Le Dhamma de la Forêt


Orienter l'esprit vers le dhamma


Ajahn Chah


Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/ 

Extrait du livre Être ce qui est, éd. Sully


Le Bouddha a dit : « Celui qui voit la vacuité ne peut être rattrapé par la mort. » Que se passe-t-il quand un être éveillé disparaît ? Il n’y a que des éléments qui se séparent. Puisqu’il n’y a pas de « personne » ou de « soi », comment pourrait-il y avoir mort ou renaissance ? Il n’y a que de la terre, de l’eau, du feu et de l’air qui se dispersent. Ainsi la mort ne peut-elle que rattraper de la terre, de l’eau, du feu et de l’air. Il n’y a pas de personne à rattraper. De la même manière, si vous cherchez à solutionner un problème, il y aura toujours des problèmes parce qu’il y a « vous ». Quand il n’y a pas de personne, il n’y a pas de problèmes. Aucun besoin de solutions car il n’y a plus de problèmes à résoudre et personne pour les résoudre. Mais si vous croyez que vous mourrez, vous reprendrez naissance.

Aujourd’hui je vais parler un peu du dhamma pour adultes. Quand ceux dont l’intelligence est superficielle entendent dire qu’il n’y a pas de soi, quand ils entendent dire que rien ne leur appartient en propre, pas même leur corps, ils se disent : « Que dois-je faire, dans ce cas ? Me plonger un couteau dans le cœur, fracasser la vaisselle et tout jeter par la fenêtre ? » Mais ce n’est pas du tout cela. Les gens ont des idées aussi absurdes parce que leur esprit est obscurci par d’épais voiles d’ignorance.

Comment pouvons-nous orienter l’esprit vers le dhamma et le lui faire pénétrer ? L’esprit du sotapanna — « celui qui est entré dans le courant » — a pénétré dans le courant du nirvana et ne fera plus machine arrière. Même s’il est encore susceptible de ressentir de la colère, il ne retombera plus dans le cycle de la souffrance et de l’attachement. Même si son esprit est encore susceptible de ressentir des désirs, il ne retournera pas dans le cycle du samsara parce qu’il est capable de reconnaître colère et désir pour ce qu’ils sont réellement.

Le sotapanna pénètre le dhamma et voit le dhamma mais son être n’est pas encore dhamma. Parfois il éprouvera de la colère ou du désir et il en sera conscient mais il les poursuivra malgré tout car, bien qu’il connaisse et voie le dhamma, son être n’est pas encore dhamma. L’esprit n’est pas devenu dhamma. Ainsi, il pourra étudier le dhamma, comprendre le dhamma, pratiquer le dhamma et voir le dhamma, mais « être » effectivement le dhamma est assez difficile. C’est pourtant ce que chacun doit atteindre, un espace où aucune obscurité ne demeure.

Nous sommes tous comme des oiseaux en cage. Aussi belles que soient les conditions de vie dans la cage, l’oiseau ne peut s’en satisfaire. Il ne cessera de sautiller désespérément à la recherche de sa liberté. Les riches et les privilégiés ne sont pas mieux lotis ; on pourrait les comparer à des colombes dans des cages dorées.

Entre le moment où vous entendez le dhamma et le moment où vous le voyez, vous passez encore par la souffrance ; vous ne serez libéré des expériences insatisfaisantes que le jour où vous « serez » le dhamma. Tant que vous n’êtes pas le dhamma, votre bonheur dépend des circonstances extérieures sur lesquelles vous vous appuyez : le plaisir, la réputation, la richesse et les choses matérielles. Vous aurez peut-être acquis beaucoup de connaissances mais celles-ci seront entachées par la superficialité du monde et ne vous permettront pas d’être libéré de la souffrance. Vous serez encore comme un oiseau en cage.


