Le Dhamma de la Forêt


Ni Thaïlandais, ni Occidentaux
 

Traduit par Hervé Panchaud

http://www.dhammadelaforet.org/


A côté des moines venus de l’étranger, un certain nombre de moines thaïlandais viennent au monastère de Wat Pah Nanachat pour y résider et pratiquer. Tan  Jayasiri, Tan Jotimanyo et Tan Dhirapanno sont trois de ces moines. Chacun d’eux a vécu à Wat Pah Nanachat plusieurs années et ils ont contribué à la vie de la communauté en donnant de leur temps pour assister l’abbé du monastère. L’entretien qui suit a été mené par Tan Paññavuddho.

 
* * *
 
Tan Paññavuddho (PV) : Vous avez tous trois grandi en Thaïlande. J’aimerais savoir quelles furent les premières impressions dont vous vous souvenez lorsque, dans votre enfance, vous avez rencontré des moines bouddhistes ?
 
Tan Jayasari (JS) : Il y avait un monastère affilié au Wat Pah Pong (principal monastère d’Ajahn Chah) près de chez moi dans la campagne de Sri Saket. Quand j’étais petit garçon, j’allais au monastère chaque jour. Il était clair pour moi, depuis ma plus tendre enfance, que dans le futur, je deviendrais un moine. J’aimais la façon dont les moines se rasaient le crâne et portaient leurs robes – le fait qu’ils ne soient pas vêtus comme des laïcs. La première fois que je suis allé au monastère, j’avais quatre ans. J’y allais au « catéchisme ».
 
PV : Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez vu un moine en méditation ? Qu’avez-vous ressenti ?
 
JS : J’ai eu une étrange sensation – les moines étaient très différents des gens ordinaires. J’ai pensé que je voulais être comme eux dans le futur. J’ai aussi remarqué que les moines ne vivaient pas ensemble, mais dans la forêt dans des koutis (logis) individuels. Cela m’a intéressé.
Au monastère de forêt, j’ai observé que chaque moine mettait sa nourriture dans son bol à offrandes (plats épicés et sucreries mélangés) et qu’il la mangeait en une seule fois, le matin. Quand j’étais jeune, j’ai eu la chance de manger la nourriture en surplus rapportée dans les bols à offrandes des moines, chose fréquente pour les laïcs fréquentant le monastère. L’odeur qui s’en dégageait était différente de celle de la nourriture ordinaire. J’ai pensé que cette odeur était celle du paradis – c’était très étrange pour moi. Pendant que j’allais à l’école, durant la semaine, ma grand-mère allait au monastère. A midi, elle rapportait du monastère de la nourriture offerte aux moines que je pouvais manger en revenant de l’école au moment du déjeuner. Quand elle ne rapportait pas de nourriture, j’étais déçu.
De nombreuses années plus tard, alors que j’étais devenu moine, j’ai essayé de sentir la nourriture dans mon bol. Elle avait une odeur normale. Rien de spécial, vraiment. C’était peut-être un appât pour m’attirer ici, au monastère.
 
PV : Quand vous étiez petit, avez-vous eu l’opportunité de rencontrer des Maîtres de la Forêt comme Ajahn Chah ?
 
JS : Bien sûr. Lorsque j’étais un jeune garçon de sept ans environ, je suis allé voir Ajahn Chah au Wat Pah Pong. A cette époque, le monastère était encore très sommaire. Même si de nombreux moines vivaient là, après le repas l’endroit paraissait désert car tous les moines rejoignaient leur kouti pour pratiquer. Luang Por Chah, cependant, recevait toujours de nombreux visiteurs. Il souriait tout le temps. Quand je le regardais, je ressentais quelque chose de très fort.
 
PV : Comment expliquez-vous que, si jeune, vous ayez eu une telle foi ?
JS : Je ne sais pas. C’était tout à fait normal pour moi. Quand j’étais jeune et que je voyais la souffrance dans le monde, je pensais aux moines, à leurs robes et leur bol. Le sourire d’Ajahn Chah est toujours présent dans ma mémoire. En permanence. Même aujourd’hui, ce sourire reste net. Je suis très ému d’être devenu moine dans sa lignée. J’ai toujours eu la foi dans Ajahn Chah et les Maîtres de la Forêt
 
PV : Tan Jotimanto, vous souvenez-vous de votre première rencontre avec les moines bouddhistes ?
 
Tan Jotimanto (JM) : En fait, c’est ma grand-mère qui m’a le plus influencé. Quand j’étais jeune, j’allais avec elle assez souvent au monastère. Il y avait un monastère de forêt dans le voisinage dont Luang Por Poot Thaniyo était l’abbé. Ma famille était très proche de Luang Por Poot. Dès mon plus jeune âge, j’ai appris à montrer le plus grand respect aux moines. Durant la période de la retraite des pluies, ma grand-mère allait toujours au monastère les jours d’Uposatha (jours de quartiers de lune), veillant à observer les huit préceptes durant la journée et la nuit. Je l’accompagnais parfois et lui tenais compagnie.
 
PV : Quand vous observiez les moines dans les monastères de forêt, que ressentiez-vous ?
 
