Le Dhamma de la Forêt



Les communautés Metta

Bhante Gunaratana

Traduction de Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Extrait du livre de Bhante Gunaratana, De la bienveillance à l’amour inconditionnel,
à paraître aux éditions Hachette en automne 2018.


En tant qu’êtres humains, nous sommes naturellement des créatures sociables et nous avons besoin des autres pour vivre. Quand nous sommes enfants, nous dépendons de notre famille pour survivre et quand nous sommes âgés, peut-être que nos êtres chers nous donnent une bonne raison de nous lever chaque jour. Nous sommes naturellement poussés à entrer en relation avec les autres. Mais parfois, cela signifie que nous regardons d’un autre œil ceux qui ne font pas partie de notre communauté et nous estimons qu’ils ne méritent pas notre bonté. La pratique de metta nous donne l’occasion de redresser cette tendance pour sentir que notre cœur est capable de s’ouvrir à tous les êtres et pas seulement à ceux que nous connaissons personnellement et que nous aimons. Le Bouddha a dit à ses soixante premiers disciples : « Partez pour le bien des multitudes, pour le bonheur des multitudes, par empathie pour le monde, pour le bénéfice, le bien-être et le bonheur des déités et des humains. Ne soyez pas deux à suivre la même route. Enseignez le Dhamma qui est bénéfique au début, bénéfique au milieu et bénéfique à la fin. » Voilà une puissante démonstration de l’immense amour du Bouddha pour tous les êtres.

Le Bouddha a demandé à ses disciples d’exprimer leur amitié et leur bienveillance aux personnes qui les soutiennent en leur enseignant le Dhamma et la méditation, et en les guidant dans leur pratique. Ainsi metta est multiplié de manière exponentielle dans les communautés, et de plus en plus de personnes peuvent apprendre à apaiser leur esprit et à développer de nouvelles façons de se relier aux autres avec amitié et bienveillance. Jusqu’à ses derniers jours, le Bouddha a exprimé son amour pour tous les êtres en demandant à ses disciples de pratiquer ce qu’il leur avait enseigné. Dans les Longs discours (Digha Nikaya), il dit :


« Moines, vous devez adopter soigneusement ces pratiques que je vous ai enseignées pour en avoir une connaissance directe. Vous devez les pratiquer, les cultiver et les multiplier pour que cette pratique spirituelle dure longtemps et demeure. Faites cela pour le bien des multitudes, le bonheur des multitudes, le bénéfice, le bien-être et le bonheur des déités et des humains. Faites cela par amitié envers le monde. »


Vous voyez donc que nous pratiquons la méditation de l’attention et metta pour tous les êtres. Cela inclut les humains, les non-humains, les animaux, les déités, les démons, les fantômes, les esprits, les bipèdes, les quadrupèdes, les êtres à cent pieds, à mille pieds, sans pied, les oiseaux et tous les êtres qui vivent dans l’eau et dans l’air. Nous faisons partie d’une vaste communauté qui inclut tous ces êtres et l’amitié bienveillante que nous cultivons doit aussi s’étendre jusqu’à eux.


Dans ma vie, en tant que membre d’une communauté de moines et de nonnes, j’ai appris que l’ensemble de la vie monastique dépend de metta. Le monastère est comme un terrain d’entraînement qui nous permet de développer des qualités comme la bonté et la patience, et la communauté ne fonctionne bien que si chacun de ses membres pratique metta. On nous apprend à pardonner toute offense commise à notre encontre. L’amitié et la bienveillance nous aident à éviter des conflits, surtout ceux qui sont causés par accident ou suite à un malentendu. Elles nous apprennent à être conciliants plutôt que fiers et hostiles. Lorsqu’une personne se sent blessée, la gentillesse permet de rétablir la paix et l’harmonie. Que ce soit en public ou en privé, moines et nonnes sont censés se comporter avec patience et amitié bienveillante dans toutes leurs actions, leurs paroles et leurs pensées envers leurs compagnes et compagnons dans la vie monastique. Nous devons être très généreux pour partager avec notre communauté toute connaissance et révélation obtenue dans notre pratique de la méditation. Si l’un de nous est paresseux et ne participe pas aux activités régulières, nous pouvons lui conseiller de le faire sans nous fâcher pour autant. Notre metta ne doit connaître aucune barrière et notre pratique de la patience doit être illimitée.

