Le Dhamma de la Forêt |
Cette deuxième section du Satipatthana Sutta, l’enseignement du Bouddha sur les Fondements de l’Attention, traite des vedena. Ce mot pāli se réfère à la fois aux sentiments et aux sensations corporelles. Dans la psychologie occidentale, quand on parle de « sentiments », il s’agit toujours de phénomènes psychologiques ou mentaux, tandis que le mot « sensations » fait référence à des phénomènes d’ordre physique. En pāli le mot « vedana » recouvre à la fois les sentiments et les sensations. [Ici, en français, nous utiliserons le mot « ressenti »]
Cette section du Sutta est très courte et paraît très simple. On peut se demander ce qu’il y a à observer ! Le texte dit :
Comment un moine vit-il en contemplant les ressentis en tant que ressentis ?
Quand il a un ressenti agréable, il a conscience qu’il s’agit d’un ressenti agréable.
Qui aurait du mal à comprendre cela ? Toute personne qui ressent quelque chose d’agréable sait que c’est agréable. De même, quand on a un ressenti douloureux, on a conscience qu’il s’agit d’un ressenti douloureux. Il se peut que l’on soit dans le doute quand il s’agit de ressentis ni agréables ni désagréables mais tout le monde comprend aisément ce que sont les ressentis agréables et désagréables, sans qu’il soit nécessaire d’expliquer grand-chose.
Mais il y a encore une autre catégorie de ressentis. Quand une personne a un ressenti physique agréable, elle sait que c’est un ressenti physique agréable. Un ressenti physique douloureux, donne la conscience d’un ressenti physique douloureux. Un ressenti agréable non physique, donne la conscience d’un ressenti agréable non physique. Un ressenti douloureux non physique, donne la conscience d’un ressenti douloureux non physique. De même, quand on a un ressenti physique qui n’est ni agréable ni douloureux, on a conscience d’avoir un ressenti physique ni agréable ni douloureux. Et quand on a un ressenti non physique qui n’est ni agréable ni douloureux, on a conscience d’avoir un ressenti non physique ni agréable ni douloureux. Cela fait six sortes de ressentis.
Dans ses enseignements, le Bouddha évoque parfois deux types de ressentis, parfois trois, parfois six, parfois trente-six et parfois cent huit. C’est là que le méditant attentif qui contemple les ressentis doit approfondir sa vision pénétrante. Il doit arriver à comprendre ce que sont ces différentes catégories de ressentis.
D’abord nous devons comprendre que certains ressentis agréables ont des tendances sous-jacentes d’avidité ; que les ressentis désagréables ont des tendances sous-jacentes de colère ou d’aversion ; et que les ressentis ni agréables ni désagréables ont des tendances sous-jacentes d’ignorance ou de confusion mentale.
Partons des trois principaux types de ressentis. Quels sont-ils ? Agréables, désagréables et neutres. Parfois le Bouddha a parlé des ressentis physiques de ces trois types : sukha (agréables), dukkha (désagréables) et asukka-adukkha (ni agréables ni désagréables). Parfois il a parlé des ressentis psychologiques de ces trois types appelés en pāli : somanassa, domanassa et upekkha. Somanassa est un ressenti mental agréable, comme le bonheur ou la joie ; domanassa est un ressenti mental désagréable ; et un ressenti mental ni agréable ni désagréable s’appelle upekkha.
Il y a encore d’autres sortes de ressentis. Normalement, un ressenti apparaît en lien avec un contact. Il y a six sortes de contacts qui nous parviennent par les six sens (le contact visuel, auditif, gustatif, olfactif, tactile et mental).
A partir du contact visuel peuvent apparaître des ressentis agréables. Quand nous arriverons à la dernière section de ce Sutta, vous verrez que ces six sens génèrent soixante types de plaisirs. Nous ne manquons donc pas de plaisirs ; nous avons énormément de plaisirs ! Parfois les gens demandent pourquoi nous ne parlons pas des choses agréables, du plaisir, etc. mais nous allons y arriver. Soyez patients et vous verrez tout le plaisir qu’il est possible d’avoir ! Pour l’instant, restons-en à la section des ressentis. [Paragraphe à supprimer ?]
