Le Dhamma de la Forêt


Marcher avec attention

Guide de méditation en marchant


Luang Por Liem Thitadhammo



Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/



Marcher – Une chose que nous devrions savoir faire

Faire jong-grom1est une façon de pratiquer la méditation en marchant de long en large. Cultiver jong-grom apportera bonheur et sérénité à notre pratique.

Lorsque nous méditons en marchant, nous devons nous déplacer sans hâte, avec une attitude paisible et détendue, et un sourire sur le visage. Tandis que nous marchons, nous avons conscience d’avoir tout le temps du monde et absolument rien d'autre à faire.

À chaque pas, nous laissons derrière nous inquiétudes et préoccupations. Chaque pas doit être fait de cette manière si nous voulons demeurer dans un bonheur serein.

Ce n'est pas au-delà de nos capacités. Chacun de nous peut le faire car nous souhaitons tous vraiment vivre dans un bonheur serein.


Marcher en toute simplicité

Dans notre vie quotidienne, les pas que nous faisons sont chargés de nos angoisses et de nos préoccupations – alourdis par la peur. On pourrait dire que notre vie est bâtie sur des mois et des années d'inquiétude. C'est la raison pour laquelle nous ne savons pas poser un pied après l’autre en toute simplicité.

Ce monde est plein de beauté. De nombreux sentiers charmants et captivants s’offrent à nous. Il y a des chemins qui embaument du parfum des fleurs et offrent un éventail de couleurs merveilleuses. Cependant, en jong-grom, nous passons devant sans nous arrêter pour admirer ce qui nous entoure, comme le ferait une personne au pas hésitant et mal dans sa peau.

Faire jong-grom implique de revoir toute notre façon de marcher jusqu’à ce que nous apprenions à nous déplacer avec aisance, en toute simplicité.

Au début de ma formation dans le Dhamma-Vinaya2, je marchais sans confiance, sans stabilité. Nous commençons tous ainsi. Mais très vite, en quelques semaines à peine, nous sommes capables de marcher avec assurance et fermeté. Clarté, luminosité et calme arrivent tout naturellement.

Notre vie est souvent chaotique, partant dans tous les sens. Nous sommes continuellement bousculés et sous pression pour une raison ou une autre. Nous avons le sentiment qu'il faut sans cesse courir. Mais où courons-nous ainsi exactement ? Voilà une question que nous avons tendance à oublier de nous poser.

Marcher en jong-grom, c'est comme se promener. Nous n'avons pas besoin de nous fixer d'objectif précis ni de limite de temps. Nous marchons en méditant juste pour marcher en méditant. Le but est juste de marcher, sans aucun but à atteindre. La méditation en marchant n'est pas une méthode, c'est un objectif. Chaque pas que nous faisons est notre vie.

Chaque pas est un bonheur serein. C’est pourquoi nous ne marchons pas rapidement. C'est pourquoi nous avançons d’un pas digne et mesuré. Il n'y a nulle part où aller, aucun objectif qui nous tire vers l'avant. Ainsi nous marchons en pleine conscience, et le contentement se lit sur notre visage. Nous méditons en marchant pour nous délivrer de nos soucis une fois pour toutes.

Supposons que nous ayons les yeux du Bouddha et que nous puissions voir la trace des pas que chacun imprime dans le sol. Nous y verrions gravées leurs inquiétudes et leur tristesse. Nous remarquerions ces traces en passant, comme un scientifique observe des micro-organismes à travers un microscope.

Le secret de jong-grom est de marcher d'une manière qui, à chaque pas, ne laisse aucune autre trace qu'un bonheur paisible. Pour marcher ainsi, nous devons apprendre à lâcher toute notre tristesse et tous nos soucis, sans exception.


Marcher dans un endroit dépoussiéré

Nous devons marcher comme une personne libre de tout souci. Cela signifie marcher dans un espace de pureté où règne une beauté saisissante, une paix et un bonheur infini.

Si vous vous trouviez dans un tel endroit, comment marcheriez-vous ? Êtes-vous vraiment sûr que vous ne laisseriez pas derrière vous l’empreinte de l'inquiétude et de la tristesse du monde, là, dans la trace de vos pas, dans ce lieu pur ? Si nous apportons de la tristesse et des soucis, et que nous les imprimons dans le sol, nous laisserons la terre souillée et meurtrie par les traces de notre obscurité. Si nous voulons vivre dans ce monde sereinement et heureux, il est essentiel que nous marchions l’esprit léger et en paix, dès à présent.

Si nous pouvons marcher à la surface de cette terre avec bonheur et sérénité, il ne sera pas du tout nécessaire de voyager jusqu'au pays du Bouddha. Aussi bien ce qui relève du monde que ce qui est pur naît ici-même, dans notre cœur. Chaque fois que nous nous sentons libres, paisibles et heureux, ce qui relève du monde est pur et la pureté est dans le monde. Nous n'avons nulle part où aller et nul besoin de dépendre des traces de pas du Bouddha historique.

Au moment où nous comprenons que ce qui relève du monde et la pureté naissent vraiment du cœur, nous sommes remplis de bonheur. Nous sommes heureux parce que nous savons qu'il y a à la fois la poussière et la libération de cette poussière. Si nous ouvrons les yeux et marchons attentifs, sereins et heureux, nous marcherons dans cet espace de pureté. Ce sera notre inspiration pour pratiquer jong-grom tous les jours.