J’ai pu constater dans ma vie les bienfaits de cette pratique et je n’ai jamais regretté de pratiquer metta et d’être patient. Je ne me lasse jamais de pratiquer metta et la patience. Même si vous ne vivez pas dans une communauté monastique (et c’est le cas de la plupart d’entre vous !), vous découvrirez très probablement que si vous pratiquez metta et la patience avec vos compagnons de vie, vous ne le regretterez pas non plus. En fait, vous serez certainement surpris de voir que votre gentillesse ne se limite plus aux personnes que vous rencontrez au quotidien. Votre metta peut devenir infini et vous pourrez commencer à remarquer que votre cœur s’ouvre à des personnes qui ne faisaient pas partie de vos proches jusque-là. La limite entre ceux qui vous inspiraient de l’amitié et les autres se dissipe peu à peu, et toute la négativité que vous avez pu ressentir dans le passé commence à disparaître.

Comme nous l’avons vu, la bienveillance et l’attention sont souvent mises sur un pied d’égalité. Elles partagent les mêmes caractéristiques. Dans la pratique de l’attention, moines et nonnes apprennent qu’ils doivent développer une claire compréhension lorsqu’ils avancent et qu’ils reculent, lorsqu’ils regardent au loin, qu’ils s’habillent ou qu’ils portent leur bol à aumône. Mais les laïcs peuvent, eux aussi, s’entraîner à vivre avec ce degré de pleine attention et de claire compréhension dans tout ce qu’ils font. Nous pouvons développer l’attention en mangeant et en buvant, dans la salle-de-bains et les toilettes, en parlant et en observant le silence, en se couchant et en se levant le matin, de même qu’en travaillant et en se reposant.

Nous devrions également pratiquer metta dans toutes ces activités. La colère, le ressentiment ou la déception peut apparaître à tout moment de la journée. Nous risquons de perpétuer notre façon maladroite de nous relier aux autres si nous ne faisons pas de metta une habitude dans toutes nos rencontres avec les autres et même dans toutes les histoires que nous nous racontons à leur propos.

Metta et l’attention exigent un engagement. Nous savons que nous souffrons ; nous savons que tous les êtres souffrent. Nous pratiquons metta pour diminuer notre souffrance et celle des autres. La malveillance ne fait qu’entretenir et nourrir la souffrance, mais nous devons savoir que la racine de metta est en nous. Si metta n’apparaît pas naturellement, nous devons prendre un engagement délibéré pour faire en sorte qu’il se développe. Si nous investissons l’effort nécessaire, metta peut devenir une nouvelle façon habituelle de fonctionner. Nous prenons toutes sortes de bonnes résolutions certains jours – lors de vacances, d’un anniversaire, etc. Eh bien, à l’occasion d’un jour spécial de notre vie, nous devrions également décider de pratiquer metta. Vous pourriez prendre cet engagement lors de votre prochain anniversaire, par exemple. Mais inutile d’attendre votre anniversaire ! Simplement en lisant ces lignes vous pouvez décider, en pleine conscience, de vous engager à poursuivre la pratique de metta. Cela, c’est l’attention. Cela, c’est une réflexion née de l’attention.

Souvent les personnes pensent que la pratique de metta est au-delà de la portée des êtres humains ordinaires ou peut-être qu’elles n’ont pas le temps ou la capacité de le pratiquer. Il est facile de s’imaginer qu’il faut avoir une qualité spéciale, quasiment divine, pour comprendre les bienfaits de la pratique de metta. Peut-être est-il difficile pour beaucoup de le comprendre, sans parler de le pratiquer. Pourtant, si vous continuez à pratiquer metta, vous en verrez les bienfaits dans votre propre vie. Toute personne qui recherche sincèrement la paix intérieure et le bonheur est capable de voir la force de l’amitié bienveillante. Cette qualité divine est profondément enracinée dans l’esprit humain.

