Le Dhamma de la Forêt


Différentes façons de connaître

Upasika Kee


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Extrait de Reading the mind


Que pouvons-nous faire pour voir clairement les agrégats, cet ensemble corps-esprit, cause de tellement de tension et de souffrance, de manière que nous puissions chasser tout attachement pour eux hors de notre esprit ? Pourquoi des étudiants en médecine peuvent-ils savoir tout ce qu’il y a dans le corps – intestins, foie, reins, etc. – jusque dans les moindres détails sans pour autant être dégoûtés ou désillusionnés par le corps ? Pourquoi ? Pourquoi les entrepreneurs des pompes funèbres passent-ils tellement de temps avec des cadavres sans rien en apprendre d’important ? Cela montre que cette sorte de connaissance n’est pas facile à acquérir. Si on regarde ces choses sans une profonde attention et sans la sagesse voulue pour les voir vraiment telles qu’elles sont, on ne peut les connaître que très superficiellement ; cette connaissance ne pénètre pas et l’esprit continue à se saisir de toutes sortes d’attachements.

Par contre, si l’esprit peut obtenir une vision juste de la réalité au point de lâcher ses attachements au corps et au mental, il obtiendra la voie et les fruits qui mènent au nibbana. Cela montre qu’il y a différentes façons de connaître. Nous n’avons pas à connaître tous les détails du corps comme les chirurgiens modernes. Tout ce que nous devons savoir, c’est que le corps se compose des quatre éléments – la terre, l’eau, le feu et l’air – ainsi que des éléments de l’espace et de la conscience. Si nous connaissons vraiment cela et simplement cela, nous aurons atteint la voie et ses fruits, tandis que ceux qui connaissent tous les détails du corps au point de pouvoir opérer des patients n’obtiennent aucun succès transcendant.

Analysons donc le corps selon ses composants pour bien les connaître. Ainsi, quand il y aura des changements dans le corps et dans l’esprit, il n’y aura pas trop d’attachements. Dans le cas contraire, nos attachements seront forts et résistants, et ils nous conduiront à de nouveaux états d’existence et de naissance dans le futur.

Maintenant que nous en avons l’occasion, nous devons observer le corps et le décomposer pour bien le voir dans le détail. Prenons les cinq objets de méditation de base : les cheveux, les poils, les ongles, les dents et la peau. Regardez-les attentivement les uns après les autres. Inutile de méditer sur tous les cinq, vous savez. Concentrez-vous sur les cheveux pour voir qu’ils relèvent de l’élément terre, pour voir que leurs racines baignent dans le sang et la lymphe qui se trouvent sous la peau. Ils ne sont beaux ni par leur couleur, ni par leur odeur, ni par l’endroit où ils se trouvent. Si on analyse et on réfléchit à ces choses-là, on ne se laissera pas aller à croire qu’il s’agit de « nos » cheveux, « nos » ongles, « nos » dents ou « notre » peau.

Toutes ces parties du corps sont composées de l’élément terre mélangé à l’eau, l’air et le feu ; s’ils étaient seulement terre, ils ne pourraient pas durer car chaque partie du corps doit absolument être composée de tous les quatre éléments pour que ce soit un corps. Et puis il y a un phénomène mental, l’esprit, qui est aux commandes. Ce sont là des choses qui suivent en tout point les lois de la nature – apparition, changement puis disparition des phénomènes physiques et mentaux – mais nous nous en saisissons en considérant que le corps nous appartient et que les pensées sont « nous ». Nous croyons que tout est nous ou à nous. Alors, si nous n’observons pas les choses de près pour les voir telles qu’elles sont réellement, nous ne ferons que nous attacher à elles.

Voilà ce qu’est la méditation : voir les choses clairement pour ce qu’elles sont. Il ne s’agit pas de passer d’un thème à un autre, ce qui serait le meilleur moyen de ne rien apprendre du tout. Mais, par tempérament, du fait de notre ignorance fondamentale et de notre regard erroné sur les choses, nous n’aimons pas nous observer encore et encore. Nous inventons toutes sortes de problèmes qui vont nous empêcher de le faire, de sorte que nous pensons toujours à autre chose. Voilà pourquoi nous restons tellement ignorants et stupides.

Pourquoi, alors, pouvons-nous apprendre d’autres choses ? Parce qu’elles entrent dans le cadre de ce que le désir recherche. Voir clairement les choses telles qu’elles sont reviendrait à abandonner tout désir, alors celui-ci trouve le moyen de masquer la réalité. Il change sans cesse, apporte toujours des nouveautés, nous piège à chaque fois, de sorte que nous n’étudions et ne pensons qu’à des choses qui ajoutent à la confusion et à la souffrance de l’esprit. Voilà tout ce que recherche le désir. Quant aux études qui permettraient de mettre fin à la confusion et à la souffrance de l’esprit, elles dérangent toujours le désir.

C’est la raison pour laquelle l’esprit essaie toujours de passer à de nouvelles connaissances, à de nouvelles choses séduisantes, et c’est aussi pourquoi il s’attache sans cesse à tout. Alors, quand l’esprit ne se connaît pas lui-même, il faut faire un véritable effort pour voir la vérité, pour voir que ce qui le compose n’est ni « vous » ni à vous. Ne laissez pas l’esprit ignorer cela ; affirmez-le au fond de vous ! Si l’esprit n’a pas profondément conscience des vérités que sont l’impermanence, l’insatisfaction et l’impersonnalité de toute chose, il ne pourra pas se libérer de la souffrance. Ses connaissances seront limitées aux connaissances superficielles du monde et il suivra la voie du monde. Il n’atteindra pas la voie et les fruits de la voie qui mènent au nibbana.

C’est là que se trouve la séparation entre ce qui relève du monde et ce qui relève du transcendant. Si vous comprenez l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi jusqu’au niveau ultime, c’est le transcendant ; si vous ne les comprenez pas dans leurs plus petits détails, vous en êtes encore au niveau du monde.

Le Bouddha a donné beaucoup d’enseignements mais ils reviennent tous à cela. Les principes importants de la pratique que sont les quatre fondements de l’attention et les quatre Nobles Vérités, reviennent tous à ces caractéristiques d’impermanence, d’insatisfaction et de non-soi. Si vous essayez d’apprendre trop de principes, vous n’aurez finalement aucune connaissance claire de la vérité telle qu’elle est. Mais si vous vous concentrez juste sur quelques connaissances, vous aurez finalement une vision plus profonde et plus juste que si vous essayez de connaître beaucoup de choses. C’est en voulant savoir beaucoup que l’on finit par tomber dans des pièges. Nous errons dans nos connaissances erronées, à penser et à mettre des mots sur tout, tandis que la connaissance qui est orientée et précise, quand elle aboutit, est absolue. Elle ne cesse de marteler la même chose. Il est inutile de connaître beaucoup de choses car, quand vous connaissez une chose à fond, tout converge précisément là.