JM : A cette époque, je pensais que les moines étaient des personnes qui sortaient de l’ordinaire et qu’ils devaient avoir des pouvoirs psychiques car ils pouvaient nous parler du ciel et des enfers. En fait, comme nombre d’enfants de Thaïlande, j’avais peur des esprits et je pensais que les moines pouvaient nous aider. Je pensais que, comme ces moines suivaient une stricte discipline, ils pouvaient faire fuir les esprits.
 
PV : Tan Dhirapanno, et pour vous-même ? Quelle a été votre première rencontre avec la religion, le Buddha-Sasana ?
Tan Dhirapanno (DP) : Mon histoire est semblable à celle de Tan Joti. Quand j’étais enfant, j’ai grandi auprès de ma grand-mère dans la campagne de Chonburi. Elle avait l’habitude de faire des offrandes (sai bat) aux moines le matin. Les jours de Wan Phra (jours de quartiers de lune), elle se réveillait vraiment très tôt afin de préparer des nourritures particulières pour les moines. Vous comprenez, quand j’étais petit garçon, je dormais toujours dans le même lit que ma grand-mère, aussi, quand je me réveillais ces jours-là et que je ne la voyais pas à mes cotés, je savais que c’était Wan Phra.
 
PV : Pouvez-vous vous rappeler ce que votre grand-mère vous a enseigné à propos de l’offrande aux moines ?
 
DP : Je me souviens d’elle me disant de m’agenouiller et de joindre mes mains en anjali, d’être recueilli et de poser la nourriture dans le bol du moine sans en toucher le rebord. Cela se passait le matin et ce n’était pas très difficile à faire. Certains jours particuliers, elle nous amenait, mes cousins et moi, au monastère. C’était le plus dur car je ne comprenais pas la plus grande partie de ce que les moines nous enseignaient et je devais rester assis les jambes respectueusement repliées devant moi dans la position du lotus. Je devais rester assis près de ma grand-mère dans la sala pendant que mes cousins jouaient bruyamment au dehors. Quoi qu’il en soit, ma grand-mère semblait très heureuse ces jours-là, et auprès d’elle, moi-aussi je me sentais très heureux.
 
PV : Tan Jayasiri, qu’est-ce qui vous a donné le désir d’être ordonné moine ?
 
JS : En fait, j’ai toujours eu un grand désir de devenir moine. J’y pensais depuis mon plus jeune âge.
 
PV : Et vous n’avez jamais eu aucun doute… comme l’envie d’avoir une petite amie, par exemple ?
 
JS : Ce n’était pas ma nature de penser à ces choses-là. J’ai eu la chance de grandir dans un foyer heureux. Pourtant, j’ai vu que la vie de famille comportait un certain nombre de souffrances. Je portais le plus grand intérêt aux idéaux de simplicité et de renonciation, et j’ai toujours été attiré par une vie monastique dédiée à la contemplation et à la paix. Quand j’ai atteint l’âge de quinze ans, j’ai bien sûr été au milieu de nombreuses filles à l’école. Mais pour je ne sais quelle raison, je gardais toujours à l’esprit mon désir de devenir moine. Quand vint le temps de penser à avoir une petite amie, je ne fus pas hostile à cette idée, mais je continuais à penser que je devais d’abord pratiquer la Voie de Bouddha.
Quand j’ai eu vingt ans, j’ai demandé la permission à ma mère de devenir moine immédiatement. Je lui fis cette demande à de nombreuses reprises et finalement, elle accepta. Elle me dit qu’elle serait heureuse de me voir devenir moine, mais pas pour trop longtemps, quelques année tout au plus. Après ce laps de temps, elle estimait que ce serait suffisant et que je pourrais revenir auprès d’elle et de la famille.
 
PV : Que dit-elle, maintenant que vous êtes moine depuis presque dix ans ?
 
JS : Elle est très heureuse maintenant. Ce n’est pas comme dans les premières années, quand elle espérait toujours me voir revenir dans la vie laïque.
 
PV : Tan Joti, qu’est-ce qui vous a décidé à devenir moine ?
 
JM : Cela s’est aussi produit lorsque j’étais jeune. J’ai eu la chance de voir fréquemment Luang Por Poot lorsque j’étais avec ma grand-mère. Un jour, dans son monastère, un abbé venu du monastère de Luang Por Mun me désigna et dit : « Toi, tu seras moine ». Cette déclaration est restée gravée dans ma mémoire pour toujours. Lorsque j’étais adolescent, j’ai eu l’opportunité d’aller à Wat Pah Pong et de voir Luang Por Chah. Il était encore en bonne santé à l’époque. Durant les journées passées là-bas, j’ai entendu dire qu’Ajahn Chah était très strict et inflexible – et vous savez, quand on est jeune, on n’a pas trop envie de se lier avec des moines aussi stricts.
Plus tard, mon cousin me conduisit au monastère de Wat Pah Nanachat. A cette époque, je travaillais comme juriste dans la ville voisine – Ubon. C’était une période très stressante de mon existence. Quand je visitai Wat Pah Nanachat, je fus très impressionné par le calme paisible de la forêt ainsi que par la présence et la bonté des moines. Mon esprit commença alors à se calmer lui aussi. A ce moment-là, Ajahn Pasanno et Ajahn Jayasaro en étaient les abbés.
 
PV : Cela s’est passé avant que vous alliez vivre à New-York pour aider au lancement d’un grand restaurant ?
 
