les gens malades : quand la maladie apparaît, ils vont tout de suite penser à chercher un médecin, alors qu’ils n’y pensent pas quand ils ne sont pas malades.

Les choses qui surviennent ainsi sont appelées des « causes ». Les sentiments des gens fluctuent ainsi. S’ils vivent dans le confort et le bonheur, ils ne pensent pas à ces choses et l’esprit ne passe pas par ce retournement. De même, quand nous pratiquons le dhamma, nous sommes censés contempler, observer les choses, jusqu’au moment où nous sentons une désaffection et un détachement vis-à-vis du monde mais nous n’y arrivons pas. Nous écoutons les enseignements ; les vénérables maîtres utilisent différentes approches et comparaisons pour nous instruire, pour nous aider à voir clairement : « A quoi ressemblent les cheveux ? Quelle est la vérité des dents, des ongles et de la peau ? Regardez ! Sont-ils aussi jeunes et frais qu’autrefois ? Vieillissent-ils ? Changent-ils ? » Le Bouddha nous a dit d’étudier notre propre corps, de voir à l’intérieur de notre corps. Si vous regardez bien, vous aurez l’impression d’avoir contracté une maladie, une infection ou de souffrir d’une douleur insupportable. Vous ne penserez plus qu’à trouver un remède ; vous chercherez tout naturellement un docteur et un traitement. C’est naturel. Si la fièvre ou la douleur s’intensifie et refuse de partir, vous ne penserez plus qu’à cela : trouver un médecin. Mais avant, quand vous n’étiez pas malade, de telles pensées n’aveint pas lieu d’être. Si on vous avait dit d’aller chez un médecin, vous n’y auriez accordé aucun intérêt. Maintenant il y a une cause.

Il en a va de même pour la méditation. Pourquoi nous dit-on d’étudier de près les cheveux, la peau, etc., ces choses que nous avons déjà ? C’est parce que là se trouve la cause, ce qui va causer le désintérêt, la désaffection et le détachement. On peut y trouver la connaissance. On peut y trouver des idées erronées. Si on trouve la connaissance, les idées erronées disparaissent ; si on trouve des idées erronées, la connaissance disparaît. Quand on voit, l’aveuglement disparaît. Le Bouddha n’a jamais cessé de dire qu’il fallait étudier de près la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort. Pourquoi donc cette insistance ? Parce que c’est précisément là que se trouvent les causes.

Parler de la vie mène à un détachement et à une distanciation par rapport à cette vie. Si vous approfondissez ce sujet encore et encore, si vous y pénétrez de plus en plus profondément, la désaffection et le détachement vis-à-vis du monde viendront. En étudiant le dhamma, vous finirez par voir le dhamma, c’est-à-dire la vérité et quand vous verrez la vérité, vous pourrez trouver la paix. Cette investigation pourrait-elle vous mener ailleurs ?

Telle est la cause : cette méditation que l’on appelle « établir l’attention sur le corps » ou « contemplation du corps ». Du haut de la tête jusqu’à la plante des pieds et retour depuis les pieds jusqu’en haut de la tête, encore et encore. Méditez ainsi pour éveiller la désaffection et le détachement, pour que l’esprit se retourne sur lui-même.

Imaginons que vous ayez une famille, un foyer et de nombreuses possessions. Quand tout va bien, l’esprit a peu de chances de se retourner parce que vous nagez dans le bonheur et le confort. De même quand vous êtes à bord d’un bateau, si le bateau est bien construit et la mer calme, pourquoi penser à nager ? Mais si le bateau commence à sombrer, nager devient important — à moins que vous puissiez demeurer indifférent au danger ? Certaines personnes demandent : « Mais où est le problème ? Pourquoi nous dites-vous toujours de méditer sur ces parties du corps ? » Eh bien, c’est comme cela pour nous. Si vous êtes en mer, vous ne pensez peut-être pas qu’il est utile de savoir nager mais vous êtes en bien meilleure posture quand vous avez déjà appris à le faire. Si le bateau commence à sombrer, penserez-vous à autre chose qu’à nager ?

Quand nous méditons là-dessus et que nous en voyons vraiment la vérité, le résultat arrive tout seul. Quand votre esprit prend vraiment une nouvelle tournure après avoir « vu » l’impermanence, la souffrance et l’absence de soi dans ce corps, vous êtes « quelqu’un qui a contemplé le dhamma, qui pratique le dhamma ».

