Le Dhamma de la Forêt |
Lors de notre première conférence, j’ai dit que la vacuité était un sujet important mais je n’ai pas eu le temps de lui accorder l’attention très spéciale qu’il mérite pour être compris en profondeur. Comme certains aspects de ce thème de la vacuité demeurent obscurs, je vais y consacrer toute la conférence d’aujourd’hui.
Parmi tous les enseignements du bouddhisme, la vacuité est le sujet le plus difficile à comprendre parce qu’il en est le cœur. Puisqu’il en est le cœur, il est aisé de comprendre qu’il s’agit d’un sujet à la fois profond et subtil. Pour le comprendre, on ne pourra se contenter de simples conjectures ni d’un type de réflexion ordinaire ; il sera nécessaire de l’étudier avec persévérance et en profondeur.
Le mot « étudier » prend ici sa signification la plus essentielle : il s’agit d’observer et d’analyser sans cesse tout ce qui apparaît dans l’esprit, que ce soit agréable ou désagréable. Seule une personne habituée à observer attentivement l’esprit peut vraiment comprendre le Dhamma [les enseignements du Bouddha, la Vérité ultime, la loi de la nature]. Ceux qui se contentent de lire des livres, non seulement ne peuvent pas comprendre, mais ils peuvent même être induits en erreur. Par contre, celui qui observe tout ce qui se passe dans l’esprit, et qui prend pour critère ce qui est vrai dans son propre esprit, ne peut se fourvoyer. Il sera en mesure de comprendre la souffrance ainsi que la cessation de la souffrance et, pour finir, il comprendra le Dhamma. Ensuite, s’il lit des livres sur le sujet, il les comprendra correctement.
Depuis l’instant de notre naissance jusqu’à l’heure de notre mort, nous devons nous entraîner ainsi : examiner le contact entre notre esprit et les objets qui l’entourent, et connaître la nature du résultat de ce contact. Dans ce processus naturel, il y aura nécessairement plaisir et douleur mais le fait de les observer rendra l’esprit plus sage et plus fort. Continuer ainsi à observer la nature de nos pensées a pour effet de libérer l’esprit de la souffrance – c’est donc la meilleure forme de connaissance qui soit. C’est de cette façon que nous nous familiarisons avec la réalisation ou la prise de conscience de la vacuité.
Souvenez-vous de ce que nous avons dit la dernière fois à propos du nom que l’on a donné au Bouddha : « le médecin de l’esprit ». Nous avons dit qu’il y avait, d’une part, les maladies physiques et mentales, et, d’autre part, les maladies spirituelles. La maladie spirituelle, c’est l’incapacité à discerner la vérité ultime des choses telles qu’elles sont. C’est donc un problème qui relève de l’ignorance, ou d’une mauvaise compréhension liée à l’ignorance, et qui a pour conséquence d’engendrer des actions irréfléchies entraînant la souffrance.
Alors, comment traiter la maladie spirituelle ? Le remède est la vacuité. Qui plus est, la vacuité n’est pas seulement le remède mais aussi la libération de toute maladie car, au-delà de la vacuité, il n’y a plus rien.
Le remède qui guérit la maladie spirituelle est la connaissance et la pratique qui donnent naissance à la prise de conscience de la vacuité. Quand la vacuité apparaît, elle guérit la maladie et, après la guérison, il ne restera rien d’autre que la vacuité, un état libre de toute souffrance et libre des obscurcissements mentaux qui sont la cause de la souffrance. Cette vacuité, dont la signification est immense, existe par elle-même : rien ne peut venir l’altérer, la développer, l’améliorer ou quoi que ce soit d’autre. C’est un état au-delà du temps car il ne connaît ni la naissance ni la mort. Son « existence » est différente de l’existence des choses et des êtres qui naissent et meurent mais, comme il n’y a pas d’autres mots pour en parler, nous disons que son existence est caractérisée par une vacuité immuable.
Si quelqu’un réalise cela – ou plutôt si son esprit le réalise pleinement – c’est le remède qui guérit la maladie et la guérison immédiate, c’est un état de vide hors du temps : c’est la véritable bonne santé.
Je vous demande de bien vouloir garder en esprit le sens de ce mot « vacuité » – ou suññatā en pāli – tandis que je vais l’expliquer point par point.
Tout d’abord, n’oublions pas que le Bouddha a déclaré que chaque parole qu’il a prononcée se référait au thème de la vacuité, qu’il n’a jamais parlé de rien d’autre, directement ou indirectement. Tout enseignement n’ayant rien à voir avec la vacuité ne peut donc pas être issu des paroles originelles du Bouddha ; il sera peut-être le fait de disciples ultérieurs qui auront pris plaisir à discuter en long et en large pour faire étalage de leur érudition.
Bien sûr, on peut ajouter beaucoup aux enseignements initiaux – par exemple, que la vacuité est absence de moi et de mien – car le mot « vacuité » a de nombreuses possibilités d’application. Bien que la caractéristique de « vide » demeure constante, ses expressions sont innombrables. Ceci étant, nous nous limiterons à examiner la vacuité en tant que :
Telle est la vacuité qui concerne le domaine de notre pratique spirituelle.
Si nous essayons de trouver, parmi les enseignements du Bouddha sur le sujet, lesquels sont les plus clairs, nous découvrons qu’à de nombreux moments, le Bouddha a dit qu’il fallait regarder le monde comme étant vide : « Vous devez considérer le monde comme vide. Si vous êtes capables de toujours être conscients de la vacuité du monde, la mort ne pourra pas vous rattraper. »
Ces paroles montrent bien que voir le monde comme étant vide est la pratique la plus élevée. Tous ceux qui voudront se libérer des problèmes concernant la souffrance et la mort devraient voir le monde – c’est-à-dire toute chose – tel qu’il est vraiment, autrement dit vide, sans « moi » ni rien qui appartienne à un « moi ». Ce que le Bouddha en conclut montre tous les bienfaits de cette pratique : « Le nibbāna [ou « nirvana », but ultime de la pratique bouddhique] est vacuité suprême » et : « Le nibbāna est le bonheur suprême ». Il apparaît clairement que le nibbāna, l’extinction absolue de la souffrance, est synonyme de « vacuité suprême ». Mais il apparaît aussi qu’il est possible de connaître une vacuité qui ne soit pas suprême, une vacuité qui soit, d’une certaine manière, déficiente ou fausse. La capacité à discerner la vérité doit être si impeccablement claire qu’il ne doit rester aucune trace de « moi » ou de « mien » pour qu’il s’agisse vraiment d’une vacuité suprême. La vacuité suprême est nibbāna parce qu’elle éteint définitivement les feux qui nous brûlent en mettant fin au tourbillon des phénomènes impermanents. Ainsi la vacuité suprême et l’extinction suprême de la souffrance ne font qu’un.
Quand à la phrase qui dit que le nibbāna est le bonheur suprême, n’oublions pas qu’il s’agit de mots appartenant au langage de la vérité relative. C’est une forme de persuasion censée encourager les gens à pratiquer puisque les gens ordinaires passent leur vie à rechercher le bonheur. Comme c’est tout ce qu’ils souhaitent, il est nécessaire de leur dire que le nibbāna est bonheur et même bonheur suprême mais, en réalité le nibbāna est bien plus grand que le bonheur et il va bien au-delà. Il est vacuité. On ne peut dire qu’il soit bonheur ou souffrance parce qu’il se situe au-delà de la souffrance et du bonheur que nous pouvons connaître d’ordinaire. Mais quand on s’exprime ainsi, les gens ne comprennent pas ; alors, on dit, dans le langage ordinaire, que le nibbāna est le bonheur suprême. Je tiens simplement à souligner que, quand nous utiliserons le mot « bonheur », il n’aura pas le sens qui lui est donné habituellement. Il s’agit d’un état vide de toute prolifération mentale, de toute forme d’impermanence car, tant qu’il y a du changement et de l’incertitude, comment pourrait-il y avoir véritable bonheur ? Il s’agit donc d’un état véritablement admirable, rafraîchissant et désirable.
Il faudra d’abord comprendre que les sensations de plaisir qui apparaissent au moment du contact d’un sens avec un objet extérieur sont illusoires, qu’elles ne sont pas le bonheur suprême. Le bonheur d’une personne ordinaire n’est pas le bonheur suprême du nibbāna, lequel est vacuité. Donc, quand vous entendez la phrase : « Le nibbāna est le bonheur suprême », n’allez pas en conclure aussitôt que le nibbāna est exactement ce que vous souhaitez, n’allez pas commencer à rêver en oubliant qu’il s’agit également d’une vacuité suprême.
Les paroles du Bouddha qui se réfèrent à la pratique concernant la vacuité sont au cœur même des enseignements bouddhiques : « On ne doit s’attacher à aucun dhamma [au sens large, le mot dhamma (au pluriel) regroupe tous les phénomènes de l’existence] ». Si on élargit un peu le sens, on pourrait dire : nul ne doit se saisir ou s’attacher à quoi que ce soit comme étant moi ou mien. « Nul » signifie tout le monde sans exception. « Se saisir ou s’attacher » signifie donner naissance au sentiment d’un moi. « Comme étant moi » se réfère au sentiment d’être une personne solide et durable ou une âme. « Comme étant mien » signifie s’emparer des phénomènes liés au sentiment d’un moi. Le Bouddha nous enseigne donc à n’avoir absolument aucun sentiment de « moi » ou de « mien » en lien avec quoi que ce soit, qu’il s’agisse du moindre grain de poussière ou d’une pierre précieuse, ou encore d’objets de désir sensoriel, et même, tout en haut de l’échelle, d’accomplissements spirituels. Rien, absolument rien, ne devrait être un objet d’attachement dont on se saisirait comme étant moi ou mien. Tel est le cœur des enseignements bouddhiques ; c’est le Bouddha lui-même qui l’a affirmé.