JM : C’est cela. Après ma première visite, j’ai continué à aller au Wat Pah Nanachat, en tant que laïc, pendant un an et demi, pour des séjours de deux ou trois jours à chaque fois. Puis je suis parti aux Etats-Unis où j’ai travaillé très dur dans un restaurant de Manhattan et gagné suffisamment d’argent pour aider ma famille restée à la maison. J’avais la possibilité financière de m’offrir ce que je voulais, mais je n’étais pas heureux. Je ne comprenais pas d’où cela provenait. Un jour, je suis allé faire des achats avec mes amis. Alors qu’ils me demandaient ce que je voulais acheter, je me suis arrêté. Je ressentais une profonde sensation de lassitude vis-à-vis de toutes ces choses et expériences matérielles. J’en avais assez. Ce fut une sensation nouvelle et libératrice. Me retournant sur mon existence, je compris que ce que je voulais vraiment, c’était pratiquer le Dhamma et me faire ordonner moine. Mais, cela m’a pris du temps pour tout préparer.
 
PV : Qu’ont pensé vos parents de votre décision de vous faire moine ?
 
JM : Ils étaient heureux que je puisse devenir moine le temps d’un pansa (un retraite des pluies). C’est la tradition pour les hommes Thaïlandais de se faire ordonner le temps d’une saison des pluies et mes deux frères l’avaient déjà fait avant moi. Mais, cela ne m’intéressait pas de me faire ordonner pour un seul pansa, ce n’était pas ce que je voulais faire.. Je voulais rester moine aussi longtemps que cela aurait un sens pour moi et ne quitter la robe que le jour où je n’aurais plus aimé être moine. Cette période fut assez difficile pour mes parents.
Ils ont réfléchi et finalement m’ont donné leur autorisation. A ce moment-là, mes deux parents étaient déjà âgés et pas en très bonne santé. Même si cela leur fut très difficile de m’autoriser à me faire moine, ils ont voulu agir pour mon bien et furent assez généreux pour accepter un tel sacrifice. Cette décision de leur part m’a montré combien ils m’aimaient. Dès qu’ils me virent devenu moine, et plus particulièrement moine de forêt, ils ont approuvé ma décision et cela les a même encouragé à pratiquer. Grâce à la pratique du Dhamma, ils ont vraiment changé leur manière de vivre. Alors que j’étais moine depuis juste un an, ils m’ont dit : « Ne quitte jamais la robe ».
<rires> PV : Aussi vite que cela ?
 
JM : Ils étaient vraiment heureux. J’étais très chanceux d’avoir l’opportunité de rembourser ma dette de gratitude envers mes parents, qui sont décédés peu après, en aidant à leur enseigner davantage le Dhamma. Dans les dernières années de leur vie, nous parlions très souvent du Dhamma et je partageais avec eux quelques livres et enregistrements de Luang Por Chah, tel que « Notre Vraie Demeure». J’ai remarqué que mes parents devenaient plus sereins et comblés par la vie. Ils approfondissaient leur compréhension de l’impermanence et leur réflexion sur la séparation inévitable causée par la mort. Ils commencèrent à pratiquer chaque jour. Mon père mourut le premier, mais ma mère garda un esprit fort du fait de sa pratique du Dhamma et ce, malgré sa santé précaire. Elle mourut quatre mois plus tard. Au moment de sa mort, elle était en train de faire une offrande au Sangha. Le jour où elle mourut, ce fut une bénédiction de savoir qu’elle était heureuse et en paix.
 
PV : Tan Dhira, et en ce qui vous concerne ? Vous aussi avez été travailler aux Etats-Unis avant de vous faire ordonner, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui vous a fait changer de voie et devenir moine ?
 
DP : Après avoir terminé l’Ecole de Médecine, je devais décider de ma spécialisation. Je pensais d’abord devenir pédiatre comme ma mère. Et je voulais aussi aller faire mon internat en Occident. Dans ces années-là, cependant, il était difficile de pouvoir aller se former en Amérique. J’ai finalement été accepté dans un programme dans le Michigan. Lors d’un de mes premiers stages à l’hôpital, le médecin a demandé aux internes de quelle origine ils étaient. Quand il sut que je venais de Thaïlande, il eut un large sourire et me demanda : « Ainsi vous venez de Thaïlande, n’est-ce pas ? Dites-moi, c’est quoi le Nirvana ? ». J’ai été stupéfait. Je ne m’attendais pas à une telle question en Occident. Je ne me souviens pas de ce que j’ai répondu, mais cela m’a beaucoup fait réfléchir. J’avais fait tout ce chemin jusqu’en Amérique à la recherche de la connaissance, mais je me demandais si ce que je recherchais ne se trouvait pas dans mon propre pays.
 
PV : Alors, comment avez-vous atterri au Wat Pah Nanachat ?
 
