Une éducation bouddhiste
Ajahn Jayasaro
Extraits du site www.thawsischool.com
Traduit par Jeanne Schut
Il existe en Thaïlande un mouvement pour
introduire les valeurs enseignées par le Bouddha non seulement dans le
programme scolaire mais aussi dans la pédagogie — de sorte qu’enseignants,
enfants et parents bénéficient de cette initiative aussi révolutionnaire que
traditionnelle …
Question : Qu’est-ce qu’une éducation bouddhiste ?
Ajahn
Jayasaro : Les êtres humains
sont, de toute évidence, différents de la plupart des créatures de ce monde.
Nous pouvons constater que de nombreux animaux sont capables de se débrouiller
seuls et de survivre quelques jours, quelques heures ou même quelques minutes
après leur naissance. De leur côté, les êtres humains sont totalement
dépendants et vulnérables pendant plusieurs années. Ils doivent vivre près de
leurs parents — ou de personnes qui s’occupent d’eux — et doivent apprendre
beaucoup de choses qui, pour d’autres créatures, sont instinctives.
En tant qu’êtres humains, nous sommes donc
désavantagés sur le plan instinctuel mais nous avons cette merveilleuse faculté
d’apprendre, d’absorber de nouvelles informations et de les mettre en œuvre.
Nous sommes donc des créatures « apprenantes ». Certains peuvent
penser qu’apprendre est quelque chose que l’on fait quand on est enfant ou
encore à l’école et à l’université. Mais selon la conception bouddhique, on est
censé souhaiter apprendre tout au long de sa vie. On voit la vie comme un
processus d’apprentissage.
Le bouddhisme est une religion tout à fait
particulière. Elle diffère des religions qui sont nées au Moyen-Orient car
celles-ci sont essentiellement des systèmes de croyance basés sur la foi dans
des dogmes écrits dans leurs livres sacrés. Le bouddhisme n’est pas un système
de croyance mais un système d’éducation basé sur le principe que les êtres
humains ont en eux le potentiel de se libérer complètement de toute souffrance
grâce à une compréhension claire et pénétrante de « ce qui est
réellement ».
Nous voyons donc que le plus grand obstacle au
véritable bonheur dans la vie est l’ignorance. Or les enseignements du Bouddha
sont là pour nous apprendre à transcender l’ignorance, ce qui montre qu’il
s’agit clairement d’éducation. Je dirais donc que le bouddhisme est une
religion unique en ce qu’elle s’applique aux systèmes d’éducation
conventionnels que nous avons parce que c’est une éducation « par
excellence », c’est la forme complète ou parfaite d’éducation.
Qu’est-ce
donc qu’une « éducation
bouddhiste » ? Ce serait une éducation qui
remplisse les conditions
nécessaires d’excellence dans l’enseignement —
connaissance et maîtrise de tout
ce qu’il faut savoir, comme s’y emploient tous les
systèmes d’éducation — mais
qui ne voie pas l’éducation simplement comme une
préparation à vivre dans le
système capitaliste, gagner sa vie, etc. Cette éducation
offerte aux enfants
par les écoles serait en harmonie avec les principes plus vastes
du système
d’éducation bouddhiste que nous appelons parfois
l’Octuple Sentier ou
« l’entraînement en trois temps »,
c’est-à-dire l’éducation à sila,
samadhi et pañña.
En
conséquence, dans l’éducation que nous essayons de
développer — que nous appelons
« éducation bouddhiste » — nous
adaptons les principes de développement bouddhiste au processus
d’éducation.
Ceci implique apprendre à l’enfant à se relier au
monde physique dans lequel il
vit, à développer une relation sage avec la
société qui l’entoure et qui
l’entourera en tant qu’adulte. Il saura faire face à
ses émotions de manière
constructive, trouver des moyens sages et intelligents de gérer
les émotions
négatives comme la peur, l’anxiété,
l’avidité, la colère ou la dépression. Il
apprendra aussi à développer des qualités
positives comme la patience, la
persévérance, l’effort, la gentillesse,
l’attention, la paix intérieure ou
l’intégrité.
Mais, plus important encore, comme le joyau au milieu
de la couronne du bouddhisme, sera l’accent mis sur la sagesse et sur les
techniques pratiques permettant de développer et de nourrir cette faculté de
sagesse que nous avons tous en nous pour qu’elle puisse s’exprimer et être mise
en œuvre dans notre vie.
Il s’agit donc d’un système d’éducation qui ne néglige
pas les données traditionnelles mais qui les ajoute ou les incorpore dans une
perspective d’éducation plus vaste, plus globale telle qu’elle nous est donnée
par les enseignements bouddhistes.
Le
sens de la sagesse dans l’éducation bouddhiste
Plutôt qu’un système d’éducation conçu pour tester les
gens, les mettre en compétition et les préparer à un métier, l’éducation
bouddhiste enseigne aux enfants comment apprendre, comment aimer apprendre et
comment aimer la sagesse pour elle-même. Elle leur enseigne la maturité
émotionnelle qui leur permet d’utiliser leurs connaissances pour créer des
circonstances heureuses dans leur vie comme dans celle de leur famille, et de
contribuer positivement à la société dans laquelle ils vivent. Elle ne
compromet en rien la tâche qui consiste à préparer les enfants à bien gagner leur
vie mais elle leur permet de voir que la vie est plus profonde et plus riche
que travailler pour consommer.
Il
semble que, de nos jours, de plus en plus
d’employeurs ne cherchent plus tant des spécialistes
qualifiés que des
personnes intelligentes et ouvertes qui savent apprendre de nouvelles
choses et
sont capables de s’adapter aux changements dans les technologies
modernes comme
dans la société. La raison en est que nombre des choses
qui sont enseignées à
l’école sont déjà périmées le
jour où les jeunes gens commencent à travailler,
et aussi parce que, dans une économie basée sur la
connaissance, la fraîcheur
du regard, la créativité et l’innovation sont
d’immenses atouts.
Pour s’épanouir dans le monde, il ne s’agit donc pas
tant de se contenter d’accumuler un corpus de connaissances que de développer
un esprit fort mais souple ainsi qu’un savoir-faire et un talent au niveau de
la communication et du travail en équipe. Il faut également développer des
qualités de patience et d’endurance (savoir repartir après une
déception) ; savoir gérer ses mouvements d’humeur et savoir se
protéger de l’orgueil, de l’arrogance, de l’avidité, de la haine, de la
dépression, de l’angoisse et de la panique. Toutes ces vertus sont de plus en
plus reconnues comme étant, à long terme, plus utiles et nécessaires à une vie
professionnelle réussie qu’un diplôme universitaire dans la poche.
C’est pourquoi l’éducation bouddhiste n’est pas du
tout idéaliste. Elle ne vise pas à produire des gens qui soient hors du monde,
vertueux mais incapables de faire face au « monde réel ». Au
contraire, elle est basée sur la conviction que le processus de développement
bouddhiste dont la plénitude peut conduire à l’Eveil, peut, à un niveau plus
modeste, apporter la meilleure forme d’éducation qui soit aux gens comme vous
et moi.