La pratique correcte du dhamma s’obtient d’un maître qui l’a lui-même reçue d’un autre maître et elle descend ainsi d’une longue lignée. En réalité, c’est simplement « la vérité » ; elle n’est liée à aucune personne en particulier. Si nous respectons la personne du maître et que nous n’agissons que par déférence envers lui, nous ne pratiquons pas le dhamma. Nous ne faisons qu’accomplir une tâche, remplir un devoir parce que le maître est dans les parages mais, sitôt qu’il a le dos tourné, nous nous relâchons. C’est comme un ouvrier qui travaille dans une usine : il travaille pour la société qui en est propriétaire mais il n’aime pas vraiment son travail, il ne le fait que pour l’argent et, dès que c’est possible, il relâche son effort — c’est la tendance générale. S’appuyer sur un maître par respect est un niveau de pratique, mais ensuite il faut se demander : « Quand verrai-je le véritable dhamma ? »

L’enseignement du Bouddha est là pour nous éclairer. Il permet aux êtres d’entrer dans le courant et de se voir eux-mêmes. Quand on se voit, on voit le dhamma ; et quand on voit le dhamma, on voit le Bouddha — c’est alors que l’on entre dans le courant.

Comme je l’ai souvent dit : quand on accède au dhamma, on ne peut pas mentir, on ne peut pas voler. Vous croyez qu’en mentant vous trompez les autres, vous croyez que vous pouvez mal agir sans que les autres le sachent. Mais où que vous alliez, si vous êtes entré dans le courant, il est impossible de mal agir sans que les autres le sachent. Croire le contraire est le fait de l’ignorance. Que vous viviez avec un groupe de personnes ou seul, que vous viviez au milieu de l’océan ou dans les airs, mal agir sans que nul ne le sache est impossible. Quand vous réalisez cela vraiment pleinement, vous entrez dans le courant.

Si vous n’êtes pas entré dans le courant, vous croyez que vous pouvez accomplir de mauvaises actions sans que personne ne le voie. En réalité, vous ne faites que vous avilir parce que vous ne voyez pas le dhamma. Quiconque voit le dhamma ne trompera pas les autres et ne fera rien de nuisible, quelle que soit la situation. Prenons le temps de nous souvenir de l’enseignement authentique du Bouddha. Il a dit que, partout où se trouve le dhamma, il y a quelqu’un qui voit : soi-même ! Croire qu’il en va autrement est vraiment dommage. Cela va à l’encontre de ce que voulait dire le Bouddha quand il a parlé d’être « témoin de soi ». Si nous sommes témoins de nous-mêmes, nous serons incapables de mentir ou de mal agir, et notre pratique sera toujours directe et droite, tout comme une boussole qui pointe toujours en direction du nord et du sud.

Avec une boussole, quand vous pénétrez dans une forêt profonde, vous êtes toujours en mesure de savoir dans quelle direction vous vous dirigez. Peut-être qu’au départ vous pensez aller vers l’est mais la boussole vous indiquera que vous allez vers le sud. A ce moment-là, vous réaliserez : « Oh ! Je me suis trompé. C’est mon idée erronée qui me faisait croire que j’allais vers l’est. » La boussole vous montrera toujours la bonne direction, de sorte que vous cesserez de vous appuyer sur vos suppositions. Nous pouvons abandonner nos idées et nos opinions quand nous découvrons qu’elles peuvent nous entraîner sur la mauvaise voie.

Il est dans la nature des gens d’aimer faire ce qui n’est pas bien. Nous n’aimons pas ce qui en résulte mais nous ne pouvons pas nous en empêcher — c’est une accoutumance. Nous ne voulons pas que les choses tournent mal ou aillent de travers mais nous aimons mal agir. Ce n’est pas la vision juste. Les choses n’apparaissent pas par magie, elles ont une cause. Nous voulons travailler peu et devenir riches. Nous voulons réaliser la voie, le fruit de la pratique et le nirvana, mais nous ne voulons pas investir trop d’effort dans la pratique. Nous voulons acquérir des connaissances mais nous ne voulons pas étudier. Nous voulons réussir aux examens sans réviser, alors nous allons demander à Luang Por de nous asperger d’eau bénite. Pour quoi faire ? En quoi cette eau va-t-elle vous aider ? Il faut travailler dur et se plonger dans les livres. Mais les gens sont ainsi. Ils seront peut-être un peu inspirés par ce vieux moine qui les asperge d’eau mais, pour dire les choses simplement, cela s’appelle « ne pas être en contact avec le dhamma ». C’est un niveau.