DP : A Détroit, chaque semaine, la communauté thaïlandaise locale organisait un repas à la fortune du pot dans la maison de ma tante. Les gens parlaient, puis s’asseyaient pour une méditation en commun. Je me joignais au groupe de temps en temps — surtout pour profiter de la nourriture abondante et délicieuse. Et ma tante insistait pour que j’emporte les restes car elle savait que je vivais seul et que je n’étais pas bon cuisinier. Je dois avouer que c’est cela qui a inspiré mes débuts dans la pratique de la méditation.
Un jour, plusieurs années plus tard, je découvris sur le site internet des étudiants thaïlandais, qu’Ajahn Jayasaro venait diriger une retraite de méditation dans le Maine. La « retraite randonnée » se déroula au Parc National d’Acadia et ce fut un tournant décisif dans mon existence. Chaque matin et chaque soir, nous chantions un puja en Pali et en Thaï. Ma grand-mère m’avait enseigné à chanter chaque soir avant d’aller me coucher et je le faisais depuis que j’étais gamin. Mais je n’avais qu’une idée très vague de ce que je récitais. Durant cette retraite, je fus vraiment ému d’apprendre la signification profonde de ce que j’avais toujours chanté.
Durant la journée, nous faisions de longues marches à piedet, quand nous étions fatigués, nous nous asseyions en méditation.
Durant les séances quotidiennes de questions-réponses, j’étais très impressionné par la sagesse d’Ajahn Jayasaro. Le dernier jour de la retraite, il y a eu une cérémonie où nous demandions la bénédiction de l’ajahn. C’est une merveilleuse tradition. Pendant que nous marchions dans le parc pour cette cérémonie, Ajahn Jayasaro me tendit son bol. C’était la première fois que je tenais dans mes mains le bol à aumônes d’un moine et j’en fus empli de bonheur. Je ne sais pas comment décrire cela, mais j’ai ressenti une émotion forte que je n’oublierai jamais. Les larmes me vinrent aux yeux. Le temps semblait s’être arrêté. A cet instant précis, j’ai senti que je pouvais, moi aussi, me faire moine et m’efforcer de suivre le chemin de grands arahants. Ce fut le moment où je décidai de me faire ordonner.
 
PV : Votre famille vous avait fait entrer dans une école de médecine et avait financé vos études aux Etats-Unis pour devenir médecin – cela n’a-t-il pas été un choc pour elle ?
 
DP : Je dois répondre par l’affirmative. L’année où j’ai rencontré Ajahn Jayasaro et décidé de me faire moine, je leur ai fait part de ma décision, mais ils ne m’ont pas cru. Ils pensaient que j’avais une peine de cœur ou quelque chose de semblable. <rires> Mais je persistai. Durant les deux années qui ont suivi, où j’attendais d’avoir fini mes études de médecine, j’essayais de garder les cinq préceptes de façon régulière et je prenais les huit préceptes un jour par semaine. Mes amis commencèrent à penser que je devenais étrange. Quoi qu’il en soit, je me sentais de plus en plus apaisé. Je voulais passer davantage de temps dans des retraites méditatives à la maison où je me sentais si bien. Quand ma bourse d’étude est arrivée à son terme, je suis revenu en Thaïlande et j’ai retrouvé le chemin de Wat Pah Nanachat. J’ai demandé à Ajahn Jayasaro qu’il m’ordonne moine afin que je puisse poursuivre la Voie. Bien sûr, mes parents avaient mis de grands espoirs en moi. Mais je pensais que je ne les laissais pas tomber, même si, sur le moment, eux pensaient autrement. Pour moi, devenir moine était faire preuve d’une plus grande ambition. Il y avait déjà plusieurs médecins dans ma famille, mais pas un seul moine. Il y avait davantage de bon sens à acquérir et de choses utiles à développer en menant une vie sainte.
 
PV : Sont-ils plus enclins à accepter votre décision aujourd’hui ou espèrent-ils toujours que vous allez quitter le monastère ?
 
DP : Le temps passant, ils ont commencé à apprécier ce que je pouvais faire en tant que moine. Pour être honnête, la générosité de mes parents et leur amour tout au long de ma vie m’ont donné la force morale pour poursuivre dans la voie monastique. Pour moi, cette vie monastique n’est pas un rejet de la vie familiale, mais une manière d’avancer un pas plus loin. Si je n’étais pas moine dans cette vie, je sentirais que je ne remplis pas mes obligations, au sens le plus élevé du terme, envers ma famille.
 
PV : Tan Jayasiri, qu’est-ce qui au départ vous a amené au Wat Pah Nanachat ? Pourquoi avez-vous décidé de venir ici pour pratiquer, alors qu’il y a un grand nombre de bons monastères de forêt en Thaïlande ?
 
JS : Juste avant de me faire ordonner, je suis allé au Wat Pah Pong où j’ai rencontré Luang Por Sumedho et Ajahn Jayasaro. Dès ce moment-là, j’ai souhaité être auprès d’eux. J’ai été ordonné à Ayudhaya et, après y avoir passé les cinq premières années, je suis venu au Wat Pah Nanachat.
 
PV : Qu’est-ce qui vous attirait chez Luang Por Sumedho et Ajahn Jayasaro ?
JS : Il est difficile d’expliquer cela avec des mots – c’est seulement que je voulais être auprès d’eux. Leur présence était apaisante et inspirante. Je sentais que pratiquer sous leur direction me serait bénéfique.
 
PV : Pensez-vous qu’ils soient différents des ajahns thaïlandais ?
 
JS : Non, ils sont semblables.
 
PV : Etant venu au Wat Pah Nanachat, que pensez-vous de la pratique avec des moines occidentaux comparé au sangha thaïlandais ?
 
JS : En fait, je n’ai jamais eu l’impression de pratiquer avec des personnes particulières. Où que je sois, je suis la pratique enseignée par Ajahn Chah.
 
PV : Quelle part de l’enseignement d’Ajahn Chah vous paraît-elle la plus importante pour votre pratique ?
 
