Le Dhamma de la Forêt



La pratique qui mène à la Paix


Extrait des enseignements d’Ajahn Chah


Traduction de Jeanne Schut

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Notre pratique consiste à faire tout notre possible pour déraciner le désir, l’aversion, et notre compréhension erronée des choses – ces pollutions mentales qui existent en chacun de nous et qui nous empêchent de trouver la paix de l’esprit.

Réaliser la paix consiste à calmer et à purifier l’esprit, mais ce n’est pas facile. C’est pourquoi il faut commencer par l’extérieur – le corps et la parole – et avancer progressivement vers l’intérieur.

La voie qui mène à la paix, la voie que le Bouddha a montrée pour atteindre le véritable bonheur, est sila (la vertu morale), samadhi (la concentration méditative) et pañña (la sagesse). Telle est la voie de la pratique. Cette voie mène à l’abandon complet de l’attachement au désir, de l’aversion et de la confusion mentale. Elle implique d’aller à l’encontre de nos tendances habituelles à la facilité, à la recherche du plaisir et du confort. Il faut donc que nous soyons prêts à endurer certaines difficultés et à faire quelques efforts.

Tous les disciples du Bouddha qui sont allés jusqu’au bout de la Voie et ont trouvé l’Éveil étaient des êtres ordinaires vivant dans le monde, tout comme nous. Ils avaient été sujets à l’avidité et à la colère, tout comme nous. Il faut que vous compreniez que vous avez le même potentiel. Vous êtes constitué des cinq agrégats, tout comme eux. Vous avez un corps, des sensations agréables et désagréables, des souvenirs et des perceptions, des formations mentales et une conscience sensorielle, ainsi qu’un esprit agité et vagabond. Vous avez conscience du bien et du mal – exactement comme eux. Le Bouddha leur a donné l’inspiration nécessaire pour qu’ils pratiquent jusqu’à atteindre la Voie et ses Fruits. De nos jours, de la même façon, des personnes comme vous trouvent l’inspiration pour entreprendre la pratique de la vertu morale, la méditation et la sagesse.

Si votre esprit est capable d’être attentif, il n’est pas si difficile de surveiller vos paroles et vos actions physiques puisqu’elles sont motivées et supervisées par l’esprit. C’est dans l’esprit que les intentions de toutes vos actions prennent naissance.

Veiller constamment à être dans la modération, présent et conscient de ses actions et de ses paroles, et assumer la responsabilité de sa conduite, c’est sila, la vertu morale. Être inébranlablement ancré dans la pratique de l’attention et de la modération, c’est samadhi, la concentration méditative – car samadhi est aussi un facteur externe qui sert à maintenir sila au quotidien.

Une fois que l’esprit est profondément engagé dans la pratique et que sila et samadhi sont fermement établis, vous serez en mesure d’approfondir votre investigation et de réfléchir à votre expérience des différents phénomènes internes et externes. Quand l’esprit entrera en contact avec des objets visuels, des sons, des odeurs, des goûts, des sensations tactiles ou des idées, « ce qui sait » apparaîtra et vous fera prendre conscience de vos réactions de désir ou de rejet, de bonheur ou de souffrance.

Si vous êtes attentif, vous verrez ce qui passe par votre esprit et votre réaction à ces objets mentaux. « Ce qui sait » s’en emparera automatiquement et en fera des objets de contemplation. Discerner le bien du mal et le juste du faux parmi tous les phénomènes de votre champ de conscience, c’est pañña, la sagesse. C’est la sagesse à ses débuts – elle mûrit ensuite au fil de la pratique. C’est ainsi que la vertu morale, la méditation et la sagesse se pratiquent au commencement.

En poursuivant la pratique, vous constaterez que de nouveaux attachements et de nouveaux types de compréhension erronée apparaissent dans l’esprit. Cela signifie que vous commencez à vous attacher à ce qui est bon et sain ; vous avez peur des imperfections ou des défauts de votre esprit, craignant que votre samadhi n’en pâtisse. En même temps, vous commencez à être diligent, vous travaillez dur, vous aimez et vous nourrissez votre pratique. Chaque fois que l’esprit entre en contact avec quelque chose, vous êtes inquiet et tendu. Vous prenez aussi conscience des défauts des autres, jusqu’aux moindres choses qu’ils semblent faire de travers. C’est parce que vous vous préoccupez de votre pratique. Ceci, c’est pratiquer à un certain niveau, c’est une pratique basée sur une vision des choses en accord avec les fondements essentiels des enseignements du Bouddha.

