Le Dhamma de la Forêt |
Vous vous souvenez que la première étape sur la voie de la vision pénétrante consiste à prendre conscience que le corps et l’esprit sont deux choses distinctes. Aujourd’hui nous allons parler de la deuxième étape, en apparence tout aussi évidente mais très importante : prendre conscience de l’impermanence de toute chose. Pour cela, nous allons observer l’apparition et la disparition de tous les phénomènes naturels.
Comme je vous l’ai dit, il est impératif, à la fin de la pratique des jhana [états de profonde absorption méditative] de se rappeler : « Cela aussi est impermanent ». Pourquoi est-ce si impératif ? Parce qu’il faut que nous finissions par voir l’apparition et la disparition en toute chose.
Quand notre esprit réagit en disant : « Oh, je n’aime pas penser que cet état agréable de jhana est impermanent », nous nous situons au niveau « du monde », un niveau où il est impossible de trouver le réel bonheur, la pleine satisfaction. C’est impossible. Dès l’instant où l’esprit dit cela, nous devons prendre conscience qu’il a régressé dans une vision des choses qui est celle du monde. Quand quelque chose d’agréable s’arrête, le monde dit : « Oh ! Quel dommage ! » mais quand le méditant voit quelque chose d’agréable s’arrêter, il se dit : « Cela aussi est impermanent ». Il ne suffit pas de le dire, il faut vraiment le ressentir – c’est toute la différence. On peut toujours dire n’importe quoi, se promener en criant sur les toits que l’on est éveillé, par exemple. Mais ce qui importe c’est de savoir que ce que l’on dit est vrai parce qu’on en a vraiment vu la vérité.
Le fait que les jhana soient impermanents les met au niveau des choses du monde. Ce n’est pas une dimension où nous pouvons abandonner derrière nous le niveau du monde. Cependant, c’est la troisième dimension, celle où l’on n’a besoin ni des contacts sensoriels ni de la pensée logique rationnelle. Mais même dans cette troisième dimension d’élévation de la conscience, nous sommes encore dans un domaine où existent les conditions qui apparaissent et disparaissent.
Tout ce que nous avons pu vivre jusqu’à aujourd’hui avait nécessairement une condition préalable qui lui a permis d’exister, une cause dont nous avons connu les effets ; ensuite il y a eu une autre cause et un autre effet – c’est l’interdépendance des phénomènes conditionnés par d’autres phénomènes. C’est ainsi que notre corps est arrivé sur cette terre, notre esprit aussi. Or tout ce qui est conditionné est obligatoirement impermanent et ne peut se réclamer de la moindre substantialité ou de la moindre stabilité parce la condition qui le précède est elle-même tout aussi impermanente.
Quand on considère les jhana, par exemple, quelle est leur condition ? Leur condition de base est la concentration. Est-ce un phénomène permanent ? Ce serait bien, n’est-ce pas, mais ce n’est pas le cas. Non seulement la concentration est impermanente dans le sens qu’elle est parfois présente parfois absente, mais cela va plus loin et c’est une chose que nous devons maintenant être capables de reconnaître : l’impermanence est au cœur de chaque moment, de chaque fraction de seconde. Si vous avez une montre avec une trotteuse, vous pouvez le voir : l’aguille bouge constamment, il y a un mouvement permanent. Vous pouvez vous contenter de regarder et dire : « Oh, je suis en retard. Il faut que j’y aille » mais pourquoi ne pas regarder autrement et voir comment ce mouvement vous démontre visiblement que rien ne peut jamais rester immobile ? Les choses bougent toujours – c’est ainsi.
Il est amusant de voir comment la technologie moderne nous aide parfois à voir les choses beaucoup plus clairement qu’autrefois. Le temps bouge et change constamment. C’est une chose que nous savons certainement sur le plan intellectuel mais il faut que cela devienne une réalisation intérieure, que nous voyions que ce qui se passe sur cette montre se passe également en nous – nous ne sommes pas différents. En nous, tout apparaît et tout disparaît constamment.
Ces mots sont tellement utilisés dans la terminologie bouddhiste que la plupart des gens n’y font plus attention. Ils disent : « Oui, bien sûr. Tout apparaît et tout disparaît » et puis ils n’y pensent plus. Mais si nous ne parvenons pas à ce second niveau de vision pénétrante, les autres niveaux ne nous seront pas accessibles. Ils mènent tous à la libération totale mais nous devons au moins arriver au point où nous voyons aussi bien le monde que nous-mêmes dans une perspective différente. Cette perspective différente, c’est voir que la « solidité » de ce qui nous entoure a une faille ; elle ne s’effondre pas complètement mais rien ne nous paraît plus aussi sûr qu’autrefois.
