Assumer la responsabilité de notre vie
Ajahn Jayasaro
Traduit par Hervé Panchaud
La qualité de notre vie est
conditionnée par la qualité de nos actions. Le bouddhisme
nous enseigne à avoir une ferme croyance dans le potentiel de
l’être humain. Il dit que nous sommes des créatures
qui possèdent la capacité merveilleuse de pouvoir assumer
la responsabilité de ce qu’elles pensent, font ou disent,
et qui peuvent faire de leur vie l’expression de la sagesse et de
la compassion, plutôt que de l’égoïsme, de la
peur et de l’avidité.
Nous pouvons développer
notre force et notre capacité à réfréner
les actions, les paroles et les pensées qui pourraient
être source de souffrance pour nous-mêmes et pour autrui.
Nous pouvons apprendre à avoir des gestes, des paroles et des
pensées qui génèrent bonheur et paix. Nous pouvons
purifier notre esprit. Le bouddhisme se soucie de la nature de notre
existence et des moyens par lesquels nous pouvons éradiquer
l’insatisfaction et le vide qui l’affligent. De ce fait,
l’enseignement du bouddhisme ne doit pas être perçu
comme un dogme auquel il faudrait adhérer, mais comme un outil
que nous pouvons utiliser pour développer le potentiel qui est
en chacun de nous.
Le bouddhisme est une religion qui
place la sagesse, plutôt que la foi, comme vertu première.
Le Bouddha a dit que si nous nous observons de manière attentive
et honnête, tels que nous sommes, nous trouverons, en nous, un
puits de mal-être et de conflit. Il a dit que la racine
sous-jacente de cette souffrance est l’ignorance, la vision
fondamentalement erronée de ce que nous pensons être la
vraie nature de notre existence. La voie qui mène au bonheur
véritable consiste donc à remédier aux
idées fausses que nous avons sur la manière dont les
choses sont. Pour cette tâche, nous avons besoin d’une
sagesse fondée sur la générosité et la
morale, renforcée par une paisible clarté de
l’esprit. Dans la perspective bouddhiste, notre existence
acquiert du sens et de la dignité dans la mesure où elle
est orientée vers la vérité et qu’elle en
témoigne.
Le don
Au niveau le plus
élémentaire, notre compréhension erronée de
l’existence, caractérisée par notre attachement
tenace aux notions de « moi » et de « mien »,
se manifeste extérieurement par notre égoïsme et
notre possessivité. Le premier niveau de la pratique bouddhiste
implique de lutter contre ces tendances erronées en contrant
leurs manifestations. Nous devons donc développer la
générosité du cœur. Le Bouddha nous a
encouragés à donner, à bon escient et de
manière désintéressée, sans attendre une
quelconque récompense en retour.
Il a évoqué trois
sortes de dons : le don de choses matérielles à ceux qui
le méritent — par exemple, les offrandes faites aux moines
et l’aumône aux pauvres ; le fait de pardonner à
ceux qui nous ont causé du tort; enfin, et le plus grand, le
don de la vérité, le partage de toutes les connaissances
sur ce monde ou la compréhension spirituelle que nous avons pu
acquérir.
La générosité,
outre de permettre la diminution des préoccupations
égoïstes, procure joie et légèreté de
l’esprit ; elle favorise aussi les liens amicaux au sein de la
société. Moins nous sommes attachés aux choses,
plus nous pouvons nous ouvrir au monde qui nous entoure et y contribuer
en bien.
La conduite morale
La conduite morale, le
deuxième aspect de la formation bouddhiste, est aussi
profondément en lien avec les choses que nous faisons et que
nous disons. Les actions et les paroles issues d’états
mentaux négatifs nuisent aussi bien à nous-mêmes
qu’aux autres. Dans le bouddhisme, la morale est définie
comme la volonté de s’abstenir de tels actes et de telles
paroles. En ne renforçant pas le pouvoir des émotions
négatives — que ce soit en les réprimant ou en les
exprimant — simplement en les observant et en attendant
patiemment qu’elles passent, nous pouvons affaiblir
l’emprise de ces afflictions sur nous-mêmes et commencer
à nous en libérer.