Quand vous connaîtrez ce premier point, vous connaîtrez beaucoup de choses. A partir de là votre pratique avancera facilement, sans plus d’obstacles. Vous verrez l’instabilité, l’insatisfaction et l’absence de soi dans votre propre corps et dans le corps des autres, intérieurement et extérieurement. C’est là que se trouve la source de la vertu, c’est là que vous devez regarder. Voilà ce que le Bouddha a enseigné. Il n’a pas parlé de choses extérieures à nous, d’endroits où nul ne va ou de choses que nul ne peut voir. Il a montré du doigt des choses qui font partie de notre existence. Quand nous nous asseyons, ces choses s’assoient avec nous ; quand nous marchons, elles marchent avec nous ; quand nous nous allongeons pour dormir, elles sont allongées avec nous.

Et pourtant, bien que ces choses soient aussi proches de nous, nous ne les voyons toujours pas ! C’est comme pour ce squelette que nous avons dans la salle de méditation. Les gens en parlent mais ils ne le voient pas vraiment ; d’autres le regardent et en ont peur, ils quittent les lieux pour ne pas le voir. Ce sont des gens qui ne « voient » pas. S’ils voyaient vraiment, ils ne ressentiraient aucune peur. Si vous avez peur, où allez-vous courir ? Le squelette est toujours ici même avec vous. Réfléchissez un peu ! Si vous courez, il court avec vous ; où que vous alliez, il vous accompagne. De quoi d’autre avez-vous peur ? Tous les lieux de fuite sont épuisés.

Quand vous le reconnaissez, cela signifie que vous voyez. Alors vient le détachement : « Oh ! Les choses sont vraiment impermanentes, insatisfaisantes et sans soi. » Quand vous voyez un squelette, vous savez qu’il est comme vous. Assis là-bas à mâcher du bétel et fumer du tabac, votre squelette est présent. Quand vous allez et venez, quand vous marchez, le squelette est présent. Quand vous bavardez et cancanez, il est présent. Il est comme vous. Plus tard vous serez exactement comme le squelette qui est dans la salle de méditation. Tout le monde deviendra comme cela. Avant ce squelette était une personne vivante comme vous. Plus tard nous deviendrons comme lui. Cela vous effraie ? Est-ce vrai ou pas ? Où allez-vous fuir ?

Alors vous regardez une personne et vous savez qu’elle est comme toute les autres, comme vous. Quand on voit une personne de cette manière-là, on comprend toutes les personnes de l’univers. Nous sommes tous semblables. Il n’y a aucune différence substantielle : dans la majeure partie de notre être, nous sommes tous les mêmes.

Je vous demande de bien voir cette vérité. Avant le squelette était comme nous et plus tard nous serons comme lui. Si vous réfléchissez ainsi, votre esprit va changer. Continuez votre investigation et vous réaliserez que les choses ne sont ni authentiques ni fiables. La seule chose qui soit authentique, c’est l’accumulation des actions bonnes ou mauvaises. Dans cette vie le bon mène au bon et le mauvais au mauvais. La pensée juste vous conduit sur une voie juste, tandis que la pensée fausse vous fait dévier. Cela se produit à cet instant même. C’est la seule chose qui soit vraie : le résultat de vos actions reviendra toujours vous suivre.

Dans la mort, même notre propre squelette ne pourra pas nous suivre. Comment croire que la famille, les amis, la richesse et les possessions sont fiables alors que nos propres os nous quitteront ? Rien n’est authentique. La seule chose qui soit réelle est ce qui nous mène aux différents états de devenir et de naissance, autrement dit les actes bons et mauvais du corps, de la parole et de l’esprit. Faire le bien attire le bien et agir de manière malfaisante attire la souffrance. Voilà ce qui est vraiment certain et vrai. Seulement cela.

Le Bouddha voulait que nous examinions ce sujet en profondeur. Inutile de réfléchir à la façon d’accumuler des gains dans cette vie. Abandonnez les habitudes malsaines et pratiquez le bien pendant que vous êtes encore vivant. Une fois mort, vous ne pourrez plus rien faire. Le Bouddha voulait que nous prenions conscience de l’urgence de la situation et que nous hâtions de pratiquer. Vous avez encore des yeux et des oreilles qui fonctionnent ; la conscience n’a pas encore quitté votre corps, vous pouvez donc comprendre les choses. Lâchez prise ! Si vous lâchez prise pendant que vous êtes encore vivant, vous sentirez la légèreté. Que signifie lâcher prise ? Efforcez-vous d’abandonner, de regarder, d’investiguer. Quand la conscience partira, laissant un cadavre derrière elle, que pourrez-vous accomplir ? Votre corps sera emporté pour être incinéré ou enterré et ce sera la fin de l’histoire.