JS : Observer et étudier les sensations et l’esprit. Voir l’impermanence.
 
PV : Pourquoi, selon vous, en Thaïlande où il y a un nombre important de maîtres de forêt, autant de moines occidentaux ont-ils été ordonnés par Ajahn Chah ou dans sa lignée ?
 
JS : C’est vrai, il y a de nombreux grands maîtres en Thaïlande, mais Luang Por Chah a été un maître vraiment exceptionnel. Il avait sa propre manière, à la fois simple et profonde, d’enseigner le Dhamma. Ses enseignements étaient aisés à comprendre. Il avait aussi un grand charisme : les gens étaient heureux de le voir, tout le monde aimait être auprès de lui. Il  a instauré un mode d’enseignement très utile et qui s’adapte à toutes sortes de gens.
 
PV : Tan Joti, qu’est-ce qui vous a incité à venir vous faire ordonner au Wat Pah Nanachat, plutôt que dans un autre monastère de forêt ?
 
JM : Comme je connaissais déjà le Wat Pah Nanachat depuis quelques temps, je savais que j’aimerais cette manière de vivre et je sentais que les moines y étaient sincères et diligents dans leur pratique. J’avais aussi rendu visite à Ajahn Dtun avant mon ordination. J’aimais bien ce monastère-là aussi, mais je le trouvais trop proche de la maison de ma famille à Chonburi. Je voulais être ordonné loin du foyer familial, aussi me suis-je rendu à Udon. Là, j’ai su que je voulais être ordonné par Ajahn Jayasaro.
 
PV : Pouvez-vous comparer la vie auprès de moines occidentaux à la vie avec des moines thaïlandais ?
 
JM : Sur de nombreux points c’est la même chose, mais il peut y avoir certaines différences culturelles. Au Wat Pah Nanacahat, les gens viennent d’horizons divers. Pourtant la communauté est très harmonieuse, même si de temps en temps, certaines difficultés et certaines incompréhensions peuvent survenir. En tant que Thaïlandais, on nous a appris à garder nos sentiments pour nous. Nous ne savons pas comment nous exprimer. Mais, quand je suis venu ici, j’ai eu l’impression que tout le monde savait comment exprimer son point de vue. J’ai tenté d’apprendre à le faire correctement, mais je trouve cela assez difficile.
Je pense que, si les personnes d’une communauté monastique expriment trop ouvertement leurs opinions, cela peut créer des problèmes et empêcher les gens de développer la patience, par exemple D’un autre côté, je pense qu’une communication ouverte est importante car cela permet d’augmenter la compréhension mutuelle. Pour les Thaïlandais, s’il y a des problèmes, mieux vaut ne pas en parler. L’idéal serait de pouvoir trouver une voie médiane.
 
PV : Tan Dhira, et pour vous ? Avoir choisi d’être ordonné ici, et non dans un monastère dirigé par des moines thaïlandais, c’est du fait de votre rencontre avec Ajahn Jayasaro ?
 
DP : A cette époque-là, je ne connaissais pas grand-chose des autres monastères en Thaïlande. J’avais fait une retraite à Suan Mokkh, le monastère d’Ajahn Buddhadasa et dans deux autres lieux. Mais, comme je pensais que mon point faible était le vinaya, la discipline, j’ai essayé de trouver un endroit où l’accent serait mis sur la vie en communauté et un entraînement rigoureux à la discipline monastique. La première fois que je suis venu au Wat Pah Nanachat, ce fut principalement à cause de ma rencontre avec Ajahn Jayasaro que j’aimais beaucoup. J’ai tout de suite aimé cette vie dans la forêt. Les allées étaient balayées avec soin et c’était un bon environnement pour la méditation. Et, c’est peut-être cela le plus important, je me suis tout de suite senti bien au sein du sangha. Je me suis senti chez moi ici.
 
PV : J’ai maintenant une question pour chacun de vous. Beaucoup de gens pensent qu’aujourd’hui, en Thaïlande, il y a une crise de la religion (sasana). On relate souvent des scandales impliquant des moines qui ne respectent pas le vinaya. Et certains laïcs ayant une éducation occidentale sont très critiques au sujet du sangha qu’ils jugent trop attaché aux traditions du passé. Dites-moi, comment voyez-vous l’avenir du bouddhisme en Thaïlande ?
 
JM : Je pense que les gens, aujourd’hui, sont davantage intéressés par la religion. Ils comprennent mieux ce qui se passe. Avant, les gens tenaient la religion en très haute estime – peut-être en si haute estime qu’elle en était devenue hors d’atteinte. Maintenant, les laïcs sont plus libres d’exprimer leurs idées et d’être entendus.
 
PV : Pensez-vous que cela provienne de l’influence occidentale ?
 
JM : Possible.
 
PV : Pensez-vous que cette nouvelle attitude va influer sur la pratique des moines ? Certains soutiennent que l’ouverture sur le monde et les valeurs de la vie laïque peut être contreproductive quand elle vient en contact avec la sphère du monachisme. Votre avis ?
 
JS, JM, DP : <un long silence, puis un rire> C’est difficile de faire la part de choses.
 
