Le Dhamma de la Forêt


Le bouddhisme est un apprentissage

Ajahn Jayasaro


Traduit Par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Extrait des enseignements donnés en France en juin 2010

Pour commencer, je vous propose de considérer que le bouddhisme appartient à une « famille » de religion autre que les religions que nous connaissons en Occident dans la mesure où, au lieu d’être un système de croyance, il est essentiellement un système d’éducation.

L’Eveil du Bouddha a démontré le plus haut degré d’évolution d’un être vivant. Le Bouddha a ensuite expliqué dans le moindre détail, pendant quarante-cinq ans, tout ce que nous devons savoir pour suivre ses traces et réaliser le même Eveil. La somme de ses enseignements est ce que j’appelle « le système éducatif bouddhiste ». Dans les textes, on parle de ce système d’éducation sous différents termes mais le plus essentiel est « bhāvanā ». Il est assez dommage que ce terme ait été traduit simplement par le mot « méditation », ce qui donne une vision réductrice et étroite de l’ensemble du système d’éducation que le Bouddha nous a donné. Si on les sort de leur contexte, les techniques de méditation bouddhistes pourront diminuer le stress et être une forme sophistiquée de psychothérapie, mais elles n’auront pas pour effet d’apporter la Libération comme le souhaitait le Bouddha.

Dans ce système d’éducation, le Bouddha a parlé de quatre domaines dans lesquels nous devons faire des efforts : deux externes et deux domaines internes.

- Le premier domaine externe consiste à développer une relation sage avec le monde matériel dans lequel nous vivons. Cela commence par l’aspect du monde matériel qui nous est le plus proche, à savoir notre corps physique. Il s’agit de développer une attitude sage par rapport au temps qu’il faut consacrer au travail, au repos, à l’exercice et à la nutrition, par exemple. Et puis on étend cela à notre relation à nos possessions, à l’argent, à la technologie, aux media – à tout notre environnement matériel – et enfin à notre relation à l’environnement naturel dans lequel nous vivons en tant qu’êtres humains.

- Le second domaine externe concerne notre relation au monde social : comment nous communiquons avec les membres de notre famille, avec nos amis, avec nos collègues et avec la société dans laquelle nous vivons. 

- Le premier domaine interne consiste à abandonner ce qu’il y a de mauvais ou de malsain en nous et à développer ce qu’il y a de bon. Ce qui est mauvais, ce sont les pollutions mentales et tout ce qui peut être négatif en nous ; tandis que ce qui est bon, ce sont les qualités comme la patience, la gentillesse, la compassion, l’attention, la paix intérieure, etc.

- Le dernier domaine est celui de la sagesse, le joyau de la couronne de toutes les traditions bouddhistes. Cela commence avec l’entraînement du processus de la pensée. Apprendre à penser de manière plus systématique et profonde pour arriver à la vision pénétrante qui transcende la pensée discursive – il s’agit du développement de vipassanā.

Bien entendu, en parlant de ses enseignements, le Bouddha n’a jamais employé le terme « bouddhisme ». En général il parlait du « Dhamma-Vinaya ». Le mot « Dhamma » fait référence aux enseignements relatifs au développement intérieur du cœur et de la sagesse, tandis que le mot « Vinaya » fait référence aux enseignements relatifs à notre pratique dans le monde extérieur. Ces deux aspects doivent être en harmonie pour que le processus éducatif atteigne son but.

J’espère que ces quelques mots de présentation vous montrent bien que l’image que l’on a parfois du bouddhisme – ne s’intéressant pas au monde extérieur, uniquement tourné vers l’intérieur en espérant que le reste se fera tout seul – est une image erronée des enseignements du Bouddha.

Pour aborder chacun des domaines évoqués, il faut des outils différents. On dit qu’il y a quatre-vingt-quatre-mille enseignements donnés par le Bouddha mais il a dit lui-même qu’il y a un facteur qui les relie tous, un aspect qui ressort toujours : la saveur caractéristique de la Libération. A ce propos, le Bouddha a donné une image qui est restée célèbre : « Tout comme l’eau de tous les océans du monde a un goût salé, tous les enseignements authentiques du Bouddha, quel que soit leur niveau, ont le goût de la Libération ».