Il a dit qu’avoir entendu cette phrase – « On ne doit s’attacher à aucun dhamma » – c’est avoir entendu tous les enseignements ; qu’avoir mis cette phrase en pratique, c’est avoir accompli toutes les pratiques ; et qu’avoir recueilli les fruits de cette pratique, c’est avoir recueilli tous les fruits des enseignements. Vous voyez donc qu’il ne faut pas craindre d’avoir trop de choses à comprendre. Le Bouddha a bien dit que toutes les choses qu’il avait comprises étaient aussi nombreuses que les feuilles de la forêt mais que ce qu’il expliquait pour nous aider à trouver le nibbāna ne représentait qu’une simple poignée de feuilles. Cette « simple poignée » dont il parlait, c’est ce principe de ne pas se saisir ni s’attacher à quoi que ce soit comme étant soi ou sien.
Avoir entendu ces paroles, c’est avoir entendu tous les enseignements parce qu’elles contiennent à elles seules tous les sujets. Dans tous les sujets que le Bouddha a abordés, il n’y en a pas un qui ne traite de la souffrance et de l’élimination de la souffrance. La saisie et l’attachement sont la cause de la souffrance. Partout où il y a saisie et attachement, il y a souffrance. Notre pratique consiste à rendre la non-apparition de la saisie et de l’attachement définitive et permanente, de façon à ce que l’esprit soit vide à tout moment. C’est tout ce qu’il y a à faire. Tout est là.
« Cette
pratique regroupe toutes les pratiques ». Réfléchissez pour
voir s’il reste quoi que ce soit d’autre à pratiquer. Quand une
personne, quelle qu’elle soit, a l’esprit libre de toute forme de
saisie et d’attachement, qu’y a-t-il dans son esprit ?
Réfléchissez bien. Nous pouvons suivre le raisonnement pas à pas
depuis les Trois Refuges jusqu’à la conduite vertueuse, la
méditation de la concentration et de la sagesse, et puis encore
jusqu’aux réalisations de la Voie, à ses fruits et au nibbāna.
A ce moment-là, on a atteint le Bouddha, le Dhamma et le Sangha car
avoir l’esprit libre de tout obscurcissement et de toute
souffrance, c’est ne faire qu’un avec le cœur du Triple Joyau.
On a atteint tout cela sans avoir à réciter des psaumes et des
chants. Ces choses-là ne sont que des rituels, des cérémonies de
démarrage ; ce sont des choses extérieures qui ne pénètrent
pas jusqu’au Bouddha, au Dhamma et au Sangha qui sont en nous. Si,
à tout moment, une personne a l’esprit vide de saisie et
d’attachement au moi et au mien, ne serait-ce qu’un seul instant,
cela signifie que l’esprit a réalisé la vacuité. Il est pur,
rayonnant et paisible ; il ne fait qu’un avec le cœur du
Bouddha, du Dhamma et du Sangha. Ainsi, à chaque fois que notre
esprit est libre de cette façon, nous prenons vraiment refuge, nous
atteignons le Triple Joyau.
Parlons à présent de la générosité (dāna). Le sens des dons et des offrandes consiste à abandonner, à lâcher la saisie et l’attachement aux choses comme étant moi ou miennes. Ceux qui donnent dans l’espoir de recevoir une récompense encore plus grande – qui vont, par exemple, faire une petite offrande en espérant obtenir un château au paradis – ne font pas un don mais une transaction commerciale. Le don doit être fait sans rien attendre en retour ; c’est un abandon des choses auxquelles on est attaché et que l’on croit être moi ou miennes. A l’instant où quelqu’un a l’esprit libre du sentiment de moi et de mien, il fait l’offrande suprême car quand le moi lui-même a été abandonné, que peut-il rester ? Quand le sentiment de « moi » arrive à son terme, le sentiment de « mien » disparaît tout naturellement. C’est pourquoi, à l’instant où une personne a l’esprit vraiment vide de soi, quand le soi lui-même a été lâché, elle a développé le don à la perfection.
Passons maintenant à la conduite vertueuse (sīla).Celui dont l’esprit est vide, libre de toute saisie et de tout attachement à un moi (inexistant) et à des choses qui seraient siennes, est quelqu’un dont les actes et les paroles sont authentiquement et parfaitement vertueuses. Toute autre forme de conduite vertueuse n’est que parodie. Nous prenons la résolution de nous abstenir de ceci ou cela mais nous ne parvenons pas à la maintenir. C’est une parodie parce que nous ne savons pas comment nous libérer du moi et du mien, au départ. Comme on n’est pas libre du moi, il ne peut y avoir de conduite réellement vertueuse ou bien, s’il y en a, elle n’est pas maintenue tout le temps. Ce n’est pas la conduite vertueuse qui plaît aux Etres éveillés, seulement une moralité ordinaire qui connaît des hauts et des bas. Elle ne pourra jamais devenir transcendante. Par contre, quand l’esprit est vide, ne serait-ce qu’un court instant, ou s’il reste vide un jour ou une nuit, peu importe, pendant ce temps-là notre conduite est véritablement vertueuse.
En ce qui concerne la méditation de la tranquillité ou concentration (samādhi), un esprit vide est le samādhi suprême, la concentration de l’esprit la plus stable qui soit. Quand on médite dans l’effort et la lutte, ce n’est pas une véritable méditation, pas plus que se concentrer pour obtenir autre chose que le non-attachement aux cinq khandha [les cinq agrégats ou composants du corps et de l’esprit : forme corporelle, sensations, perceptions, volition et conscience sensorielle]. Il faut savoir qu’il y a la méditation juste et la méditation erronée. Seul l’esprit vide de saisie et d’attachement au moi et au mien, peut avoir la stabilité parfaite et authentique de la concentration juste. Celui qui a l’esprit vide, a la concentration juste.
Nous en arrivons à la sagesse (paññā). Il est clairement dit que connaître ou réaliser la vacuité, ou encore être la vacuité même, est la sagesse suprême car au moment où l’esprit est vide, il est suprêmement fin et sensible. Par contre, quand l’ignorance et la compréhension erronée des choses pénètrent l’esprit et l’enveloppent, créant saisie et attachement au moi et au mien, c’est la stupidité suprême. Si vous y réfléchissez, vous verrez facilement par vous-même très clairement que, quand ces attitudes erronées quittent l’esprit, il ne peut y avoir de stupidité. Quand l’esprit est débarrassé de la stupidité, vide du moi et du mien, il y a la connaissance parfaite ou sagesse. C’est pourquoi les sages disent que la vacuité et la sagesse – cette capacité de l’attention juste à discerner la vérité des choses – ne font qu’un. Ce n’est pas qu’elles soient semblables : elles sont une seule et même chose. La sagesse authentique ou parfaite est vacuité, absence de l’attachement stupide aux illusions. Une fois que l’esprit est débarrassé de l’ignorance, il découvre son état originel, le véritable esprit originel qui est sagesse, c’est-à-dire qu’il a la capacité de discerner la vérité des choses telles qu’elles sont réellement.
Nous donnons ici au mot « esprit » un sens spécifique, à ne pas confondre avec les 89 ou les 129 « esprits » mentionnés dans l’Abhidhamma. Ce que nous appelons le « véritable esprit originel », l’esprit qui ne fait qu’un avec la sagesse, se réfère à l’esprit qui est vide de saisie et d’attachement au soi. En fait, cet état ne devrait pas être appelé « esprit » du tout ; il devrait être appelé « vacuité » ; mais comme il a la capacité de connaître, nous l’appelons « esprit ». Différentes écoles lui donnent différents noms mais nous nous contenterons de dire que la véritable nature fondamentale de l’esprit est la sagesse, l’attention capable de discerner la vérité, l’absence de saisie et d’attachement. C’est donc dans la vacuité que se trouve la sagesse parfaite.
Venons-en maintenant aux réalisations de la Voie, à leurs fruits et au nibbāna. Il s’agit de niveaux de plus en plus élevés de vacuité qui atteignent leur sommet avec le nibbāna que l’on appelle la suprême vacuité. Vous pouvez donc voir maintenant que, depuis le moment où l’on prend refuge en passant par la générosité, la conduite vertueuse, la méditation et la sagesse, il n’y a rien d’autre que la vacuité, le non-attachement au soi. Même les réalisations de la Voie, leurs fruits et le nibbāna, ne peuvent dépasser la vacuité mais ce sont ses degrés les plus élevés, suprêmes.
Par conséquent, le Bouddha a dit qu’avoir entendu cet enseignement, c’est avoir entendu tous les enseignements ; l’avoir mis en pratique, c’est avoir fait toutes les pratiques ; et avoir récolté les fruits de cette pratique, c’est avoir récolté tous les fruits. Le sens du mot « vacuité » est un élément essentiel que vous devez essayer de garder à l’esprit.
A présent, voyons comment tous les phénomènes sont inclus dans le mot « dhamma ». Vous devez savoir clairement ce que vous dites quand vous employez ce mot. Les dhamma représentent toutes les choses existantes. Quand le Bouddha parle de « tous les dhamma », il évoque tous les phénomènes sans exception, qu’ils soient matériels, spirituels ou mentaux. Même s’il existait quelque chose en dehors de ces trois catégories, cette chose serait incluse dans le terme « tous les dhamma ». Je souhaite donc que vous compreniez bien que les mondes des objets matériels, toutes les sphères des objets matériels, sont des dhamma. L’esprit qui est conscient de tous les mondes est lui-même un dhamma. Si l’esprit et le monde entrent en contact, ce contact est encore un dhamma. Tout ce qui pourrait résulter de ce contact, que ce soit des sentiments d’amour, de haine, de rejet, de peur ou encore de sagesse, de vision claire des choses telles qu’elles sont réellement, toutes ces réactions sont toujours des dhamma. Justes ou fausses, bonnes ou mauvaises, ce sont toutes des dhamma. Si la sagesse donne naissance à diverses connaissances intérieures, ces connaissances sont des dhamma. Si ces connaissances conduisent à la pratique de la vertu, de la méditation ou de la sagesse ou à tout autre type de pratique, cette pratique est un dhamma. Quant aux résultats de la pratique – que l’on a regroupés sous le terme « les réalisations de la Voie, leurs fruits et le nibbāna » –, ils sont eux aussi des dhamma.
