Le Dhamma de la Forêt |
Pourquoi la méditation est-elle si importante ? Vous devez le savoir, sinon vous ne seriez pas en train de lire ce texte. Je voudrais insister sur le fait que la méditation n’est pas seulement une chose que l’on fait en plus du reste, quand on a du temps libre, mais qu’elle est essentielle à notre bien-être.
L’une de nos absurdités humaines consiste à penser constamment soit au passé, soit à l’avenir. Les jeunes pensent à l’avenir parce qu’ils en ont plus devant eux ; les plus âgés pensent davantage au passé parce que, pour eux, c’est là qu’il y a le plus à penser. Mais, pour vraiment vivre la vie, nous devons vivre chaque instant au présent. La vie ne s’est pas produite dans le passé – cela, ce sont des souvenirs. La vie ne se produira pas dans l’avenir – cela, ce sont des projets. Le seul moment où nous pouvons vivre la vie, c’est maintenant, à cet instant précis. Et, aussi absurde que cela puisse paraître, c’est une chose que nous devons apprendre à faire. En tant qu’êtres humains, avec une espérance de vie de soixante, soixante-dix ou quatre-vingts ans, nous devons apprendre à vraiment vivre la vie au présent. Quand nous aurons appris cela, nous aurons éliminé un grand nombre de nos problèmes.
Comme cela paraît simple mais comme c’est difficile ! Tous ceux qui s’y sont essayé le savent. Ceux d’entre vous qui n’ont pas encore essayé le découvriront certainement. Une prémisse tellement simple mais pas du tout facile à réaliser. Il n’y a qu’un seul moyen d’apprendre à vivre dans l’instant présent et c’est la méditation. La méditation a également d’autres aspects et facettes qui vont nous aider dans cet apprentissage.
Nous sommes tous parfaitement capables de prendre bien soin de notre corps. Nous le lavons au moins une fois par jour, souvent plus, et nous sortons avec des vêtements propres. Nous reposons notre corps la nuit – presque tout le monde a un endroit où dormir ; nous ne pourrions pas résister aux tensions de la vie si nous ne prenions pas de repos. Nous avons un toit pour protéger le corps de la pluie, du vent, du soleil, de la chaleur et du froid ; nous ne pourrions pas bien fonctionner sans cela. Nous nourrissons le corps avec des aliments sains pas avec du poison ; nous lui donnons ce que nous estimons bon pour lui. Nous faisons aussi des exercices physiques, au moins de la marche, sinon nos jambes seraient atrophiées et nous ne pourrions plus les utiliser. Eh bien, il faut faire exactement la même chose pour l’esprit !
En fait, il est encore plus important de prendre bien soin de l’esprit car c’est lui qui est le maître, tandis que le corps est son serviteur. Le meilleur des serviteurs, en parfaite condition physique, jeune, fort et vigoureux, s’il a un maître faible et dissolu qui ne sait pas quoi faire, ne pourra pas travailler convenablement. Le maître doit diriger le serviteur. Même quand le serviteur n’est ni très fort ni très vigoureux, si le maître est sage et efficace, la maisonnée sera en ordre.
L’esprit et le corps sont notre demeure. Si la demeure intérieure n’est pas en ordre, aucune maison extérieure ne peut l’être. La maison dans laquelle nous vivons et nous travaillons dépend de l’ordre que nous aurons créé dans notre demeure intérieure. Le maître, celui qui est responsable, doit être dans la meilleure forme possible.
Rien dans l’univers n’est comparable à l’esprit ni ne peut le remplacer. Tout est fabriqué par l’esprit. Pourtant nous le prenons tel qu’il est, sans y penser, ce qui est encore une autre absurdité. Personne ne prend le corps tel qu’il est, sans y penser. Quand le corps est malade, nous courons chez le médecin ; quand il a faim, nous le nourrissons vite ; quand il est fatigué, nous le mettons au repos. Mais qu’en est-il de l’esprit ? Seul le méditant prend soin de l’esprit.
Prendre soin de l’esprit est essentiel si nous voulons que la vie grandisse en profondeur et en vision. Sinon, elle reste en deux dimensions. La plupart des gens vivent leur vie en fonction de la réalité d’hier et de demain, du bien et du mal, du « j’aime » et du « je n’aime pas », du « je veux ceci et je ne veux pas de cela », du « ceci est à moi et cela est à toi ». Ce n’est que lorsque l’esprit est entraîné que nous percevons d’autres dimensions.