Dans la pratique du dhamma, il faut qu’il y ait des causes et des résultats. Ceux qui s’y consacrent vraiment peuvent mettre fin au doute, résoudre les problèmes et en finir avec eux. C’est comme l’aiguille de la boussole qui ne peut pas mentir : en entrant dans la forêt nous prenons peut-être l’est pour le nord du fait de notre confusion, mais la boussole nous montrera toujours la bonne direction. Telle est la nature du dhamma. Nous l’appelons saccadhamma ou « vérité ».


Quand on pratique selon la voie enseignée par le Bouddha, on ne peut pas se tromper. Il n’y a pas d’erreur dans la cause et pas d’erreur dans le résultat. Il y a la vision juste des choses ou il y a la vision erronée des choses. Celle qui prévaut devient la base de la pratique et on y reste fermement attaché. Il n’y a pas d’autre voie que ces deux-là. Mais quand on a une vision erronée des choses, on ne le sait pas — on croit au contraire qu’elle est juste et bonne — on ne le voit pas mais les choses tournent mal.

En fait, il n’y a pas grand-chose à apprendre du vrai dhamma. Il suffit d’appliquer les principes de la pratique qui se rapportent à des choses qui existent déjà, de sorte que tout ce que nous avons à faire, c’est pratiquer pour en avoir une expérience directe. Ces choses que nous devons étudier servent simplement à savoir quoi et comment pratiquer : nous devons comprendre ceci et cela, pratiquer ceci et cela, aller tout droit dans telle et telle direction … et c’est tout !

Les explications et les instructions sont une chose. Quant aux enseignements, on peut les comparer à des mangues. Toutes les étapes de la croissance et toutes les caractéristiques des mangues — telles que l’amertume et la douceur, la petite taille et la croissance — se retrouvent en une seule mangue. Quand on en étudie une, on connaît toutes les mangues. Mais la méditation varie selon les individus. Certains ont besoin d’étudier plus que d’autres parce que, s’ils n’étudient pas ils ne comprennent rien. Quand nous disons que certains n’ont pas besoin d’étudier, en fait ils étudient aussi mais ils étudient directement, à travers la pratique. Il y a deux approches : apprendre en commençant par ABC, ou bien en suivant le modèle des méthodes de pratique.

Si les choses ne sont pas claires, nous pouvons comparer l’apparence des choses à ce qu’elles sont en réalité. Par exemple les cheveux, les poils, les ongles, les dents et la peau : nous pouvons être conscients de leur apparence et puis les considérer en fonction de leur nature. Si nous les étudions sérieusement de près, nous constatons que, contrairement à l’apparence superficielle, ils ne sont en réalité ni stables ni fiables, ni propres ni beaux. Si nous ne contemplons pas les choses ainsi, nous n’avons aucune chance de les connaître telles qu’elles sont réellement. Même si nous lisons quelque part des mots qui disent que les cheveux, les ongles, etc. ne sont pas intrinsèquement beaux, ils nous paraissent beaux et attirants malgré tout. Nous ignorons ce qu’ils recèlent et pourtant les faits sont déjà bien là : les agrégats et les éléments apparaissent et disparaissent sans cesse. L’impermanence, la souffrance et le non-soi sont déjà présents. Toutes ces parties du corps sont pleines à craquer de ces caractéristiques.