PV : En Occident, on met l’accent sur la notion d’égalité, mais le Bouddha a dit que cette façon de voir : « Je suis égal à … » est encore un attachement au soi. Certains moines soutiennent qu’il est important de ne pas sacrifier le sens de samana sañña (la conscience d’être un renonçant apaisé) au détriment de la volonté de se conformer aux standards de la vie actuelle dans le monde.
 
JM : Un exemple de ceci est la manière dont nous percevons la hiérarchie. Les Thaïlandais ont un immense respect pour les ajahns. Quand des Thaïlandais vivent dans une communauté de moines occidentaux, ils continuent à placer l’ajahn sur un piédestal. Car en effet, nous avons un grand respect des usages et de la distance respectueuse que l’on doit garder devant un religieux. J’ai remarqué que les occidentaux, cependant, sont moins formalistes et plus décontractés dans leurs rapports avec le maître. Pour eux, les relations avec un ajahn peuvent être celles que l’on entretient avec un ami. Pour un Thaïlandais, ce serait malséant. Pour ma part, je ne me permettrais jamais de me comporter comme un copain avec un ajahn, même si j’en avais le désir. Pour nous, moines thaïlandais, il est possible d’être très proches d’un maître, mais il y aura toujours une distance respectueuse dans cette relation.
 
PV : C’est très intéressant. Il semble courant, dans différentes traditions bouddhistes, de garder une distance respectueuse vis-à-vis du maître. Si l’on n’a pas ce respect, il devient difficile d’apprendre, d’avoir une communion pure entre l’enseignant et l’élève. Pensez-vous que les Occidentaux peuvent perdre quelque chose dans leur apprentissage, du fait de la désinvolture dont ils font preuve avec leur enseignant ?
 
JM : Oui. En Thaïlande, même si l’ajahn est jeune ou du même pansa (même ancienneté), on lui accorde le respect formel dû au maître. Il pourrait être naturel de ressentir un certain degré de camaraderie dans une telle situation, ou de ne pas vouloir considérer l’ajahn comme quelqu’un de supérieur dans la hiérarchie. Mais, dans un monastère thaïlandais, cela ne se produit que rarement parce que l’Ajahn est toujours placé sur un piédestal.
 
DP : Prenez l’exemple de Tan Jayasiri. Il va bientôt être un ajahn et il nous sera difficile de trouver l’attitude adéquate avec lui. Nous avions l’habitude d’être poches de lui et nous pouvions plaisanter ensemble. Quand il va devenir ajahn, nous devrons perdre ces habitudes. Il va être mis dans la position spéciale du maître très bientôt. <rires>
 
JS : Je pense qu’il y a un temps et un lieu pour cela. Ce n’est pas tout le temps que l’ajahn joue le rôle d’enseignant. Quand nous sommes dans ce type de situation, nous devons montrer notre respect et agir en conséquence, comme un jeune garçon envers son père. Le sentiment d’une relation étroite peut faciliter la discussion de l’un avec l’autre.
 
PV : Pour les moines occidentaux, cela nécessite, le plus souvent, quelques efforts pour s’adapter de façon adéquate à la structure sociale hiérarchisée. Par exemple, dans la culture occidentale, les gens ont souvent des relations d’égal à égal, non basées sur des rapports hiérarchiques formels. On montre son respect à l’autre en ayant des relations amicales, sincères et ouvertes. Alors que dans la tradition bouddhiste, le respect et la confiance peuvent être exprimés à un maître et aux moines, en sachant s’effacer et agir en fonction de sa position dans la hiérarchie. Cela peut être quelque chose de subtil et raffiné – que beaucoup d’entre nous, occidentaux, aurions bien besoin d’apprendre à mieux faire. C’est un vrai défi que de s’adapter naturellement à une nouvelle culture, sans pour autant se fabriquer une nouvelle identité qui serait factice.
Quand je vis dans un monastère thaïlandais, cela me plaît de me positionner dans ce système hiérarchique et d’avoir ce genre de rapports formels avec l’ajahn. Mais, lorsque je suis avec d’autres moines occidentaux plus anciens que moi, il semble plus naturel de laisser de côtés ces relations formelles qui ne font pas partie dans notre culture. Mais la forme de ces relations change aussi en fonction du contexte – que l’on soit en Orient ou en Occident, seuls ou en groupe, à l’intérieur d’un monastère ou dehors en public. On doit rester attentif et savoir s’adapter.
 
