L’Attention au Corps

 Bhante Henepola Gunaratana


Retranscrit par Emmanuel Mancuso et traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Ces pages sont le fruit de la transcription et de la traduction d'enseignements donnés par Bhante Gunaratana lors d'une retraite au Centre Kanshoji, en mai 2007.

La forme orale, avec ses imperfections et ses répétitions, a été maintenue pour que le texte bénéficie de son authenticité d’origine, et pour que la générosité, la bonté et l’humour de Bhante Gunaratana transparaissent autant que possible à travers ces lignes.

Puisse le fruit de ce travail bénéficier à tous ceux qui le liront.

Les traducteurs

(cet enseignement est le septième et dernierde la série,

lire les autres enseignements: ICI )

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Bonjour à tous. Je voudrais continuer nos entretiens sur la méditation de l’attention. Ces derniers jours, j’ai parlé de différents aspects de l’entraînement. Aujourd’hui je voudrais poursuivre en abordant le développement progressif de l’équanimité.

Hier j’ai parlé des trente-deux parties du corps et j’espère que cela vous a permis de comprendre la raison pour laquelle on utilise les parties du corps comme objet de méditation. J’ai précisé que ce n’était ni pour cultiver un dégoût du corps ni pour engendrer une convoitise à son égard mais pour avoir une attitude réaliste, impartiale et « équanime » par rapport au corps.

Dans l’enseignement du Bouddha, on ne penche jamais vers les extrêmes, ni dans l’excès d’autosatisfaction ni dans l’automortification. Si dans la méditation des trente-deux parties du corps, on développe une répulsion envers le corps, on va dans l’extrême de l’automortification. Les gens qui ne connaissent pas bien les enseignements du Bouddha nous accusent déjà d’avoir une vision très négative et pessimiste des choses. Si nous développons le rejet du corps, nous confirmons leurs accusations. C’est pourquoi il faut bien comprendre le sens réel de cette pratique de méditation.

Le Bouddha a toujours insisté pour que nous comprenions les choses exactement telles qu’elles sont, avec une attitude impartiale et équanime. L’équanimité se cultive de différentes manières : il y a l’équanimité de la diversité et l’équanimité de l’unité. Qu’est-ce que l’équanimité de la diversité ? Quand nous voyons un objet, selon la nature de cet objet peuvent apparaître le plaisir ou la douleur. Quand c’est le plaisir qui apparaît, nous voulons nous saisir de l’objet et quand c’est le déplaisir ou la douleur, nous le rejetons. Le Bouddha a enseigné que, sans le rejeter ni nous en saisir, nous devons apprendre à entraîner l’esprit, à entraîner notre vision pour voir cet objet de manière impartiale.

Quand on travaille sur le développement de l’attention, dès que ces deux types de réactions extrêmes apparaissent, on en prend immédiatement conscience et on revient à un état d’équanimité. Le Bouddha a donné une image très claire à ce propos. Il a dit : « Aussi vite qu’un clin d’oeil ». Quand quelque chose nous éblouit nous clignons aussitôt des yeux, n’est-ce pas ? Eh bien, dès qu’une ou l’autre de ces réactions est sur le point de se produire, nous revenons à l’équanimité.

Cette attitude est particulièrement efficace quand nous pratiquons la méditation formelle assise. Il arrive, dans ces moments-là, que des souvenirs nous reviennent à l’esprit. Beaucoup de gens se plaignent de ne pouvoir pratiquer l’attention ou la concentration quand tant de choses tournent dans leur esprit — et les objets visuels ne sont que l’une des nombreuses choses qui peuvent apparaître en méditation ! Il s’agit donc d’en prendre immédiatement conscience, de les considérer avec équanimité et puis de revenir à la respiration. La respiration est un objet neutre. Nous n’éprouvons généralement ni attachement ni répulsion à son égard, c’est pourquoi nous l’utilisons en tout premier lieu pour rappeler l’attention au présent.

De la même manière, si nous percevons un son et qu’il est agréable, nous allons nous y attacher et s’il est désagréable, nous allons en être agacé. Le Bouddha a donné une autre image pour que nous retournions à l’observation du souffle quand ces réactions apparaissent en nous : « Aussi vite que claquer des doigts ». Quand on claque des doigts, un son se produit. Eh bien aussi vite que ce son apparaît puis disparaît, quand nous entendons un son, nous en prenons conscience et nous revenons à l’équanimité et à l’observation du souffle.

