Le Dhamma de la Forêt |
Comparez la simple et sereine splendeur d’une rose épanouie au stress et à l’agitation de votre vie. La rose possède un don qui vous fait défaut : elle est parfaitement satisfaite d’être ce qu’elle est. Elle n’a pas été programmée comme vous, depuis la naissance, à être mécontente d’elle-même, de sorte qu’elle n’a pas la moindre envie d’être autre que ce qu’elle est. C’est pour cette raison qu’elle possède cette grâce candide, cette absence de conflit intérieur qu’on ne trouve parmi les êtres humains, que chez les enfants et les mystiques.
Voyez dans quelle triste position vous vous trouvez. Vous êtes toujours mécontent de vous-même, vous voulez changer, de sorte que vous êtes plein de violence et d’intolérance envers vous-même, et cela ne fait que grandir avec chaque effort que vous faites pour changer. Ainsi, tout changement que vous obtenez s’accompagne inévitablement d’un conflit intérieur. De plus, vous souffrez quand vous voyez les autres obtenir ce que vous n’avez pas ou devenir ce que vous n’êtes pas. Seriez-vous tourmenté par l’envie et la jalousie si, comme la rose, vous étiez satisfait d’être ce que vous êtes, si vous n’aspiriez jamais à être ce que vous n’êtes pas ?
Mais vous vous comparez sans cesse à ceux qui sont plus cultivés, plus séduisants, plus appréciés ou plus brillants que vous. Vous voulez être plus vertueux, plus aimant, plus méditatif. Vous voulez vous rapprocher de vos idéaux, trouver l’éveil. Mais souvenez-vous de la triste histoire de vos efforts pour vous améliorer qui ont abouti soit à un échec soit à un succès obtenu au prix de maintes luttes et souffrances.
Supposons maintenant que vous cessiez tout effort pour vous changer, que vous cessiez d’être insatisfait de vous-même, seriez-vous automatiquement condamné à vous endormir, à supporter passivement tout ce qui est en vous et autour de vous ? Non ! Il existe une voie médiane entre s’auto-flageller et subir : la voie de la compréhension de soi.
Cette voie est loin d’être facile parce que comprendre ce que vous êtes, implique que vous ayez abdiqué tout désir de vous transformer pour devenir autre. Vous comprendrez ce que je veux dire si vous comparez l’attitude d’un scientifique qui étudie les habitudes des fourmis sans le moindre désir de les changer, et le comportement d’un dresseur de chiens qui étudie les habitudes d’un chien pour lui apprendre quelque chose. Ce que vous pouvez essayer de faire n’est pas de vous changer mais de vous observer, d’étudier chacune de vos réactions aux personnes, aux objets et aux situations, sans jugement ni condamnation, sans vouloir vous transformer. Ainsi votre observation sera non-sélective, globale, jamais figée dans des conclusions rigides, toujours ouverte et fraîche d’instant en instant. Vous remarquerez alors une chose merveilleuse naître en vous : vous allez être inondé par la lumière de la présence consciente, vous allez devenir transparent et être transformé.
Un changement se produira-t-il alors ? Oh oui ! En vous et dans votre environnement. Mais ce changement ne sera pas le fruit de la ruse de votre ego agité, toujours occupé à comploter pour réformer les uns, les autres et vous-même, toujours à rivaliser, comparer, contraindre, sermonner, manipuler, du fait de son intolérance et de son ambition, créant ainsi tension, conflit et résistance entre la nature et vous. C’est un processus épuisant et voué à l’échec – comme conduire avec les freins serrés.
La lumière transformatrice de la présence consciente balaye l’égoïsme et la ruse du « moi » pour laisser libre cours à la nature. C’est donc la nature qui va apporter le changement en vous, la même sorte de changement qu’elle produit chez la rose : pur, gracieux, naturel, sain, non contaminé par les conflits intérieurs.
Comme tous les changements sont violents, la nature sera violente mais la merveilleuse qualité de la violence de la nature, contrairement à la violence de l’ego, c’est qu’elle ne provient pas de l’intolérance et de la haine de soi. C’est pourquoi il n’y a aucune colère dans l’ouragan qui emporte tout sur son passage, ni dans le poisson qui dévore ses propres œufs conformément à des lois écologiques que nous ignorons, ni dans les cellules du corps qui se détruisent mutuellement dans un but supérieur qui nous échappe. Quand la nature détruit, ce n’est pas par ambition, avidité ou désir vaniteux mais pour obéir à des lois mystérieuses où le bien de l’univers tout entier passe avant la survie ou le bien-être de ses parties.
C’est cette sorte de violence qu’expriment les mystiques quand ils s’emportent contre les idées et les structures qui se sont implantées dans leur société et leur culture, quand leur conscience s’éveille aux maux que leurs contemporains refusent de voir. C’est cette violence qui permet à la rose de naître malgré des forces hostiles, et c’est à cette violence que la rose, comme le mystique, succombera doucement après avoir ouvert ses pétales au soleil et vécu dans une beauté fragile, éphémère, sans se soucier d’ajouter une seule minute au temps qui lui est alloué. C’est ainsi qu’elle vit dans la douceur et la beauté, comme les oiseaux dans le ciel et les fleurs dans les champs, sans la moindre trace de l’agitation et de l’insatisfaction qui caractérisent notre monde, sans la jalousie l’angoisse et la compétitivité des êtres humains qui cherchent à contrôler et à imposer au lieu de se satisfaire de ce qui est et de s’épanouir dans la présence consciente, en laissant tous les changements entre les mains des puissantes forces de la nature.