Pour donner un exemple à propos du premier domaine d’éducation, celui qui concerne notre relation au monde physique, l’une des qualités transformatrices – en particulier au début de la pratique – est le développement de la générosité. On considère que « donner » est un des meilleurs moyens de développer du mérite – puñña, en pāli. La raison en est que le but du développement de la générosité est de nous libérer de l’avarice, de l’égoïsme, de l’attachement et de la saisie de nos possessions matérielles. Nous pouvons observer nos sentiments de près et voir comment nous nous sentons quand nous donnons quelque chose – qu’il s’agisse d’offrir son pardon, d’offrir du temps ou un talent – sans rien attendre en retour, aucune récompense, et comparer cela à ce que nous ressentons quand nous désirons ou attendons un remerciement ou une forme de récompense. Psychologiquement, je pense que le sentiment est très différent. Je suis sûr que vous avez tous eu l’occasion de vivre ces deux types d’expériences et vous avez pu observer que, quand on donne sans rien attendre, l’esprit est joyeux et purifié. Par contre, quand on attend une forme de récompense, quelle qu’elle soit, on ne ressent pas ce plaisir qui réjouit le cœur.

L’une des techniques de méditation que peu de gens connaissent bien consiste à se remémorer les actes de bonté et de générosité que l’on a pu faire dans le passé. Il ne s’agit pas, là non plus, d’un enseignement basé uniquement sur la foi ; c’est une chose que vous pouvez observer. Si vous vous sentez très triste, déprimé, que vous avez le sentiment de n’être bon à rien, si vous vous remémorez de belles vacances ou des plaisirs sensoriels vécus dans le passé, vous risquez de vous sentir encore plus malheureux parce que toutes ces choses se sont enfuies. Par contre, si vous évoquez des gestes de générosité, de bonté que vous avez eus même cinq, dix ou vingt ans plus tôt, l’esprit est instantanément élevé, il se sent clair et lumineux. C’est la raison pour laquelle on dit que la générosité est l’un des « nobles trésors de l’esprit ». Quand nous avons agi de manière bonne et généreuse, plus tard le souvenir de cet acte sera toujours pour nous un refuge et une source de joie, quel que soit le temps écoulé depuis.

Evoquer la bonté et la gentillesse des autres est aussi une pratique merveilleuse. Il y a trois ans, j’étais en tudong [marche dans la nature, parfois en pèlerinage, seul ou accompagné de quelques amis ou disciples] dans l’ouest de l’Inde. Je suis allé d’Aurangabad jusqu’aux grottes bouddhistes d’Ellora et ensuite à Ajanta et j’ai refermé la boucle en retournant à Aurangabad. Chaque soir, je quittais la route et grimpais sur une colline pour passer la nuit dans un endroit tranquille. Un soir, en grimpant sur une colline, j’ai rencontré deux gardiens de chèvres. Eux aussi m’ont vu et je craignais un peu qu’ils ne viennent me déranger mais ils ne m’ont pas suivi. Plus tard, à la nuit tombée – il faisait très noir, c’était une nuit sans lune – tandis que je méditais assis sur un rocher, j’ai entendu quelqu’un grimper le versant de la colline. Cette personne n’avait pas de lampe et je l’entendais qui trébuchait dans l’obscurité. Et puis la haute silhouette d’un homme s’est profilée dans le ciel. Il tenait quelque chose à la main et il avançait vers moi ... Quand il s’est approché davantage, j’ai réalisé qu’il tenait un régime de bananes !

J’imagine qu’après une longue journée de travail dans les champs, il était rentré à son village deux ou trois kilomètres plus loin, et avait entendu dire par les jeunes chevriers qu’il y avait un moine en haut de la colline. Il a dû craindre que j’aie faim de sorte qu’après sa longue journée, il avait grimpé la colline dans l’obscurité totale pour m’offrir ces bananes. La situation était délicate pour moi car j’ai dû lui expliquer que ma règle m’interdit de manger après midi. Je ne parlais pas sa langue et il ne comprenait pas mais finalement il a redescendu la colline avec ses bananes. Plus tard, vers onze heures du soir, j’étais toujours en train de méditer sur mon rocher quand à nouveau j’ai entendu des pas qui trébuchaient sur le versant de la colline et le même homme est apparu devant moi. Dans sa main, cette fois, il y avait une très vieille couverture usée jusqu’à la corde. J’ai réalisé qu’il était redescendu jusque chez lui, en bas de la colline, dans le noir, et qu’il voulait tellement m’offrir quelque chose qu’il était remonté à onze heures du soir m’offrir ce qui était peut-être sa seule couverture, pour m’éviter d’avoir froid la nuit.