Nous récitons : « La forme est impermanente, les sensations et les sentiments sont impermanents, les perceptions sont impermanentes, les pensées sont impermanentes, la conscience est impermanente. » Nous pouvons donc dire que, d’une certaine manière, nous le savons. C’est une forme de connaissance. Mais une fois dans la situation, nous ne savons pas vraiment. Quand le moment vient où la forme révèle réellement son impermanence, nous ne pouvons pas prétendre savoir. Dans la maladie, quand le corps souffre d’un malaise intense, nous sommes complètement chamboulés et nous nous demandons pourquoi cela nous arrive. En fait, c’est l’impermanence qui se manifeste ! Nous récitons : « La forme est impermanente, les sensations et les sentiments sont impermanents. » Nous le savons parce que nous l’avons étudié mais pour ce qui concerne le véritable phénomène que recouvre le mot « impermanence », notre connaissance n’est pas claire. Nous récitons les mots selon les textes des écritures mais nous ne connaissons que la formule. Malgré les mélodieuses récitations que nous faisons si bien, nous n’avons rien compris.

Même les personnes qui méditent sur les parties du corps pour en voir l’impureté ressentent du désir physique. Quand ils disent : « Foie, intestins, estomac, etc. », leur esprit vagabonde et ils se mettent à penser au foie de volaille, aux rognons, au boudin et à tout ce qu’ils ont goûté dans ce domaine … et cela leur ouvre l’appétit ! Il faut parfois beaucoup de temps avant que les gens comprennent.

En fait, la vérité toute entière est inhérente à ces choses. Il n’est pas nécessaire d’élaborer longuement. C’est pourquoi le Bouddha a clairement souligné l’importance de la méditation. Quand nous nous asseyons en méditation, nous pouvons « voir » la vérité. Le mot bhavana, généralement traduit par « méditation », peut aussi être interprété comme « la cause de ce qui va se produire ». Ce qui ne s’est pas encore produit, faites-le se produire ! Ce qui n’existe pas encore, faites-le exister !


Où que vous soyez, quelle que soit votre situation, il vous est possible de bien pratiquer le dhamma. Même si vous êtes jeune, c’est quelque chose que vous pouvez faire — ne croyez pas que c’est réservé aux plus âgés ! C’est ce que les gens semblent se dire, de nos jours : « Quand je serai plus vieux, je commencerai à aller dans les monastères et à passer un peu de temps à étudier le dhamma. Pour l’instant je ne peux pas, j’ai trop de responsabilités. J’attends d’être plus vieux. » Et ils passent le relais à leurs aînés.

Je ne suis pas sûr que ce soit si fantastique d’être vieux, vous savez. Y a-t-il des personnes âgées là où vous habitez ? Sont-ils en bonne forme physique ? Pourraient-ils se mesurer à vous dans une course à pieds ? Leurs dents tombent, ils ont la vue basse et n’entendent plus très bien. Quand ils se lèvent ils gémissent et quand ils s’assoient ils gémissent encore. Et pourtant, quand nous sommes jeunes, nous nous plaisons à penser : « Quand je serai plus vieux, je méditerai. » Bizarrement, nous nous imaginons que dans notre vieillesse nous serons forts et pleins d’énergie. Le vieux Mr Kiem du village voisin transportait de grosses planches sur son dos quand il était jeune ; aujourd’hui il doit s’appuyer sur une canne pour marcher. La vie est ainsi. Alors n’allez pas vous gargariser d’idées ridicules, je vous en prie !

Tant que nous sommes en vie, soyons attentifs au bien et au mal. Si quelque chose n’est ni juste ni bon, essayons d’éviter de le faire. Si quelque chose est juste et bon, efforçons-nous de le faire. C’est tout. Ce sont des choses que tout le monde peut pratiquer ; inutile de laisser cela pour vos vieux jours. Allons ! Vous avez déjà vu des personnes âgées, n’est-ce pas ? Chacun de leurs mouvements s’accompagnent de craquements et de grognements. Ne savez-vous pas pourquoi ? Et pourtant nous fermons les yeux et les oreilles, et nous disons : « Laissez-moi d’abord finir ceci ; laissez-moi régler cette affaire-là. Attendez que je sois plus vieux et je viendrai au monastère. » Est-ce compréhensible ? Quand on est vieux, il est difficile de rester assis longtemps ; il se peut que l’on ait du mal à entendre les enseignements ou bien qu’on ne les comprenne pas. Alors n’attendez pas la vieillesse ! Pratiquez régulièrement et sans interruption. Avant que la vieillesse arrive, on a la jeunesse — ce n’est pas comme si on était d’abord vieux et qu’ensuite on devenait jeune ! Cela ne fonctionne que dans un sens.