Ensuite, quand nous sentons une odeur et qu’elle est agréable, nous nous y attachons et si elle est désagréable, nous nous en plaignons. Le Bouddha a dit d’abandonner ces sentiments extrêmes en donnant une autre image : « Comme quand on verse de l’eau sur une feuille de lotus : l’eau ne se pose pas, elle coule puis tombe à terre. » Cette image est très intéressante. La goutte d’eau roule lentement le long de la feuille de lotus puis tombe dans la terre. De la même manière, quand l’odeur apparaît, elle ne disparaît pas instantanément : elle s’estompe progressivement. Nous pouvons y prêter toute notre attention et voir comment elle disparaît pour ensuite retourner à l’observation du souffle et à l’équanimité.

Et quand nous goûtons quelque chose, si c’est très bon, nous nous y attachons et si ce n’est pas bon, nous grimaçons. L’image du Bouddha dans ce cas est : « Aussi vite que lorsque l’on met un peu de salive au bout de la langue et que l’on crache », nous lâchons ces deux réactions extrêmes et nous revenons à l’équanimité et à l’observation du souffle.

De la même manière, quand nous touchons quelque chose — notamment quand nous sommes assis en méditation et que nous ressentons des douleurs physiques ou des sensations agréables —, dès que nous prenons conscience de nos réactions, nous devons très vite les observer et retrouver une attitude équanime. « Aussi vite que lorsque l’on fléchit une main tendue ou que l’on tend une main fléchie », a dit le Bouddha. Et puis nous revenons à l’observation de la respiration.

Finalement, quand un souvenir surgit, s’il est agréable, nous nous y attachons et s’il est désagréable, nous le repoussons. A ce moment-là, nous devons aussi immédiatement en prendre conscience et revenir à un état d’équanimité. L’image que le Bouddha a donnée pour cela est très belle. Il a dit : « Imaginez une poêle posée toute la journée sur un réchaud brûlant et dans laquelle vous versez quelques gouttes d’eau, une par une. Dès que les gouttes d’eau touchent la poêle brûlante, elles s’évaporent immédiatement. » J’aime cette comparaison plus encore que les autres parce qu’elle nous donne une image très claire de la qualité d’attention que nous devons avoir. L’esprit ressemble beaucoup à la poêle : quand il est brûlant d’attention, dès que quelque chose se produit, il voit si c’est agréable ou désagréable et immédiatement — aussi vite que la goutte s’évapore — il revient à l’équanimité. Je vous rappelle que l’équanimité est l’un des quatre Brahma Vihara dont nous avons déjà parlé plusieurs fois : mettā, l’amitié bienveillante ; karunā, la compassion ; muditā, la joie altruiste ; et upekkhā, l’équanimité.

Donc toutes les formes d’équanimité dont nous venons de parler sont appelées « équanimité dépendant de la diversité » parce qu’elles apparaissent en relation avec des objets vus, entendus, sentis, goûtés, touchés ou évoqués mentalement. Même l’équanimité dont il est question dans la Brahma Vihara est « dépendante » puisqu’elle se développe en lien avec des êtres vivants ; c’est la faculté de savoir et de comprendre la nature du kamma et de voir comment il fonctionne pour rendre les gens heureux ou malheureux. Quand on comprend la nature du kamma, il n’y a plus de raison de réagir émotionnellement. On peut rester dans l’équanimité.

Il y a une autre forme d’équanimité que l’on l’appelle « équanimité dépendant de l’unité ». Celle-ci apparaît quand on pratique la méditation et que l’on arrive à un état de concentration. C’est de la concentration que naît cette équanimité. Elle ne dépend donc que d’un seul objet : la concentration, ce qui explique le nom qui lui est donné.

A présent, comme c’est aujourd’hui le dernier entretien sur le Dhamma de notre retraite, je voudrais conclure le chapitre que j’ai entamé les jours précédents : l’attention au corps. J’ai déjà mentionné l’attention à la respiration, à la posture, à la claire compréhension et aux trente-deux parties du corps. Il me reste donc à aborder l’attention aux éléments et à ce que l’on appelle « les neuf étapes de la décomposition du cadavre ». Je serai bref sinon cela pourrait prendre beaucoup de temps.

