Le Dhamma de la Forêt



deMello

© Albin Michel




  REDECOUVRIR LA VIE

Anthony de Mello


Extrait du livre paru chez Albin-Michel en janvier 2014

Traduction de Jeanne Schut



« Pourquoi m’avoir caché le secret du bonheur? » demande le disciple à son maître.
« As-tu entendu cet oiseau chanter ? »
« Oui », répond le disciple.
« Alors, dit le maître, tu sais que je ne t’ai rien caché. »
« Oui », reconnaît le disciple.



Permettez-moi de commencer par vous dire comment j’ai l’intention de procéder tout au long de cette conférence dont le thème est «  Redécouvrir la vie ».

Il y a environ dix ans, j’ai découvert quelque chose qui a complètement bouleversé ma vie, qui l’a vraiment révolutionnée. Je suis devenu un homme neuf. Voilà ce que je suis heureux de partager avec vous aujourd’hui, d’une manière originale.

Combien de temps pensez-vous qu’il me faudra pour vous en faire part ? Toute une journée ? Je vais être honnête avec vous : je ne pense pas que cela prendra plus de deux minutes. Quant à saisir ou assimiler la chose, il se peut que, pour y parvenir, il vous faille vingt ans, quinze ans, dix ans, dix minutes ou bien un jour, trois jours… Qui sait ? Cela dépend de vous.

Au fil des années, depuis ma découverte initiale, plusieurs personnes m’ont dit que leur vie avait également été bouleversée par ce nouveau regard sur les choses mais, je suis au regret de le dire, elles ne sont pas nombreuses. En fait, elles sont très rares. Je crois que si, parmi les mille personnes qui m’écoutent en ce moment, une seule l’entend, ce sera une très bonne moyenne.

Est-ce difficile à entendre ? Est-ce difficile à comprendre ? Non : c’est tellement simple qu’un enfant de sept ans serait capable de le comprendre. N’est-ce pas incroyable ? En fait, quand j’y repense aujourd’hui, je me dis : Pourquoi ne l’ai-je pas vu avant ? Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi mais je ne le voyais pas.

Il est possible qu’aujourd’hui l’un de vous fasse cette même découverte, ne serait-ce que partiellement. Que faut-il pour que vous la voyiez ? Une seule chose : savoir écouter. Tout est là. Etes-vous capables d’écouter ? Si c’est le cas, il se peut que vous saisissiez.

N’allez pas croire qu’il soit si facile d’écouter ! Pourquoi ? Parce que nous écoutons toujours à partir de concepts figés, d’idées arrêtées, de préjugés bien ancrés. Je ne dis pas non plus qu’écouter signifie accepter aveuglément tout ce que l’on entend – ce serait de la crédulité : « C’est lui qui l’a dit donc je le crois. »

Maintenant, si vous êtes prêts à entendre quelque chose de nouveau, de simple ou d’inattendu, qui va à l’encontre de presque tout ce que vous avez appris jusqu’à ce jour, si vous êtes prêts à entendre cela, alors peut-être entendrez-vous ce que j’ai à dire. Et peut-être le comprendrez-vous.

L’esprit humain est quelque chose d’extraordinaire : il a inventé l’ordinateur, fissuré l’atome et envoyé des vaisseaux dans l’espace. Pourtant, il n’a pas résolu le problème de la souffrance humaine, de l’angoisse, de la solitude, du vide et du désespoir. Vous êtes jeunes, pour la plupart, mais je ne pense pas que ces sentiments vous soient étrangers : solitude, chagrins, impression de vide, dépression ou désespoir. Comment se fait-il que nous n’ayons pas trouvé de réponses à ces questions-là ?

Nous avons fait toutes sortes d’avancées technologiques. Ont-elles élevé, ne serait-ce qu’un peu, le niveau de notre qualité de vie ? Voulez-vous connaître mon sentiment ? Eh bien non, pas même un peu. Oh, bien sûr, nous avons plus de confort, tout va plus vite, il y a profusion de plaisirs et de distractions, plus d’érudition et de plus grandes avancées technologiques. Mais, ce que je dis, c’est : y a-t-il eu le moindre progrès pour mettre fin à cette solitude, ce vide et ces chagrins ? Le moindre progrès pour éliminer l’avidité, la haine et les conflits ? Y a-t-il moins de luttes, moins de cruauté ? Si vous voulez mon avis, je dirais que c’est encore pire qu’avant.

Et le plus tragique, comme je l’ai découvert il y a une dizaine d’années, c’est que le secret a déjà été révélé ! Alors, pourquoi ne l’a-t-on pas utilisé ? Parce que nous n’en voulons pas, voilà pourquoi. C’est incroyable, n’est-ce pas ? Nous n’en voulons pas. Nous n’en voulons vraiment pas ! Imaginez que je dise à quelqu’un : « Ecoutez, je vais vous donner une formule qui va vous rendre heureux le reste de votre vie. Chaque minute du reste de votre vie sera source de joie ». Imaginez que je vous adresse ces paroles.

Eh bien, c’est exactement ce que je vais faire aujourd’hui. Je vais vous donner cette formule. Savez-vous ce que vous ferez, pour la plupart ? Veuillez me pardonner si je vous offense en disant cela mais, si vous ressemblez un tant soit peu aux personnes que j’ai rencontrées dans ces conférences jusqu’à présent, savez-vous ce que vous ferez, pour la plupart ? Vous direz : « Arrêtez ! Ne me dites rien. Arrêtez ! Je ne veux pas l’entendre. »

Ils ne veulent pas l’entendre… Si vous ne me croyez pas, je vais vous le prouver.