En résumé, toutes ces choses sont des dhamma. Ce mot englobe tout, depuis le monde des objets matériels jusqu’aux résultats de la pratique du Dhamma, les réalisations de la Voie, leurs fruits et le nibbāna. Il est dit que voir chacune de ces choses clairement, c’est voir « toute chose » et comprendre que rien de ce que le Bouddha a enseigné ne doit être saisi ni être un objet d’attachement. Ce corps ne peut pas être objet de saisie ou d’attachement, et encore moins l’esprit qui est une illusion encore plus grande. Le Bouddha a donc dit que, si l’on tient absolument à s’attacher à quelque chose comme étant soi, mieux vaut s’attacher au corps car il change plus lentement ; il n’est pas aussi trompeur que l’esprit.
Le mot « esprit » n’a pas le même sens ici que lorsque nous avons dit que l’esprit ne fait qu’un avec la vacuité. Il s’agit du mental, l’esprit tel que nous le connaissons d’ordinaire. Le contact entre cet esprit et le monde aboutit à différents sentiments d’amour, de haine, de colère, etc. Ce sont des dhamma auxquels il faut encore moins s’attacher qu’aux dhamma physiques car ils sont illusoires, nés d’un aveuglement à cause de tout ce qui obscurcit notre esprit. S’en saisir ou s’y attacher est extrêmement dangereux.
Le Bouddha a dit que même l’attention capable de discerner la vérité des choses ne doit pas être source de saisie ou d’attachement car elle est simplement un élément de la nature. S’y attacher ne fera qu’entraîner de nouvelles idées fausses : on croira qu’il y a une personne qui a cette capacité de sagesse, on croira que c’est « ma » sagesse. A cause de cet attachement, l’esprit sera alourdi et vacillera selon les changements qui se produiront ; ensuite la souffrance apparaîtra. La connaissance doit être simplement considérée comme connaissance. Si nous commettons l’erreur de nous y attacher comme étant nôtre, elle donnera naissance aux différents types d’« attachements aux rites et rituels » [le troisième des dix « empêchements » qui lient les êtres à la Roue de la naissance et de la mort] et nous souffrirons sans comprendre pourquoi.
Pratiquer le Dhamma, c’est pareil : c’est simplement pratiquer. Les résultats sont toujours proportionnels au degré de pratique effectuée – c’est une vérité de la nature. Si on s’en saisit, si on s’y attache comme étant moi ou miens, on tombe encore plus dans l’erreur, on crée un autre moi infondé, et on ressent de la souffrance exactement comme si on s’était attaché à quelque chose d’aussi grossier que le désir sexuel.
Quant à atteindre les réalisations de la Voie, leurs fruits et le nibbāna, ce sont des dhamma, ils font partie de la nature, ils sont comme ils sont. La vacuité elle-même fait partie de la nature. Si on s’en saisit, si on s’y attache, c’est un faux nibbāna, une fausse vacuité parce que le vrai nibbāna, la vraie vacuité, est insaisissable. C’est pourquoi il est dit que, lorsqu’on se saisit du nibbāna ou de la vacuité comme étant moi ou mien, on s’en éloigne immédiatement.
Tous ces exemples montrent qu’il n’existe absolument rien d’autre que des dhamma. Le mot dhamma est synonyme de « nature ». Cette interprétation coïncide avec l’étymologie du terme car, à l’origine, dhamma signifie « une chose qui se maintient toute seule ». Les dhamma sont divisés en deux catégories : ceux qui sont perpétuellement en mouvement et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui sont en mouvement, du fait d’une force qui les y pousse, maintiennent leur existence au sein même de ce mouvement ; autrement dit, ils sont le courant du changement lui-même. Quant à ce qui n’est pas en mouvement perpétuel, étant dépourvu des facteurs causaux nécessaires, c’est le nibbāna ou la vacuité. Il peut se maintenir sans changer ; autrement dit, c’est l’état même de non-changement.
Ceci dit, le type de dhamma qui est en perpétuel mouvement et celui qui ne l’est pas sont tous deux simplement des dhamma, des choses qui se maintiennent dans certains états. Il n’y a donc rien d’autre que la nature, rien d’autre que des éléments de la nature. Alors, comment de simples dhamma pourraient-ils être « moi » ou « miens » ? Dans ce contexte, dhamma signifie « nature », ce qui est naturel. On pourrait dire aussi que les dhamma sont tathatā : ils sont ce qu’ils sont et ne peuvent être autrement. Il n’y a que des dhamma. « Toute chose » signifie rien que des dhamma ; il n’y a pas de dhamma qui ne soit contenu dans « toute chose ».
Le véritable Dhamma, quel qu’en soit le thème, le niveau ou le type, est nécessairement vacuité, complètement vide de « soi ». Par conséquent, nous devons rechercher la vacuité en toute chose ou, comme nous le dirons pour simplifier, dans les dhamma. En termes de logique, voici nos équations :
On peut présenter cela de différentes manières mais ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’il n’y a rien d’autre qu’une nature vide. Nous ne devons nous attacher à absolument rien comme étant moi ou mien. Nous voyons ainsi clairement que la vacuité est la nature de toute chose. Ce n’est qu’en mettant fin à toutes les formes de pensée erronée que nous pourrons le discerner. Pour voir la vacuité, il doit y avoir paññā, une sagesse pure, libre de tous les obscurcissements mentaux.
Il y a une autre catégorie de dhamma: les dhamma de l’ignorance ou de la connaissance erronée, les réactions suite au contact entre l’esprit et le monde matériel. Comme il a été dit plus tôt, quand le dhamma esprit entre en contact avec le dhamma matérialité, une réaction se produit sous la forme d’une sensation et/ou d’une émotion. Suite à cette réaction, on a le choix entre suivre la voie de l’ignorance ou la voie de la vision claire. Cela dépendra des conditions extérieures et de la nature de ce groupe de dhamma. Le dhamma de l’ignorance n’est qu’un autre dhamma, la saisie et l’attachement à un moi et à un mien illusoires. Alors, n’oubliez pas qu’il ne s’agit que d’un dhamma. Sa véritable essence est vacuité.
L’ignorance est vacuité tout autant que la vision claire ou le nibbāna; ils sont tous également des dhamma. Si nous les considérons ainsi, nous serons constamment conscients du fait qu’ils sont vides de soi. Cependant, les dhammadu niveau de l’ignorance, même s’ils ne font qu’un avec la vacuité, peuvent encore causer l’apparition de l’illusion d’un moi. Nous devons donc être vigilants pour ce qui concerne les dhamma de la saisie, de l’attachement et de la vision fausse des choses – qui sont inclus dans l’expression « toute chose ».
Si nous avons une vision vraiment claire de toute chose, cet attachement plein d’ignorance ne se produira pas. Si notre vision n’est pas claire et que nous nous contentons de suivre aveuglément nos instincts animaux stupides et faussés, cela ouvrira encore et encore la porte aux dhamma de l’ignorance.
La saisie et l’attachement nous ont été transmis comme un héritage depuis des temps immémoriaux. Si nous regardons bien, nous verrons que ceux qui nous entourent nous ont seulement éduqués – intentionnellement ou pas – sur la voie de l’ignorance ; ils nous ont appris à nous attacher à un moi et à un mien. Jamais on ne nous a appris à voir qu’il n’y avait pas de soi. Les enfants ne reçoivent jamais cette forme d’éducation ; on leur parle toujours d’eux-mêmes en tant qu’individus séparés. A la naissance, l’esprit de l’enfant n’a pas le sentiment d’être un moi séparé ; il apprend cela plus tard, de son environnement. Dès qu’il ouvre les yeux ou qu’il devient conscient de quelque chose, on lui apprend à s’y attacher : mon père, ma mère, ma maison, ma nourriture ; même l’assiette dans laquelle il mange est « son » assiette et personne d’autre ne peut l’utiliser ! Ce processus involontaire – l’apparition d’une conscience d’un « moi » et son développement croissant – suit sa propre loi. Par contre, le contraire, le sentiment d’une absence de moi, n’apparaît jamais, de sorte qu’au moment où l’enfant est devenu adulte, il est plein d’attachements et de ces obscurcissements mentaux qui les ont causés. Pour lui, « moi » c’est la vie et la vie c’est « moi ». Or, quand l’instinct de s’attacher à un moi est devenu synonyme d’une vie normale, cette vie est inséparable de la souffrance ; elle est lourde et oppressante, étouffante, brûlante, perçante – elle présente tous les symptômes de la souffrance.
Il s’ensuit que, s’il y a saisie et attachement, même un attachement à ce qui est bon, il y a souffrance. Dans ce sens, ce que le monde considère comme bon est en réalité faux ou mauvais car le « bon » est également souffrance – une souffrance adaptée mais une souffrance tout de même – parce que l’esprit n’est pas vide, parce qu’il est encore perturbé. Ce n’est que lorsque l’esprit est vacuité et que l’on se trouve au-delà du bon et du mauvais, qu’il y a libération de la souffrance.