Qu’est-ce donc que l’attention aux éléments ? Comme nous le savons tous, il y a quatre éléments. Bien sûr, on dit parfois qu’il y a dix-huit éléments, d’autres fois six, d’autres fois cinq mais, la plupart du temps, quand on parle des éléments on parle des quatre grands éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air. On ne peut connaître et reconnaître ces éléments qu’à travers leurs fonctions spécifiques et nous devons apprendre à les utiliser en tant qu’objets de notre méditation.

Prenons le premier élément, la terre. On reconnaît l’élément terre à son contact doux ou dur. Nous pouvons retrouver ce contact jusque dans notre respiration. Nous avons déjà vu que, quand on respire, on sent le contact de l’air avec les narines ainsi que l’expansion et la contraction de l’abdomen. Toutes ces sensations nous font éprouver soit la dureté soit la douceur, manifestations de l’élément terre. Et si les sensations changent, c’est parce que l’élément terre lui-même n’est pas permanent. S’il l’était, nous aurions toujours la même sensation ; mais comme celle-ci passe de la douceur à la dureté et vice-versa, nous savons que cet élément terre change sans cesse et ne nous affecte donc pas toujours de la même manière. La raison en est que chaque élément est lui-même dépendant des autres éléments.

Quand nous parlons de la terre, nous avons généralement l’image de cette immense planète Terre. Mais cette terre extérieure ne va pas nous apporter beaucoup de lumière sur les différentes façons dont cet élément se comporte à différents moments. Par contre, les éléments qui sont en nous peuvent nous apprendre beaucoup sur la façon dont ils changent. Ainsi, quand nous mangeons, nous consommons parfois de la nourriture solide, parfois quelque chose de tendre. Ce sont là différentes formes de l’élément terre. On leur donne des noms chimiques : le fer, le magnésium, les vitamines, etc. mais ces termes représentent tous différents aspects de l’élément terre. Cet élément terre que nous consommons chaque jour est impermanent, c’est pourquoi nous devons nous nourrir plusieurs fois par jour. Une fois absorbée, la nourriture ne reste pas longtemps en nous. Si nous ne remplaçons pas ce que nous perdons chaque jour, nous ne pouvons pas vivre plus d’un mois en puisant dans nos réserves de graisse. Le fait que nous devions manger chaque jour montre bien que l’élément terre que nous consommons est impermanent.

A l’intérieur, notre corps génère aussi une certaine quantité d’éléments terre qui doivent aussi être renouvelés. Nos os, par exemple, génèrent dans la mœlle deux milliards et demi de globules rouges par seconde. Pourquoi la moelle produit-elle autant de globules rouges ? Que deviennent-ils ? C’est parce que ces globules disparaissent sans cesse qu’ils doivent être renouvelés. Toutes les protéines, toutes les vitamines, tous les minéraux, tous les hydrates de carbone, absolument tout ce que nous ingérons fonctionne de même. Aussi, quand nous utilisons l’élément terre comme objet de méditation, nous comprenons qu’il est impermanent.

Quant à l’élément eau, il subit lui aussi des changements. Comme l’élément terre, nous pouvons reconnaître l’élément eau grâce à ses caractéristiques. L’une de ses caractéristiques, l’une de ses fonctions principales, est de souder les choses entre elles. Si on retirait toute trace d’eau de notre corps, il se transformerait aussitôt en poussière. D’ailleurs nous savons tous que, si nous ne buvons pas une certaine quantité d’eau chaque jour, nous risquons de mourir de déshydratation. Ceci nous permet de dire que l’élément eau qui se trouve en nous n’est pas quelque chose de permanent.

La fonction de l’élément air est le mouvement. Il permet aux choses de bouger et ce mouvement lui-même n’est pas permanent. Quand l’élément air à l’intérieur du corps est perturbé, nous pouvons avoir toutes sortes de problèmes de santé.

Il en va de même pour l’élément feu dans notre corps. Que fait-il ? Il digère la nourriture, il nous fait vieillir et il régule la température du corps quand il fait froid ou chaud à l’extérieur. Ceci montre que l’élément feu n’est pas permanent non plus.