Votre vie est entre vos mains

Supposons que vous vouliez comprendre, que vous vouliez vraiment voir. Qu’avez-vous à faire ? D’abord comprendre quelques vérités sur vous-mêmes. Et qu’avez-vous à comprendre sur vous-mêmes ? Premièrement, que votre vie est un désastre. Vous n’aimez pas l’entendre dire ? Cela prouve peut-être que c’est vrai. Votre vie est un désastre. Certaines personnes rétorquent:

Que voulez-vous dire ? Ma vie n’est pas un désastre ! Je me débrouille bien dans mes études, j’ai de bons parents, je suis en bons termes avec ma famille. J’ai un compagnon ou une compagne, tout le monde m’aime. Je suis doué en sport et j’ai une brillante carrière devant moi.
Ah, vraiment ? 
Oui, tout à fait. 
Vous croyez que votre vie n’est pas un désastre ? Très bien. Alors, dites-moi (c’est le test à l’acide) : vous sentez-vous seul, parfois ? Avez-vous des chagrins, des peines de cœur ? Etes-vous contrarié par certaines choses ?
Que voulez-vous dire ? N’est-il pas naturel d’être contrarié de temps à autre ?
Eh bien, non.
Comment cela ? N’être jamais contrarié par rien ?
C’est bien ce que j’ai dit.
Taisez-vous ! Je ne veux plus rien entendre.

Comprenez-vous ce que je veux dire ? Cette personne a une théorie selon laquelle il est naturel d’être contrarié sinon on ne serait pas humain. Très bien, allez-y, soyez contrarié. Bonne chance et adieu.

Je cite souvent un très joli proverbe qui dit : « N’essayez pas d’apprendre à chanter à un cochon. Vous perdez votre temps et vous agacez le cochon. » J’ai eu beaucoup de mal à apprendre cette leçon mais j’ai fini par arrêter d’essayer d’apprendre à chanter aux cochons. Si vous ne voulez pas entendre ce que j’ai à dire, pas de problème, je me retire. Je suis prêt à expliquer et à clarifier les choses, si vous le souhaitez, mais pourquoi argumenter ? Cela n’en vaut pas la peine.

Reprenons où nous en étions :

N’avez-vous jamais souffert d’un conflit intérieur ?
Non.
Vraiment ? Et vous entendez-vous parfaitement avec tout le monde ?
Oui.
Vraiment ? Voulez-vous dire que vous goûtez et appréciez chaque instant de votre vie ?
Enfin, pas tout à fait…
Vous voyez ! C’est bien ce que je disais.

« Votre vie est un désastre » signifie qu’il vous arrive, à l’occasion, d’être victimes d’un chagrin, d’une peine de cœur. Il vous arrive de vous sentir seuls, d’être face au vide, d’avoir peur.

Moi, peur ?
Oui. Votre vie est un désastre.
Que voulez-vous dire ? N’est-il pas naturel d’avoir peur ?
Non, vous n’êtes pas censé avoir peur.

Ne pas connaître la peur… vous n’imaginez même pas ce que cela signifie. Et le plus triste, c’est que vous ne pensez pas que ce soit possible. Pourtant, il est tellement facile d’y parvenir. Comme on vous a fait croire que c’était impossible, vous n’avez jamais essayé mais c’est là, écrit en toutes lettres dans la Bible et vous refusez de le voir, simplement parce qu’on vous a dit que c’était impossible.

Avez-vous peur de l’avenir ? Une bouffée d’angoisse, d’inquiétude, de contrariété ? Oui, votre vie est bien un désastre. Qu’en dites-vous ? Souhaitez-vous remettre de l’ordre dans tout cela? Je peux vous y aider en cinq minutes, si vous êtes prêt. Vous n’avez même pas besoin de quitter votre chaise. Vous pouvez rester assis là et remettre de l’ordre dans votre vie en cinq minutes. Je suis très sérieux. Ce n’est pas du blabla de boutiquier, vous savez. C’est si simple et si terriblement sérieux que les gens passent à côté sans le voir. Mais cette occasion vous est offerte aujourd’hui.

Savez-vous comment les mines de diamant ont été découvertes en Afrique du Sud ? C’est une histoire très intéressante que j’ai lue il y a quelque temps. L’auteur raconte qu’un homme blanc était un jour assis dans la hutte du chef d’un petit village d’Afrique du Sud quand il vit des enfants jouer avec ce qui ressemblait à des billes. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand il réalisa qu’il ne s’agissait pas de billes mais de diamants. Il en prit deux ou trois pour vérifier – c’étaient bien des diamants !

Il dit alors au chef du village :
Pourriez-vous me donner quelques-unes de ces billes ? J’ai moi aussi des enfants qui aiment ce jeu mais ces billes-ci sont un peu différentes. Je suis prêt à vous donner une blague de tabac en échange.
Le chef répondit en riant :
Mais non, voyons, ce serait du vol. Ce serait vraiment du vol de prendre votre tabac en échange de ces pierres. Nous en avons des milliers par ici.

Et il en donna un plein panier à l’homme. Celui-ci repartit dans son pays puis revint avec beaucoup d’argent pour acheter tout ce terrain et, dans les dix années qui suivirent, il devint l’homme le plus riche du monde.

Cette histoire pourrait être une parabole : un trésor est là, sous nos yeux, et nous l’ignorons.