La façon dont nous traversons la vie

Quand vous méditez en marchant, marchez de manière naturelle. Inutile de garder les mains jointes au niveau de la poitrine, ni d’adopter une posture rigide. Choisissez un chemin de marche dans un coin calme et paisible de la forêt, dans un parc public, au bord d'une rivière, ou dans un monastère ou un centre de méditation.

Vous pouvez pratiquer à tout moment. Si quelqu'un vous voit, il saura que vous pratiquez jong-grom et on ne vous dérangera pas. Chaque fois que vous rencontrez quelqu'un pendant votre méditation, faites simplement un bref signe de respect en joignant les mains au niveau de la poitrine, puis continuez à marcher.

Quand je vivais dans la forêt, j'avais l'habitude de faire jong-grom tôt le matin ainsi que le soir. Les animaux de la forêt, mes voisins et amis, s’approchaient et s’animaient quand ils me voyaient marcher. Ils n’avaient pas l’habitude de voir quelqu’un marcher simplement, tranquillement et paisiblement. Mais si j’avais marché rapidement, ils auraient sûrement pensé : « Normal » et n'auraient pas prêté davantage d’attention.

De nos jours, la plupart d'entre nous traversent la vie comme des somnambules, que ce soit en marchant, debout ou assis, ou en contemplant tout ce que contient le monde et les êtres qui l’habitent. Nous n'avons aucune idée de ce que nous faisons ni dans quelle direction nous nous allons. Notre éveil dépendra de notre capacité à marcher en pleine conscience. L'avenir de tous les êtres vivants sur terre dépend vraiment de la façon dont nous faisons chaque pas que nous faisons.

« Celui qui suit les traces de son cœur
échappera au piège de Mara. »


Marcher pour l'éveil

Marcher en jong-grom peut ouvrir nos yeux et nos oreilles aux merveilles de l'univers et faire de ce monde un lieu de paix et de joie. Cette pratique peut nous aider à mettre fin à la souffrance, au chagrin, à la tristesse et aux soucis, et nous apporter le bonheur de la paix car elle nous permet de vraiment voir la souffrance dans la vie. Si nous ne voyons pas ce qui surgit devant nous et tout autour de nous, comment pouvons-nous espérer voir notre propre nature ?

Voir notre propre nature ne risque pas de se produire en gardant les yeux fermés. Au contraire, nous devons ouvrir les yeux et nous éveiller à la véritable nature des choses telles qu’elles sont réellement dans le monde.

Ouvrir les yeux nous permettra de voir la nature en nous et notre propre nature d’éveil intérieure. Les difficultés de la pauvreté et l'attrait de la richesse existent mais le pouvoir que ces choses ont sur nous ne peut en aucun cas nous séparer de notre nature essentielle.

Des sentiers à l’ombre d'arbres feuillus, et d'autres recouverts de belles feuilles mortes, voilà les chemins de jong-grom qui s'offrent à nous. Nous devrions nous réjouir pleinement de ces chemins de méditation. En y marchant, nous ne pourrons pas nous égarer. Nous observerons et apprendrons en nous éveillant à la vraie souffrance du monde.

Tous les chemins de ce monde peuvent nous servir de chemins de méditation. Sur la voie de l’éveil, nous n'hésiterons pas du tout à fouler ces chemins.

Notre angoisse dans la vie ne provient-elle pas simplement de doutes, d'hésitations et d'inquiétudes ? En nous éveillant à la souffrance de nos semblables, nous ne ressentons, les uns envers les autres, que gentillesse et compassion, tout comme un Bodhisattva.


Respirer en pleine conscience

Respirer consciemment n’est pas comme respirer de manière ordinaire. Respirer en pleine conscience signifie que lorsque nous inspirons ou que nous expirons, nous savons que nous sommes en train d’inspirer ou d’expirer. Lorsque nous respirons longuement, nous savons : « Je respire longuement. » Lorsque nous respirons brièvement, nous savons : « Je respire brièvement. » Lorsque notre respiration est fine, nous savons : « Ma respiration est fine. »

Alors, comment pouvons-nous nous concentrer en même temps sur la respiration et sur la marche ?

L’une des manières consiste à combiner la respiration et la marche en utilisant une technique de comptage. Nous pouvons compter le nombre de pas que nous faisons et mesurer ainsi la longueur de notre respiration : combien de pas faisons-nous pendant l’inspiration ? Combien de pas faisons-nous pendant l’expiration ?

Pratiquez ainsi pendant un certain temps, pendant plusieurs semaines. Essayez cette technique, testez-la. Ralentissez vos pas mais pas trop, et respirez normalement, n’allongez pas votre respiration. Essayez ceci pendant un temps, puis commencez à noter : pendant que vous inspirez, combien de pas faites-vous ?

Lorsque nous utilisons cette méthode, notre attention se porte à la fois sur la respiration et sur la marche, et nous sentons un lien de plus en plus étroit avec le calme et la clarté de notre marche et de notre respiration. Cela intensifie notre attention, notre calme, notre sérénité et notre bonheur. Cela apaise et affine les objets de notre attention.


C'est l'éveil.
C'est la connaissance.
Et c'est la sagesse.



1 Jong-grom : Mot thaï pour designer la pratique de la marche méditative telle qu’expliquée dans cet enseignement.

2 Le Dhamma-Vinaya : L’ensemble que constituent l’enseignement du Bouddha et les règles monastiques.