La vérité c’est que vous vieillissez depuis déjà très longtemps. Vous avez probablement le sentiment d’être jeune mais, dès votre naissance, vous avez commencé à vieillir. On peut même dire que le processus a commencé dans le ventre de votre mère : en y grandissant, vous deveniez plus vieux que vous ne l’étiez avant. Et puis la naissance s’est produite. Si vous n’aviez pas grandi, il n’y aurait pas eu de naissance, vous seriez resté dans le ventre de votre mère. Ensuite, tout au long de votre croissance, de bébé à enfant et ainsi de suite, le vieillissement s’est poursuivi. Donc, arrivé où vous en êtes aujourd’hui, vous pouvez considérer que vous êtes vieux. Vous ne vous sentez pas vieux et vous ne voyez pas les choses ainsi mais, si vous n’aviez pas vieilli, vous n’en seriez pas à ce stade de votre vie maintenant.

Il est mieux de penser que vous êtes déjà âgé, ainsi vous ressentirez combien il est important d’avoir une véritable pratique du dhamma dans votre vie. A partir de là naîtront noblesse et vertu. Il faut que vous commenciez à vous comporter vertueusement dès à présent, quand vous êtes encore relativement jeune et, plus tard, vous aurez certainement du bien-être. Quand on crée du bon karma dans le présent, il n’y a pas de conséquences malheureuses plus tard. C’est un bon principe à suivre. Quant aux actions qui entraînent des conséquences affligeantes, ce sont celles que vous pouvez éviter. Voilà de bonnes choses à considérer avec attention pendant que vous êtes jeune. Mais si vous vous mettez en tête que vous devez régler toutes sortes de choses urgentes avant de pouvoir pratiquer le dhamma, il y a de grandes chances pour que ce jour n’arrive jamais.

Dans le bouddhisme, nos actions doivent être destinées en priorité à purifier le corps et l’esprit. C’est ce que l’on appelle sila ou, pour simplifier, « moralité ». Si le corps et la parole sont purs, le calme sera présent et l’esprit pourra se stabiliser. Mais tout ceci est très simplificateur.

Qu’est-ce que ce calme ? Si vous n’avez rien volé et que la police recherche un voleur, vous n’avez pas à vous inquiéter, vous pouvez vous détendre sachant que ce n’est pas vous que l’on recherche. Si votre esprit est dans cet état, libre de toute anxiété, quand des stimulations sensorielles et des pensées apparaissent, vous êtes en mesure d’en être clairement conscient. En résumé, c’est ce que l’on appelle le développement de la vertu morale, de la concentration et de la sagesse.

Je vais vous dire comment les choses se sont passées pour moi. Quand j’étais jeune on disait que, pour pratiquer samadhi il fallait avoir un maître. On lui apportait de l’encens, des bougies et des fleurs. On commençait les récitations en faisant vœu d’obéissance au maître et puis on suppliait et on priait : « Que ceci prenne effet en moi. Que le sila qui n’est pas pur devienne pur, que samadhi vienne résider en mon esprit … ». Nous étudiions le texte et puis nous récitions tous les facteurs de la concentration, les différents types de joie et de bonheur, etc. Nous invitions samadhi à venir et puis nous nous asseyions en méditation … mais je ne le voyais jamais arriver ! J’étais assis là et je devenais de plus en plus nerveux parce que rien ne se passait ! Alors j’ai commencé à me dire : « Hé ! Ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre. S’il suffisait d’inviter la vertu et la concentration pour qu’elles viennent, ce serait vraiment facile. Il est évident qu’il nous faut faire un certain effort pour que cela se produise. » C’est ainsi que j’ai commencé à voir les choses, de sorte que j’ai écarté ce que l’on m’avait appris.