Par conséquent, le principe le plus important des enseignements bouddhiques, clairement exposé dans la phrase : « Il ne faut s’attacher absolument à rien », n’est autre que la complète élimination de toute saisie et de tout attachement aux choses comme étant soi ou siennes. Il n’y a rien au-delà de cela.
Quand nous sommes complètement identifiés à nos attachements, quand l’attachement et nous ne faisons vraiment qu’un, que pouvons-nous faire ? Qui peut aider l’esprit quand il est dans cet état ? La réponse à cette question est encore : rien d’autre que l’esprit. Il a déjà été dit qu’il n’y a rien d’autre que des dhamma : l’erreur est un dhamma, la vérité est un dhamma, la souffrance est un dhamma, l’extinction de la souffrance, l’outil qui met fin à la souffrance est un dhamma, l’esprit est un dhamma et le corps est un dhamma. Par conséquent, puisqu’il n’y a rien d’autre que des dhamma, la réponse se trouve nécessairement dans l’esprit lui-même, en s’appuyant sur un mécanisme qui lui est compatible.
Qu’il y ait mérite ou démérite, cela dépend de nous. Si le contact avec le monde mène à la sagesse, c’est du mérite. Si le contact avec le monde augmente la stupidité et les idées fausses, c’est du démérite.
Si nous observons bien les choses, nous voyons que tout le monde est né égal dans le sens que nous avons tous des yeux, des oreilles, un nez, une langue, un corps et un esprit, et que nous percevons tous des formes, des sons, des odeurs, des goûts, des sensations tactiles et des objets mentaux. Chacun d’entre nous a l’occasion d’être en contact avec ces choses-là et ce contact se produit de la même façon pour tous. Alors pourquoi y a-t-il cette division entre ceux qui suivent le chemin de la stupidité, du démérite et du mal, et ceux qui suivent la voie de la sagesse, du mérite et du bien ?
Il y a un côté positif aux mauvais dhamma. En effet, ils sont une réelle protection pour les gens dans la mesure où, quand on souffre, on apprend sa leçon et on s’en souvient. C’est comme l’enfant qui met sa main dans le feu : une fois qu’il s’est brûlé, il y a peu de chances pour qu’il recommence. Il est assez facile de lâcher les choses matérielles mais pour ce qui concerne la saisie et l’attachement, le désir, l’aversion et la pensée erronée, pour la plupart nous ne sommes même pas conscients de mettre la main dans ces brasiers-là. Au contraire, nous faisons l’erreur de les croire beaux et désirables, de sorte que nous n’apprenons pas notre leçon.
Il n’y a qu’un remède : être conscient de la véritable nature de ces dhamma, savoir que ces dhamma sont un brasier brûlant, que nous ne devons pas nous en saisir ou nous y attacher. C’est ce que signifie être sur la voie de la sagesse, apprendre sa leçon, se souvenir qu’à chaque fois que l’on se saisit de quelque chose comme étant moi ou mien, le feu est allumé. Ce n’est pas un feu qui brûle la main mais un feu qui consume le cœur et l’esprit. Parfois il brûle si profondément que nous ne sommes pas même conscients qu’il s’agit d’un feu ni qu’il brûle, et nous sombrons dans la masse incandescente du cercle de la naissance et de la mort. C’est le feu le plus brûlant qui soit, plus brûlant qu’un four électrique. Voilà ce qui peut nous arriver si nous n’avons pas l’attitude de l’enfant qui ne remet plus la main dans le feu après s’être brûlé une fois.
Le Bouddha explique que, lorsque les douloureuses conséquences de la saisie et de l’attachement sont vues, l’esprit relâche sa prise. La question est donc : avons-nous vu les douloureuses conséquences de la saisie ? Si ce n’est pas le cas, nous n’avons pas encore lâché prise et, si nous n’avons pas lâché prise, nous ne sommes pas vides. A une autre occasion, le Bouddha a enseigné qu’à chaque fois que l’on voit la vacuité, on trouve satisfaction dans le nibbāna. Ce n’est que lorsque l’on commence à voir la non-existence du soi que l’esprit apprend à trouver le contentement dans la sphère du nibbāna. Tout ce qui peut être connu par l’intermédiaire des sens et de l’esprit est appelé « sphère des sens ». Nous disons ici que le nibbāna est aussi une sphère parce qu’il est simplement un objet de connaissance. Comment pouvons-nous être assez stupides pour ne pas le voir ? Nous serons capables de le reconnaître dès que nous verrons l’état vide de soi car, en lâchant la saisie et l’attachement, nous aurons la satisfaction de la sphère du nibbāna. Mais c’est difficile car, comme je l’ai dit, notre vie est constamment occupée par l’attachement aux choses et, quand cet attachement ne diminue pas, il n’y a pas de vacuité et, par conséquent, pas de satisfaction dans la sphère du nibbāna.
Nous pouvons vérifier cela en jetant un regard sur d’autres religions. La notion de non-attachement au moi et au mien n’existe pas dans les autres religions – pourquoi ? Parce qu’elles parlent d’un moi dont on doit se saisir et auquel on doit s’attacher. Quand on n’y voit rien de faux, on croit que c’est juste ; en fait, atteindre le Soi devient le but de la religion. Dans les enseignements bouddhiques, au contraire, l’attachement à l’idée d’un moi est clairement considéré comme une vision fausse des choses, comme une stupide erreur de compréhension, et la pratique bouddhique consiste à complètement abandonner toute notion de ce genre. De fait, l’enseignement du non-soi ne se trouve que dans le bouddhisme. Contrairement aux écoles qui enseignent l’existence d’un soi auquel on doit s’attacher ou qu’il faut atteindre, nous enseignons la complète destruction de la conscience d’être un soi de façon à percevoir l’état du sans-soi, l’état vide de soi en toute chose.
Donc, seuls les bouddhistes parlent du non-soi. Cette connaissance et cette compréhension ne peuvent naître que chez ceux qui ont appris que tout est sans soi et qu’il ne faut s’attacher à rien. Si on apprend que le soi existe et qu’il faut s’y attacher, il n’y a aucune chance que l’on puisse pratiquer pour réaliser la non-existence du soi.
Par conséquent, nous devons bien comprendre que, tout comme il est nécessaire de voir le danger potentiel du feu pour craindre la brûlure, nous devons voir les dangers des choses qui sont les causes-racines de tous les feux – les feux du désir, de l’aversion et de l’ignorance, de la saisie et de l’attachement – pour, peu à peu, s’en lasser et souhaiter s’en détacher, pour être capable de lâcher prise sans vouloir allumer davantage de feux.
Nous arrivons ainsi au mot « vacuité » dont nous avons dit que, quand on l’a perçue, on trouve la satisfaction du nibbāna. Nous devons bien comprendre qu’à un premier niveau, la vacuité est l’absence d’un sentiment de moi et de mien. Si ces sentiments sont encore présents, l’esprit n’est pas vide, il est perturbé par la saisie et l’attachement. Pour bien fixer les idées, nous utiliserons les mots « vide » pour signifier libre de tout sentiment de soi ou de sien, et « perturbé » pour exprimer la confusion, le chaos mental lié au sentiment d’être un moi et de posséder des choses qui seraient miennes.
Quelles sont les caractéristiques de l’état libre du sentiment d’être un moi séparé ? Dans les Ecritures, on trouve un enseignement du Bouddha qui développe quatre points à ce sujet. La première paire est : 1/ le sentiment qu’il n’y a rien qui soit « moi », et 2/ être sans inquiétude ni doute que quoi que ce soit puisse être moi. La seconde paire est : 3/ le sentiment qu’il n’y a rien qui soit mien, et 4/ être sans inquiétude ni doute que quoi que ce soit puisse être mien.
Nous sommes conscients qu’il n’y a rien qui soit moi mais il peut parfois demeurer une crainte que quelque chose soit mien. Nous sentons qu’il n’y a rien qui soit mien mais nous ne pouvons pas nous empêcher de douter qu’il puisse, en fait, y avoir quelque chose. Il faut qu’il y ait une absolue clarté, une compréhension inébranlable que rien n’est soi, que rien ne justifie que nous nous inquiétions de l’existence d’un soi ; qu’il n’y a rien qui appartienne à un soi et rien qui justifie que l’on s’en inquiète ou que l’on en doute comme étant sien.
Dès que l’esprit est libéré de ces quatre choses, le Bouddha dit que l’on est dans la vacuité. Le commentaire le décrit de manière très concise : « Ne pas prendre les choses pour soi et ne pas prendre les choses pour siennes » – c’est suffisant. Essayez d’imaginer à quoi cela ressemblerait si cette conscience qui se saisit des choses et s’y attache n’était pas présente : on regarde tout en sachant que rien n’est, n’a été ou ne sera potentiellement soi ou sien. Il n’y a pas de soi dans le présent et aucune raison d’avoir peur d’un soi dans le passé ou l’avenir. L’esprit a réalisé la vacuité grâce à la vision claire qu’il n’y a absolument rien qui puisse remplir de sens les mots « moi » et « mien ». Tout est dhamma, simplement des éléments de la nature. Un tel esprit est identique à la vacuité. Si nous disons que l’esprit a atteint ou réalisé la vacuité, certains vont comprendre que l’esprit est une chose et la vacuité en est une autre. Dire que l’esprit en vient à connaître la vacuité n’est pas tout à fait correct. Je vous prie de bien comprendre que si l’esprit et la vacuité n’étaient pas une seule et même chose, il n’y aurait aucun moyen de connaître la vacuité. L’esprit dans son état naturel est vacuité. La stupidité qui l’habite et bloque la vision de la vacuité lui vient d’ailleurs. Par conséquent, dès que la stupidité s’en va, l’esprit et la vacuité sont un. A ce moment-là, l’esprit se connaît. Il n’a pas besoin d’aller ailleurs pour connaître des objets : il s’en tient à la connaissance de la vacuité, conscient seulement d’être libre du soi et de ce qui pourrait appartenir à un soi.