Nous voyons donc que, tels qu’ils se manifestent en nous, tous les éléments sont en perpétuel mouvement, dans un flux changeant. Or le Bouddha a dit que nous devons comprendre les quatre éléments à l’intérieur, de même que nous devons comprendre les quatre éléments à l’extérieur. Cela signifie que les éléments tels que nous les ressentons à l’intérieur sont les mêmes que ceux qui se manifestent à l’extérieur. Les trente-deux parties du corps — ou les millions de particules qui le composent — contiennent toutes ces éléments. Ce qui arrive aux éléments internes arrive aussi aux éléments externes. Nous devons donc être attentifs aux quatre éléments à l’intérieur de notre corps et être attentifs aux éléments extérieurs. Contrairement à ce que certaines personnes ont pu suggérer, connaître les quatre éléments « à l’extérieur » ne signifie absolument pas que nous devons connaître les éléments dans le corps de quelqu’un d’autre ! Il ne s’agit pas de connaître les éléments chez les autres mais de voir que les éléments qui sont en nous sont aussi à l’extérieur de nous.

Il est bon de pratiquer cette méditation sur les quatre éléments et, ce faisant, de cultiver notre attention avec équanimité. Comme il le faisait souvent quand il avait des choses complexes à expliquer, le Bouddha, là encore, a fait une excellente comparaison pour clarifier son propos. L’image n’est guère ragoûtante, à vrai dire, puisqu’il s’agit d’un boucher qui tue une vache — mais cela devait être une pratique courante à l’époque car les Indiens mangeaient du bœuf. Comme la vache est un animal sacré, il existait des rituels particuliers comme le gomega yaga qui signifie littéralement : « le sacrifice d’un jeune bœuf très sain ». Quoi qu’il en soit, le Bouddha a fait la comparaison suivante : « Imaginez qu’un boucher tue une vache ; il découpe ensuite la carcasse en quatre morceaux égaux et les pose à un carrefour pour les vendre. Quand cet homme tue une vache, il sait que c’est une vache, mais quand il vend les morceaux de sa carcasse, il ne vend pas une vache, il vend de la viande. » La notion de « vache » disparaît pour faire place à une notion différente, celle de « viande ». 

C’est comme quand on joue dans un casino. La première chose que l’on vous demande, c’est de convertir votre argent en jetons. A partir de là vous perdez la notion d’argent ; vous avez seulement l’impression de jouer avec des jetons en plastique … et il devient très facile de perdre ! Les jetons détournent la notion d’argent. Je prends cet exemple mais n’allez pas pour autant vous dire : « Bhante est certainement allé à Las Vegas ! » Bien entendu, je ne joue pas moi-même mais je sais ce que les gens font dans des endroits comme celui-ci. En fait, cela me rappelle une histoire que je vais vous raconter.

Un jour, je suis allé diriger une retraite à Reno et l’homme qui m’a accueilli m’a demandé : « Bhante, avez-vous déjà vu un casino ? » J’ai répondu : « Non ». Alors il a dit : « Voulez-vous en voir un ? » J’ai répondu : « D’accord », et il m’a emmené au casino. C’est vraiment un autre monde ! Là, j’ai vu comment les gens conjuguent stupidité avec avidité. Mon compagnon est allé chercher un rouleau de pièces de 25 cts, puis il est revenu vers moi, l’a sorti de sa poche et me l’a tendu. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que c’est ? » Il a répondu : « Il y a là dix dollars en pièces de 25 cts. Vous pouvez les introduire dans l’une de ces machines à sous. » Je lui ai dit : « Gardez votre abomination ! Je ne veux même pas y toucher. » Il a paru très déçu.

Mais voilà qu’à la fin de la retraite, alors que nous bavardions avec le groupe, il a dit à tout le monde que quelque temps auparavant, il avait invité un enseignant de méditation et que, à peine arrivé à l’aéroport, il lui avait offert dix dollars en pièces pour jouer avec les machines à sous. Il a raconté que le maître de méditation s’était tellement pris au jeu qu’il en avait oublié la retraite ! Moi, je me suis dit : « Si j’avais mis ne serait-ce qu’une seule pièce de 25 cts dans la machine, cet homme dirait aux gens, la prochaine fois : ‘Bhante est venu, je lui ai donné ceci et cela, et il a joué ! Voilà ce qu’a fait Bhanteji.’ » Alors, mes amis, même dans cette situation, je m’en suis tenu à mes principes, et mon honneur et ma dignité en sont sortis indemnes.

Mais pour en revenir à notre sujet, j’ai vu ce que les gens font de leur argent dans ces circonstances, j’ai vu qu’ils perdent toute notion d’argent. Vous êtes peut-être déjà allés dans ces lieux qui attirent des millions de gens. En cinq minutes ils perdent des centaines de dollars. C’est encore un autre monde mauvais.

