Le Dhamma de la Forêt


Conscience du danger des poisons mentaux

Extrait des enseignements d’Ajahn Khamdee


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Les enjeux du Dhamma ne sont pas très différents des enjeux du monde. Prenez la richesse, par exemple. La richesse extérieure – possessions, argent, statut social – risque d’être perdue du fait de dangers extérieurs. De même, la richesse intérieure – la bonté, les attitudes justes – risque d’être perdue du fait de dangers intérieurs.

La richesse extérieure est sujette à trois sortes de danger : inondation, incendie et voleurs. Sans ces trois sortes de danger, nous n’aurions pas besoin de perdre tellement de temps à veiller sur nos biens ; nous pourrions laisser trainer nos possessions n’importe où. Mais quand nous possédons quelque chose et que nous y sommes attachés parce que c’est « à nous », nous sommes obligés d’en prendre soin et de le mettre à l’abri. Ceux qui ont beaucoup d’argent le mettent à la banque parce qu’ils ne peuvent pas le surveiller tout seuls.

Même chose pour les cultures que nous plantons dans nos champs et nos vergers. Nous devons veiller à ce qu’elles ne soient pas exposées à des dangers. Les inondations peuvent les endommager, les voleurs peuvent s’en emparer, les animaux peuvent les piétiner et les manger. Si nous ne les surveillons pas, notre richesse et nos biens seront perdus.

De la même manière, nous devons veiller sur notre richesse intérieure, notre bonté et nos attitudes justes. Si nous ne prenons pas soin de ces qualités que nous avons développées, elles risquent de disparaître sous l’effet de l’avidité, de la colère et de l’ignorance. Ces trois tendances de l’esprit sont nos ennemis. Elles ont énormément de pouvoir et d’influence sur tous les êtres humains qui naissent dans ce monde. Que nous soyons fermiers, marchands, fonctionnaires ou quoi que ce soit, nous sommes tous sous le joug de l’avidité, de la colère et de l’ignorance. Ces trois poisons mentaux peuvent aveugler les personnes les plus clairvoyantes et rendre idiotes les personnes les plus intelligentes, de sorte qu’elles vont agir à tort et à travers, et causer du mal.

Voilà pourquoi le Bouddha nous a enseigné qu’il fallait être très attentif pour éviter de tomber sous l’emprise de ces mauvaises influences, pour qu’elles ne minent pas notre bonté intérieure et nos attitudes justes, pour qu’elles ne détériorent pas notre connaissance et notre intelligence. Il nous a appris à veiller sur notre esprit de façon à être toujours prêts à repérer l’avidité et la colère qui naissent de l’ignorance. Il nous a recommandé d’être sur nos gardes face à ces ressentis.

Il ne faut pas croire aveuglément que tout ce qui apparaît dans l’esprit est toujours « moi » ou « à moi ». C’est pourquoi nous devons entraîner l’esprit, pour compenser les qualités qui lui manquent encore. C’est comme dans la médecine traditionnelle : le médecin apprend les différentes parties qui composent le corps et tous ses éléments, de sorte que, lorsqu’une maladie apparaît du fait d’un manque ou d’un déséquilibre dans les éléments, il peut trouver le remède adéquat pour compenser ce manque.

Nous devons donc examiner notre cœur et notre esprit pour voir ce qui leur manque. Manquent-ils de confiance ou de persévérance ? Notre attention est-elle trop faible ? L’esprit manque-t-il de concentration de sorte qu’il est distrait et obsédé par ses préoccupations ? Manque-t-il de discernement au point de ne pas distinguer le juste du faux ? Dans ce cas, il faut compenser ces manques.

Pour renforcer notre foi, nos maîtres nous conseillent de faire confiance au principe du karma, selon lequel toutes nos actions ont des conséquences. Ils nous enseignent qu’il y a des actions justes et d’autres qui sont néfastes, ce qui nous permet de distinguer le vrai du faux et notre esprit sera enclin à avoir foi en nos bonnes actions.

En réalité, le vrai et le faux, ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, sont des choses faciles à vérifier. Nous avons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Même si nous n’avons pas étudié le droit, nous pouvons faire la différence entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, et éviter ainsi d’enfreindre la loi. Certaines personnes nous ont montré, par leur exemple, ce qui advient de ceux qui agissent mal. Nous pouvons donc distinguer la voie juste de son contraire. Si nous prenons le bon chemin, cela s’appelle « association avec les sages » ; si nous choisissons une mauvaise voie, cela s’appelle « association avec les inconscients ».

Pour développer notre confiance dans le principe du karma, nous devons observer les causes et les effets. Ceux qui agissent bien constatent qu’ils sont à l’aise dans leur corps et dans leur esprit. Ceux qui ont mal agi n’ont pas la moindre paix dans l’esprit ; même quand ils se couchent, ils ont du mal à se reposer – les voleurs, par exemple, doivent se cacher pour échapper aux autorités. Nous voyons donc que ceux qui agissent bien peuvent vivre détendus, la conscience tranquille, tandis que ceux qui se comportent mal finissent par souffrir. Quand on réfléchit ainsi, on peut voir quelles personnes ou quels groupes nous voulons prendre pour exemple dans notre propre conduite. Nous apprenons tous par l’exemple : les sportifs suivent l’exemple et les conseils de leurs entraîneurs et les bandits suivent les mauvais exemples qu’ils ont reçus. Il y a des exemples pour tout, pour le bon comme pour le mauvais. Alors observez bien et réfléchissez par vous-même.