Cet entraînement à la
discipline morale est un engagement à respecter certains
préceptes comme principes directeurs de notre vie quotidienne.
Pour les bouddhistes laïcs, ces préceptes sont au nombre de
cinq, soit :
s’abstenir de prendre la vie,
s’abstenir de prendre ce qui n’est pas donné,
s’abstenir d’inconduite sexuelle,
s’abstenir de paroles futiles ou mensongères
s’abstenir de consommer des substances intoxicantes.
Ces préceptes ne sont pas
des commandements ou des ordres à suivre aveuglément,
mais des outils qui doivent être employés habilement afin
de mettre notre vie en harmonie avec les vérités
spirituelles.
Bien qu’énoncés
de manière négative, les préceptes engendrent
naturellement les vertus de la bonté, de
l’honnêteté, du contentement, de la
sincérité et de l’attention. Ceux qui suivent ces
préceptes de tout cœur, constateront que les sentiments de
culpabilité et de remords sont supplantés par le
bien-être et le respect de soi. L’esprit tend vers la paix
et la clarté. La morale est ainsi une base solide pour tous nos
efforts spirituels, de même que la fondation indispensable
à une société intelligente et solidaire.
La méditation
Le troisième aspect du
bouddhisme est la méditation, le développement du calme
mental et de la vision pénétrante. Dans son état
normal, l’esprit a tendance à se disperser et à
échapper à notre contrôle. Nous constatons
qu’il est difficile de l’arrêter de penser, ne
serait-ce qu’un moment. La formidable énergie de
l’esprit n’est ainsi jamais retenue pour être
utilisée à bon escient. La méditation offre la
possibilité de recentrer l’esprit, afin de lui permettre
de se dégager de ses préoccupations habituelles et de
pénétrer la vraie nature de notre existence.
La méditation n’est
pas seulement un moyen de se détendre, pas plus qu’une
technique pour échapper au stress de nos responsabilités
en glissant dans une extase bienfaisante. Il s’agit plutôt
d’un moyen efficace d’aiguiser, de fortifier et enfin de
purifier nos facultés mentales. Au départ, on concentre
son esprit sur un objet, tout comme on dompte un animal sauvage en
l’attachant à un poteau. Il existe de nombreux objets sur
lesquels méditer. Un de ceux qui sont le plus employés
est la sensation du souffle passant par les narines mais, quel que soit
l’objet choisi, l’important est de maintenir une attention
pointue et soutenue en se concentrant dessus.
Au début, bien sûr, on
n’y parvient pas. La concentration est difficile à
maintenir. Elle va à l’encontre de nos habitudes. Mais
avec de la patience, de la persévérance et de la bonne
humeur, ce n’est pas impossible. Quand l’esprit
s’égare loin de son objet, on le ramène à
l’attention, gentiment mais fermement, encore et encore et
encore…
Finalement, on arrive à
maintenir la concentration quasiment sans effort et l’esprit
devient stable et lumineux. Alors, abandonnant l’objet initial,
on maintient une ferme attention pointée vers tout ce qui
survient dans la conscience – que ce soit une sensation physique,
un sentiment, une pensée, une perception… - et
l’on s’attache à voir la nature changeante de tous
les phénomènes plutôt que leur contenu.
Si l’esprit a
été suffisamment calmé par la concentration, on
est capable de maintenir un regard empreint
d’équanimité sur la réalité
présente et une vision directe et non-conceptuelle de la vraie
nature de notre existence commence à croître en nous.
Tandis que nous en venons à comprendre la nature changeante,
incertaine et sans importance de tout ce qui constitue notre existence,
les idées fausses et les aprioris que nous avons sur
nous-mêmes s’effondrent et notre attachement avide aux
choses est complètement remis en cause. C’est là
que la paix véritable et la Libération, l’objectif
le plus noble de l’être humain et la finalité du
bouddhisme, sont enfin atteints.