C’est cette vacuité qui est l’enseignement le plus élevé du Bouddha, au point qu’il dit qu’il n’y a pas de mots prononcés par lui qui ne concernent la vacuité. Dans ce discours du Samyutta Nikaya, le Bouddha dit que l’enseignement le plus profond doit traiter de la vacuité, que tous les autres sujets sont superficiels, et que le sujet de la vacuité est si profond qu’il faut qu’il y ait un Etre éveillé dans le monde pour qu’il soit enseigné.
Dans une autre section du même recueil, le Bouddha dit que la vacuité est toujours ce qu’il y a de plus bénéfique et de plus réconfortant pour les laïcs, pour tous les gens ordinaires qui peuplent ce monde. On y trouve une anecdote à propos d’un groupe de laïcs rendant visite au Bouddha. Ils lui demandent un enseignement qui serait éternellement bénéfique au bien-être des laïcs, « ceux qui ont une famille, s’habillent et se parfument ». En réponse, le Bouddha leur a donné cet enseignement sur la vacuité. Quand ils ont protesté que c’était trop difficile, il a prétendu baisser le niveau d’un cran en leur enseignant la pratique qui mène à l’entrée dans le courant, c’est-à-dire l’authentique réalisation du Bouddha, du Dhamma et du Sangha, et de la conduite vertueuse qui satisfait les Nobles Etres. En réalité, ils se sont fait piéger par le Bouddha et sont tombés dans le panneau. En termes modernes, on dirait qu’ils se sont fait avoir ! Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas de la vacuité, alors le Bouddha leur a donné à la place quelque chose qui ne pouvait éviter de passer par la vacuité, il a lancé le lasso qui les y conduisait tout droit. Car il n’y a qu’un seul moyen de vraiment réaliser le Bouddha, le Dhamma et le Sangha, et d’avoir une conduite vertueuse qui satisfasse les Nobles Etres : voir à tout instant la futilité de la saisie et de l’attachement.
Pensez-vous que le Bouddha avait tort en disant que la vacuité concerne les laïcs ? S’il avait raison, nous devons être complètement fous, de nos jours, complètement dans le faux, parce que nous croyons que la vacuité n’est pas faite pour ceux qui vivent dans le monde, qu’elle ne concerne que ceux qui ont orienté toute leur vie vers l’obtention du nibbāna – sans trop savoir ce que cela signifie. C’est ce que disent les gens mais le Bouddha, lui, voit les choses différemment ; il dit que la question de la vacuité est d’un bénéfice immédiat pour le bien-être des laïcs. Alors ? Qui a raison et qui a tort ? Si le Bouddha a raison, nous devons accepter d’approfondir la vérité de ses paroles et, pour ce faire, nous devons nous demander qui sont les gens qui souffrent le plus, dont l’esprit est le plus brûlé par les incendies et les fournaises. Ce sont les laïcs, bien sûr ! Dans ce cas, qui a le plus besoin d’aide pour éteindre ce feu, pour détruire la souffrance sous tous ses aspects ? Les laïcs, bien sûr ! Ceux qui sont pris dans l’incendie doivent chercher les moyens de l’éteindre, au milieu des flammes, parce qu’il n’y a nulle part ailleurs où aller : tout est en feu. C’est donc là, au beau milieu de l’incendie, que l’on doit trouver l’endroit où règne la fraîcheur absolue. Cet endroit est la vacuité, l’absence de soi et de choses appartenant à un soi.
Les laïcs doivent essayer de découvrir la vacuité et de vivre dans sa sphère. Si l’on n’est pas capable de vivre en son milieu, on doit au moins vivre dans son périmètre, en avoir une bonne connaissance – c’est censé être un éternel bienfait pour les laïcs.
Les personnes qui se sont adressées au Bouddha ont demandé ce qui leur serait d’un bénéfice éternel et le Bouddha a répondu : « Les dhamma dotés de vacuité transcendent le monde ». Transcender le monde, c’est transcender le feu. Etre doté de vacuité, c’est être libre de tout attachement aux choses comme étant soi ou siennes. Cet enseignement est donc un cadeau du Bouddha destiné aux personnes qui vivent dans le monde. C’est pourquoi je vous demande de considérer à nouveau à quel point il est nécessaire d’accorder votre attention au thème de la vacuité et de vous demander si ce n’est pas, au fond, le seul sujet qui vaille la peine d’être abordé. Dans le Samyutta Nikaya, le Bouddha affirme clairement que la vacuité est nibbāna et que le nibbāna est vacuité, libération des obscurcissements mentaux et de la souffrance. Par conséquent, le nibbāna est aussi un sujet qui concerne les laïcs. Si les laïcs ne connaissent pas encore le sens du mot nibbāna, s’ils ne se sont pas encore approchés de sa sphère, cela signifie qu’ils vivent au milieu d’un incendie et sont encore plus en danger que tous les autres.
Le sens du mot nibbāna s’étend, de toute évidence, jusqu’à l’absence de ces impuretés mentales qui sont la cause de toute souffrance. Ainsi, à chaque fois que notre esprit est vide de moi et de mien, c’est le nibbāna. Par exemple, en ce moment-même, tandis que vous êtes assis ici, je peux dire que tout le monde ou presque a l’esprit libre de toute notion de moi et de mien parce qu’il n’y a rien qui les fasse apparaître. Quand vous écoutez attentivement, vous ne laissez pas de place au sentiment de moi. Vérifiez tout de suite : voyez si l’esprit est effectivement vide de moi et de mien. S’il y a une certaine vacuité (je dis « une certaine » parce que ce n’est pas « la » vacuité mais un état fluctuant), c’est que vous êtes dans la sphère du nibbāna. Même si ce n’est pas le nibbāna absolu ou parfait, c’est tout de même le nibbāna.
Les choses ont un sens différent, des niveaux, des étapes. Le nibbāna est dans l’esprit de chacun d’entre vous dès l’instant où, à un certain niveau, vous êtes libres du sentiment de moi et de mien. Alors, je vous demande d’être conscients de cette absence de moi, de bien vous en souvenir, et de la garder quand vous rentrerez chez vous. Il se peut qu’en rentrant chez vous, vous ayez l’impression d’entrer chez quelqu’un d’autre ou qu’en vous activant à la maison, vous ayez l’impression d’aider quelqu’un d’autre à faire son travail. Ce sentiment va continuer à grandir et la souffrance qui était autrefois liée à la maison ou au travail disparaîtra. Vous demeurerez tout le temps dans un état libre de moi et de mien. Cela revient à porter constamment autour de votre cou le talisman du nibbāna ou de la vacuité [en Thaïlande on porte souvent des amulettes autour du cou pour porter bonheur et éloigner le mal]. C’est une protection contre toutes les formes de souffrance, de danger et de malheur. C’est l’amulette authentique du Bouddha ; tout le reste n’est que superstition.
Si je continue à parler comme cela, vous allez m’accuser d’essayer de vous vendre ma marchandise mais ne me prenez pas pour quelqu’un qui vante les valeurs du Bouddha sur la place publique. Voyez plutôt que nous sommes tous compagnons de misère dans la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort, et que nous sommes tous disciples du Bouddha. Si certaines choses sont dites pour stimuler votre intérêt, c’est avec une bonne intention. Ceux qui sont dotés de sagesse verront cela par eux-mêmes, sans avoir à me croire sur parole, et cette vision des choses leur ouvrira peu à peu les portes de l’approfondissement qui mène à la vérité ultime. Dans ce cas, nous devons étudier, à présent, la question des éléments (dhātu, en pāli).
Un « élément » est quelque chose qui est capable de se maintenir tout seul – exactement comme notre définition des dhamma. Comme les dhamma, les éléments changeants arrivent à se maintenir au travers même du changement, et les éléments non-changeants se maintiennent dans le non-changement.
Quelles sortes d’éléments connaissez-vous qui pourraient être liés à la vacuité ? Les étudiants en physique-chimie ne connaissent que les éléments matériels, les éléments purs qui sont un peu plus d’une centaine et que l’on continue à découvrir tout le temps. Il est impossible que ces éléments soient vacuité – ou du moins, il faudrait en donner une profonde interprétation pour arriver à les voir comme vides, parce que ce ne sont que des éléments matériels. Il existe aussi des éléments immatériels, des éléments du mental ou de la conscience, qui sont au-delà du champ de la physique et de la chimie. Il faut étudier la science du Bouddha pour pouvoir connaître les éléments immatériels, sans forme, qui relèvent du cœur et de l’esprit. Voilà donc déjà deux groupes d’éléments.
Dans quel élément trouvera-t-on ce que l’on appelle « la vacuité » ? Si quelqu’un dit que la vacuité est un élément matériel, ses amis riront de lui. Certains diront que c’est un élément immatériel et sans forme mais là, ce sont les Nobles Etres éveillés qui riront. La vacuité est un élément qui n’est ni matériel ni immatériel. Il y en a donc une troisième sorte : un élément qui n’est pas accessible aux personnes ordinaires et que le Bouddha a appelé « l’élément de l’extinction » – celui qui met fin à tous les autres éléments – ou « l’élément qui ne meurt pas ». Tous les autres éléments meurent, il est dans leur nature même de mourir. Par contre, l’élément de l’extinction n’est pas lié à la naissance et à la mort : au contraire, c’est l’extinction complète des autres éléments. La vacuité est ce qui vit dans cet élément, c’est pourquoi on peut aussi l’appeler « l’élément de la vacuité » ; elle est l’élément qui amène tous les autres éléments à la vacuité.