Je suis sûr que, parmi toutes les personnes que j’ai rencontrées en Inde, je n’oublierai jamais cet homme à cause de sa générosité. Le simple fait de penser à lui et à sa gentillesse me rend heureux. Nous avons donc le pouvoir de rendre les gens heureux, même avec de petits gestes de gentillesse. Nous y gagnons parce que ce souvenir est un trésor dans notre cœur, une chose vers laquelle nous pouvons nous tourner quand nous sommes tristes ou quand nous avons mal physiquement. Mais celui qui reçoit y gagne aussi quand il se souvient de notre gentillesse. Il peut en être touché, et cela peut lui donner envie de se comporter de manière plus généreuse.

Ce que je voudrais souligner aujourd’hui, c’est que je ne vois pas de différence essentielle entre des actes de bonté et de générosité qui ont pour but de se libérer de l’égoïsme et appliquer une technique de méditation jambes croisées et yeux fermés.

En ce qui concerne le second domaine d’« éducation », que l’on pourrait appeler, de manière générale, « moralité » ou « développement de la vertu », je crois que la différence est très claire entre l’attitude envers la moralité dans un système de croyances et dans un système d’éducation. Dans la plupart des systèmes de croyance, la moralité est basée sur les « paroles » d’un dieu, retranscrites dans un livre et cette croyance implique un système de récompense et de punition.

Dans le bouddhisme, nous commençons par une question très simple : comment aimerions-nous vivre en tant que communauté d’êtres humains ? Dans quel genre de famille, de communauté, aimerions-nous vivre ? Quels principes aimerions-nous voir exprimer dans notre famille ou notre communauté ? Je pense que nous serons tous d’accord pour dire que nous aimerions vivre dans une communauté où nous nous sentirions en confiance, en sécurité, entourés de chaleur humaine et de gentillesse. Si nous sommes d’accord sur ces points, la question suivante est : quelles mesures concrètes pouvons-nous prendre pour que notre famille soit, autant que possible, l’expression de ces qualités ?

Là encore, le Bouddha commence avec une simple vérité psychologique. Il fait observer que, bien que par la seule volonté, nous ne puissions pas nous empêcher d’avoir des pensées ou des émotions négatives ou égoïstes, nous pouvons tout de même nous retenir d’agir sur l’impulsion de ces pensées ou de ces émotions. Si, par exemple, vous décidez qu’à partir d’aujourd’hui vous ne vous mettrez plus jamais en colère, vous serez gentil et plein de compassion envers tous les êtres vivants, soit vous deviendrez fou soit vous vous sentirez affreusement coupable et vous vous détesterez parce que vous ne pourrez pas tenir cet engagement. Par contre, vous pouvez vous dire : « Même si je suis très en colère contre quelqu’un, je m’engage à ne pas le frapper, ne pas le tuer, ne pas l’insulter ni être méchant avec lui » – car chacun d’entre nous est capable de tenir cet engagement-là.

Nous utilisons donc cette capacité que nous avons de prendre du recul par rapport à nos instincts naturels « animaux » et décidons qu’à certaines occasions nous n’allons pas suivre ces instincts et ces désirs. Vous avez peut-être participé à une cérémonie au cours de laquelle les bouddhistes laïcs demandent à recevoir les Préceptes. Les mots pālis utilisés à ce moment-là signifient très précisément (par exemple, pour le 1er Précepte) : « Je m’engage à la pratique consistant à m’abstenir de prendre la vie en tant que moyen pour entraîner ou éduquer mon comportement. »

Un trait important des préceptes – ou de la moralité en tant qu’éducation formelle – est que tout engagement doit être pris de plein gré. Si on s’abstient de certains comportements à cause de la pression sociale ou par peur de représailles, il y a un comportement qui semble moral mais, dans le système d’entraînement ou d’éducation bouddhiste, on dit qu’à ce stade la moralité, silā, n’est pas encore présente.

