Le Dhamma de la Forêt



Histoires du Dhamma

Ajahn Jayasaro


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/

***

 

L’attention et l’image de la jarre d’huile

Extrait d’un enseignement donné au monastère international de Thaïlande, Wat Pah Nanachat.         

 

Pour expliquer la pratique de l’attention, le Bouddha a donné l’image d’une jarre remplie d’huile.

Un homme doit transporter une grande jarre d’huile en traversant la place du marché, au milieu d’une foule réunie autour du spectacle d’une belle danseuse. L’homme n’a pas le droit de renverser une seule goutte d’huile parce qu’il est suivi d’un garde qui lui couperait la tête si cela arrivait.

Imaginez-vous dans cette situation : vous portez la grosse jarre, où allez-vous diriger votre attention ? Vous ne pouvez pas vous permettre de tourner les yeux vers la belle danseuse ni de vous laisser distraire par la foule. Il est probable que votre attention portera essentiellement sur la jarre. Toutefois vous ne pouvez pas ignorer l’état du chemin car il faut en éviter les embûches. Il faut aussi, de temps à autre, regarder à droite et à gauche pour éviter les obstacles et puis revenir à votre objet d’attention numéro un : la jarre d’huile. Votre attention est donc tournée vers la jarre d’huile la plupart du temps mais, de temps en temps, vous regardez devant vous pour voir si la voie est libre.

Voilà à quoi le Bouddha compare la pratique de sati, l’attention. Quant à sampajañña, la claire compréhension, elle consiste à retirer son attention de l’objet de sati pendant un instant, pour voir l’ensemble du contexte dans lequel on agit : que se passe-t-il d’autre ? Y a-t-il des problèmes ou des obstacles qui se présentent ?

***

 

La pratique et l’image du pain

Extrait de l’enseignement audio intitulé “Mindfulness has many choices”.

 

Les moines doivent veiller à ne pas parler de choses qui sont au-delà du langage.

Notre maître disait que c’est comme si on voulait parler du pain. A quoi ressemble le pain ? Quel est le goût du pain ? Nous pouvons nous efforcer de décrire en long et en large à quoi ressemble le goût du pain à quelqu’un qui n’en a jamais mangé mais quel serait l’intérêt de cet exercice ?

Il serait bien plus efficace d’apprendre à cette personne à faire du pain — quels sont les ingrédients, comment mélanger farine, eau et levain, quelle doit être la température du four, et combien de temps le pain doit y cuire — et puis dire à la personne : « Mélangez ces ingrédients, faites-les cuire de telle et telle façon, et vous obtiendrez du pain. Ainsi vous saurez par vous-même ce qu’est le pain et quel goût il a. »

Cette attitude directe et pragmatique est exactement l’attitude que nous adoptons dans le bouddhisme pour transmettre une formation spirituelle. Nous évitons de trop philosopher et de faire trop de spéculations métaphysiques. Nous préférons partir de là où nous sommes maintenant.

Dans la culture occidentale, on a plutôt l’habitude de partir d’un idéal et puis de s’appliquer ensuite à suivre cet idéal dans la vie. Mais cette approche a un point faible : elle a tendance à engendrer, chez celui qui la vit, un sentiment de culpabilité et d’inadéquation.

« Tu devrais être bon, tu devrais être serviable, tu devrais être comme ceci et comme cela. » Et puis, quand on s’aperçoit que l’on n’est pas tout à fait aussi bien qu’on le voudrait, on s’inquiète de ne pas savoir comment changer et s’améliorer. Ce sentiment de ne pas être comme on voudrait être a toujours été un élément central de la psychologie occidentale, n’est-ce pas ?

Par contre, le bouddhisme part de là où on en est maintenant. On observe la situation telle qu’elle est maintenant et puis on voit comment, pas à pas, on peut l’améliorer.

***

 

L’impermanence et l’histoire du chili doux

Extrait d’un enseignement donné au monastère international de Thaïlande, Wat Pah Nanachat.         

 

Il y a une énorme différence entre accepter l’idée d’impermanence sur un plan intellectuel et vraiment pénétrer la réalité de l’impermanence avec sagesse. Il est probable que pas une personne au monde, quelle que soit sa nationalité ou sa religion, ne contestera que les choses changent. Mais au-delà de la compréhension immédiate et superficielle du changement, se trouve un point où la véritable perception du changement vous transforme. Ce point ne peut être atteint qu’avec la pratique, quand on réalise à quel point on a recherché le bonheur dans des choses qui ne durent pas.

Telle est l’erreur fondamentale que nous commettons tous parce que nous ne voulons pas nous souvenir, nous ne voulons pas voir la réalité des choses. Nous préférons garder un léger espoir que certaines choses peuvent peut-être durer.

Cela me rappelle une histoire de Mulla Nazruddin. Un jour quelqu’un le voit en train de manger des chilis (piments extrêment piquants) qu’il sortait d’un sac. Les chilis étaient si forts que des larmes coulaient sur son visage. L’homme lui demande : « Mais pourquoi continues-tu à manger ces chilis ? » et Mulla répond : « Parce que j’espère en trouver un qui sera doux. »

Nous sommes exactement pareils. Nous nous disons que peut-être, un jour ou l’autre, nous trouverons un chili doux — une situation qui ne sera pas impermanente comme toutes celles que nous avons déjà vécues. Le côté rationnel de l’esprit dit que ce n’est pas possible mais il reste un désir latent sur le plan émotionnel.

Deux jeunes gens sur un canot au clair de lune disent : « Si seulement cette soirée pouvait ne jamais finir » ; mais ils ne le souhaitent que parce qu’ils savent que c’est impossible. En fait, ce serait affreux si cette soirée devait durer une éternité, vous ne croyez pas ?

Les gens croient que le bonheur est un plaisir qui dure toujours, mais le bonheur ne fonctionne pas ainsi. Si la soirée à pagayer sur le canot durait trop longtemps, les jeunes gens seraient vite fatigués de pagayer ; l’excitation elle-même est fatigante ! En réalité, il n’est guère possible de se délecter longtemps d’une même chose, l’avez-vous remarqué ? Combien de temps pouvez-vous apprécier quelque chose avant que cette chose ne vous ennuie ?

Une personne sans sagesse est comme un homme qui se noie et qui s’accroche à n’importe quelle paille pour tenter de survivre. Mais la paille est fragile et rien ne dure. Rien ne vous apportera jamais un bonheur permanent.

Le Bouddha nous a fait part de ses réflexions à ce propos : « Avant mon Eveil, bien qu’étant sujet à la naissance, au vieillissement et à la mort, je recherchais le bonheur dans les choses qui étaient elles-mêmes sujettes à la naissance, au vieillissement et à la mort. »  Il a réalisé que cette quête n’était pas digne d’une personne intelligente et cela l’a conduit à ce qu’il appelle « la noble quête ». Ce n’était pas la quête de plaisirs matériels mais la quête de la Libération.