Quand nous voyons un objet, nous pouvons avoir un ressenti agréable, désagréable ou neutre. Ce ressenti ne dépend pas seulement de l’objet en question mais aussi de notre propre état mental. Parfois un objet généralement considéré comme agréable peut engendrer une sensation ou un sentiment très désagréable. Cela signifie que ce n’est pas seulement l’objet qui engendre un ressenti agréable, désagréable ou neutre mais c’est aussi l’état mental. Par exemple, vous connaissez une personne très belle, vous êtes très attiré par cette personne mais elle vous a rejeté. Après cela, à chaque fois que vous la voyez, c’est un sentiment de colère qui vous habite parce que cette personne vous a rejeté, insulté, diminué, critiqué, attaqué verbalement. Même si cette personne est très agréable à regarder, quand vos yeux entrent en contact avec elle, vous vous rappelez ce que cette personne vous a fait et des sentiments très déplaisants peuvent faire surface.
Imaginons maintenant une personne peu agréable à regarder, mais qui a fait quelque chose de merveilleux en votre faveur, matériellement ou verbalement, qui vous a rendu un service inoubliable. A chaque fois que vous la voyez, ce sont des souvenirs très agréables qui vous reviennent.
Il se peut aussi qu’une personne, agréable ou pas à regarder, ne vous inspire absolument rien, que vous n’ayez aucun ressenti particulier à sa vue parce qu’elle n’a aucun lien avec vous. Cette rencontre se passe donc sans agitation particulière de l’esprit liée à un souvenir quelconque. Vous aurez alors fait l’expérience d’un ressenti ni agréable ni désagréable.
De même, quand vous entendez un son, quand vous sentez une odeur, quand vous goûtez une saveur, quand vous touchez quelque chose ou quand une pensée vous vient à l’esprit, des ressentis agréables, désagréables ou neutres peuvent se produire en lien avec ces différents contacts sensoriels. C’est ainsi qu’à partir des six sens, on peut déjà avoir dix-huit sortes de ressentis différents.
Egalement, ces ressentis agréables, désagréables et neutres en lien avec vos six sens peuvent avoir une tendance sous-jacente d’avidité s’ils sont agréables, une tendance sous-jacente d’aversion s’ils sont désagréables, et une tendance sous-jacente d’ignorance s’ils ne sont ni agréables ni désagréables. Cela signifie que, quand vous voyez un objet agréable, le désir peut apparaître tout naturellement. Ce désir arrive à cause de la tendance sous-jacente d’avidité du ressenti agréable. C’est ce que l’on appelle un « ressenti physique » agréable. Parfois on dit « ressenti physique » mais il vaut mieux comprendre cela comme un ressenti qui a une tendance sous-jacente d’avidité – en pāli : samisa sukha ; cela signifie « un plaisir qui naît d’un contact avec un objet sensoriel physique », un ressenti physique dont la tendance sous-jacente est l’avidité.
Ensuite, à cause des six sens, apparaissent six sortes de ressentis agréables qui n’ont pas la tendance sous-jacente d’avidité. Le ressenti agréable qui apparaît sans qu’il y ait de tendance sous-jacente d’avidité s’appelle en pāli « niramisa sukha », ressenti agréable non physique. Quand un ressenti désagréable apparaît par les sens sans qu’il y ait aversion, cela s’appelle niramisa dukkha, ce qui signifie qu’il n’y a pas de tendance sous-jacente d’aversion mais plutôt une amitié bienveillante sous-jacente. Le ressenti qui apparaît par les sens, qui n’est ni agréable ni désagréable et qui n’a pas de tendance sous-jacente d’ignorance, s’appelle niramisa adukkha asukha.
Considérons à nouveau ces ressentis. Vous comprenez à présent comment des ressentis physiques agréables et désagréables peuvent apparaître par les sens. Comme nous l’avons dit, si nous voyons un objet qui nous plaît, par exemple, un ressenti physique agréable apparaît. Mais comment, quand les yeux voient un objet, pouvons-nous avoir un ressenti agréable qui ne soit pas physique et donc avide ? C’est parce que l’objet vu est agréable mais la tendance sous-jacente présente à ce moment-là n’est pas l’avidité. Il s’agit de niramisa sukha. Même chose s’il s’agit d’un son que vous entendez, d’une odeur que vous sentez, etc. Même si le ressenti est agréable, il n’y aura pas de tendance à l’avidité ; s’il est désagréable, il n’y aura pas de tendance à l’aversion ; et s’il n’est ni agréable ni désagréable, il n’y aura pas de tendance à l’ignorance ou à la confusion mentale. Tout cela alors même que ces ressentis relèvent des sens. C’est niramisa : le bonheur non matériel, non physique. Comment cela peut-il se produire ?
