Le Dhamma de la Forêt



SADDHA ( la foi)

Ajahn Munindo

Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/
 




Extrait du livret « Assis dans la salle d’attente du Bouddha »




Le parfum des fleurs ou du bois de santal
ne peut aller contre le vent,
mais le parfum de la vertu
se répand dans toutes les directions.

Dhammapada 54



Ce verset 54 du Dhammapada fait référence à sila, la vertu ou l’intégrité, mais pour moi saddha, ou la foi, est aussi comme un beau parfum. Prenons l'exemple du chèvrefeuille : il est possible de sentir sa texture en le touchant, de saisir sa forme et sa couleur avec un appareil photo, mais comment sentir son parfum ? La senteur du chèvrefeuille n’a pas de forme, nous ne pouvons pas la capturer complètement. De la même manière, saddha ou la foi (ou la confiance) ne peut pas vraiment être saisie ; cependant, elle peut nous toucher beaucoup si nous le voulons bien.

Lorsque nous contemplons cette faculté qu’est la foi, il est bon d'apprécier son aspect « sans forme ». Parfois, nous commettons l'erreur de ne valoriser que les choses qui, selon nous, vont nous rassurer. Il n'est pas dans la nature de la foi de nous rassurer mais, chose plus importante, elle peut nous aider à être plus à l'aise avec le sentiment d'incertitude. Nous ne sommes pas sûrs que la chaise sur laquelle nous nous asseyons ne va pas s'effondrer sous nous ; nous faisons confiance. Nous ne sommes pas sûrs que notre voiture va démarrer la prochaine fois que nous en aurons besoin ; nous faisons confiance. Dans la tête, nous supposons que certaines choses vont se produire ou pas mais ces suppositions sont basées sur ce que nous ressentons – ici, un sentiment de confiance. Cette capacité à faire confiance est une faculté qui peut et doit être cultivée. Elle a le pouvoir de nous soutenir lorsque nous sommes confrontés à une incertitude intense. Dans notre voyage vers l'éveil, il est inévitable que nous traversions des territoires inexplorés, incertains, inconnus. Avoir bien développé saddha nous permettra d’accueillir l’incertitude, d’entrer dans l'inconnu, sans sombrer dans le marécage de la peur et de l'effroi.

Dans le contexte des enseignements du Bouddha, saddha n'a rien à voir avec une croyance. Nous croyons aux idées qui nous tournent dans la tête, tandis que saddha ou la foi engage tout autant le corps que l’esprit. Voici une autre métaphore : lorsque nous nageons dans l'océan et que nous faisons la planche en flottant sur le dos, ce n'est pas parce que nous croyons qu’il est possible de flotter que nous ne coulons pas ; c'est un effort de tout le corps et l’esprit. Nous sommes habités par un sentiment de confiance. Nous ne sommes pas sûrs mais nous nous permettons d’avoir confiance. Il est bon que chacun trouve son propre mot pour traduire le sentiment qui nous habite lorsque nous ressentons cette qualité de saddha. Pour moi, le mot clé est « abandon ».

Parce que la force de saddha n'est pas toujours aussi évidente que celle de la concentration ou de la vision profonde, nous risquons de la sous-estimer. Saddha est comme un secrétaire fiable qui travaille dans les coulisses pour s'assurer que les aspects visibles de notre vie fonctionnent efficacement. Parfois il nous inspire, d'autres fois il nous soutient. Saddha peut nous aider à éviter de nous prendre trop au sérieux. Lorsque nous récitons la phrase Buddhaṃ saranaṃ gacchami – « Je prends refuge dans le Bouddha » – ce nous disons en réalité, c’est : « J'ai confiance que l'éveil est possible et que le Bouddha était pleinement éveillé. » Lorsque nous récitons la phrase Dhammaṃ saranaṃ gacchami – « Je prends refuge dans le Dhamma » – nous disons : « J'ai confiance que les enseignements du Bouddha conduisent à l'éveil. » Lorsque nous récitons la phrase Sanghaṃ saranaṃ gacchami – « Je prends refuge dans le Sangha » – nous disons : « J'ai confiance qu'il existe une communauté d'êtres éveillés qui ont suivi ces enseignements. » Saddha nous encourage à lâcher « ma voie » et à nous réfugier dans la voie du Bouddha, le Triple Joyau : nous aligner sur une vérité intemporelle et, ce faisant, apprendre à moins nous accrocher à nos points de vue et à nos opinions.

En plus d'avoir confiance dans le Triple Joyau, nous devons avoir confiance en nous-mêmes, ce qui nécessite d'apprendre à être toujours plus honnêtes avec nous-mêmes. Plus nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, plus nous nous faisons confiance. Plus nous nous faisons confiance, plus notre force intérieure grandit. Le Triple Joyau est une représentation extérieure de la sagesse et de la compassion. Tant que nous sommes sous l'emprise du manque d’attention, nous avons besoin de soutiens extérieurs qui nous évitent de tomber dans les tourbillons de l'illusion. La confiance dans le Triple Joyau nous donne un cadre de référence qui soutient la confiance en soi. Sans un tel cadre de référence, nous risquons de nous méprendre sur la confiance en soi et de nous y accrocher ; dès lors, au lieu d'être libérés de la souffrance d’un égoïsme ignorant, nous nous y identifions de plus en plus. Saddha est précieux et au fur et à mesure que la pratique progresse, nous comprenons combien il est sage de le protéger, de le maintenir, de le chérir. Voici un poème sur saddha écrit par Kittisaro et que celui-ci a partagé avec moi. Il l'a écrit lors d’une retraite d'un an dans la forêt de Chithurst en 1987.



La foi
La confiance est précieuse
Un trésor, une mine d'or.
Conserve-la de tout ton cœur
Et tu ne vieilliras jamais.
Il ne s'agit pas de ceci ou de cela
De croire ou ne pas croire,
Mais plutôt de permettre à ce qui est
D’être accueilli dans le silence.
Le cœur de la foi,
Le cœur qui sait,
Ne laisse aucune trace,
Il ne va ni ne vient.