L’avidité, la colère et l’ignorance sont plus violentes que toute autre chose dans ce monde. Plus violentes que les esprits furieux, les tigres féroces ou les serpents venimeux. Il n’y a absolument rien de plus violent que l’avidité, la colère et l’ignorance. Ce sont des sentiments violents dans la mesure où l’avidité peut vous faire faire des choses brutales qui se retournent contre vous ; la colère peut vous blesser ; l’ignorance peut vous faire du mal. Vous risquez d’avoir toutes sortes d’ennuis du fait de l’ignorance.

J’ai passé ma vie – depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse – à errer dans la forêt et la jungle en tant que moine ascète, à escalader des montagnes et des collines, et pourtant je n’ai jamais vu un tigre dévorer quelqu’un vivant. J’en ai entendu parler mais je ne l’ai jamais vu de mes propres yeux. Pas plus que je n’ai vu un serpent tuer quelqu’un ni un esprit féroce posséder une personne et causer sa mort. Ce que j’ai vu, c’est que les habitants de ce monde souffrent, non d’être mangés par des tigres, mordus par des serpents ou piétinés par des éléphants, mais du fait de leur propre avidité, de leur colère et de leur ignorance. Quelles que soient les choses qui les fassent souffrir, c’est finalement l’avidité, la colère et l’ignorance qui les anéantissent. C’est pourquoi le Bouddha a déclaré que les personnes pleines de haine se font autant de mal qu’elles veulent en infliger aux autres. Elles se détruisent elles-mêmes à travers des actes cruels et corrompus, comme nous le voyons tout autour de nous. Elles sont nées en tant qu’êtres humains comme les autres mais leur conduite n’est pas celle d’êtres humains.

Nous devons donc être extrêmement attentifs face à l’avidité, la colère et l’ignorance. Ces réactions peuvent s’emparer de personnes au regard clair et les plonger dans l’obscurité. Vous savez, leur pouvoir est plus grand et plus puissant que celui de tout être au monde – excepté celui des Arahants et des autres nobles disciples. Mais même parmi les autres nobles disciples, ceux qui en sont au premier ou au second stade d’éveil sont encore sujets à tomber dans ces pièges. Le fait qu’ils aient « ouvert l’œil du Dhamma » signifie simplement qu’ils ont au moins reconnu le danger de ces poisons mentaux. Mais si on veut vraiment être en paix, il faut atteindre le troisième degré d’éveil ou le quatrième, celui d’Arahant.

Le plaisir qu’apportent les objets des sens a ses avantages et ses inconvénients. Les ressentis, les perceptions, les fabrications mentales et la conscience sensorielle ont aussi leurs bons côtés. La seule exception est la négativité sous toutes ses formes : colère, aversion, jalousie, irritation, impatience, etc. jusqu’à la haine. Tout cela n’apporte rien de bon ; c’est brûlant et violent ; personne n’aime ressentir cela. Lorsque quelqu’un est en colère contre nous, nous n’aimons pas cela ; lorsque nous sommes en colère contre une personne, elle n’aime pas cela non plus, et nous-mêmes, nous brûlons à l’intérieur. Pourtant notre ignorance nous pousse à nous attacher à notre colère, ce qui prouve que nous sommes encore des personnes bien ordinaires.

Les poisons mentaux qui nous viennent des sens – comme l’avidité, la colère et l’ignorance –sont comme le feu. Les objets des sens – objets visuels, sons, odeurs, saveurs, sensations tactiles – sont comme de la paille et du petit bois : du combustible pour le feu. Normalement, s’il n’y a pas de combustible, le feu ne prend pas. S’il n’y a qu’un peu de combustible, les flammes sont petites et ne durent pas. S’il y a beaucoup de combustible, les flammes montent haut et la chaleur du feu est forcément très élevée, elle aussi. Lorsque nous sommes assis tout près d’un feu et que nous souffrons de la chaleur qu’il dégage, pouvons-nous dire que c’est de la faute du combustible ? En réalité, la chaleur est la chaleur du feu. La nature du combustible, n’est, en elle-même, pas chaude du tout, elle est inoffensive. Le mal vient du feu parce que la nature du feu est de brûler.

Il en va de même pour les pollutions mentales liées aux sens et les objets des sens. Allons-nous accuser les objets visuels, les sons, les odeurs, les saveurs et les sensations tactiles, tout ce que nous pouvons désirer, de causer notre souffrance ?

Le Bouddha nous enseigne que c’est l’esprit qui transforme toutes ces choses en souffrance, de même que le feu transforme le combustible en quelque chose de brûlant. C’est donc en nous-mêmes que nous devons rechercher la source de notre souffrance.

Voilà pourquoi les nobles disciples peuvent voir des choses, entendre des sons, etc. sans jamais en souffrir : parce qu’ils ont éteint en eux les feux de la passion, de l’aversion et de l’ignorance de la réalité.