C’est là que l’attention du méditant doit être particulièrement éveillée. Il doit essayer de comprendre de quoi il s’agit.
Dans la première section du Satipatthana Sutta, nous avons vu qu’à chaque fois que nous ressentions quelque chose, nous devions essayer de voir son impermanence, son côté insatisfaisant et son côté impersonnel. Quand nous en arrivons à la deuxième section, aux ressentis, à chaque fois que nous percevons un objet, par exemple à chaque fois que les yeux entrent en contact avec un objet, l’attention apparaît aussitôt pour voir que cet objet est impermanent ; on voit que le ressenti né de cet objet est impermanent. Dès que le ressenti apparaît, aussi agréable soit-il, on l’observe de près grâce à l’attention éveillée et là, on voit : ce ressenti est impermanent. C’est ainsi qu’à partir d’un ressenti agréable peut jaillir la compréhension profonde de l’impermanence. C’est pourquoi, même si un ressenti agréable apparaît à travers les yeux, ce ressenti est dit « non physique » ; il n’est pas « physique » parce qu’il est encadré par l’attention, parce que le méditant attentif comprend que ce ressenti, apparu du fait d’un contact sensoriel, est impermanent. Dès l’instant où l’on voit l’impermanence, l’avidité ne peut plus apparaître, c’est pourquoi ce ressenti est appelé « ressenti agréable sans tendance sous-jacente d’avidité ». C’est donc un ressenti non physique.
C’est ainsi que nous avons encore dix-huit types de ressentis non physiques qui viennent de nos six sens. Quels sont ces dix-huit types ? Des ressentis agréables, désagréables et neutres apparus au travers des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps et de l’esprit. Par ces six sens, ces trois types de ressentis apparaissent – trois fois six donnent bien dix-huit. Nous en sommes donc à 36 sortes de ressentis : 18 types de ressentis d’ordre sensoriel et 18 types de ressentis non physiques ou spirituels. Alors, comment ces 36 deviennent-ils 108 ? 108 c’est 36 multiplié par 3 : par le passé, le présent et le futur. Tous les ressentis passés sont apparus ainsi, par les six sens, et ils étaient soit de type physique soit non physique. C’est ainsi que 36 devient 108.
Le Bouddha a dit qu’un méditant attentif doit comprendre qu’il y a des degrés dans le plaisir. Dans tous ces plaisirs, il y a des ressentis physiques et d’autres qui sont non physiques ou spirituels. Mais il y a aussi des ressentis physiques désagréables. Vous le savez. Quand on a des douleurs dans le corps, quand on veut une chose que l’on ne peut obtenir, quand on a quelque chose que l’on ne veut pas, etc. cela s’appelle des ressentis physiques déplaisants. Quand vous voyez une chose que vous n’auriez pas voulu voir, vous souffrez, n’est-ce pas ? Quand vous entendez un son que vous n’avez pas envie d’entendre, vous souffrez. Quand vous goûtez quelque chose que vous n’aimez pas, vous souffrez. Donc, à travers les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit, des ressentis désagréables apparaissent tout naturellement – cela, nous le comprenons.
Maintenant comment des ressentis désagréables non physiques peuvent-ils apparaître ? C’est ce que l’on appelle des « ressentis désagréables spirituels », niramisa dukkha. J’ai dit que quand on a un ressenti agréable non physique, c’est-à-dire quand on voit l’impermanence d’un objet, même s’il est agréable, il n’y aura pas de tendance sous-jacente d’avidité. Pourtant il y a un ressenti agréable. Pourquoi ? Parce que l’on voit la réalité de l’impermanence et, en voyant la réalité, on trouve joie et bonheur.