La première chose à faire avec l’esprit est de le laver, de le nettoyer ; pas seulement une ou deux fois par jour comme nous le faisons pour le corps mais à tout moment de la journée. Pour y parvenir, nous devons apprendre comment faire. Pour le corps, c’est très simple, nous utilisons de l’eau et du savon ; nous avons appris à nous laver quand nous étions enfants. Mais l’esprit ne peut être lavé que par l’esprit lui-même. Ce que l’esprit a mis là, l’esprit peut le retirer. Une seconde de concentration en méditation est une seconde de purification parce que, fort heureusement, l’esprit ne peut faire qu’une chose à la fois. Bien que, comme l’a dit le Bouddha, nous pouvons avoir trois mille « instants mentaux » en un clin d’œil, nous n’en avons pas autant en général et nous ne les avons pas tous en même temps. Les instants mentaux se suivent très rapidement mais seulement un par un.
Quand nous nous concentrons, les cinq obstacles – nos pollutions mentales [désir, aversion, torpeur, agitation et doute] – ne peuvent absolument pas apparaître parce que l’esprit ne peut faire qu’une chose à la fois. Et si nous réussissons à prolonger de plus en plus la durée de notre concentration, l’esprit parvient à se laver de ses pollutions les plus grossières.
Notre esprit, cet outil unique dans tout l’univers, est le seul que nous ayons. Si quelqu’un possède un excellent outil, il en prend assurément grand soin : il le polit, retire toute trace de rouille, l’aiguise, le graisse et le laisse au repos de temps en temps. De même, nous qui avons ce merveilleux outil qu’est l’esprit, capable d’accomplir n’importe quoi, y compris le complet éveil spirituel, nous devons apprendre à l’entretenir et le polir, faute de quoi il ne fonctionnera pas correctement.
Pendant la méditation, nous apprenons à vider l’esprit de ce que nous ne voulons pas y garder. Nous ne voulons garder à l’esprit que notre objet de méditation. Quand nous y parvenons de mieux en mieux, nous commençons à utiliser cette même capacité dans notre vie quotidienne pour nous aider à lâcher les pensées qui ne sont pas bénéfiques. C’est ainsi que notre pratique de la méditation nous aide au quotidien et que notre attention aux pensées bénéfiques dans la vie quotidienne nous aide dans la pratique de la méditation. La personne qui parvient à maîtriser ses pensées et apprend à penser uniquement à ce qu’elle veut, est un être « éveillé » ou arahant.
Ne soyez pas surpris si ce lâcher prise des pensées ne fonctionne pas tout le temps ; il fonctionnera certainement de temps en temps. On ressent une détente et un soulagement extraordinaires quand on arrive à penser, ne serait-ce qu’un instant, à ce que l’on veut penser parce que l’on est devenu maître de l’esprit au lieu d’être sous son emprise. L’implication dans toutes les pensées qui peuvent surgir, joyeuses ou tristes, sans cesse fluctuantes – voilà ce que nous apprenons à lâcher quand nous parvenons à maintenir notre attention sur l’objet de méditation.
La seconde étape consiste à entraîner l’esprit. Un esprit non entraîné est comme une masse vacillante et fluctuante qui court d’un objet à l’autre et a beaucoup de mal à s’arrêter quelque part. Il vous est certainement arrivé, en lisant un livre, de réaliser, à la fin d’une page, que vous ne saviez pas ce que vous aviez lu et de devoir relire toute la page. L’esprit doit être entraîné pour pouvoir rester posé sur un point unique. C’est comme faire des pompes ou lever des poids : on développe des « muscles » dans l’esprit. La force ne peut venir qu’en entraînant l’esprit à faire exactement ce que l’on veut qu’il fasse, à se poser quand on veut qu’il se pose.
Cette force engendrée dans l’esprit est également liée au renoncement, au lâcher-prise que la concentration implique. Comme nous ne sommes pas des êtres éveillés, nous avons tous un ego assez fort. Le syndrome du « moi » et du « mien », ainsi que celui des opinions personnelles bien arrêtées, sont à l’origine de tous les problèmes du monde. Nous pouvons être certains que l’ego est renforcé quand nous pensons, parlons, lisons, voyons un film ou utilisons l’esprit dans l’intérêt de l’ego. Le grand renoncement qui naît de la méditation consiste à abandonner toute pensée. Quand il n’y a personne qui pense, il n’y a pas d’ego à affirmer.
Au début, il ne sera possible de lâcher les pensées que momentanément, mais c’est un pas dans la direction juste. La voie spirituelle n’est qu’une question de lâcher-prise ; il n’y a rien à obtenir ou à gagner. Bien que ces mots aient souvent été utilisés, ils ne sont qu’un moyen d’expression. En réalité, une voie spirituelle est une voie de renoncement, de lâcher-prise ; un abandon incessant de tout ce que nous avons construit autour de nous. Cela inclut nos possessions, nos habitudes conditionnées, nos idées, nos croyances et nos schémas de pensée. Il est difficile d’arrêter de penser en méditation parce que c’est comme un renoncement, un moment où l’ego perd tout support. Quand cela se produit pour la première fois, l’esprit réagit immédiatement en se disant : « Mais que s’est-il passé ? » et, bien sûr, on se retrouve à penser à nouveau !