Nous avons nos traditions pour rendre hommage et soi-disant « aider » les morts et nous avons toutes sortes d’expression dans notre langage pour décrire comment nous gagnons des mérites de telles pratiques. Les gens vont par exemple mettre des gâteaux de riz en disant que le cher disparu en profitera et puis ils s’assoient et se régalent eux-mêmes des gâteaux ! Mais où est la personne décédée à ce moment-là et quel bénéfice en retire-t-elle ?

Mieux vaut nous entraîner maintenant. Le Bouddha n’a pas fait l’éloge des décédés mais il a fait l’éloge de l’occasion que nous offre cette vie humaine. Il est important de pratiquer pendant que vous êtes en vie. S’il y a du mal en vous, abandonnez-le maintenant ! S’il y a quelque chose de bien, pratiquez-le maintenant ! Voilà vos deux amis, votre refuge. Pour le présent, c’est votre refuge et tout au long de vos vies futures, ce sera votre lieu de refuge. Toutes les possessions matérielles ne sont que ce qu’elles sont, n’est-ce pas vrai ? Voyez-vous comment les jeunes se battent pour obtenir ces choses maintenant et comment cela ne les mène nulle part ? Vous êtes assez âgés pour savoir qu’il faut arrêter de se comporter ainsi et rechercher plutôt la tranquillité et le renoncement. Vous avez déjà assez fait dans le monde, ne croyez-vous pas qu’il est temps de vous arrêter maintenant ?

Même si vous menez votre vie dans le monde, vous devez contempler ces choses-là. Vous n’êtes pas moine ou nonne mais vous pouvez laisser votre esprit faire le travail d’un moine ou d’une nonne et investiguer la vérité. Les succès mondains et les possessions ont une limite ; ils ne conduisent certes pas à quelconque bienfait ultime. Ils n’existent que dans leur propre cadre et puis s’échappent. Alors laissez-les s’échapper. Le Bouddha voulait que nous méditions et que nous voyions. Si nous contemplons les choses de cette façon, ce sera ce que les écritures appellent l’entraînement préliminaire, la première étape. Cela détruira l’attachement que nous portons à notre propre corps. Détruire le corps ! Que signifient ces mots ? En voyant dans le corps l’impermanence, la souffrance et l’absence de soi, nous ressentons vraiment la désaffection et le désintéressement et une véritable foi prend naissance.

Je vous demande de bien contempler cela. Le premier résultat sera que, avec l’apparition du manque d’intérêt et de la désaffection, vous allez vous abstenir de commettre des actions nuisibles — c’est la pratique naturelle de sila, la vertu morale. Si vous ne comprenez pas ces choses, vous ne savez pas ce qu’est le kamma et ce qu’est la mauvaise action. Si vous le savez, vous cessez. Ce qui n’est ni bon ni beau, vous cesserez de le faire que ce soit par le corps ou la parole. C’est la vertu morale. Quand on s’abstient de tout mauvaise action, il y a vertu morale.

Ayant renoncé à toute mauvaise action, l’esprit est calme et posé, et peut atteindre le samadhi. Quand l’esprit est calme en samadhi, la sagesse peut naître. Quand le Bouddha a commencé à enseigner, certains disciples ont trouvé l’éveil sur place simplement en entendant ses paroles. Certains ont même atteint l’état d’arahant, la fin du chemin, dans l’instant, en une seule fois. Alors quand avaient-ils suivi les préceptes ? Quand ont-ils pratiqué la méditation et développé leur samadhi ? En fait, ils avaient déjà ressenti la profonde lassitude vis-à-vis du samsara, le détachement et la désaffection pour le monde, et c’est ce qui leur a permis de s’arrêter. Cette condition est sila. A partir de là, ayant renoncé à toute mauvaise action, le cœur paisible et serein, le samadhi était présent. Dans cet état de calme, l’esprit fut en mesure de contempler les choses et de les connaître pour ce qu’elles sont. En entendant le dhamma et en contemplant le dhamma ainsi, la pure vertu morale et le reste apparurent — c’était la voie. Tout le chemin apparut dans cet instant.