Dans la pratique, certains comprennent facilement et d’autres avec difficulté mais, dans tous les cas, cela n’a pas d’importance. Que ce soit facile ou difficile pour nous, le Bouddha a dit de ne pas être négligent. Ne soyons pas négligents, soyons attentifs ! Pourquoi ? Parce que la vie n’a rien de sûr. Dès que nous commençons à croire que les choses sont sûres, l’incertitude est tapie juste là. Etre négligent, c’est s’accrocher aux choses comme si elles étaient permanentes et sûres. C’est se saisir d’une certitude là où il n’y a pas de certitude et chercher la vérité dans des choses qui ne sont pas vraies. Faites attention ! Il y a de grandes chances pour que ces choses se retournent contre vous un jour.

En conséquence, que les choses soient vraies ou fausses, bonnes ou mauvaises, agréables ou pas, peu importe — ce qui est important, c’est d’entraîner l’esprit pour qu’il soit en accord avec la Voie, autrement dit mettre en place la Vision Juste. Je vous en prie, ne soyez pas inconsidéré ! Ne vous laissez pas emporter en imaginant n’importe quoi, en faisant tout un problème d’une situation au point de vous y perdre. Si quelque chose vous apporte déception et perturbation, soyez-en conscient mais ne laissez pas la souffrance dépasser la vérité de ce qui est. Si quelque chose vous plaît, ne laissez pas l’enthousiasme vous emporter. Il est possible d’apprécier sans tomber dans l’excès. Dans notre patois local on dit : « Ne vous soûlez pas ! » Quand vous rencontrez des situations difficiles, ne vous soûlez pas de souffrance. Quand vous êtes heureux ou joyeux, ne vous soûlez pas de cela non plus. « Ne pas se soûler » signifie simplement ne pas permettre pas aux choses de tomber dans l’excès, être modéré. Si nous pouvons garder les choses, c’est bien, mais si les choses nous échappent, c’est bien aussi. Par contre, quand nous sommes enivrés par les choses, nous souffrons quand nous les perdons. Ou bien si des phénomènes déplaisants ne passent pas aussi vite que nous le voudrions, nous souffrons. Si nous nous en saisissons fermement, nous dépassons leur degré de vérité et nous perdons notre chemin. Ceci n’est pas le dhamma, ce n’est pas pratiquer le dhamma. Ces excès nous amènent à nous écarter de la Voie.

Cet éloignement de la voie est la vision fausse qui est à la racine de la souffrance. Toutes les explications concernant la pratique ont pour but de nous amener à connaître la cessation de la souffrance. Pratiquer en fonction de cette compréhension, c’est simplement pratiquer pour réaliser la cessation de la souffrance. Si nous considérons les choses de cette manière, nous savons ce qu’est la souffrance et comment elle apparaît. Nous savons comment elle peut cesser et la façon dont il faut pratiquer pour que cette cessation se produise. C’est ce que, dans le bouddhisme, on appelle « la connaissance ». Ce mot ne se réfère à rien d’autre. Si nous ne comprenons pas la souffrance, nous allons nous perdre dans la souffrance sans modération. Si nous aimons quelque chose, il y a peu de chances pour que nous y mettions une limite, il n’y aura aucune réflexion sur l’effet bénéfique ou pas de cet attrait, et nous ne prêterons l’oreille à aucun conseil. Nul ne pourra nous arrêter. Quelqu’un pourra se gaver de ses friandises favorites et, quoi que vous lui disiez, il n’aura aucun désir de se contrôler : « Il n’y a pas de problème, je t’assure ! » Pour lui tout est bien simplement parce qu’il aime ce qu’il mange. Il ne pense pas aux maux d’estomac qu’il risque d’avoir plus tard et, quand ce sera trop tard, il sera tout surpris et malheureux.

