Le Dhamma de la Forêt


L’attention purifie la perception

Extrait du livre de Bhante Gunaratana,
Méditation sur la perception


Traduction de Jeanne Schut

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Quand on pense à utiliser l’attention pour purifier la perception, on peut commencer par se demander comment la perception en arrive à être déformée ou polluée. Dans certains sutta, le Bouddha a déclaré que l’avidité et l’aversion qui obscurcissent l’esprit lumineux viennent de l’extérieur. Cet enseignement implique qu’à la naissance, les pollutions ne sont pas dans l’esprit. Pourtant, selon d’autres enseignements du Bouddha, les impuretés extérieures ne pourraient pas envahir l’esprit si celui-ci ne portait pas déjà en lui des « traces de souillures ». Ce qui se passe, c’est que l’esprit qui contient des impuretés recherche des impuretés semblables à l’extérieur et obtient ce qu’il désire.

On peut se demander alors d’où viennent ces traces de souillures. Le Bouddha a expliqué que notre vie présente est le résultat direct du kamma, d’un enchaînement de causes à effets. Les actes négatifs que nous avons commis intentionnellement dans des vies passées sont la cause, et cette vie d’impermanence et de souffrance est l’effet. Si l’esprit de notre vie antérieure avait été libre de toutes souillures et de « traces de souillures », nous n’aurions pas repris naissance du tout. Nous bénéficierions, au contraire, de l’état de pureté et de paix qui est au-delà du cycle des renaissances de souffrance et que l’on appelle libération ou nibbāna.

Le nibbāna n’est pas un lieu ou une situation particulière extérieure à nous ; au contraire, il est en nous. Le nibbāna, c’est la désintégration totale de toutes les pollutions mentales. À l’instant même où notre avidité, notre aversion et notre ignorance de la réalité sont détruites, le nibbāna apparaît. La clé qui permet de venir à bout des impuretés et d’atteindre le nibbāna, c’est entraîner son esprit. Comme l’a dit le Bouddha : « De même que la pluie ne peut s’infiltrer dans un toit de chaume bien attaché, les passions ne peuvent s’infiltrer dans un esprit bien entraîné. »

Alors, comment devons-nous procéder ? Avant tout, nous devons comprendre ce que nous essayons d’accomplir et développer des capacités d’attention, tant pendant la méditation que dans la vie. Nous utilisons cette attention pour empêcher les impuretés extérieures de pénétrer dans l’esprit en surveillant soigneusement les sens. Nous l’utilisons aussi pour éviter que n’apparaissent des tendances latentes qui existent sous forme de traces dans l’esprit (comme l’avidité, l’aversion, la convoitise, la jalousie ou l’orgueil). Et si elles apparaissent, malgré ces efforts, ou qu’elles atteignent le stade où elles se manifestent par des paroles ou par des actes, nous faisons un effort d’attention supplémentaire pour les vaincre.

Ensuite, au lieu de nous inquiéter des pensées négatives que nous avons pu avoir dans le passé, nous éveillons des pensées saines comme la générosité, la patience et la bienveillance, puis nous faisons un effort délibéré pour renforcer ce type de pensées. De plus, nous utilisons l’attention pour protéger les sens contre des expériences sensorielles extérieures qui risqueraient de stimuler des tendances néfastes. Comme nous l’avons dit, l’attention est l’essence même de vipassanā, ou méditation de la vision pénétrante. Seule cette méditation peut entraîner l’esprit à observer et à se discipliner, et peut réussir à le purifier en mettant fin à toutes les pollutions mentales, y compris à leurs tendances latentes.


Prenons un exemple concret de ce processus.

Nous pouvons appliquer une technique similaire à la perception du plaisir des sens qui engendre désir et convoitise ; à la perception de l’agitation et de l’inquiétude qui nous distraient de notre méditation ; à la perception de l’apathie et de la torpeur quand nous essayons de nous concentrer ; et à la perception de nos doutes sur le Bouddha et ses enseignements. Dans ce contexte, il est important de reconnaître que, même si nous ne pouvons pas libérer l’esprit de ses anciennes pollutions, nous pouvons essayer d’éviter que de nouvelles pollutions s’y introduisent. D’ailleurs, la méditation peut affaiblir les anciennes pollutions mentales en ne les renforçant pas. Quand elles ne sont pas nourries, elles s’affaiblissent, deviennent futiles et peuvent même se désagréger.

Ainsi, bien que nous ne puissions pas revenir sur notre manque d’attention d’hier, nous pouvons nous souvenir que nous avons manqué d’attention et essayer d’être attentifs aujourd’hui. L’absence de présence d’hier a permis au désir, à l’aversion et aux pensées erronées d’envahir l’esprit. Ces pollutions mentales nous ont rendus malheureux et nous ne souhaitons pas les autoriser à poursuivre. Nous ne pouvons peut-être pas les retirer toutes d’un coup, mais nous pouvons appliquer l’attention pour nous attaquer à elles petit à petit.

S’engager dans ce processus, c’est suivre la voie du Bouddha. Nous sommes prêts à faire les efforts nécessaires pour purifier l’esprit des pollutions et des traces qu’elles peuvent laisser. Quand l’esprit est purifié, la perception l’est aussi. Comme nous l’avons vu, la perception est l’un des cinq facteurs interconnectés qui contribuent au fonctionnement mental : contacts, ressentis, perceptions, pensées et attention. Comme ces cinq composantes sont inséparables, tout état mental qui affecte la conscience affecte aussi les autres fonctions. De ce fait, quand nous percevons quelque chose avec un esprit lumineux purifié, notre perception devient elle-même purifiée et lumineuse.

En pratiquant une attention de tous les instants, en méditation et au cours de la journée, dans nos activités quotidiennes, nous commençons à voir comment se déroule la voie du Bouddha. Où est la voie et qu’est-ce que cette voie ? Elle est en nous ou, plus précisément, dans l’esprit et ses mouvements. Nous ne trouverons jamais la voie ailleurs ; ni dans les livres, ni dans une boutique, ni dans les temples. Elle est en nous. Et l’attention est la clé qui ouvre le portail de ce chemin.