DP : Je pense qu’il y a, à la fois, des avantages et des inconvénients à ce genre de relation « égalitaire ». Ayant grandi en Thaïlande où le système hiérarchique est si fort, quand j’étais jeune, je n’avais que peu d’idées sur ce que faisaient les moines. Je n’approchais des moines que pour les offrandes de nourriture et pour entendre les enseignements sur le Dhamma. C’était tout. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que la vie monastique pouvait être une autre manière de vivre que je pourrais moi-même choisir. Aujourd’hui, les choses ont changé par rapport aux temps anciens où le monastère faisait aussi office d’école et qu’il était le centre de la vie communale. Les bons moines servaient de modèle à l’ensemble de la communauté villageoise.
Quand j’ai rencontré des moines occidentaux, j’ai cependant trouvé que ce rapport hiérarchique strict faisait défaut. Lorsque j’ai passé une semaine à randonner aux Etats-Unis et que j’ai pu écouter Ajahn Jayasaro et dialoguer avec lui, je me suis senti très proche de lui. Il m’a semblé que je pouvais lui poser toutes les questions que je voulais et que ses réponses s’adressaient à moi personnellement. Peut-être est-ce mon éducation occidentale qui m’a permis de mieux comprendre le Dhamma quand il était enseigné avec des termes occidentaux. Mais je dois aussi dire qu’Ajahn Jayasaro est plus thaïlandais que bien des Thaïlandais que je connais. Je pense aussi que la personnalité de l’enseignant est importante. Quand on aime l’enseignant, on aime aussi son enseignement. J’ai beaucoup de gratitude pour la chance que j’ai eu de connaître cette relation privilégiée avec Ajahn Jayasaro alors que j’étais aux Etats-Unis, expérience que je n’avais jamais eue en Thaïlande.
Mais il y a aussi des inconvénients à ce genre de relations égalitaires, que je vois mieux maintenant que j’ai pris la robe. Dans la vie monastique, ce sentiment d’être à égalité peut être préjudiciable. Si tout le monde est au même niveau, nous risquons de ne pas écouter ou montrer suffisamment de respect à un moine plus avancé dans la pratique, surtout si nous avons tendance à penser que nous en savons davantage nous-mêmes. Il peut paraître normal pour l’esprit de suivre ses propres kilesa, mais il n’y aura alors aucun progrès spirituel.
Autrement dit, je pense qu’il est mieux de reconnaître l’égalité en termes de Dhamma, mais de reconnaître l’importance de la structure hiérarchique et le vinaya dans la vie en communauté. La structure hiérarchique peut nous apprendre beaucoup si nous savons nous y conformer correctement. Personnellement, en tant que moine, j’ai besoin de garder cette relation hiérarchique vis-à-vis de l’ajahn, de le mettre sur un piédestal, afin de suivre ce qu’il m’enseigne avec respect, non pas traiter ses conseils avec légèreté.
 
PV : Très bientôt, Tan Jayasiri, vous allez partir pour l’Australie. Qu’est-ce qui vous pousse à partir pratiquer en Occident ? Pourquoi un moine thaïlandais quitte-t-il son propre pays pour aller vivre et pratiquer en Australie ?
 
JS : Cette idée vient d’Ajahn Nanadhammo. Il m’a proposé cela voici deux ans et demi. Il m’a dit que le monastère était un bon endroit avec un maître excellent. A ce moment-là, j’ai préféré rester pratiquer au Wat Pah Nanachat mais maintenant, je pense que le temps est venu et j’ai décidé d’y aller. Je crois qu’il me sera profitable de me confronter à une nouvelle expérience. Après m’être occupé du secrétariat du Wat Pah Nanachat, j’ai l’opportunité d’aller connaître une plus grande solitude en Australie. Cela devrait renforcer ma pratique. J’aurai plus de temps disponible, je pourrai organiser ma pratique à ma façon.
 
PV : De plus en plus de gens en Occident sont intéressés par la pratique du Dhamma, depuis quelques dizaines d’années, mais peu de personnes sont devenues moines ou nonnes. La grande majorité préfère garder une pratique laïque. Inversement, en Thaïlande, les jeunes hommes ont souvent peu d’expérience dans la pratique du Dhamma, mais ils trouvent souvent un intérêt à s’engager dans la vie monastique. Pensez-vous qu’à l’avenir les choses vont changer en Occident ?
 
JS : Oui, cela va changer dans l’avenir. Mais devenir moine engage à abandonner tant de choses ! Quand vous devenez moine, la discipline devient ce qu’il y a de plus important. Quelqu’un qui garde beaucoup d’attachements se sentira peu à l’aise, comme sur un étroit chemin. Sans doute pensent-ils qu’il est plus confortable de pratiquer en suivant les cinq préceptes.
Pour un Occidental, l’ensemble des préceptes d’un moine doit sembler beaucoup au départ. Ils vont à l’encontre des habitudes ordinaires des laïcs qui se préoccupent de faire et d’acquérir plein de choses censées nous rendre heureux. Devenus moines, nous n’avons que peu de besoins. Mais, même lorsque nous avons été ordonnés, nous pouvons encore avoir les mêmes désirs et perceptions que lorsque nous étions laïcs. Lorsqu’un moine est ordonné extérieurement, cela ne veut pas dire qu’il soit réellement ordonné moine en lui-même. Nous pouvons aussi penser que le nombre des préceptes est trop important parce que nous gardons les opinions et les attachements que nous avions quand nous étions laïcs. Alors, nous devons investir de gros efforts dans la pratique. Après quelques années, les résultats de la pratique se font jour. Les perceptions et sensations que nous connaissions dans la vie laïque vont naturellement se transformer.
De nos jours, avec les moyens modernes de communication et les voyages intercontinentaux, il est plus facile pour les gens d’approcher la pratique du Dhamma au travers de la vie monastique. En Occident, vous pouvez parfois rencontrer des moines dans la société ou lors de retraites guidées. C’est une manière de voir comment les moines se comportent et mènent leur existence. Voyant cela, certains pourraient être intéressés par l’ordination.
 
PV : Tan Joti, vous allez bientôt partir pour le monastère affilié au Wat Pah Nanachat en Nouvelle Zélande ? Que pensez-vous de l’intérêt des Occidentaux pour la voie monastique ?
 