Nous pouvons parvenir à voir les choses de cette manière grâce à la méditation. En méditation, nous voyons souvent qu’une pensée qui s’est présentée est déjà partie avant même que nous ayons eu le temps d’en être pleinement conscients … et déjà une autre pensée arrive ! Mais ce n’est pas tout. Si vous êtes très attentif, vous ressentirez chaque pensée comme une impulsion électrique qui se manifeste et puis se disperse à chaque fraction de seconde. Chaque sensation, chaque émotion fonctionne comme cela, exactement à l’image de l’univers lui-même. Tout fonctionne ainsi.
A cause d’une illusion optique, nous percevons une certaine solidité autour de nous. On dirait que les gens, les maisons, les meubles, les arbres sont solides, que tout a une réalité absolue. Et comme cela nous fait plaisir de le croire parce que nous pouvons en conclure que ce « moi » existe lui aussi, nous n’allons pas au-delà de cette illusion optique. Pourtant nous n’en obtenons aucun réel sentiment de liberté ou de sécurité car tous ces gens et ces objets soi-disant solides nous apparaissent aussi comme étant séparés de nous or nul ne se sent en sécurité ou heureux dans ces conditions – mais nous préférons, malgré tout, croire à cette illusion d’optique.
En réalité, quand nous nous observons de très près, nous remarquerons, tant dans le corps que dans l’esprit, un mouvement constant. En méditation, si vous êtes assis sans bouger et que vous prenez conscience de votre corps, vous remarquerez sans difficulté un mouvement constant dans le corps. Je ne parle pas du mouvement de la respiration ni du battement du cœur – ces mouvements-là sont évidents. Je parle de l’intérieur même du corps où il y a un effet constant de manifestation et dispersion. Vous n’êtes pas obligé de mettre ces mots dessus. Il s’agit d’un mouvement : dedans, dehors, dedans, dehors … Nous pouvons voir et sentir cela dans le corps mais aussi dans l’esprit. Quand nous le ressentons, nous avons un premier aperçu de la nature réelle de l’univers : il n’est pas solide – comment pourrait-il l’être ? L’univers tout entier est constamment en train de se contracter et de se dilater – exactement comme nous !
Quand nous étions à l’école, nous avons appris que cette terre, sur laquelle nous semblons fermement installés, est constamment en mouvement. Nous l’avons oublié, bien sûr ! Nous nous sommes peut-être posé la question, à ce moment-là, de savoir pourquoi nous ne tombons pas de la surface de la terre puisqu’elle bouge autant et si vite mais, comme nous ne pouvions pas répondre à la question, nous nous sommes empressés de l’oublier. Tout dans l’univers – soleil, lune, étoiles – tout bouge ! Rien n’est immobile, il n’y pas un seul point immobile dans tout l’univers.
Du fait de ce mouvement constant, il y a une friction constante. Le mouvement engendre la friction et toute friction est désagréable. Ce que nous pouvons dire avec certitude à propos de la friction, c’est qu’elle est dukkha [mal-être, insatisfaction, souffrance]. Et, un jour, nous réaliserons combien la pensée est dukkha. Elle est vraiment dukkha. Pas seulement parce qu’elle est épuisante mais parce qu’elle est friction : constante apparition et disparition.
Cette illusion optique de la solidité du « moi », et le fait que nous ne soyons pas capables de voir à travers elle, est à l’origine de tous nos problèmes parce que ce « moi » qui est différent des autres « moi » a besoin d’être protégé de tous les autres ; il a toutes sortes d’envies qu’il faut satisfaire sous peine d’être malheureux ; et il veut que les choses qu’il aime demeurent comme elles sont. Tous ces désirs sont complètement irréalistes. Ils sont en complète contradiction avec les lois de la nature. Si nous étions un peu plus en accord avec les lois de la nature, nous verrions à quel point tout cela est absurde. La solidité n’existe pas. Tout est constamment en mouvement. Et, s’il n’y a pas de mouvement, c’est la mort : tout ce qui ne bouge pas est mort, arrivé en bout de course.