Le Bouddha a donc dit que, après avoir tué la vache, quand le boucher commence à vendre les quartiers, il n’a plus la notion de « vache », il n’a que la notion de « viande ». De la même façon — et c’est une chose qu’il faut vraiment garder en mémoire — quand nous méditons sur les éléments qui composent notre corps, nous ne voyons plus que les éléments et nous perdons la notion d’un « moi » ou d’un « mien ». Ainsi, notre puissant désir d’être un « moi » va disparaître, au moins le temps de la méditation, quand nous voyons clairement que nous sommes composés de ces quatre éléments. Vous avez entendu la récitation que nous faisons avant le repas : « Tout comme cette nourriture se compose de quatre éléments, celui qui consomme cette nourriture se compose également de quatre éléments. » Un ensemble d’éléments est consommé par un autre ensemble d’éléments.

Dans la méditation, quand on en arrive à ce niveau, on développe en esprit une attitude d’équanimité envers soi. Cela ne signifie pas que nous nous nions complètement mais que nous comprenons mieux la nature réelle de notre existence. C’est pourquoi la méditation sur les quatre éléments est très importante.

Je voulais vous parler ensuite de la méditation sur « les neuf étapes de décomposition du corps ». La conscience de la mort est un sujet très important que je développe parfois tout au long d’une retraite de dix jours, mais ici nous n’avons guère le temps de le faire en détail. Je vais donc vous en donner une idée générale.

Cette méditation permet de se libérer de beaucoup de concepts erronés à notre propos. Bien entendu, de nos jours, il n’est pas facile de trouver un cadavre à contempler en méditation. Les rares fois où on a l’occasion de voir des morts, ils ne ressemblent pas à des morts, tant ils sont « travaillés » par les spécialistes. On dirait qu’ils reviennent d’un mariage ! Les embaumeurs se donnent beaucoup de mal : les hommes sont bien coiffés, rasés de près et vêtus d’un costume cravate, tandis que les femmes sont parfaitement maquillées. Ce n’est pas ce qui nous permettra de méditer sur un cadavre ! On ne voit pas du tout ce qui arrive réellement au corps après la mort. Les gens ont une telle peur, un tel dégoût à la simple pensée d’un cadavre ! Certains disent même : « Je ne crains pas de mourir mais j’ai peur d’être enfermé dans un cercueil et mis six pieds sous terre. »

Il y a toutes sortes d’idées bizarres à propos de la mort et des cadavres mais le Bouddha était très réaliste et il voulait que nous en ayons une image claire et précise. Comme je vous l’ai dit plusieurs fois, les méditants sont censés chercher toujours, sans exception, à voir les choses exactement telles qu’elles sont, sans peur, sans dégoût, sans attachement, tout comme un scientifique considère un objet pour en comprendre la nature.

Comme nous n’avons guère l’occasion de voir des corps en décomposition, le Bouddha a dit : « Imaginez. Imaginez un corps mort. Imaginez ce même corps un jour après la mort, deux jours, trois jours, quatre jours après la mort. Imaginez-le gonflé et bleui. Imaginez et observez ce corps. » Quelqu’un de maigre qui a toujours voulu prendre du poids se retrouve gros et gonflé en deux jours. Le corps passe par toutes sortes de changements et nous devons observer tout cela très attentivement. Il est très difficile de traiter de ce sujet aussi rapidement mais disons simplement que, à partir de là, le corps se décompose lentement, progressivement. Le sang s’échappe, la chair se dessèche, et il ne reste que le squelette. Ensuite le squelette se décompose, lui aussi ; il commence par s’effriter en petits morceaux puis ceux-ci se transforment en poussière. Enfin la poussière est emportée par le vent. Tel est le destin de ce corps si beau !

Mais si nous méditons, nous pouvons toucher à l’essence du corps. Nous pouvons utiliser l’attention de notre esprit pour que ce corps en décomposition nous apporte vision pénétrante et sagesse. A la fin, nous n’aurons plus un tel corps et nous atteindrons la Libération complète, de sorte que nous ne reviendrons plus habiter dans un corps comme celui-ci.

Je ne peux pas en dire plus long aujourd’hui sur la méditation des « neuf étapes de la décomposition d’un corps ». J’espère, mes amis, que vous aurez tiré profit de ces enseignements — sinon, venez faire une retraite en Virginie ! Je vous souhaite à tous d’avancer avec beaucoup de succès dans la pratique de la méditation.