De nos jours, les gens ont beaucoup de doutes et d’incertitudes. Ils se disent : « Les gens de cette époque devaient avoir beaucoup de bon kamma derrière eux pour en arriver là ! » Mais cela arrive aussi dans le présent. C’est vraiment possible. Si on écoute et on comprend clairement, cela peut se produire. L’esprit renonce, il lâche prise. S’il ne peut pas lâcher prise maintenant, il peut le faire demain ou après-demain, lors d’une autre méditation un peu plus tard. S’il n’a pas une claire connaissance aujourd’hui, il l’aura demain ; s’il n’a pas une réalisation totale demain, il l’aura le surlendemain. Il doit atteindre cette connaissance si on s’intéresse vraiment au dhamma.

Quand vous entendez le mot « dhamma », n’allez pas croire qu’il s’agit d’autre chose que de la nature. Nous l’avons déjà. Nous sommes la nature. Quoi que vous pratiquiez, faites en sorte que votre pratique soit authentique, faites en sorte que l’esprit voie, qu’il voie l’impermanence, qu’il voie l’insatisfaction, qu’il voie l’absence de soi. Qu’il voie que rien n’est permanent, que rien dans ce monde ne dure. Tout est là.

Quand vous voyez les choses ainsi, quoi que vous regardiez, cela se transforme en une vérité qui vous fait vous tourner vers l’intérieur pour la voir. Les phénomènes extérieurs ne sont pas différents de vous. Continuez à vous tourner vers l’intérieur et tout est dhamma. Quand vous voyez des animaux, le dhamma est présent. Les grandes créatures sont dhamma, les petites créatures sont dhamma. Même quand vous voyez des rochers, de la terre ou de l’herbe, tout est dhamma parce que tout cela est la nature.

Quand on voit le dhamma, on pratique le dhamma en conséquence. C’est ce dont parle l’enseignement du Bouddha. Il ne s’agit pas de quelque chose d’autre qui soit distant de nous. Nous parlons de la source de la voie. Si vous avez la foi et que vous souhaitez trouver le dhamma, où allez-vous le chercher ? Aller dans un monastère, le rechercher dans un autre, aller dans les forêts ici et là … le dhamma reste tel qu’il est. Dans la forêt, le dhamma est en vous, là, dans votre corps même. Et si vous allez étudier dans un monastère, on vous le montre de la même façon : ici même, en vous.

Quand on écoute les enseignements, le principe est le même. Il n’est pas nécessaire d’en entendre beaucoup. Il faut écouter pour savoir de quoi il s’agit et comprendre. Quels sont les points importants ? Que doit-on approfondir ? Comment doit-on pratiquer ? Comment s’y prendre pour entraîner l’esprit ? Il s’agit de libérer l’esprit de la souffrance, d’aller au-delà de la réalité conventionnelle. Où est donc cette réalité conventionnelle ? Où est cette souffrance ? Comment la transcender ?

Le bonheur et la souffrance sont vos grands maîtres. L’amour et la haine sont vos grands maîtres. Voilà où se trouve la voie. Si vous êtes attaché à des sentiments d’amour, ils finiront par vous causer de la peine. Réfléchissez-y. Ces sentiments vous montrent la voie très directement. Si vous êtes attaché à n’importe quel sentiment, c’est une erreur. En réfléchissant à cela, vous pouvez véritablement atteindre la connaissance.

Pourquoi nous dit-on de transcender les sentiments d’amour et d’attachement ? Regardez bien. Dans votre vie, que ce soit dans votre famille ou ailleurs, quand vous êtes très attaché à quelqu’un, que vous aimez une personne plus que toute autre, vous finissez par souffrir. Si vous ne me croyez pas, réfléchissez-y. Il faut que vous compreniez le sens de cette affection. Ne vous jetez pas aux orties ! Ne tombez pas dans l’endormissement ! Ne laissez pas votre esprit sombrer. Aimer des gens, être attaché à des possessions — tout cela n’apporte que souffrance. Souvenez-vous en ! Et si vous n’arrivez pas à fixer cela dans votre esprit, écrivez-le et lisez-le ! C’est la vérité toute entière.

Quand on éprouve amour ou haine, on doit observer de près ces sentiments. Ils ont des choses à vous apprendre ; ils vous enseignent qu’il ne faut pas tomber dans les extrêmes. Les impulsions essaient de vous pousser à gauche ou à droite, dans la voie du plaisir sensoriel ou du renoncement aride. Les enseignements nous parlent des extrêmes de la sensualité et de la mortification. C’est ce que le Bouddha a enseigné tout de suite après son Eveil. Et ces choses qui étaient vraies à l’époque du Bouddha sont encore vraies pour nous aujourd’hui.