Si
vous voulez avoir une compréhension des éléments qui soit assez
bonne pour comprendre le Dhamma, c’est ainsi qu’il faut les
étudier. Ne croyez pas que connaître les éléments de la terre,
l’eau, l’air et le feu suffise – ce ne sont que des sujets
d’enfant. On en parlait déjà avant l’époque du Bouddha. Il
faut avancer jusqu’à l’élément de la conscience immatérielle,
l’élément de l’espace et enfin l’élément de la vacuité qui
est l’extinction complète de la terre, de l’eau, de l’air et
du feu, de la conscience et de l’espace. L’élément de la
vacuité est le plus merveilleux élément de tous les enseignements
bouddhiques.
Pour nous résumer : la terre, l’eau, l’air
et le feu font partie des éléments matériels. L’esprit, la
conscience et les processus mentaux font partie des éléments
immatériels. Quant au nibbāna, cet élément de la vacuité,
il fait partie des éléments de l’extinction. Vous devez prendre
le temps de réfléchir tranquillement à tous les éléments jusqu’à
voir clairement qu’ils sont tous résumés là. C’est alors que
vous commencerez à découvrir l’élément du nibbāna et à
mieux comprendre le non-soi et la vacuité dont nous parlons ici.
Nous pouvons donc établir le principe suivant : dans la saisie et l’attachement au moi et au mien, il y a des éléments matériels et immatériels et, en leur absence, il y a l’élément de l’extinction. A contrario, on peut dire que, si l’élément de l’extinction pénètre dans l’esprit, on ne voit que la vacuité : cet état libre de moi et de mien se manifeste clairement. Si un autre élément pénètre l’esprit, on le verra en tant que forme, nom, objet visible, son, odeur, goût, objet tactile, sensation, souvenir, pensée, conscience, etc. – tout cet amas de confusion qui joue un rôle dans l’apparition et la disparition des phénomènes, et que l’on va soit aimer, soit rejeter.
En effet, nous avons deux états d’esprit dominants : la satisfaction et l’insatisfaction. Nous ne sommes habitués qu’à ces deux là. On nous a appris à nous préoccuper d’acquérir ce qui nous paraît désirable, et à détruire ou échapper à ce qui nous paraît désagréable. C’est une perturbation incessante qui ne permet jamais à l’esprit d’être vide. Pour que l’esprit soit vide, nous devons aller au-delà, dépasser tous les éléments perturbateurs, et venir nous placer au cœur de l’élément de la vacuité.
Pour parler des différentes propriétés des divers éléments, le Bouddha les a aussi divisés en trois autres catégories. Il a parlé de « l’élément du renoncement » comme étant la cause du retrait du monde de la sensualité. Ensuite vient « l’élément immatériel » qui est la cause du retrait du monde matériel. Troisièmement « l’élément de l’extinction » qui est le retrait du monde conditionné.
Voir l’élément du renoncement, c’est être capable de se retirer du monde de la sensualité car c’est son contraire. Ne pas être consumé par le feu de la sensualité, c’est être dans l’élément du renoncement. L’esprit qui se retire du monde des désirs des sens contient l’élément de renoncement.
Les personnes capables de se libérer des désirs les plus grossiers de la sensualité, s’attachent souvent aux choses belles et agréables qui sont, certes, plus raffinées mais qui relèvent toujours du monde matériel. C’est le cas, par exemple, des grands yogis qui demeurent attachés aux plaisirs de la méditation profonde. Sur un plan plus ordinaire, nous voyons des personnes âgées se passionner pour les antiquités ou les plantes rares. Bien que ces choses ne soient pas liées à la sensualité la plus grossière, elles sont un piège encore plus dangereux parce que les personnes qui y sont tombées sont incapables d’en sortir – de renoncer à leur forme de plaisir matériel.
A quoi d’autre risque-t-on de s’attacher quand on arrive à se libérer de l’attachement au monde matériel ? On va s’attacher aux choses conditionnées qui sont plus élevées, c’est-à-dire aux phénomènes positifs. Inutile de parler ici des choses qui font du mal – personne n’en veut ! Parlons plutôt du développement des qualités et des actions vertueuses dont on espère qu’elles nous vaudront une renaissance dans un royaume céleste. Les gens en rêvent ! Mais naître dans un royaume céleste, c’est encore être dans un état conditionné. Nous sommes tous tellement prisonniers de l’idée d’être ceci ou cela et de posséder telle ou telle chose ! Etre le « moi » d’un animal n’est pas intéressant, alors nous voulons un moi humain. Quand nous voyons qu’être humain n’est pas facile, nous voulons devenir un être céleste. Si ce n’est pas satisfaisant, nous voulons devenir une divinité ou même le roi des divinités ! Mais, dans tout cela, il y a un moi, il y a des éléments conditionnés à l’œuvre. Seule la découverte de l’élément de l’extinction nous permettra de nous retirer du monde conditionné.
L’élément de l’extinction est donc l’élément ultime. C’est l’extinction complète du moi et du mien. Si cette extinction est absolue et finale, on devient un Arahant, un être libéré, éveillé. Si elle est incomplète, on atteint l’Eveil à un degré moindre car il reste une trace d’ego ; ce n’est pas la vacuité ultime.
Pour nous résumer : nous devons bien connaître les éléments, les véritables constituants de tous les phénomènes. Je vous demande de les comprendre en fonction du principe majeur selon lequel il y a les éléments avec forme ou éléments physiques, les éléments sans forme ou éléments immatériels, et l’élément qui est l’extinction des éléments avec et sans forme. Nous pouvons affirmer avec confiance qu’il n’existe rien en dehors de l’étendue de ces trois mots.
Nous sommes en train d’apprendre la science du Bouddha, la science qui inclut les sphères physiques, mentales et spirituelles. Elle nous permet d’avoir une connaissance pleine et entière de tous les phénomènes, de sorte que nous n’aurons plus envie de nous en saisir. Tel doit être pour nous le sens de la vacuité.
Pour améliorer encore la compréhension de la vacuité, je vais développer encore quelques points. Dans l’un de ses discours, le Bouddha dit que la vacuité est la demeure du Grand Etre. Le Grand Etre n’a pas un esprit vagabond et agité qui tourne dans tous les sens comme le fait l’esprit d’une personne ordinaire. L’esprit du Grand Etre demeure dans la vacuité, avec la vacuité ; il est la vacuité même. C’est ainsi que la vacuité est la demeure ou le temple du Grand Etre, c’est-à-dire du Bouddha et des Eveillés. Dire que la vacuité est leur demeure signifie qu’ils y vivent et qu’ils la respirent.
Le Bouddha a déclaré qu’il avait vécu sa vie dans la demeure de la vacuité. Quand il enseignait le Dhamma, son esprit était vide de moi et de mien. Quand il allait quêter sa nourriture ou accomplissait ses tâches quotidiennes, son esprit était vide. Quand il se reposait ou se détendait, il demeurait vide de moi et de mien. C’est pourquoi il a pu affirmer à son disciple Sariputta qu’il avait passé sa vie dans la demeure de la vacuité.
Nous ne parlons pas ici d’une personne ordinaire non éveillée mais du Grand Etre, du Bouddha : comment il a vécu et dans quelle demeure il a résidé. Si vous voulez voir la demeure du Bouddha, n’allez pas croire qu’il s’agit d’une construction de briques et de mortier quelque part en Inde ; évoquez plutôt cette demeure appelée vacuité. Elle est suprêmement vide.
La vacuité suprême n’est pas le sentiment fugace que vous pouvez avoir assis ici et qui aura disparu avant que vous soyez rentrés chez vous. La demeure de la vacuité, c’est la vacuité ultime, c’est pourquoi on lui donne un autre nom en pāli, un nom assez long qui signifie « vacuité suprême insurpassable ». L’esprit rayonne de pureté car il est totalement libéré de tous les poisons du mental. C’est l’état naturel, non forcé, des Arahants.
Il y a un état intermédiaire où l’esprit concentré, libre de toute image, atteint la même pureté, sans aucun des poisons du mental, mais ce n’est pas un état définitif : à partir de là, on peut soit régresser, soit passer à l’état de vacuité suprême ultime. Si nous voulons devenir de véritables adeptes, nous devons être capables d’atteindre cet état-là. Même si nous ne mettons pas un terme définitif aux poisons du mental, cela nous en libèrera au moins temporairement. Ce sera un aperçu sur le monde du Bouddha et des Arahants qui donnera un regain d’énergie à notre pratique. Car ce que l’on appelle vacuité, Eveil ou nibbāna peut, soit être atteint complètement et définitivement, soit être l’état temporaire et incertain que nous, êtres ordinaires, pouvons connaître. Il y en a même une troisième sorte qui se produit, suite à une coïncidence. Parfois, quand les circonstances sont particulièrement porteuses, l’esprit peut demeurer dans la vacuité pendant une heure ou deux. L’important est que nous soyons déterminés à pratiquer au mieux de nos capacités pour libérer notre esprit.
L’expression « vacuité suprême insurpassable » employée par le Bouddha signifie la complète destruction de l’avidité, de l’aversion et des idées fausses sur la réalité des choses. La complète destruction aussi de la saisie et de l’attachement à un moi et un mien. Cette expression est donc synonyme d’un complet lâcher-prise.
Si nous levons progressivement notre regard jusqu’au sommet de la vacuité, nous comprendrons ses niveaux intermédiaires.
Le premier niveau est, en termes techniques, « la perception de la forêt ». Si nous vivons dans un lieu bruyant où règne la confusion, nous pouvons imaginer que c’est une forêt silencieuse dans laquelle nous pénétrons. Nous la ressentons comme un lieu paisible, vide de tout bruit gênant. Le simple fait d’imaginer cette forêt est déjà une sorte de vacuité – mais une vacuité qui est un jeu d’enfant.