Réussir à maintenir l’esprit posé sur un point unique permet de développer des « muscles » dans l’esprit ; cela lui donne force et puissance. L’enseignement du Bouddha est profond et extraordinaire, et seul un esprit profond et extraordinaire pourra vraiment avoir la compréhension de ce que le Bouddha a enseigné. Par conséquent, nous devons entraîner l’esprit dans ce but.
La force physique permet d’accomplir ce que nous voulons faire avec le corps. La force de l’esprit permet de faire la même chose avec l’esprit. Un esprit fort ne souffre pas de l’ennui, de la frustration, de la dépression ou de la tristesse. Il a appris à lâcher ce qu’il ne veut pas entretenir ; la pratique de la méditation lui a donné les muscles nécessaires pour cela.
L’esprit – l’outil le plus précieux et le plus complexe qui soit dans l’univers – a également besoin d’être mis au repos. Or nous pensons depuis notre plus jeune âge, sans compter toutes les innombrables vies qui ont précédé celle-ci. Toute la journée, nous pensons ; toute la nuit, nous rêvons ; il n’y a pas un instant de repos. Nous allons bien en vacances mais qu’est-ce qui va en vacances ? C’est le corps ! Il va à la plage, à la montagne, dans un pays nouveau mais que fait l’esprit ? Au lieu de penser à tout ce qui le préoccupe à la maison ou au travail, il pense aux choses qu’il va pouvoir visiter, écouter ou goûter dans ce nouveau lieu. L’esprit ne prend pas de vacances ; il pense simplement à autre chose.
Si nous ne laissions pas le corps se reposer, la nuit, il ne fonctionnerait pas très longtemps. Notre esprit a, lui aussi, besoin de repos mais ce repos ne peut être obtenu dans le sommeil. Le seul moment où l’esprit peut vraiment se reposer, c’est quand il arrête de penser et commence à simplement ressentir les choses. L’une des images que l’on utilise pour parler de l’esprit est un écran blanc sur lequel un film est projeté en continu. Parce que le film – le jeu permanent des pensées – est continu, on oublie qu’il y a forcément un écran derrière, sur lequel tout cela est projeté.
Si, en méditation, nous arrêtons le film un instant, nous faisons l’expérience de la pureté originelle de notre esprit. C’est un moment de félicité extraordinaire, un moment porteur d’une forme de bonheur introuvable ailleurs ni autrement, un bonheur indépendant des circonstances extérieures. Il n’est pas inconditionné mais il est conditionné uniquement par la concentration. Il ne dépend pas de la qualité de la nourriture ou du climat, des distractions ou des relations avec les gens ; il ne dépend ni des autres ni de leurs réactions positives ni des objets que l’on possède car tout cela n’a rien de stable, on ne peut compter dessus parce que ces choses changent tout le temps. Par contre, on peut compter sur la concentration si on la pratique régulièrement.
Une fois que la verbalisation mentale s’arrête, non seulement le calme apparaît mais il y a aussi un sentiment de contentement. L’esprit a enfin trouvé sa place. Nous ne serions guère heureux si notre corps n’avait pas de maison, pas de lieu où se poser. De même, nous ne pouvons être heureux si nous n’avons pas d’endroit où poser notre esprit. Cet espace paisible et calme est la demeure de l’esprit. Il peut y trouver refuge et s’y reposer, exactement comme le corps se repose, après une journée de travail, dans un fauteuil et, la nuit, dans un lit. Désormais, l’esprit peut lui aussi se détendre. Il n’est pas obligé de penser.
Toute pensée crée du mouvement dans l’esprit et, de ce fait, une friction apparaît. Tout ce qui bouge crée une friction. Mais, dès l’instant où nous détendons l’esprit et le laissons se reposer, il gagne en force ainsi qu’en joie car il sait, maintenant, qu’il peut se poser à tout moment. La joie trouvée en méditation se transpose dans la vie quotidienne car l’esprit sait désormais que rien ne doit être pris trop au sérieux, qu’il peut rentrer chez lui pour y retrouver le calme et la paix.
Telles sont les principales raisons pour lesquelles la vie ne peut jamais être pleinement satisfaisante sans la méditation. Elle peut nous offrir des circonstances extérieures agréables mais la satisfaction que l’on trouve grâce à la vie intérieure est beaucoup plus vaste. Le lâcher-prise, le renoncement, apportent une vision profonde, la compréhension que l’ego ne fait que vouloir, vouloir et, par conséquent, vouloir penser aussi. Quand l’ego cesse de vouloir, il n’a pas besoin de penser. Quand l’ego cesse de vouloir, toute forme d’insatisfaction disparaît. Voilà pourquoi nous devrions méditer.