Nous avons tous reçu ces connaissances scolaires mais il n’est pas utile d’y revenir maintenant. Tout ce que nous avons à faire, c’est regarder en nous et prendre conscience de ce changement constant, même à un niveau visible. A la fin d’une retraite, je recommande toujours aux méditants, en rentrant chez eux, de sortir un vieil album de photos, de retrouver une photo de quand ils étaient bébés, de la mettre à côté d’eux devant le miroir et de se poser la question : « Lequel est moi ? Le bébé ou celui qui est devant le miroir ? » Si vous n’aimez pas cette photo, prenez une photo de classe quand vous étiez en primaire ou celle de vos vingt-et-un ans. Elles sont toutes « vous » et cette personne devant le miroir est aussi vous. Alors où êtes-vous ? … Et il n’y a pas assez de photos pour voir tous les « vous » qui ont existé quand il n’y avait personne pour prendre une photo – encore des milliards de « vous » ! Alors combien sommes-nous ? Il est bien évident que nous sommes si nombreux que c’est impossible à calculer. Et il ne s’agit que du corps !
C’est une expérience très intéressante. Faites-le ! Mettez-vous devant le miroir avec une ancienne photo et dites : « C’est moi et ça aussi, c’est moi. » Mais ne vous arrêtez pas là ! Tirez-en une conclusion : « Qui est le vrai moi ? » Sans aucun doute, vous répondrez qu’en ce moment, c’est celui-là, devant le miroir, qui est le vrai « moi ». Mais l’instant d’avant, il y en avait un autre qui était réel et d’ici dix ans – si nous vivons jusque là –, il y en aura un autre qui sera réel. Il n’y a donc que la réalité de l’instant ! Tout le reste est conjecture, tout le reste est illusion d’optique. Et combien dure chaque instant ? Moins de temps qu’il n’en faut à la trotteuse pour aller d’une seconde à l’autre – c’est très rapide. C’est la seule réalité qui existe.
Quand cette réalisation vous pénètre vraiment, il est très possible que l’esprit dise : « Je n’aime pas ça. Je vais m’empresser de tout oublier parce que ce n’est pas comme ça que je veux que soient les choses. » C’est là que les bienfaits des jhana interviennent. En effet, si cette réalisation apparaît après la pratique des jhana, l’esprit n’oppose absolument aucune objection. Il est détendu, calme, paisible. Il se dit : « Ah ! C’est comme ça. D’accord. » Mais sans les jhana, il est très possible que l’esprit rejette tout en bloc : « Tout ça, c’est bien joli mais ça ne me convient pas. Moi, ce que je veux, c’est être heureux. Alors mieux vaut garder les choses bien stables. »
Mais il est évident qu’il est impossible d’être heureux quand on vit en contradiction avec les lois de la nature. C’est impossible. Personne n’a jamais pu y parvenir. La contradiction qui apparaît quand on rejette cette vérité absolue – car il s’agit d’une vérité absolue – c’est essayer de trouver la satisfaction intérieure, la plénitude intérieure, sans accepter la vérité absolue. C’est presque comme si nous voulions aller en voiture quelque part mais sans voiture. C’est absurde, irréalisable. La seule chose à faire est de véritablement analyser et vérifier par soi-même qu’il s’agit bien de la vérité, que ce moment présent est effectivement le seul qui existe. Si nous découvrons que c’est la vérité, l’esprit qui accepte cette vérité sera porté à vivre dans l’instant présent. A partir de là, si nous vivons l’instant, il n’y a plus rien que nous puissions rejeter car nous n’allons pas rejeter la vie. Si nous sommes pleinement et uniquement présents à cet instant – ce qui est, bien sûr, la pratique de l’attention (et le Bouddha a promis que si nous étions vraiment attentifs pendant sept jours consécutifs, nous trouverions l’Eveil) –, il n’y a aucune possibilité d’aversion parce que cet instant précis ne peut pas inspirer d’aversion : il est, un point c’est tout.
Le danger, c’est que les instants se succèdent. L’impermanence est cachée sous les apparences de la continuité. Parce que nous avons la mémoire qui nous rappelle que nous étions déjà ici hier, le jour d’avant et le jour d’avant, nous en concluons que nous sommes permanents. Et puis il y a l’année dernière et l’année d’avant dont nous nous souvenons. Il en va de même quand on essaie de vivre dans l’instant présent : si on permet à la mémoire de nous rappeler que nous avons déjà vécu l’instant d’avant et celui d’avant, tout l’exercice devient futile. Il faut que ce soit cet instant unique et rien d’autre.
Si nous parvenions à cette conscience unique de l’instant présent, le premier résultat serait qu’il n’y aurait absolument aucune impureté, aucune aversion, aucun rejet ; il y aurait la Vérité. Mais il est quasiment impossible pour un individu ordinaire d’avoir une attention assez ferme et soutenue pour pouvoir vivre seulement dans l’instant présent.
En conséquence, nous devons explorer notre propre corps et notre propre esprit pour voir si nous pouvons y trouver quoi que ce soit qui soit permanent et ne change jamais. C’est une autre méthode de méditation de la vision pénétrante. Nous avons déjà pratiqué l’investigation des trente-deux parties du corps ainsi que l’observation de l’impermanence de la respiration, des pensées, des sensations et des mouvements du corps. Maintenant il s’agit de chercher parmi tous les composants du corps et de l’esprit quelque chose qui ne change jamais.
Nous recherchons cette permanence mais il est évident que nous ne la trouverons pas. Nous trouverons peut-être une idée, une de nos fabrications mentales, un espoir qu’il existe effectivement quelque chose qui ne change pas, et nous lui donnerons un nom pour le figer mais, en réalité, nous ne trouverons rien de stable. Quand nous réalisons qu’il n’y a rien de permanent en nous, nous pouvons poursuivre notre recherche en regardant la nature qui nous entoure : y a-t-il là quoi que ce soit qui ne change pas ? Nous allons observer les arbres, les buissons, les feuilles, la terre, l’herbe, le ruisseau, la crique, le temps, le matin, le soir, les étoiles, la lune, le soleil – nous pouvons regarder partout …
C’est une expérience très intéressante qui vaut la peine d’être faite. Regardez ! Où y a-t-il quelque chose qui ne change pas ? Comme notre esprit n’aime pas du tout cela, nous avons fabriqué toutes sortes d’histoires fantasques à propos de choses qui ne changeraient pas pour pouvoir nous y raccrocher. Ensuite, nous avons transformé cela en systèmes de croyances. Alors regardez si vous trouvez quelque chose qui ne change pas. Il est très intéressant de découvrir ce que chacun de nous va pouvoir trouver – si vous parvenez effectivement à trouver une chose à laquelle vous raccrocher. Ensuite examinez cette chose : est-elle réelle ? Est-ce un système de croyances ? Est-ce basé sur quelque chose que d’autres personnes vous ont dit ? Est-ce quelque chose que vous aimeriez croire ? Ce questionnement est extrêmement enrichissant. Commencez avec vous-même et puis étendez la recherche vers l’extérieur.
Tout ce qui existe dans l’univers est lié. Je vous l’ai déjà dit souvent ; je vous ai parlé des relations entre toutes ces choses apparemment séparées mais qui forment un tout. Comme elles forment un tout, elles ont toutes exactement les mêmes caractéristiques. Le fait que tout soit lié se retrouve dans les éléments matériels, comme ceux dont notre corps est fait. Alors, là aussi, vous pouvez vérifier par vous-même ! Voyez si vous pouvez trouver là une chose qui ne change pas à chaque instant, qui demeure la même. Et, à chaque fois que l’esprit réagit en disant : « Je ne veux pas le savoir, je n’aime pas ça, ça ne me rend pas heureux », demandez-vous : « Qu’est-ce qui me rend heureux ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? Une chose stable qui dure toujours ? Où vais-je la trouver ? »
Il faut être courageux pour aborder ce questionnement. Si on n’a pas le courage d’avancer jusqu’au bout et que l’on évite de voir la vérité, on ne peut pas avancer sur cette Voie parce que chaque pas sur cette Voie est différent, et même à l’opposé, des croyances habituelles de l’esprit ordinaire. Si nous voulons vraiment transcender la manière ordinaire d’être, nous devons considérer les choses d’une manière extra-ordinaire. Et la seule manière extra-ordinaire de les regarder est de les voir différemment de l’habitude. Cela nous concerne et concerne aussi tout ce qui nous entoure.
L’impermanence, ce n’est pas seulement le fait que tout apparaisse et disparaisse ; c’est aussi le fait que tout s’écoule dans un flot continu. Ce n’est pas une arrivée et un départ, une manifestation subite et une brusque disparition. A l’intérieur même de ces allées et venues, le changement est déjà à l’œuvre. Nous ne restons jamais les mêmes d’un instant sur l’autre.