Nous avons dit la même chose à propos du corps : quand on voit l’impermanence dans l’apparition et la disparition des agrégats, on comprend que telle est la nature des choses et cette compréhension fait naître la joie. Il s’agit là d’un ressenti agréable non physique. On fait la même expérience de joie non physique avec les sens : quand on voit, on entend, on sent, on goûte ou on pense à quelque chose, on voit que l’objet et le ressenti sont impermanents, que tout apparaît puis disparaît. Quand ceci est vu avec sagesse – et il est important que ce soit vu avec sagesse et non superficiellement – le bonheur apparaît, ce ressenti agréable non physique.
Alors comment un ressenti désagréable non physique peut-il apparaître? Autrement dit, quand nous voyons les choses apparaître et disparaître, apparaître et disparaître, encore et encore, nous avons envie d’arriver au bout de la réalité. Prenons une personne qui veut vraiment arriver à la libération, qui pratique la méditation ardemment et a envie de ne faire que cela, qui n’a pas envie de faire des choses ordinaires comme cuisiner, faire le ménage, etc., qui pense que tout ce dont elle a besoin est de s’assoir et de méditer : « Je veux atteindre la libération aussi vite que possible ». Tous les méditants sérieux arrivent un jour à se dire ce genre de chose et, en même temps, ils se sentent très frustrés parce qu’ils sont bien obligés d’accomplir certaines tâches pratiques. C’est cette frustration que l’on appelle « ressenti désagréable non physique ». C’est un ressenti désagréable parce que, d’un côté, on ressent l’urgence spirituelle de pratiquer pour se libérer et, d’un autre côté, on ne peut pas s’y consacrer car il y a beaucoup de choses pratiques à faire. On dit aussi qu’il s’agit d’un « ressenti désagréable spirituel » car il ne contient pas d’aversion, malgré tout. C’est seulement un sentiment d’urgence spirituelle mais qui se manifeste douloureusement.
Vous comprenez maintenant comment peuvent apparaître des ressentis non physiques qui seront ni agréables ni désagréables. Si, par exemple, dans la vie quotidienne, vous essayez d’obtenir quelque chose en travaillant très dur et, malgré tout, vous ne pouvez pas l’obtenir. Vous parlerez peut-être alors comme le renard dans la fable des raisins : il essayait d’attraper cette grappe de beaux raisins mais, n’y arrivant pas, il dit : « Ils sont trop verts, de toute façon ! » La tendance sous-jacente est la confusion : vous ne savez ni quand ni où ni comment obtenir ce que vous désirez mais l’envie est là. Il s’agit d’un ressenti physique ni agréable ni désagréable.
Mais qu’est-ce qu’un ressenti spirituel ni agréable ni désagréable ? C’est upekkha, l’équanimité. Les phénomènes spirituels sont toujours positifs, toujours sains et beaux. Par exemple, un méditant voit une toute petite partie de ses agrégats dans le passé – nous vivons depuis 30, 40, 50 ans – et pendant toutes ces années, tout ce que nous avons vécu, tout ce dont nous avons fait l’expérience, est passé, a disparu. Notre aspect physique a changé, nos perceptions ont changé, nos pensées ont changé. Tout ce qui était présent dans le passé a changé. Tout continue à changer à cet instant même : pendant que je parle, mes cinq agrégats changent et cela va continuer dans le futur. Quand nous voyons tous ces changements liés aux agrégats dans le passé, le présent et le futur, apparaît ce que l’on appelle sankara-upekkha ñana. Cela veut dire que la compréhension de l’impermanence, de la souffrance et de l’impersonnalité des cinq agrégats fait naître en notre esprit un sentiment d’équanimité. C’est un ressenti spirituel ni agréable ni désagréable. Là, il n’y a pas de confusion sous-jacente. Au contraire, il y a de la sagesse et le sentiment qui ressort n’est ni agréable ni désagréable.
