Le Dhamma de la Forêt |
Qu’est-ce qu’une
« bonne vie » ? Nous pouvons dire : « Voilà une bonne
voiture » ou : « Voilà une belle œuvre d’art » parce que
nous avons conscience de leur qualité, mais qu’est-ce qu’une vie de
qualité ? Le Bouddha a clairement souligné que avijja, l’ignorance, était la principale cause du manque de qualité
dans notre vie. « Ignorance » ici ne signifie pas un manque de
connaissances en mathématiques ou en physique ; il s’agit du manque de
connaissance des choses telles qu’elles sont réellement, c’est-à-dire du sens
réel de notre vie. Son contraire, vijja,
signifie s’intéresser profondément à notre condition humaine, développer un
esprit curieux et pénétrant pour comprendre la vie. Qu’est-ce que ce
corps ? Qu’est-ce que cet esprit ? Que sont les sensations, les
sentiments, les perceptions, les pensées ? Qu’est-ce que la conscience
sensorielle ? Où est notre individualité ?
L’une des choses qui
nous permet de nous intéresser à la vie, au lieu de nous laisser pousser au gré
des événements, consiste à prendre conscience du fait que nous sommes mortels.
Il y a des choses qui sont irréfutables pour tous et l’une d’entre elles est
que, dans la mesure où nous sommes nés, nous vieillissons chaque jour et un
jour nous mourrons. La vie humaine passe de la naissance au vieillissement, à la
maladie et à la mort. Mais le fait est que, à moins de nous engager
profondément dans une voie spirituelle, nous réfléchissons rarement à cette
évidence.
Or ne pas réfléchir
à ces choses a une grande influence sur nos valeurs, nos choix et nos intérêts
dans la vie. Les choses que nous aimons et que nous détestons sont
conditionnées par l’absence de prise en compte de notre mortalité. C’est quand
nous sommes pleinement conscients que la mort nous guette que chacune de nos
actions prend son sens et sa dignité. On croit souvent que la vie n’a pas de sens
parce que nous sommes mortels mais, en réalité, la vie a du sens parce qu’elle
peut s’arrêter n’importe quand. Si nous sommes conscients du fait que la vie
est brève, fragile et précieuse, nous voyons que nous n’avons pas le temps de
nous complaire dans des humeurs capricieuses, des émotions mesquines, des
jalousies ridicules et des colères intempestives. Par contre, quand nous
oublions que nous risquons de mourir à tout moment, nous permettons à tous ces
sentiments d’envahir notre esprit au point que nous perdons toute notion de ce
qui est et de ce qui n’est pas important.
Le
monde humain
offre tout un panel d’émotions plus ou moins
agréables mais qui ont toutes le
pouvoir de nous enseigner le Dhamma, c’est-à-dire la
vérité de l’impermanence —
l’instabilité et l’insécurité
inhérentes à la vie humaine — et du non-soi. En
tant qu’êtres humains, nous avons la capacité de
nous poser, de regarder autour
de nous, d’apprendre de nos expériences et de
réaliser la Vérité. Cette vie
humaine est extrêmement précieuse car nous pouvons
l’employer à transcender
toute souffrance et tout le cycle des renaissances. En réponse
à ce don de vie,
nous pouvons apporter une grande attention à nos actes :
notre manière
d’agir dans le monde physique et dans l’univers social qui
est le nôtre, ainsi
que notre manière d’utiliser notre esprit et notre
faculté de sagesse.
Les enseignements du
Bouddha proposent un entraînement à sila
(les vertus morales), samadhi (la
méditation de la concentration qui apporte le calme du mental) et pannya (la sagesse). C’est un programme
d’éducation pour toute la vie, que nous poursuivons jusqu’à notre dernier
souffle. A chaque occasion, en toutes situations, nous nous efforçons d’agir et
de parler de manière à exprimer la bonté, la sagesse et la compassion et nous
continuons sans cesse à développer ces nobles qualités dans notre cœur.
Le Bouddha a
enseigné quatre qualités fondamentales ou « demeures divines » (brahmavihara). La première est metta, un sentiment de gentillesse et de
bienveillance envers tous les êtres. La seconde est karuna, la compassion que l’on ressent naturellement quand on prend
conscience de la souffrance à laquelle doivent faire face tous les êtres
vivants. Ensuite vient mudita, le
fait de se réjouir du bonheur des autres — sentiment qui élève le cœur, au
contraire de la jalousie. Et puis upekha,
l’équanimité, le calme de l’esprit : savoir accepter que l’on ne peut pas
toujours aider autrui mais rester présent et disponible si jamais l’occasion se
présente de le faire.
En cultivant ces
vertus et en étant conscients de notre mortalité, au lieu de réagir aux
situations et aux idées erronées que nous entretenons sur qui nous sommes et
comment nous voulons être perçus, nous pouvons nous laisser guider par notre
bonne volonté et notre sensibilité, et ressentir ce qu’il est juste et
approprié de faire ou de dire en toutes circonstances.
Ajahn Jayasaro est moine dans la Tradition de la Forêt de
Thaïlande depuis 1978. Disciple du vénérable Ajahn Chah, il a été l’abbé du
monastère international Wat Pah Nanachat pendant 5 ans. Il vit actuellement seul
dans un ermitage au pied des montagnes Kow Yai en Thaïlande et donne des
retraites de méditation 3 à 4 fois par an.