Lorsque vous jetez un coup d’œil à votre environnement, vous ressentez peut-être de la déception, de l’inquiétude ou de l’appréhension en constatant l’état des choses. Vous voyez tellement de souffrance – des voisins qui se disputent, des pays qui se combattent, des enfants abandonnés à leur sort. Souhaiter que tout le monde mène une vie parfaitement heureuse sur terre ne va pas suffire pour que cela se réalise. Cependant, nous avons la capacité de faire de ce monde un paradis sur terre et cela commence avec la façon dont nous interagissons. Cela s’appelle « demeurer dans un état divin » : avoir amitié et bienveillance dans le cœur au lieu de méchanceté et malveillance. De même que nous pouvons faire un enfer de cette terre, la pratique de metta peut créer un paradis sur terre. Dans les Discours numériques, le Bouddha dit :


« Vois-tu, brahmane, lorsque je demeure près d’un village ou d’une ville dont je dépends pour vivre, je me lève le matin, je m’habille, je prends mon bol et mon manteau et j’entre dans ce village ou cette ville pour y mendier ma nourriture. Une fois de retour, après le repas, je vais dans un bosquet, j’entasse un peu d’herbe ou de feuilles trouvées là et je m’assois dessus. Jambes croisées, le dos bien droit, je pose mon attention devant moi. Ensuite je reste là, évoquant les quatre coins du monde. D’abord le premier quart, l’esprit imprégné d’amitié bienveillante ; ensuite je fais de même avec le second, le troisième et le quatrième quart. Ainsi au-dessus, au-dessous, devant et partout, envers tous et envers moi-même, j’étends au monde entier un esprit imprégné d’amitié bienveillante, vaste, élevé, illimité, libre de toute animosité et de toute malveillance. Je reste là, étendant à un quart du monde un esprit empreint de compassion… un esprit empreint de joie altruiste… un esprit empreint d’équanimité. De même envers le second, le troisième et le quatrième quart du monde. Ainsi au-dessus, au-dessous, devant et partout, envers tous et envers moi-même, je reste là, étendant au monde entier un esprit imprégné d’équanimité, vaste, élevé, illimité, libre de toute animosité et de toute malveillance.

Ensuite, brahmane, lorsque je suis dans cet état, si je vais et je viens, mes allées et venues sont divines. Si je reste debout, ma posture debout est divine. Si je suis assis, mon assise est divine. Si je suis couché, c’est là ma divine couche, confortable et luxueuse. C’est cette couche divine, confortable et luxueuse que je peux à présent obtenir à volonté, sans la moindre difficulté. »


Le Bouddha montre ici sa gratitude pour les habitants d’un village ou d’une ville. D’un côté les résidents le soutiennent en lui donnant de la nourriture lorsqu’il passe dans les rues avec son bol et, d’un autre côté, lui-même génère un immense amour envers eux et étend sa compassion au monde entier. Tandis qu’il pratique l’amitié bienveillante pour tous les êtres aux quatre coins du monde, l’attention en éveil, il vit dans une paix absolue. Le Bouddha comprend la souffrance qui existe dans le monde et pratique metta pour tous les êtres souffrants. Il voit la souffrance de tous les êtres beaucoup mieux que nous tous, c’est pourquoi il est toujours plein de bienveillance, de compassion, de joie reconnaissante et d’équanimité. Si nous souhaitons voir la paix dans le monde, nous devons, nous aussi, développer ces qualités ; nous devons laisser la bienveillance saturer notre esprit parce que la paix commence avec chacun de nous. Le pouvoir de l’amitié bienveillante, comme le rayonnement du soleil, est incommensurable.