Le Bouddha nous conseille donc d’utiliser tous ces ressentis avec sagesse. N’oublions pas que nous avons beaucoup d’occasions d’avoir des ressenti physiques agréables, asagga ; notre vie n’est pas toujours faite de souffrance. Il y a des moments de plaisir et de joie dans notre vie. C’est un peu la récompense que nous obtenons du fait de la souffrance : le plaisir occasionnel. Et c’est pour cela que nous vivons... Nous ne souffrons pas tout le temps ; il y a des moments de joie, de plaisir, et nous vivons pour eux. Mais quand on s’appuie sur un niveau de plaisir plus élevé spirituellement, on doit pouvoir lâcher ce type de plaisir peu élevé, de basse qualité. Tout être vivant peut avoir ce type de plaisir. Un oiseau qui élève ses oisillons peut avoir ce type de plaisir. Avoir des enfants, de la famille, des amis, des biens, une bonne santé, la liberté de ses mouvements, tout cela apporte du plaisir. Mais le Bouddha a dit que tous ces plaisirs, que les gens aiment tant, n’ont aucune qualité. Par contre, si on s’appuie sur des plaisirs de plus grande qualité, on peut lâcher ceux-ci.
Qu’est-ce qu’un plaisir de qualité élevée ? Celui que l’on ressent quand on arrive à lâcher l’avidité en trouvant l’état de concentration du premier jhana ou absorption méditative. Je pense que certains d’entre vous ont atteint un certain niveau de concentration dans leur pratique méditative, alors essayez de vous rappeler comment vous vous sentiez. Et maintenant, comparez ce plaisir, ce bonheur, cette paix, avec le plaisir que vous pouvez obtenir en allant à une fête, en mangeant de bonnes choses, en écoutant de la musique, en dansant, en sortant avec une personne de l’autre sexe, etc. Comparez avec le plaisir de la concentration en méditation et vous saurez ce que l’on appelle un plaisir de qualité élevée.
Nous devons donc apprendre à lâcher le plaisir de basse qualité pour le plaisir de haute qualité, celui que l’on obtient par la concentration, dès le premier niveau d’absorption méditative. Ensuite, quand on compare le premier niveau de concentration avec le second niveau, plus élevé, le premier semble être un plaisir de bien plus basse qualité. Quand on atteint le second niveau de concentration, il semble de bien basse qualité comparé au troisième niveau de concentration. Quand on atteint le quatrième jhana, le troisième semble être de basse qualité. Et quand on atteint les jhana immatériels, la joie ou le bonheur du quatrième jhana matériel paraît être de basse qualité et ainsi de suite jusqu’au quatrième jhana immatériel.
Vous voyez donc tous les niveaux de sensations et de sentiments qu’il peut y avoir, même dans la catégorie des ressentis qui sont au-delà des perceptions et des non-perceptions comme dans l’ultime niveau de jhana où il y a un sentiment d’équanimité, upekkha.
Le Bouddha a dit qu’il y a encore un degré plus élevé de plaisir – il appelait cela des « plaisirs » : c’est atteindre l’état où cessent les perceptions et les sensations : sañña-vedayita-nirodha. Quand on atteint cet état de cessation des perceptions et des sensations, on éprouve un immense plaisir. Ce plaisir peut durer sept jours mais il existe un degré de plaisir encore plus élevé : être libéré de toutes les émotions perturbatrices.
Un méditant attentif doit donc être capable de faire la différence entre les différents types de ressentis, et distinguer ceux qui donnent une forme de plaisir plus profond, de meilleure qualité.
Donc, bien que cette section du Sutta paraisse courte et simple, elle expose tous les types de ressentis possibles et nous permet de voir, en méditation, comment ces ressentis apparaissent.
En méditation, on fait l’expérience de ressentis agréables physiques et de ressentis agréables non physiques, n’est-ce pas ? On devrait donc être capable de faire la distinction entre les deux types. Quand des ressentis agréables non physiques apparaissent, il n’y a ni avidité ni aversion ni ignorance. C’est un plaisir très clair, très pur. C’est exactement ce que nous voulons obtenir. Quand on parle de la douleur, de la souffrance, de l’impermanence, etc. c’est cette connaissance, cette compréhension profonde qui va nous aider à ressentir de la joie, du plaisir véritable, car elle ne contient ni avidité ni aversion ni ignorance. Par contre, quand le plaisir apparaît avec l’avidité, l’aversion ou l’ignorance, cela se termine par de la souffrance ; le plaisir lié à l’avidité se terminera dans la souffrance. Pourquoi ? Parce que ce type de plaisir va changer. Quand quelque chose nous apporte du plaisir, nous nous y attachons tout naturellement parce qu’il y a de l’avidité en nous. Quand le plaisir changera – ce qui est inévitable – du fait que nous y sommes attachés par l’avidité, nous serons déçus. Par contre, quand il s’agit d’un plaisir dépourvu d’avidité, quand le plaisir disparaîtra, nous ne serons pas déçus parce que nous apprécions ce plaisir sans avidité, sans attachement ; dans ce cas, peu importe s’il dure ou s’il disparaît.