Vers quoi pouvez-vous vous tourner pour comprendre cette vérité ? Simplement vers votre propre esprit. Notre tendance, quand nous aimons quelqu’un est de vouloir être tout le temps auprès de cette personne et, quand nous détestons quelqu’un, de ne pas même vouloir être en sa présence. Certains d’entre vous éprouvent-ils ces sentiments ? Alors je vous demande de les observer et d’être votre propre maître. Voyez-vous comme ces sentiments vous entraînent vers la souffrance ? Nous parlons là des Nobles Vérités de la souffrance et de son origine qui est l’amour et l’attachement. Si vous considérez votre vie, vous verrez qu’il s’agit bien de faits réels. Vos attachements et vos craintes sont-ils quelque chose de bon et de bénéfique ? Ne laissez pas votre esprit être piégé par des attachements non raisonnables. C’est comme si vous mangiez une banane et jetiez la peau par terre mais quand les poules et les autres animaux se jettent dessus pour la manger, cela vous dérange. Vous êtes incapable de voir et d’abandonner le sentiment de possessivité que vous avez vis-à-vis de cette banane. Quand vous gagnez quelque chose vous êtes fou de joie et quand vous perdez vous êtes déprimé. C’est ce à quoi le Bouddha faisait allusion quand il disait qu’il fallait éviter les deux extrêmes. Alors conversez avec votre esprit pour le rendre capable de les éviter.

Quand les pratiquants du dhamma entendent les enseignements, ils doivent encore étudier de près ces sentiments d’attachement et d’aversion envers les gens au moment où ces sentiments se présentent à eux, et faire sans cesse des efforts pour entraîner ainsi leur esprit. Ce faisant et en évitant aussi les réactions extrêmes, l’esprit sera soutenu et la voie sera soutenue. Ne tombez pas dans le fossé ! L’amour est un fossé. La haine est un fossé.

Le Bouddha comprenait vraiment ces choses-là. Grâce à sa pratique et à son Eveil, il vit qu’elles étaient véritablement impermanentes, chargées de souffrance et sans essence personnelle. Alors quand l’amour se présente, mettez-le de côté. Quand la haine se présente, mettez-la de côté. Si vous n’en êtes pas capable, entraînez votre esprit à le faire car ces sentiments ne vont en rien vous aider à apporter la paix dans votre esprit.

C’est le Dhamma, c’est le sens de l’enseignement du Bouddha. C’est précisément là qu’il faut regarder. C’est là qu’il faut rechercher la paix. C’est le chemin qui mène au nirvana. Dites bien à votre esprit : « Tu veux courir après ces choses-là ? Tu ne feras que tomber en enfer ! » Ne vous attachez pas à ces choses-là et ne leur donnez pas d’importance.

Ne travaillez-vous pas dans les champs ? Vous savez comment crier après le buffle pour qu’il vous obéisse et aille dans la direction que vous voulez, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi ne pourriez-vous pas crier après vous-même et gagner un certain contrôle sur la direction que prend votre esprit ?

Ce dont nous parlons ici, c’est d’atteindre le lieu où il n’y a pas de causes, où les causes sont épuisées. Tant qu’il y a amour ou haine, cela signifie que les causes existent et quand il y a une cause, il y a une conséquence. S’il y a naissance, il y a mort — c’est ainsi que les choses fonctionnent pour nous. Quand il y a amour et attachement, il y aura nécessairement haine et aversion. Si nous atteignons des sommets paradisiaques, nous finirons par descendre en enfer. Et puis après l’enfer il y aura le paradis. C’est ainsi que vont les choses, c’est le monde du devenir et de la naissance. Le Bouddha voulait que nous étudiions tout cela en profondeur. Ce n’est pas quelque chose qui ne s’applique qu’à certaines personnes ; ces principes sont universellement vrais. Alors à quoi devez-vous appliquer votre samadhi ? Sur quoi allez-vous méditer ? Quand vous voyez, vous lâchez tout immédiatement.

C’est là qu’il faut faire des efforts. Entraînez l’esprit avec des moyens habiles pour le rendre souple, tout comme un forgeron chauffe le métal pour l’assouplir et peut ensuite lui donner la forme de n’importe quel outil pratique qu’il désire. De la même manière, nous assouplissons notre esprit en l’entraînant à suivre les préceptes, en développant la modération, en pratiquant la méditation et en approfondissant notre vision des choses. Notre esprit s’assouplira et s’abandonnera à la paix.