Au-dessus de ce niveau, il y a « la perception de la terre ». Nous prenons conscience que tous les phénomènes ne sont que l’élément terre sous différentes formes. Cette perception peut parvenir à éradiquer tout désir de plaisirs sensoriels liés aux formes visibles, aux sons, aux parfums, aux saveurs et aux contacts. C’est quelque chose que les jeunes devraient essayer de faire.
Pour continuer à nous élever, nous devons créer « la perception de l’espace infini », le sentiment qu’il n’y a rien d’autre que l’espace infini. L’espace est, en effet, une sorte de vacuité mais ce n’est pas la véritable vacuité. La véritable vacuité est d’un ordre plus élevé que l’espace vide. Il n’est pas nécessaire de vous inquiéter de cette sorte de vide. Soyez plutôt attentifs au niveau plus subtil de la vacuité, comme celui grâce auquel on crée la perception qu’il n’y a rien d’autre qu’une infinie conscience. C’est l’élément de « la perception de la conscience infinie ».
Si on s’élève plus haut encore, on atteint la sorte de vacuité par laquelle nous créons mentalement le vide absolu ; nous ne permettons pas à l’esprit de se poser sur quoi que ce soit : nous le fixons sur le vide. Il reste cependant le sentiment qu’il y a le vide.
Un degré plus haut permet d’arriver à « la perception sans perception ». On dit que, dans cet état, on ne se sent ni vivant ni mort. Dire qu’il y a perception serait faux ; dire qu’il n’y a pas de perception serait faux aussi. On ne peut mettre une étiquette sur cette expérience ni l’interpréter. Il y a conscience sans perception. C’est tellement subtil que dire d’une personne qui est dans cet état qu’elle est vivante serait faux et dire qu’elle est morte serait faux. Cela aussi, c’est une sorte de vacuité.
Ces six niveaux de vacuité ne sont pas identiques à la suprême vacuité insurpassable. Le Bouddha en a parlé simplement pour démontrer les divers degrés de vacuité mais aucun d’entre eux ne constitue la vacuité qui est la demeure des Grands Etres. Ce sont les formes de vacuité que recherchaient déjà les yogis bien avant le Bouddha mais, les ayant découvertes, ils restaient bloqués là, incapables d’aller au-delà. Puis le Bouddha a trouvé la véritable vacuité qui est la demeure des Grands Etres, la vacuité suprême insurpassable dont j’ai parlé.
Les Commentateurs des Ecritures bouddhiques appellent les expériences de vacuité « contact avec la vacuité » (suññataphassa). Nous connaissons le contact sensoriel qui se produit entre les yeux et les objets visibles, les oreilles et les sons, etc. mais nous n’avons jamais eu de contact avec la vacuité parce que nous ne connaissons que les éléments matériels et immatériels ; nous ne savons rien de l’élément de l’extinction.
Quand nous commencerons à connaître l’élément de l’extinction, nous ressentirons quelque chose de nouveau, ce que les commentateurs appellent le contact avec la vacuité. « Contact avec la vacuité » est un autre nom pour désigner l'Octuple Sentier quand celui-ci est pleinement vécu au point de vraiment détruire les poisons du mental. Quand on a développé sa pratique au point où les obscurcissements mentaux disparaissent, il y a contact avec la vacuité. C’est comme toucher le vide de nos mains ; notre esprit entre en contact avec la vacuité.
Le vide en tant que contact est lié au Noble Sentier pour celui qui voit de plus en plus clairement qu’il n’existe ni moi ni mien, qu’il n’y a que des dhamma et des processus naturels (anattānupassanā). Si le Noble Sentier est de cette nature, on dit qu’il est vacuité, et tout contact se produisant sur ce Sentier est appelé « contact avec la vacuité ». La claire vision qu’il n’y a ni moi ni mien est la cause de ce contact ; c’est aussi la conséquence de la claire vision de la souffrance (dukkhānupassanā). Voir clairement la souffrance, c’est comme avoir essayé une fois de mettre la main dans le feu et compris que c’est une chose à ne pas faire ; ou encore savoir qu’on ne doit se saisir d’aucun dhamma ni s’y attacher, faute de quoi, dès que l’on s’en saisira, il se transformera en feu. Si, sur le plan spirituel, nous voyons clairement que le feu brûle et consume, qu’il étouffe, enveloppe, perce et emprisonne, nous avons la claire vision de la souffrance.
A ce stade, nous devons prendre en compte le fait que certaines personnes disent que, si on n’a pas soi-même atteint le nibbāna, on ne peut rien en connaître, de même que, si on n’a jamais voyagé dans un certain pays, on ne peut pas l’avoir vu. Mais le nibbāna n’est pas quelque chose de matériel ; il relève de l’esprit et du cœur. Comme je l’ai dit, pour la plupart, en cet instant, votre esprit est vide et c’est déjà un avant-goût de la vacuité. Développez bien cette vision des choses.
Dans les Ecritures, il est dit, à propos des Fondements de l’Attention, dans la section dédiée à l’observation des phénomènes mentaux (cittānupassanā) où il est question d’observer l’esprit de très près : « Si l’esprit est envahi par le désir sensuel, on en est conscient ; si l’esprit est dominé par l’aversion, on en est conscient ; si l’esprit est dans la confusion mentale, on en est conscient ; si l’esprit est abattu, on en est conscient ; si l’esprit n’est pas abattu, on a conscience qu’il n’est pas abattu ; si l’esprit connaît la Libération, on en est conscient ; si l’esprit n’est pas libéré, on est conscient qu’il n’est pas libéré. »
Si l’esprit est libéré, il est vide ; s’il n’est pas libéré, il n’est pas vide. Alors regardons notre esprit : il est soit libéré, c’est-à-dire vide de tout, soit attaché à quelque chose, dans la saisie. Dès le tout début de la pratique, le Bouddha nous enseigne qu’il faut être conscient de l’esprit qui est vide ou libéré. C’est quelque chose qui doit être vu de l’intérieur, pas quelque chose que l’on doit déduire après avoir lu des livres.
Le nibbāna ou la vacuité est là, sous nos yeux, même quand nous ne sommes pas encore éveillés. Il y a la vacuité qui apparaît spontanément, comme en ce moment, quand les circonstances s’y prêtent. Si nous concentrons correctement notre esprit de façon à ce qu’il soit complètement détendu et paisible (davantage, pourrait-on dire, que lorsqu’il ressent un plaisir ordinaire), il s’agit d’une forme de libération par suppression. Donc, même sans la Libération ultime que peut connaître l’Arahant, nous pouvons avoir un aperçu de vacuité que nous pouvons examiner – un échantillon des denrées du Bouddha ! Si cela vous intéresse, vous pouvez trouver ces aperçus en vous.
Par conséquent, vous devez pratiquer les Quatre Fondements de l’Attention étape par étape, développer la contemplation du corps, des sensations, de l’esprit et des objets de l’esprit. Cela vous donnera un goût de la vacuité du début jusqu’à la fin. Pour finir, vous comprendrez la vacuité en voyant les douloureuses conséquences de la saisie et de l’attachement. A ce moment-là, l’esprit se tournera immédiatement vers la sphère du nibbāna pour trouver satisfaction.
Nous sommes ainsi en mesure de voir la vacuité en permanence avant d’en atteindre son niveau le plus élevé. Il y a une progression qui suit sa propre loi ou la loi même de la nature. Quand on comprend bien quelque chose par soi-même, la connaissance qui en résulte est solide. Elle ne varie pas comme une compréhension erronée ou comme une connaissance acquise de quelqu’un d’autre.
Nous n’avons pas grand-chose à faire pour nous rendre heureux ; il n’y a rien de très compliqué. Tout ce que nous avons à faire, c’est libérer notre esprit de l’avidité, de l’aversion et des idées erronées ; ou, en d’autres termes, le vider de la saisie et de l’attachement au moi et au mien. Quand l’esprit est libéré de l’avidité, de l’aversion et des idées erronées, il est véritablement vide et toute souffrance cesse. Le kamma lui-même finira par cesser.
Dans l’Anguttara Nikaya, le Bouddha déclare que, lorsque l’esprit est libéré de l’avidité, de l’aversion et des idées erronées, vide du « moi » et du « mien », le kamma cesse de lui-même. Cela signifie que le kamma, son résultat et les obstacles mentaux qui sont la cause de la création du kamma, cessent spontanément et simultanément. Nous ne devons donc pas avoir peur du kamma, peur de devoir subir la loi de notre kamma. Inutile de trop nous préoccuper du kamma ; intéressons-nous plutôt à la vacuité. Si nous parvenons à créer la vacuité par rapport au moi et au mien, le kamma se désintègrera complètement et nous n’aurons absolument pas à suivre sa loi.
C’est précisément pour cette raison que quelqu’un comme Angulimala [étudiant devenu assassin pour obéir à un faux maître] a pu devenir un Arahant. Ne croyez pas, comme beaucoup, que la réponse du Bouddha à Angulimala – « Je me suis déjà arrêté ; c’est toi qui ne t’es pas arrêté » – signifie qu’Angulimala ne s’était pas encore arrêté de tuer des gens et qu’il est devenu un Arahant quand il a cessé de tuer. Cette interprétation est tout à fait fausse. Quand le Bouddha a utilisé le mot « s’arrêter », il faisait allusion à l’arrêt de la croyance en un moi et un mien, à l’arrêt de la saisie et de l’attachement ou, en d’autres termes, à la vacuité. C’est la vacuité qui est arrêt, et c’est la seule forme d’arrêt qui pouvait transformer le bandit Angulimala en un noble Arahant. S’il s’était agi de s’arrêter de tuer, pourquoi tous les gens qui ne sont pas des assassins ne seraient-ils pas éveillés ? C’est parce que la cessation, le véritable arrêt, est la vacuité. Quand il n’y a plus de soi pour demeurer quelque part, pour aller et venir quelque part, ou pour faire quoi que ce soit, c’est le véritable arrêt. Tant qu’il y a un soi, on ne peut pas s’arrêter.