Si vous continuez à pratiquer ainsi, vous en arrivez peut-être au point où vous êtes constamment en train de juger et de trouver des défauts à tous ceux que vous rencontrez. Vous réagissez constamment par le désir et l’aversion au monde qui vous entoure, vous devenez plein d’incertitudes tout en vous attachant continuellement à des opinions sur la façon de pratiquer. Mais ne vous en inquiétez pas. À ce niveau-là, mieux vaut pratiquer trop que trop peu. Pratiquez beaucoup et consacrez-vous à veiller sur le corps, la parole et l’esprit. Vous ne pourrez jamais trop en faire de ce côté.

Une fois ce fondement en place, vous aurez établi dans votre cœur un fort sentiment de malaise et de gêne à l’idée de faire du mal. Quels que soient le lieu et l’heure, en public comme en privé, vous ne voudrez rien faire qui soit nuisible à vous ou aux autres. Vous maintiendrez constamment le cap sur la pratique de l’attention et de la retenue au niveau du corps, de la parole et de l’esprit, et sur la distinction claire entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. En vous concentrant ainsi et, en persévérant avec constance et régularité dans cette façon de pratiquer, l’esprit devient effectivement sila, samadhi et pañña.

Arrivé à ce stade, l’esprit a commencé à s’affiner mais la pratique est encore trop grossière. Cependant, arrivé à ce stade, il est possible que vous ressentiez l’envie de pratiquer à la pleine mesure de vos capacités. Si c’est le cas, cela signifie que vous avancez sur la voie juste. Vous en êtes encore à la première étape, laquelle est assez difficile à suivre avec constance. Mais pendant que vous l’approfondissez et que vous la raffinez, sila, samadhi et pañña vont mûrir ensemble à partir de là.

Plus l’esprit s’affine, plus l’attention est en mesure de se focaliser. En fait, la pratique devient plus facile quand l’esprit se tourne de plus en plus vers l’intérieur pour s’observer lui-même. À partir de là, vous ne faites plus de grosses erreurs, vous ne faites plus de gros écarts hors de la voie. Quand le doute se présente dans différentes situations, si vous vous demandez, par exemple, si telle ou telle manière de parler ou d’agir est juste ou erronée, vous arrêtez simplement la prolifération mentale et, en intensifiant vos efforts, vous tournez votre attention plus profondément vers l’intérieur. La concentration méditative devient progressivement plus stable et la sagesse plus grande, de sorte que vous voyez les choses plus clairement avec une aisance croissante.

Maintenant, en examinant la nature de l’esprit, vous pouvez constater que, dans son état naturel, il n’a aucune préoccupation. Il est comme un drapeau en haut d’un mât ou une feuille sur un arbre. De lui-même, il reste au repos ; s’il bouge c’est à cause du vent, d’une force extérieure. Dans son état naturel, l’esprit est égal, sans désir ni aversion, il n’attribue aucune caractéristique aux choses et ne trouve de défauts à personne. Il est indépendant et existe dans un état de pureté claire, rayonnante et immaculée. Dans son état naturel, l’esprit est paisible, sans bonheur ni souffrance. Tel est le véritable état de l’esprit. Et le but de la pratique est de rechercher à l’intérieur, de pénétrer en profondeur, jusqu’à retrouver cet esprit originel.

L’esprit originel est également connu comme « l’esprit pur ». C’est l’esprit sans attachements, qui n’est pas altéré par les objets mentaux et qui ne recherche rien d’agréable ni de désagréable. Par contre, il demeure continuellement dans un état de présence attentive, pleinement conscient de tout ce dont il fait l’expérience.

Ce résultat a pu se produire grâce à la faculté d’attention doublée d’une sage réflexion, en voyant que tout ce qui se présente à l’esprit n’est que le produit de conditions qui apparaissent quand certaines circonstances sont réunies, en dehors du contrôle d’une quelconque individualité.

Dans le passé, à cause des racines du désir, de l’aversion et de l’ignorance de la véritable nature des choses qui existaient dans l’esprit, chaque fois que vous aviez conscience de la moindre chose agréable ou désagréable, l’esprit réagissait immédiatement. Vous vous en saisissiez et vous étiez forcé de passer par des états de bonheur ou de souffrance. Vous étiez constamment emporté dans ces états mentaux. Grâce à une sage réflexion, vous pouvez maintenant voir que vous succombiez à de vieux schémas d’habitudes et de conditionnements. L’esprit lui-même est libre, en réalité, mais vous souffrez du fait de vos attachements. Il en va ainsi tant que l’esprit ne se connaît pas, tant qu’il n’est pas éveillé. Il n’est pas libre, il est influencé par tous les phénomènes qui entrent dans son champ de conscience. En d’autres termes, il est sans refuge, incapable de dépendre véritablement de lui-même. L’esprit originel, au contraire, est au-delà du bien et du mal.