Il y a un terme qui est très employé de nos jours en Occident : l’estime de soi, la bonne image que l’on a de soi. Dans quelle mesure le Bouddha nous encourage-t-il à développer cette estime, ce respect de soi ? Tout d’abord, il y a la pratique de la générosité qui permet de nous prouver constamment que nous pouvons avoir une influence positive sur la vie des autres, sur le monde dans lequel nous vivons. Deuxièmement, le fait d’accepter volontairement de restreindre nos actions et nos paroles et de respecter ces limites que nous avons choisi d’adopter.

De manière générale, il est convenu de considérer que l’observation des Préceptes est le fondement de la pratique de la méditation. Il est certain que c’est l’une de leurs fonctions, notamment dans le sens qu’ils nous libèrent du sentiment de culpabilité et d’une mauvaise image de nous-mêmes. Mais je voudrais vous montrer aussi qu’observer les Préceptes est, en soi, une forme de pratique de méditation.

Maintenant je voudrais passer au thème de l’attention. Pourquoi est-il si difficile d’être attentif dans notre vie quotidienne ? Je crois que l’une des raisons est que l’attention doit toujours avoir un objet. Ce n’est pas une simple conscience, un peu floue, de ce qui se passe. Dans les situations de vie un peu complexes que l’on trouve en dehors des retraites de méditation, quels sont les objets ou points d’ancrage auxquels nous pourrions lier notre attention ? Fondamentalement, ma réponse serait : les Préceptes – se remémorer les préceptes car ils nous permettent de nous situer dans l’instant présent de manière très concrète.

Nous pouvons aussi élargir cela, l’affiner. Le Bouddha a dit qu’il y avait dix sortes de façons de parler. Si nous pouvions nous en souvenir et puis nous les remémorer au moment opportun, ce serait très bénéfique pour la communication avec les gens qui nous entourent. Ces dix façons de parler sont : paroles vraies / mensongères, utiles / inutiles, dites au bon moment / dites au mauvais moment, gentilles / méchantes, polies / impolies. Donc, ce que nous essayons de faire, c’est développer la parole juste – qui est à la fois vraie, bénéfique pour celui qui l’entend, prononcée au bon moment et au bon endroit, aimable et polie – et éviter les paroles mensongères, inutiles, dites au mauvais moment ou au mauvais endroit, méchantes et impolies.

Il s’agit d’une pratique de méditation au quotidien. C’est la façon dont vous développez l’attention, en ayant des points d’ancrage clairement définis et mémorisés, qui permet à l’attention de s’éveiller. Ici, l’attention est liée à la mémoire. Cela signifie que vous pouvez faire intervenir les informations nécessaires, les enseignements nécessaires, les pratiques nécessaires au moment même où vous en avez besoin.

Je crois que nous tous ici sommes des gens intelligents et de bonne moralité. Nous savons comment il faut et comment il ne faut pas se comporter. Nous sommes intelligents dans toutes les situations – sauf dans celles où nous nous comportons bêtement ! Donc quand nous ne sommes pas sous pression, quand nous ne nous sentons ni effrayés ni menacés ni angoissés ni en colère, nous nous comportons certainement avec moralité. La question est : comment maintenir ce comportement quand nous sommes sous pression, inquiets, impatients ou effrayés, quand toutes ces émotions apparaissent ? Quel est notre refuge ? Ce que je voudrais vous dire, c’est que se souvenir des préceptes est très utile pour maintenir sa pratique, son idéal et son but dans la vie, même quand les choses sont très difficiles.

Encore une chose que je voudrais souligner ici, une des choses qui valent la peine d’être étudiées et comprises : la relation entre notre monde intérieur et le monde extérieur, comment ils s’influencent. Si nous développons certaines techniques de méditation, par exemple la méditation sur l’amitié bienveillante et la compassion, nous espérons certainement que cela va affecter notre comportement envers les autres et que notre sīla sera plus pur. Mais je crois qu’il est intéressant d’observer aussi que l’extérieur influence l’intérieur. Prenons par exemple le premier précepte selon lequel nous nous abstenons de tuer ou même de faire du mal à tous les êtres (et pas seulement à ceux qui pourraient être dangereux pour nous). A chaque fois que l’intention de faire du mal apparaît mais que nous nous retenons, cela devient comme un muscle que l’on n’utilise pas : il s’atrophie et s’affaiblit du fait qu’il n’est pas utilisé. De cette manière, nous agissons sur l’apparition des intentions négatives et des pensées agressives simplement en refusant systématiquement de suivre l’impulsion de les exprimer verbalement ou physiquement, et ce sur une longue période de temps.