Vous devez donc comprendre que le mot « vacuité » est synonyme de « s’arrêter », le mot par lequel le Bouddha a pu éveiller Angulimala, alors même que les mains de l’assassin étaient encore rouges de sang et qu’autour de son cou pendaient les 999 doigts de ses victimes. Pour que le kamma cesse de lui-même, pour atteindre le point d’arrêt, nous devons nous appuyer sur ces simples mots – « vide de moi et de mien » – et ne pas nous saisir des choses ni nous y attacher.
Toute cette longue explication a pour but d’élucider le mot « vacuité ». Etre vide ou libéré des obscurcissements du mental, c’est être vide du sentiment de moi et de mien. A partir de là, la vacuité, qui est libération de la souffrance, est assurée car être vide d’obscurcissements mentaux, c’est être vide de souffrance. Etre simplement vide de moi et de mien, c’est être vide de toute chose. Cet état de vide n’est pas l’élément de la terre, de l’eau, du feu, de l’air, de l’espace, etc. Le Bouddha l’a clairement démenti. C’est seulement l’élément de l’extinction, l’absence de moi et de mien, l’extinction du kamma, des obscurcissements mentaux et de la souffrance.
Le dernier point que nous devons considérer est que, comme il a été dit au début, la vacuité existe en relation à toute chose. N’oublions pas que « toute chose » signifie les dhamma et que les dhamma ne sont autres que la nature ou « ce qui est » ; ils sont déjà vides de soi et de sien. Les dhamma de la bêtise, des idées erronées et de l’ignorance émergent continuellement parce que notre culture et la façon dont nous vivons encouragent les dhamma de l’ego et de la non-connaissance, et non les dhamma de la connaissance. En conséquence, nous subissons la punition de notre « péché originel », notre action inconsidérée, continuellement et automatiquement, depuis qu’elle se produit, sans jamais apprendre notre leçon. Les jeunes n’en sont pas conscients ; les moins jeunes n’en sont pas conscients, et nombreux sont les plus âgés qui ne s’en rendent pas compte non plus. Nous devrions au moins en prendre conscience à l’âge adulte ou à la vieillesse pour pouvoir échapper à la punition, nous envoler de la cage de la naissance et de la mort, pour atteindre ce lieu de clarté et d’espace illimité.
Quand les enseignements bouddhiques se sont propagés en Chine, les Chinois de l’époque furent assez intelligents et sages pour les accepter. Sont alors apparus les enseignements de grands maîtres comme Hui Neng et Huang Po dont les explications de l’esprit et du Dhamma, du Bouddha, de la Voie et de la vacuité étaient très concises. Une phrase-clé a alors émergé : l’esprit, le Bouddha, le Dhamma, la Voie et la vacuité ne sont qu’une seule et même chose. Cette phrase suffit ; inutile d’en dire davantage. Elle équivaut à tous les écrits. Pourtant, il s’agit d’une phrase que ceux d’entre nous qui étudient et pratiquent à l’ancienne n’ont aucun moyen de comprendre. Nous devrions en être quelque peu honteux. Les Chinois ont également dit que « la vacuité est toujours présente par nature mais nous ne la voyons pas ». Je peux le prouver en disant, une fois de plus, qu’en cet instant, tous ceux qui sont assis ici ont un esprit vide par nature mais, non seulement vous ne le voyez pas mais vous refusez d’accepter qu’il s’agit bien de vacuité.
Huang Po a mis en garde ses disciples. Il leur a donné l’image de quelqu’un qui aurait un diamant fixé à son front sans le savoir et qui, pour le trouver, parcourrait la terre et même les autres mondes, offrant un sou dans l’espoir d’aller au paradis et de satisfaire tous ses désirs. Sans voir ce qui est fixé à notre front, nous cherchons dans le monde entier ou même au-delà. Alors, je vous prie de bien regarder, ne serait-ce qu’un instant, pour voir ce qui est sur votre front et découvrir comment poser vos mains dessus.
Quand ils parlent de la façon dont on peut s’emparer du diamant, les paroles des maîtres chinois sont encore plus profondes : « Il n’y a rien à faire. Soyez simplement tranquilles [immobiles et silencieux] et l’esprit se videra de lui-même ». Cette phrase : « Soyez simplement tranquilles. Il n’y a rien à faire » a plusieurs significations. Notre esprit est dissipé et joueur. L’esprit s’évade par les yeux, les oreilles, le nez, la langue et le corps ; il récupère des objets des sens et, une fois qu’il les a intériorisés, il est assez bête pour permettre aux dhamma de l’ignorance de diriger la barque, de sorte qu’il n’y a rien d’autre que saisie et attachement au moi et au mien. Cela, c’est être dissipé, refuser d’être tranquille.
« Etre tranquille » signifie ne pas laisser les objets des sens pénétrer dans l’esprit, se contenter de les laisser mourir comme les vagues sur la rive. Par exemple, quand les yeux voient une forme, s’il n’y a que « le voir », cela s’appelle ne pas autoriser l’entrée des formes visibles dans l’esprit – et il en va de même pour les autres organes des sens. Si vous n’y parvenez pas et que des sentiments de satisfaction ou d’insatisfaction apparaissent, arrêtez à ce moment-là ! Ne permettez pas que se développent des désirs basés sur cette réaction. Si les choses s’arrêtent là, il est encore possible d’être tranquille. Par contre, si nous agissons pour prolonger un sentiment de satisfaction, à cet instant même, le moi et le mien apparaissent. Et si nous agissons en réaction à un sentiment d’insatisfaction, c’est la souffrance qui apparaîtra. Cela, c’est ne pas être tranquille.
Donc « être tranquille » dans le sens où l’entend Hui Neng, correspond à la pratique enseignée par le Bouddha : voir que l’on ne doit s’attacher absolument à rien comme étant moi ou mien. Si nous ne devons nous attacher absolument à rien, à quoi peut bien servir de nous agiter et de créer la confusion en courant derrière les choses qui nous perturbent au lieu de simplement être tranquilles ?
Nous devons rechercher cette vacuité qui est véritablement digne de notre aspiration. Dire qu’il existe une sorte de vacuité qui entraîne la cessation, la pureté, la clarté et la paix, c’est encore parler en termes conventionnels. A la vérité, il n’y a rien d’autre que la vacuité ; il n’y a que cette unique chose et elle n’est la cause de rien d’autre. Elle est Bouddha, elle est Dhamma, elle est Sangha, elle est la Voie ; elle est pureté, clarté et paix. Tout cela est présent dans la vacuité. Si nous continuons à dire que la vacuité est cause de ceci ou de cela, c’est la preuve que nous n’avons pas atteint la vacuité suprême car, si on atteint le suprême, on n’a rien à faire. Si on est tranquille, le Bouddha, le Dhamma, le Sangha, la pureté, la clarté, la paix, le nibbāna… tout sera présent dans cet état immuable.
Huang Po utilisait une méthode très simple pour apprendre aux gens difficiles à reconnaître la vacuité : il leur donnait une devinette à résoudre. Par exemple : « Regardez l’esprit d’un enfant avant qu’il soit conçu ». Je voudrais vous proposer à tous cette devinette. Regardez l’esprit de l’enfant : avant que l’enfant ne soit conçu, où est son esprit ? Si vous trouvez la réponse, vous pourrez facilement trouver la vacuité, exactement comme si vous vous empariez de ce qui est déjà là, sur votre front.
Conclusion
Pour nous résumer, ce sujet de la vacuité couvre tous les enseignements bouddhiques car le Bouddha respirait la vacuité. La vacuité est à la fois la connaissance théorique, la pratique et le fruit de la pratique. Si on étudie quoi que ce soit, on doit étudier la vacuité ; si on pratique, ce doit être pour les fruits de la vacuité ; et si on reçoit les fruits, ce doit être la vacuité, de sorte qu’en fin de compte, on atteint ce qui est suprêmement désirable. Il n’y a rien au-delà de la vacuité. Quand on la réalise, tous les problèmes cessent. Elle n’est pas au-dessus, elle n’est pas au-dessous, elle n’est pas quelque part. Je ne sais pas quoi d’autre en dire, alors mieux vaut que je me taise ! Disons simplement que la vacuité est le bonheur suprême.
Vous devez cependant veiller à comprendre correctement le sens de ces phrases : « Le nibbāna est le bonheur suprême » et « Le nibbāna est la vacuité suprême ». Il ne faut pas croire que le mot « bonheur » ici équivaut au bonheur que vous avez déjà pu ressentir – comme cette école religieuse, avant l’époque du Bouddha, qui croyait que le nibbāna était le summum du plaisir sensuel, ou d’autres écoles qui considèrent les états raffinés de méditation comme le bonheur suprême. Le Bouddha souhaitait que nous nous retirions complètement de ces choses-là, que nous utilisions l’élément du renoncement comme l’outil qui permet de se retirer de la sensualité ; que nous utilisions l’élément de l’immatérialité comme l’outil qui permet de se retirer des absorptions méditatives sur le plan subtil ; et finalement, que nous utilisions l’élément de l’extinction comme l’outil qui permet de se retirer de tout ce qui est conditionné. Ainsi, tous les multiples types de confusion mentale convergent dans la vacuité.
Que vous compreniez cela ou pas, que vous le pratiquiez ou pas, c’est votre affaire. Mon devoir est seulement d’expliquer les choses telles qu’elles sont. La connaissance, la compréhension et la pratique sont le devoir de chacun de vous.
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui.