Le Dhamma de la Forêt


Une expérience de méditation
« bien comprise »

Ayya Khema

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Transcription d’un enseignement oral : Insight into the 4 mental aggregates


Le Bouddha comparait la négativité à un malaise biliaire. Une personne pleine de haine et d’aversion est, en quelque sorte, malade. Il est certain que, lorsqu’on est en colère, irrité, l’esprit plein de négativité, on se sent très mal, d’où la notion de mal-aise. L’antidote contre cette maladie est la méditation Metta qui ouvre le cœur à soi et aux autres. Utilisée dans ce sens, cette pratique est simplement une méthode pour réorienter l’esprit mais, bien sûr, il est encore plus important d’essayer d’ouvrir son cœur à tous dans la vie quotidienne, parce que c’est l’antidote le plus puissant contre la négativité.

La méditation va nous aider. Sans les expériences que nous vivons en méditation, il ne sera pas possible de transformer suffisamment notre négativité pour qu’elle disparaisse complètement. Cependant, si nous ne renforçons pas la méditation par un comportement adéquat tout au long de la journée, si nous nous satisfaisons d’un moment de méditation agréable le matin, nous ne profitons pas réellement de tous les bienfaits possibles de la méditation. Même si nous persévérons avec diligence dans la méditation mais que tout ce que nous vivons pendant ces moments ne change pas nos réactions dans le quotidien, c’est que quelque chose ne va pas. Soit nous nous imaginons que nous méditons, soit nous n’avons pas compris tout l’intérêt de la pratique.

La méditation nous transforme forcément. Les changements seront peut-être imperceptibles au début mais en regardant en arrière, nous comprendrons qu’il y a eu une grande évolution. Si un méditant ne constate pas d’amélioration dans sa façon de réagir dans les situations de la vie, si ses ressentis ne sont pas différents de ce qu’ils étaient – beaucoup plus positifs, beaucoup plus équanimes –, c’est que sa pratique n’est pas de la méditation. Il arrive qu’assis sur un coussin, nous croyions que nous méditons, mais si les expériences vécues en méditation ne sont pas comprises, cette pratique ne fera pas de différence dans notre vie.

Quelles que soient nos expériences de méditation, qu’il s’agisse de ressentis merveilleux, de pensées distraites, de peur, ou de quoi que ce soit, nous observons ce qui se présente et notre travail consiste à en comprendre tout le sens. Dans le cas contraire, si nous n’en retirons pas une compréhension profonde, elles ne nous servent à rien. Pensez à l’enfant qui met sa main sur un poêle brûlant et pleure de douleur. Tant qu’il ne comprend pas que sa douleur vient du contact avec le poêle, il recommencera à se brûler. Il n’en souffrira plus le jour où il le comprendra. C’est ce que l’on appelle « l’expérience bien comprise ». Si la méditation n’a pas ce genre d’effet, c’est en vain que nous nous assiérons sur notre coussin.

Tout ce que nous avons à faire, c’est comprendre ce que nous vivons. Or, en méditation, les expériences que nous avons sont plus faciles à comprendre que celles de la vie de tous les jours parce qu’elles naissent de l’intérieur, elles ne sont pas déclenchées par des événements extérieurs. Si une peur apparaît en méditation, ce n’est pas parce que quelqu’un nous menace ; si nous avons une expérience merveilleuse, ce n’est pas parce que quelqu’un nous porte aux nues. Nous devons donc essayer de comprendre la nature exacte de ces expériences et, pour cela, nous avons besoin de certaines informations. C’est pourquoi il est dit qu’il est bon de connaître les enseignements. Ces informations sont faciles à trouver mais l’important est de parvenir à les intégrer complètement, à les faire nôtres, de façon à pouvoir découvrir comment nous fonctionnons. Si nous prenons la peine de le faire, c’est une découverte fascinante.

Voici une parole du Bouddha sur la façon dont les êtres humains agissent et réagissent : « La négativité est le sentiment qui apparaît quand nous n’aimons pas ce qui se présente ». En méditation, l’un des exemples typiques de cette situation est lorsque nous avons une douleur dans le genou, le dos, l’épaule ou ailleurs. La réaction ordinaire immédiate à une sensation douloureuse est l’aversion aussitôt suivie du désir d’y échapper, de ne pas avoir à la subir. C’est alors qu’arrive le mouvement, presque inconscient, qui va tenter d’effacer la sensation désagréable.

Pour retirer une leçon de cette expérience, il faut que nous la comprenions parfaitement. Si nous y parvenons, nous aurons une vision très profonde de notre fonctionnement intérieur, lequel est identique à celui de tous les êtres. Cela devrait nous aider de deux manières : d’une part, nous pourrons cesser de réagir toujours de la même façon et d’autre part, nous aurons probablement plus de compassion pour les autres parce qu’ils ont tout autant de dukkha [souffrance, insatisfaction, douleur] que nous.

Ce qui se passe en réalité, quand nous avons mal au genou, au dos, à l’épaule, etc., c’est qu’il s’est produit un contact sensoriel, ici le toucher. Tous les contacts sensoriels éveillent automatiquement un ressenti, c’est inévitable. Il y a trois catégories de ressentis : agréables, désagréables et neutres. Comme un ressenti neutre ne nous dérange pas, il ne pose pas de problème. Nous nous soucions uniquement des ressentis agréables et désagréables. Dans notre exemple, il s’agit de quelque chose de déplaisant. L’étape suivante, dans la séquence de prise de conscience de l’esprit humain, est ce que l’on appelle « perception » et qui consiste à mettre un mot sur le ressenti. Avec ce ressenti désagréable, nous mettons l’étiquette « douleur », par exemple. C’est ensuite qu’apparaît notre réaction et cette réaction est une aversion immédiate, presque inconsciente, parce que personne n’aime avoir mal.

Que pouvons-nous apprendre de cette expérience de douleur en méditation ?

1/ Si nous n’aimons pas avoir mal, nous pouvons en déduire que tout le monde est comme nous, de sorte que nous allons faire très attention à ne pas infliger de douleur aux autres, que ce soit sur le plan physique, émotionnel ou mental.

2/ Nous sommes davantage conscients que nous ne sommes pas les seuls à ressentir de la douleur. C’est une expérience commune à tous, pas nécessairement en méditation assise. Il peut s’agir d’une douleur physique, morale ou mentale ou les trois ensemble. Dans tous les cas, il est clair que nous n’avons pas le monopole de la souffrance. C’est, au contraire, une caractéristique universelle. Nous en avons la preuve quand nous sommes tranquillement assis en méditation : personne ne nous fait de mal, personne n’exige quoi que ce soit de nous, et pourtant nous ne sommes pas heureux parce que nous avons mal quelque part ou que des pensées douloureuses nous assaillent. Il serait stupide de penser que nous sommes les seuls à souffrir dans ce monde. Cette compréhension va nous aider à avoir un sentiment d’unité, de rapprochement avec les autres et, par conséquent, d’avoir davantage de compassion pour leurs difficultés.

3/ Nous prenons conscience que le corps est constamment cause de désagrément. Nous sommes assis là, notre seul souhait est de méditer mais voilà qu’au bout de dix, vingt ou trente minutes, il se manifeste désagréablement. Il fait quelque chose que nous ne voulons pas qu’il fasse. Que pouvons-nous en déduire ? Que le corps en soi est loin d’être une manifestation satisfaisante. D’une part, nous devons constamment en prendre soin et, d’autre part, il fait des choses contraires à nos souhaits. Par conséquent, nous devons vraiment remettre en question le fait que ce corps nous appartient, qu’il est « moi » ou « à moi ».

Vous voyez combien il est important d’accorder une pleine attention à tout ce qui se produit en méditation. Qu’il s’agisse d’une expérience merveilleuse ou douloureuse, nous avons beaucoup à en apprendre. Une expérience merveilleuse va nous mener vers le calme et la paix nécessaires à l’investigation profonde, et l’expérience douloureuse va nous en apprendre tout autant sinon plus. Il est donc sage de ne pas préférer l’une ou l’autre. Les deux sont utiles à condition qu’il s’agisse d’une « expérience bien comprise ». D’ailleurs on dit souvent que dukkha (la souffrance, l’insatisfaction) est notre meilleur professeur parce qu’il nous oblige à être présents et attentifs. Vous l’avez sûrement remarqué : parfois, en méditation, on se sent un peu somnolent et puis une douleur commence à se faire sentir et là l’attention se réveille très nettement ! Dukkha est vraiment un bien meilleur maître que tous les enseignants vivants. Imaginez une situation en retraite où vous allez voir l’enseignant et vous lui dites : « Écoutez, j’ai mal partout, je n’ai plus envie de méditer, je ne suis pas heureux, je veux rentrer chez moi. » L’enseignant répondra probablement : « Je regrette que vous soyez si mal, mais si c’est ce que vous voulez, très bien, rentrez chez vous. » Essayez maintenant de dire la même chose à dukkha : « Je ne me sens pas très bien. Je veux rentrer à la maison. » Dukkha va répondre : « Pas de problème, rentre chez toi… mais je t’accompagne ! » Voilà un maître sur lequel vous pouvez compter, il est toujours là ! Mais seulement si nous l’écoutons, seulement si nous l’utilisons, seulement si nous en avons une « expérience bien comprise », c’est-à-dire si nous voyons ce qui se passe avec une juste connotation. Lorsque l’expérience est bien comprise, la sagesse apparaît.

Donc ici nous avons une douleur au genou, par exemple, et nous devons admettre que ce corps n’est pas satisfaisant, qu’il n’agit pas comme nous le voudrions et nous nous demandons s’il nous appartient vraiment : pourquoi fait-il des choses que je ne souhaite pas, si j’en suis vraiment le maître ? Pourquoi ne puis-je pas lui ordonner de faire ce que je veux, comme rester assis tranquillement, confortablement, sans bouger pendant une heure entière, et sans causer de douleur ? Pourquoi refuse-t-il de m’obéir ?

Ainsi nous pouvons conclure que non seulement le corps est insatisfaisant pour nous dans la mesure où il peut nous causer de la douleur, mais qu’il en va de même pour les autres : tout le monde souffre. Ainsi nous nous sentons reliés aux autres et capables de davantage de compassion.

4/ Enfin, le dernier point mais pas le moindre : nous devons apprendre à comprendre comment fonctionne l’être humain dans son ensemble. Je vais le répéter ici parce que, sans une attention bien claire et sans l’enseignement, ce n’est pas facile à voir.

Dans le cas d’une douleur au genou, au dos ou ailleurs, c’est très facile à voir. Donc, la prochaine fois que cela vous arrivera en méditation, vous pourrez vérifier par vous-même le déroulement de cette séquence : au tout début, il y a bien sûr, le contact sensoriel accompagné automatiquement d’un ressenti ; il faut qu’il y ait un ressenti avant de pouvoir mettre un mot dessus et ensuite un train de pensées apparaît.

Donc, dans le cas d’une sensation désagréable, la réaction est l’aversion… à moins que nous soyons prêts à changer les choses. L’aversion s’exprime d’abord dans l’esprit par une réaction négative à un ressenti et aussitôt après, on va essayer de s’en débarrasser. Voilà ce que nous faisons tout au long de notre vie : nous essayons d’échapper aux ressentis désagréables et de nous rapprocher des ressentis agréables auxquels nous nous accrochons. En voyant le déroulement de cette séquence, nous comprenons aisément qu’il est impossible de maintenir les ressentis agréables. Par contre, nous pouvons en trouver des nouveaux encore et encore et, de fait, nous utilisons notre énergie, notre temps, et notre vie toute entière à essayer d’accumuler des expériences agréables. Parfois nous sommes surpris parce que nous n’en avons pas ; d’autres fois, nous sommes enchantés d’en avoir. Pourtant, en y regardant de près, nous voyons que tout ce qui se passe, ce sont des contacts sensoriels et notre réaction aux situations.

Si nous n’avons pas la chance de prendre conscience de ce schéma fonctionnement – qui se répète sans cesse de manière identique puisque nous sommes constamment sous l’effet de stimulations sensorielles – nous ne pourrons jamais avoir la paix, le bonheur et la joie intérieure dont nous savons au fond de nous qu’ils sont à notre portée. Mais tant que nous essayons de les obtenir par les contacts sensoriels, nous échouerons pour la bonne raison que les contacts sensoriels disparaissent instantanément ; nous ne pouvons pas les maintenir. Imaginez un peu : pouvez-vous garder un son que vous entendez, une image que vous voyez, une odeur que vous sentez, une saveur que vous goûtez ou une pensée qui vous vient ? Avez-vous une idée du nombre de contacts sensoriels que vous avez eus dans cette vie ? Il est impossible de le deviner, le nombre serait astronomique. Nous avons eu un nombre astronomique de ressentis et, bien sûr, certains nous ont plu et d’autres pas, mais nous continuons à rechercher ceux que nous aimons et à échapper à ceux que nous n’aimons pas.

Du fait que nous gaspillons notre temps et notre énergie à cela, nous n’avons pas de temps ni d’énergie pour voir ce schéma de fonctionnement en profondeur et prendre conscience qu’il n’est guère satisfaisant de vivre ainsi. Les contacts sensoriels nous accompagnent, quoi qu’il en soit. Nous ne pouvons pas avancer dans la vie avec les yeux fermés, les oreilles colmatées et le nez bouché. Nous avons forcément des contacts sensoriels. Mais si nous courons sans cesse derrière l’agréable et que nous fuyons constamment le désagréable, nous allons gaspiller toute notre vie. Réfléchissez un instant à tout le temps que vous avez déjà perdu à agir ainsi. Et tout cela pour rien, parce que les ressentis agréables ont disparu et les désagréables aussi.

Alors, quand la douleur apparaît pendant une session de méditation, c’est le début de cette compréhension qui s’offre à vous. Qu’y a-t-il donc à faire avec ce ressenti désagréable ? Nous prenons conscience de l’enchaînement des étapes. En général, la première fois que la douleur apparaît, nous n’y pensons pas : il y a un ressenti, il est désagréable et puis c’est tout. Mais nous avons de nombreuses occasions d’y revenir : contact sensoriel - ressenti - étiquetage du ressenti – réaction sous forme d’un train de pensées. Maintenant, si nous voulons mettre un terme à cette réaction, ne serait-ce qu’une fois pour voir s’il est possible de transformer la séquence, nous considérons le ressenti et nous le voyons simplement comme un ressenti déplaisant. Nous laissons tomber l’étiquette « douleur » et la réaction en pensées. C’est juste désagréable. En général, l’esprit peut très bien gérer cela. À ce moment-là, nous pouvons reporter l’attention à la respiration. Bien sûr, elle sera à nouveau attirée par le ressenti désagréable. Nous recommencerons à avoir de l’aversion pour lui, nous comprendrons que réagir ne va nous mener nulle part et, à nouveau, nous pourrons nous dire : « Ce n’est qu’une sensation déplaisante » et nous retournerons à la respiration. Tout le monde peut y arriver, au moins deux ou trois fois ou même plus.

Mais quand l’esprit en vient à dire : « Bon, c’est bien joli tout cela mais je ne peux pas continuer à rester assis comme ça », vous changez de position lentement, doucement, pour ne pas trop déranger votre voisin ni trop perturber votre propre concentration. Il vaut beaucoup mieux changer de position en reconnaissant que l’on est victime de ses propres ressentis désagréables, que rester assis le cœur plein d’aversion envers le ressenti, envers la méditation, envers la situation et ensuite générer tout un train de pensées dans ce sens : « Je devrais y arriver mieux que cela » ou « Je pourrais faire des choses plus agréables que cela », etc. Tout vaut mieux que l’aversion. Il est donc inutile de rester assis avec un ressenti désagréable plein d’aversion. Par contre, il est extrêmement utile de voir comment les choses se produisent, apprendre à se connaître et ensuite essayer de dépasser la réaction habituelle pendant un petit moment, aussi longtemps que possible.

Le fait de dépasser nos réactions négatives habituelles engendre un grand sentiment de sécurité parce que nous comprenons que nous ne sommes pas obligés de réagir. Nous pouvons choisir de réagir. Quand nous apprenons à choisir de réagir, nous commençons à nous sentir beaucoup plus forts. Tant que nous réagissons d’une manière ou d’une autre, nous sommes comme une feuille dans le vent, nous sommes bousculés par les circonstances extérieures. Mais dès que nous prenons position et que nous disons : « Je ne suis pas obligé de réagir. Je peux si je le veux ou si c’est vraiment trop pour moi », nous sommes en charge de nos réactions.

Si nous agissons ainsi en méditation, une fois, deux fois, trois fois, cela devient beaucoup plus facile, et le seuil de la douleur recule aussi de plus en plus, même si tout cela prend du temps.

Il est bon de savoir que nous pouvons utiliser la même technique dans la vie de tous les jours. Il ne s’agit pas de refouler nos ressentis sous prétexte que nous ne voulons pas y réagir. Les personnes qui refoulent leurs sentiments de manière habituelle ont ensuite beaucoup de difficultés à entrer en contact avec ce qu’elles ressentent vraiment. Mais en ayant conscience de nos ressentis et de notre capacité à choisir d’y réagir ou pas, nous pouvons choisir de ne pas réagir et simplement considérer un ressenti désagréable comme étant tout aussi impermanent que les ressentis agréables.

Tout cela nous pouvons l’apprendre à partir d’une douleur au genou ! Donc, vous voyez comme cela peut être utile !

L’aversion, comme une maladie de la bile, nous rend la vie très difficile. Mais ceux qui ont beaucoup de haine, de colère et d’aversion sont généralement ceux qui sont le plus portés à la pratique parce qu’il est très désagréable d’avoir autant de sentiments négatifs en soi. Ceux qui sont davantage portés au désir et à l’avidité trouvent beaucoup de plaisir dans la vie et leur motivation à pratiquer n’est pas aussi forte. Donc les deux ont leurs bons côtés. Nous ne devons, sous aucun prétexte, augmenter notre négativité du fait d’un inconfort en position de méditation assise, ce serait ridicule ; mais il est tout aussi ridicule de changer de position à la moindre sensation désagréable.

La méditation doit nous aider à nous faire prendre conscience de nos réactions. En méditation, les conditions sont autres que dans la vie quotidienne où nous sommes le plus souvent obligés de réagir très vite. En méditation, nous avons une chance d’observer tout cela très clairement.

Et, bien évidemment, l’antidote contre l’aversion est Metta, la bienveillance qui peut aller jusqu’à l’amour inconditionnel.