En méditation, en particulier, nous devons comprendre la nature de ce type de ressentis. Les ressentis sont très importants. Le Bouddha a dit que tous les dhamma convergent dans les ressentis. Tous les états mentaux apparaissent en lien avec les ressentis ; tous les états physiques apparaissent en lien avec les ressentis ; tous les sankhara apparaissent avec les ressentis ; chaque moment de conscience apparaît avec les ressentis ; chaque expérience apparaît avec les ressentis ; tout ce qui s’est passé autrefois, nous l’évoquons avec des ressentis ; tout ce qui nous arrive à cet instant, nous parvient avec des ressentis ; tout ce qui nous arrivera à l’avenir sera lié à des ressentis.
C’est à cause des ressentis que nous pouvons faire des projets, agir, nous engager, anticiper dans cette vie. C’est à cause des ressentis que nous sommes toujours en train d’attendre quelque chose avec impatience, attendre du plaisir – jamais du chagrin même s’il accompagne inévitablement le plaisir !
Les ressentis représentent un quart des enseignements du Bouddha : dans les Quatre Nobles Vérités, la première est la souffrance et la souffrance est un ressenti. Que la sensation ou le sentiment soit agréable, désagréable ou neutre, c’est un ressenti. C’est pourquoi le Bouddha a dit : « Tous les dhamma convergent dans les ressentis ».
Nous voulons faire de bonnes choses dans cette vie. Pourquoi ? A cause des ressentis agréables qui les accompagnent ! Pourquoi voulons-nous faire une retraite de méditation ? Il y a des gens qui, une fois assis en méditation, ne veulent plus se lever. Pourquoi ? Parce qu’ils souffrent ? Non ! Bien sûr, indirectement, c’est parce qu’il y a de la souffrance mais, directement, c’est la recherche du plaisir. C’est de la souffrance parce qu’on médite pour se débarrasser de la souffrance mais, pendant que l’on médite, on ressent du plaisir et on ne veut pas s’arrêter de méditer ! C’est donc bien à cause des ressentis que l’on médite : pour se libérer de la souffrance et pour ressentir du plaisir.
Quand nous méditons, nous devons donc toujours observer attentivement la nature de notre ressenti, voir comment ce ressenti nous motive à pratiquer la méditation.
Par ailleurs, il est très facile d’observer l’impermanence dans les ressentis. Par exemple, on commence la méditation en étant assis confortablement et, plus tard, on peut ressentir des douleurs : c’est l’occasion d’observer l’impermanence. Chaque chose que nous faisons, chaque mouvement, est associé à un ressenti et quand celui-ci devient évident, nous pouvons y voir l’impermanence.
Dans cette section du Sutta il est dit : « Quand le méditant a un ressenti agréable, il doit être conscient qu’il fait l’expérience d’un ressenti agréable. » Dans cette phrase, tout est inclus : les ressentis physiques et spirituels, les ressentis qui naissent du contact avec les six sens, les ressentis passés, présents et futurs. Tous les ressentis du passé ont été impermanents, tous les ressentis présents sont impermanents, tous les ressentis à venir seront impermanents. Mais les ressentis passés ne sont qu’un souvenir, les ressentis futurs ne sont qu’imagination, tandis que ce que l’on vit vraiment, ce sont les ressentis présents. Si nous concentrons notre esprit dessus, nous devons être capables de distinguer trois choses : s’il s’agit d’un ressenti agréable physique ou spirituel, d’un ressenti désagréable physique ou spirituel, ou d’un ressenti neutre physique ou spirituel.
Quand un ressenti désagréable spirituel apparaît, on le sait parce qu’il n’y a pas de colère sous-jacente ; au contraire, cela nous encourage plutôt à accélérer la pratique. Ce ressenti sera une leçon pour pratiquer avec plus d’intensité et non pour nous décourager.
J’espère que vous continuerez à étudier cette section du Satipatthana Sutta et que vous verrez combien elle est profonde.