L’une des manières les plus fiables de vérifier ou d’évaluer à quel point vous avez développé cette pratique, c’est quand une situation inattendue se produit brusquement. Quelle est votre réaction immédiate ? Là, on ne peut pas se mentir. Par exemple, vous marchez dans la forêt et vous vous trouvez face à un serpent dangereux : quelle est votre réaction immédiate ? Il est intéressant d’observer ce genre de choses.

Je voudrais maintenant parler des domaines de pratique intérieurs. Là encore, avant de parler de techniques de méditation particulières, je voudrais les replacer dans le contexte de ce que nous appelons « l’Effort Juste ». Le Bouddha a dit, à propos de ses enseignements, qu’ils comportaient trois aspects : kammavāda, viriyavāda, vipacavāda. Kammavāda est l’enseignement qui accepte la vérité du kamma ; viriyavāda est la nécessité de l’action et de l’effort pour obtenir des résultats ; et vipacavāda est l’enseignement par l’analyse pour voir clairement la nature des choses.

La pratique a donc 4 aspects essentiels :

1. Le premier consiste à faire l’effort de protéger l’esprit et d’empêcher que des éléments négatifs ne s’y installent.

2. Le second consiste à agir avec sagesse si des éléments négatifs sont déjà apparus dans l’esprit. 

3. Le troisième consiste à faire l’effort d’amener dans notre cœur et notre esprit toutes les qualités qui n’y sont pas encore.

4. Le quatrième consiste à faire l’effort d’entretenir, de nourrir et de développer jusqu’à maturité toutes les qualités qui sont déjà en nous.

La pratique consiste donc essentiellement à abandonner certaines choses et en développer d’autres.

Il faut préciser qu’il n’y a pas d’éléments sains ou malsains qui soient figés dans votre cœur et votre esprit. Tout peut se développer ou décroître. La seule véritable sécurité ou stabilité arrive quand on est « entré dans le courant », c’est-à-dire que l’on a atteint le premier niveau d’Eveil. C’est seulement là que vous pouvez être sûr que votre pratique, même dans des circonstances difficiles, ne périclitera pas. Vous ne pouvez pas en être sûr tant que vous n’avez pas atteint ce stade-là.

De tout temps et dans toutes les traditions religieuses, il y a eu des enseignants spirituels très inspirants, des moines ou des nonnes qui avaient beaucoup pratiqué et puis un scandale a éclaté ou bien ils ont quitté l’ordre monastique ou leurs responsabilités d’enseignant … C’est toujours quelque chose qui réveille beaucoup de doutes et d’inquiétude parmi les disciples. On peut comparer cette situation à de l’eau pleine de germes et de microbes. La seule manière de rendre cette eau potable est de la faire bouillir à 100°. Si vous la faites chauffer à une température très élevée, 90° ou 95° pendant longtemps et vous considérez que les germes sont morts, vous êtes dans l’erreur car, en réalité, comme l’eau n’est jamais arrivée à 100°, les germes sont toujours présents à l’état latent. Ensuite, quand l’eau aura l’occasion de refroidir, – c’est-à-dire si le moine, l’enseignant spirituel ou le méditant commence à être un peu trop content de lui – les germes seront présents comme au tout début. C’est l’une des raisons pour lesquelles on voit la pratique de certaines personnes décliner même si elles ont passé de nombreuses années à méditer.

Parmi toutes les pratiques d’abandon et de développement que nous pouvons entreprendre en fonction des causes et des situations, le premier refuge dont nous ayons besoin est l’attention. Si nous acceptons l’idée que l’enseignement du Bouddha est un système d’éducation, nous pouvons nous demander : où est donc la classe ? Je répondrais que « la classe » est l’instant présent. Alors ce que nous devons apprendre au tout début – mais c’est aussi le milieu et la fin de la pratique – c’est à être vigilant et éveillé dans l’instant présent. Nous consacrons donc une certaine partie de notre vie quotidienne à développer cette capacité à être éveillé, vigilant et présent, dans une situation simplifiée au maximum. Nous nous asseyons et restons immobiles, les yeux fermés et nous essayons de créer les conditions extérieures qui permettent au mieux de développer la force de l’attention.