C’est pourquoi le Bouddha a voulu que nous ayons cette connaissance : « Ceci est souffrance, ceci est la cause de la souffrance, ceci est la fin de la souffrance, et ceci est la voie qui mène à la fin de la souffrance. » Toute pratique peut se résumer à ces facteurs. Tout est vraiment là. Pour exprimer le dhamma clairement et succinctement, on peut dire qu’il y la souffrance qui naît et la souffrance qui disparaît. En dehors de cela il n’y a rien : la souffrance apparaît, la souffrance disparaît.

Pourquoi souffrons-nous, perdus dans le cycle du samsara, l’existence conditionnée ? Parce que nous ne connaissons pas la vérité de ces choses-là, nous ne comprenons pas la souffrance. Alors nous nous saisissons de la souffrance en pensant qu’elle va nous apporter le bonheur et bien entendu, elle finit par faire mal. C’est comme un fermier qui verrait un cobra seul dans un champ et aurait pitié de lui. « Il faut aimer toutes les créatures et leur donner aide et réconfort », se dit-il, ignorant qu’il s’agit d’une créature qui va lui faire terriblement mal, alors il la ramasse et l’approche délicatement de lui. Et quand le serpent sent cette chaleur et ce réconfort … il le mord ! Cela se produit parce que, malgré la bonne intention, il n’y a pas la connaissance. Un cobra peut tuer, il faut en être conscient et le comprendre. Il nous arrive exactement la même chose quand nous ne comprenons pas la souffrance, la façon dont elle apparaît, sa cessation et la voie qui mène à la cessation.

Toute souffrance et toute expérience insatisfaisante a une cause. Quand cette cause cesse, la souffrance cesse. Tous les dhamma, agréables ou désagréables, naissent d’une cause. Connaître les quatre aspects — la souffrance, son apparition, sa cessation et la voie —, c’est tout ce dont nous avons besoin. Aucun autre dhamma n’est nécessaire parce que tout est condensé, de manière naturelle, dans ces quatre aspects.

Les points de contacts ou récepteurs sont les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit. Quand l’esprit est conscient et reconnaît que l’expérience est souffrance, il lâche prise — il lâche même prise à toute vitesse !

Alors, vous qui pratiquez, sachez bien cela. Connaître ce fait important vous permettra d’être résolus dans votre pratique. Il y a de nombreuses approches érudites et scripturales qui ont élucidé cela pour aider les gens à voir clairement cette vérité. Certains d’entre vous ont probablement étudié les Sutta et l’Abhidhamma où l’on parle abondamment de l’esprit, et vous vous êtes peut-être dit que vous deviez apprendre tout cela. A première vue, on pourrait croire que c’est une bonne chose mais, en réalité, on risque de s’embourber dans des discussions dont on ne connaît pas même vraiment le sens et, du coup, on se contente de simplement énumérer ce que disent les Ecritures.

Prenons un exemple simple, celui de l’arithmétique. Certains doivent commencer par apprendre méthodiquement les règles de l’arithmétique et, peu à peu, ils deviennent capables de manipuler habilement les nombres. Pour d’autres, ce n’est pas nécessaire ; ils ont une affinité particulière avec les nombres et n’ont même pas besoin d’apprendre l’addition, la soustraction, etc. Ils utilisent simplement la pensée et peuvent additionner intuitivement, sachant ainsi immédiatement les mêmes choses que ceux qui ont étudié laborieusement et qui emploient les méthodes qu’on leur a enseignées. Il y a des approches différentes pour différents types de gens. Les résultats sont de valeur égale mais la façon de les obtenir est différente. On pourrait dire que les personnes intuitives n’ont pas de marque de fabrique. Elles n’ont pas suivi un cours d’études normalisées, elles n’ont pas appris les méthodes en vigueur, mais, quoi qu’il en soit, elles ont la connaissance et en arrivent aux mêmes résultats. Leur connaissance est tout aussi valide et utile.