JM : Maintenant, en Occident, de nombreuses personnes sont intéressées par la méditation sans pour autant connaître grand-chose à la pratique du Dhamma. Devenir moine nécessite de franchir un grand pas car cela demande de renoncer à un grand nombre d’attachements. Mais si un Occidental est sincèrement intéressé, il peut le faire. On peut aujourd'hui se faire ordonner dans les pays occidentaux, même si, à mon avis, il est préférable de venir se faire ordonner en Orient. Parce que le bouddhisme y a ses racines, il peut être vivifiant de venir pratiquer ici, surtout durant les premières étapes de la vie monastique. Mais, que l’on soit ordonné moine ou pas, c’est quelque chose que l’on a besoin de connaître par soi-même.
 
DP : Je pense qu’il est important d’ajouter que, si quelqu’un est véritablement sérieux dans sa pratique, je lui recommanderais la vie monastique. Elle renforce les fondements de sila (la discipline). Le Bouddha a défini les trois volets de la pratique : sila, samadhi et pañña (discipline, attention et sagesse), mais une attention qui s’appuie sur la discipline est plus fructueuse et conduit directement vers la sagesse. La vie laïque demande souvent de faire des compromis mais le bhikkhu, quant à lui, peut toujours aller vers l’objectif le plus élevé. Sa seule limite est son propre effort, et non la situation extérieure.
 
PV : Pour moi, en Thaïlande, il est très inspirant de voir tant de gens à travers le pays qui ont un si grand amour du Dhamma. Cela peut être d’une inspiration puissante et une grande motivation pour un jeune moine comme moi. Quelques personnes en Occident ont cet amour du Dhamma, mais, pour la plupart, ils ne savent rien du Dhamma. Quelle sensation cela vous fait-il d’aller dans un endroit où tant de personnes sont ignorantes de la pratique du Dhamma ? Ils ne savent peut-être même pas ce qu’est un moine bouddhiste ?
 
<silence et sourires>
PV : Tan Joti, vous avez vécu à Manhattan pendant cinq ans. Pouvez-vous imaginer aller faire votre quête de nourriture avec votre bol sur la Cinquième Avenue ?
 
JM : Non, je ne peux vraiment pas imaginer cela. Mais, si j’étais dans cette situation, je devrais l’accepter, même si les gens ne savaient pas ce qu’est un moine bouddhiste ou s’ils me regardaient comme un être étrange. Mais n’oublions pas qu’il y a des choses très étranges qui se passent à New York ! Dans mon cas, c’est une bonne pratique que de conserver la tradition et de montrer un simple moine qui marche pour recueillir des offrandes, qui pratique l’attention, qui pourrait offrir quelque chose aux gens perdus dans leur existence trop lourde. De nos jours, les gens sont mieux informés sur les moines bouddhistes. Si je devais aller marcher dans les rues de New York, je voudrais être sûr d’être bien préparé aux questions que ne manqueraient pas de me poserles gens que je rencontrerais.
 
PV : Tan Jayasisi, que répondriez-vous à la question : « Qui êtes-vous ? ». C’est une question qui est quelquefois posée aux moines, même pendant leur quête des offrandes ?
 
JA : Si jamais quelqu’un me demande qui nous sommes, je sourirais probablement et répondrais que nous sommes des moines bouddhistes vivant d’offrandes. Si l’on me demandait de décrire notre pratique, je dirais que nous essayons de vivre une vie simple. Que nous pratiquons la méditation afin d’essayer de comprendre la vraie nature des choses en ce monde. Que si nous pouvons pratiquer les enseignements du Bouddha et voir les choses clairement telles qu’elles sont, nous pourrons aider à atténuer la souffrance. Le but est de pouvoir observer avec sagesse les pensées, les émotions et les sensations lorsqu’elles paraissent. « J’aime ceci » ou « je n’aime pas ceci », « je veux ceci » ou « je ne veux pas ceci » - nous pouvons lâcher prise de tout cela. Si nous pouvons garder notre esprit au-delà des sensations mondaines de bonheur et de malheur, nous pourrons commencer à trouver la liberté et le bonheur qui ne change pas. Ceci peut être facile à croire, mais difficile à obtenir. La pratique n’est pas une chose aisée. Si la personne qui m’interroge a un peu de temps libre, elle peut essayer de pratiquer l’attention et la méditation afin d’observer ces choses par elle-même.
 
PV : Tan Joti, qu’elle serait votre réponse ?
 
JM : Je voudrais expliquer que je suis un moine bouddhiste qui ne peut détenir, ni utiliser d’argent et qu’il est dans notre tradition de sortir chaque matin pour recevoir les offrandes. Je prendrais un peu de temps pour expliquer les enseignements du Bouddha. Ce que je pourrais dire dépendrait de la personne, de son niveau de compréhension et de la situation.
Si la situation était favorable, je lui dirais que nous pratiquons pour lâcher prise, sans chercher à atteindre quoi que ce soit. Nous faisons cela au travers du développement de la vertu, de la méditation et de la sagesse. Les enseignements plus complexes sur le non-soi et la vacuité seraient difficiles à expliquer. Il serait sans doute plus approprié de commencer par des enseignements sur sila et metta et, quand une relation amicale aurait été établie, poursuivre par des enseignements plus profonds. Si cette personne souhaitait dialoguer davantage, je pourrais l’inviter à venir visiter le monastère pour approfondir sa connaissance de la pratique du Dhamma et puis essayer par elle-même.