Il s’agit là d’une découverte très importante. Cela n’a peut-être l’air de rien mais découvrir que nous ne restons jamais les mêmes d’un instant sur l’autre engendre un sentiment d’urgence par rapport à l’importance de méditer car, si nous ne pratiquons pas, nous pouvons très facilement régresser et voir à nouveau les choses comme tout le monde. Si nous voyons les choses différemment, il faut que nous continuions à les voir différemment. Donc, dans cette impermanence, le changement est déjà à l’œuvre et ce changement permet de voir les choses comme si on était sur un balcon ou une petite colline et on regardait en bas – et ce que l’on voit, c’est que rien n’est pareil d’un instant à l’autre.
Parce que nous voudrions que tout soit stable et solide, nous essayons de nous accrocher aux choses et de ne pas les voir changer mais c’est le début des problèmes : « C’est moi ; c’est à moi, donc ça doit rester ainsi. » C’est impossible ! La seule chose à faire, c’est nous ouvrir au mouvement de la vie. Si nous nous ouvrons à ce mouvement, il est évident que nous avancerons en harmonie avec les lois de la nature, et nous sommes en harmonie avec ces lois quand nous reconnaissons clairement que tout change constamment.
Cette vision des choses nous apporte un sentiment de bien-être, lequel favorise la qualité de la méditation. En effet, dans la méditation, il est important de suivre le mouvement naturel des choses et de ne s’accrocher à rien. Ceci est particulièrement vrai si nous pratiquons les états d’absorption méditative. Si nous essayons de nous accrocher à ces états, nous n’en tirerons aucun bénéfice ; ils ne seront qu’un substitut aux plaisirs des sens. Ils ne sont pas supposés être un substitut aux plaisirs des sens. Même s’ils le sont effectivement, ce n’est pas ce qu’ils sont supposés être. Or, si nous essayons de nous y accrocher, ils deviennent cela et, de ce fait, perdent tout leur sens. Les états d’absorption méditative sont là pour nous montrer que nous pouvons transcender les plaisirs sensoriels. Mais cette transcendance elle-même n’est pas l’aboutissement : il y a plus car cela aussi est impermanent.
Lâcher prise et aller au-delà de l’impermanence signifie que celui qui est impermanent devra être complètement abandonné. Il y a donc, de toute évidence, une autre dimension. Mais il ne sert à rien de décrire cela maintenant parce que nous devons d’abord avoir une claire vision de la troisième dimension avant d’être en mesure de voir la suivante.
Donc impermanence, changement constant d’un instant à l’autre – voilà ce dont nous devons faire l’expérience par nous-mêmes. Si nous y parvenons, nous ressentons un immense soulagement. Le fardeau qui consiste à s’accrocher aux choses pour les solidifier et leur donner une apparence de stabilité qu’elles n’ont pas, disparaît. C’est un fardeau parce que ce que nous essayons de faire est contre les lois de la nature ; par conséquent, non seulement cela crée des tensions mais c’est impossible à maintenir : nous ne pouvons pas rester comme nous sommes, nous changeons d’un instant à l’autre !
Donc si nous commençons à avancer en harmonie avec les lois de la nature, ce fardeau tombe. Nous devenons beaucoup plus capables d’accepter nos propres changements et ceux des autres. Quand nous observons ces changements en nous – même des petits riens sans importance – nous constatons à chaque fois que les lois de la nature sont plus fortes que nos propres désirs.
Il ne faut pas que ce soit un exercice intellectuel, il ne faut pas que ce soit une croyance, il ne faut pas que ce soit une expérience. Il faut que ce soit une expérience vécue et comprise. La sagesse vient quand l’expérience vécue a été comprise. D’abord on la vit et puis on la comprend. C’est de là que naît la sagesse. Alors quand nous avons compris l’expérience, que nous avons vraiment ressenti la nature changeante de tout ce qui existe, à commencer par nous-mêmes, nous avons fait un pas immense sur la Voie qui nous mène à la libération de toute souffrance. La continuité qui cache notre impermanence est seulement une image, un concept. Il n’y a pas de continuité en nous ; nous sommes constamment différents.
Et puis, si nous avançons vraiment en harmonie avec le cours de ce changement, nous finissons par voir que la signification que nous avons donnée aux expériences et aux manifestations que nous sommes et que nous voyons, est tout à fait arbitraire. Cette signification n’a de sens que pour notre propre esprit. Rien n’est aussi important que nous le croyons et rien n’a autant d’importance que nous le croyons. Tout cela ne reflète que la façon dont nous avons conçu les choses en espérant leur donner permanence et réalité.