On peut pratiquer la méditation sans étudier beaucoup et obtenir la connaissance ultime. Les pacceka bouddhas ou « éveillés solitaires » qui obtiennent l’Eveil sans passer par un maître en sont un bon exemple. Ils ne peuvent enseigner à personne mais ils peuvent s’instruire eux-mêmes. Bien qu’ils aient la connaissance, ils ne peuvent pas la communiquer aux autres. Ils sont toujours paisibles et radieux mais ils ne peuvent instruire personne d’autre. C’est comme être muet. Un muet rêve et dans ses rêves il voit des champs, des montagnes ou des animaux mais, au réveil, il ne peut pas le raconter. Si une personne ordinaire rêve de serpents, elle peut raconter aux autres ce qu’elle a vu ; si elle rêve de vaches, elle peut parler aux autres de ces vaches. Le muet a les mêmes connaissances et la même expérience même s’il ne peut ensuite en parler. En termes de connaissance ils sont à égalité. Les pacceka bouddhas sont comme les muets dans la mesure où ils ne transmettent rien à personne mais ils sont libres de tout désir, de toute colère et de toute ignorance, ils sont sortis du cycle des naissances et des morts. Leur fardeau est léger.

Le Bouddha voulait que nous recherchions la vérité, et la vérité se situe à l’intérieur. Quand quelque chose est sale, certaines personnes vont simplement s’en écarter mais le vrai problème est : comment le nettoyer ? Quand on lave et on frotte, on voit la propreté là où était la saleté. Mais certains voient la saleté et ne pense qu’à la fuir, s’imaginant que la propreté se trouve ailleurs. Propreté et saleté sont mêlées. L’être qui patauge dans l’ignorance et l’éveillé sont mêlés. Connaissance et non connaissance sont mêlées. C’est quand nous pouvons les distinguer l’un de l’autre que nous voyons clairement.

Quand on lit l’histoire de la vie du Bouddha, on voit qu’il n’a pas pris de raccourcis ; il est vraiment allé au bout des choses. Mais pour nous, l’histoire est interminable : une chose que nous aimons apparaît mais au bout la tristesse nous attend — pourquoi ? Par contre si nous perdons une chose que nous n’aimons pas, il n’y a pas de tristesse — pourquoi ? C’est une expérience ordinaire, très ordinaire, que nous faisons tout le temps. Alors observons et allons nous aussi au bout des choses. Entrons dans la pratique avec une compréhension correcte et il n’y aura plus de retour en arrière. Comme « celui qui est entré dans le courant » notre esprit sera définitivement orienté vers le dhamma. A partir de là, nous aurons très peu de problèmes relationnels dans la vie.

Si nous arrivons tous à ce point où nous nous orientons définitivement dans le sens du dhamma, nous serons en harmonie. Quoi que l’on nous dise, nous ne prendrons pas nos propres réactions trop au sérieux. Si nous avons un sentiment de responsabilité, nous serons honnêtes les uns envers les autres, sans jalousie ni conflit. C’est ainsi qu’agissent ceux dont l’esprit s’est orienté vers le courant. Qui sont ces gens ? Ils faisaient autrefois partie de ceux dont l’esprit n’était pas encore orienté ainsi. Ceux qui deviennent vertueux et qui finissent par s’éveiller étaient, au départ, des « lourds », comme on dit — rien de plus.

Pour résumer le sens de notre pratique, nous pouvons utiliser les termes qui décrivent traditionnellement les quatre vertus du sangha, la communauté des pratiquants authentiques : pratique assidue, droiture, recherche de la fin du samsara, et sagesse dans l’action, les paroles et la pensée. Ceux qui pratiquent ainsi verront tout converger vers le point unique de l’accomplissement.