La
méditation en marchant
Ajahn Nyanadhammo
Traduction française de Phra Asekho
©2007 le Shanga, Wat Pah Nanachat
Introduction
Je voudrais présenter ici
les détails pratiques de la méditation en marchant. Je vais traiter du comment,
quand, où et pourquoi de cette forme de méditation. Mon intention est d’inclure
dans cette présentation aussi bien des instructions pratiques sur les aspects
techniques de cette forme de méditation que des instructions créant la qualité
d’esprit qui mène au développement de la concentration, de révélations et de la
sagesse.
Le Bouddha a
insisté sur
le développement de la présence d’esprit dans les
quatre positions principales: debout, assis, couché et en
marchant (DN 22, MN 10). Il nous a incité à être
attentifs dans toutes ces positions afin de créer une conscience
claire et un
rappel constant de ce que nous sommes entrain de faire, dans la
position dans
laquelle nous sommes.
Si vous lisez l’histoire
des moines et des nonnes de l’époque du Bouddha, vous constaterez que nombre
d’entre eux ont atteint les étapes de l’Eveil sur leur chemin de méditation. La
méditation en marchant se dit cankama en pāli. C’est une activité pendant
laquelle on peut focaliser et concentrer l’esprit, ou développer la
connaissance par le travail d’enquête et la sagesse.
Il y a des gens qui se
trouvent naturellement attirés par la méditation en marchant, parce qu’ils la
trouvent plus facile et plus naturelle que la méditation assise. Lorsqu’ils
sont assis, ils se sentent lourds d’esprit ou tendus, ou sont facilement
distraits.
Leur esprit ne se calme
pas. Si c’est votre cas, ne persévérez pas ; faites quelque chose de nouveau et
essayez de changer de position.
Faites quelque chose
d’autre ; jouez avec la méditation debout ou essayez la méditation en marchant.
Cette nouvelle position de méditation peut vous donner d’autres moyens de développer
votre habileté à vous appliquer. Ces quatre positions de méditation sont simplement
des techniques, des méthodes de développement et d’entraînement de l’esprit.
Essayez de développer la
méditation en marchant ; vous pourriez commencer à en apprécier les bénéfices.
Dans la tradition de méditation de forêt de la Thaïlande du nord-est, on accorde
beaucoup d’importance à la méditation en marchant. Nombre de moines passent des
heures à marcher pour développer de la concentration, parfois jusqu’a dix ou
quinze heures par jour !
Feu Ajahn Singtong
pratiquait tant de méditation en marchant que ses pas avaient creusé une ornière
dans son chemin. Le chemin sableux qu’il utilisait pour sa méditation était
creusé par les nombreuses heures de marche quotidienne, parfois jusqu’à quinze
heures ou plus par jour ! Un autre moine, Ajahn Kum Dtun marchait tant en méditation
qu’il ne se souciait même pas de retourner dans sa hutte pour la nuit. Quand il
était vraiment fatigué d’avoir marché toute la journée jusqu’à tard le soir, il
se couchait où il était sur son chemin de méditation, et utilisait son poing en
guise coussin. Il s’endormait avec présence d’esprit, après avoir décidé de se
lever l’instant où il se réveillerait. Dès qu’il se réveillait, il recommençait
à marcher. Autant dire qu’il vivait sur son chemin de méditation ! Ajahn Kum
Dtun a obtenu des résultats rapides dans sa pratique.
En occident, on n’accorde
pas une telle importance à la méditation en marchant. Je voudrais donc décrire
le processus et vous le recommander comme complément à votre pratique assise.
J’espère que ces instructions vous aideront à développer votre répertoire de
techniques méditatives, à la fois dans votre méditation formelle et dans votre
quotidien. Puisque cette activité qu’est la marche occupe tant de notre vie, si
vous savez y appliquer votre attention, alors même les va-et-vient dans la
maison peuvent devenir un exercice de méditation.
Les cinq bénéfices de la méditation en marchant
Le Bouddha a décrit cinq
bénéfices de la méditation en marchant (AN, III, 29). Les voici dans l’ordre
dans lequel il les a donnés dans ce Sutta : ça développe l’endurance ; ça développe
l’effort ; c’est sain ; c’est bon pour la digestion, après un repas ; et la
concentration qui naît de la méditation en marchant dure longtemps.
Bon pour le développement de l’endurance
Le premier bénéfice de la
méditation en marchant est que ça mène à l’endurance pour pouvoir marcher
longtemps. C’était particulièrement important à l’époque du Bouddha quant la
plupart des gens voyageaient à pied. Le Bouddha lui-même se promenait régulièrement
d’un endroit à l’autre, parcourant régulièrement plus d’une quinzaine kilomètres
par jour. Il a donc recommandé la méditation en marchant comme moyen de développer
la forme physique et l’endurance pour pouvoir marcher longtemps.
De nos jours, les moines
de forêt continuent cette pratique de voyager à pied. Ça s’appelle «tudong »
(dutanga). Ils prennent leur bol et leurs robes et partent à la recherche
d’endroits retirés pour méditer. En guise d’entraînement avant leur départ, ils
augmentent progressivement le temps passé à méditer en marchant afin de développer
leur forme physique et leur endurance. Ils augmentent le nombre d’heures
passées à marcher chaque jour jusqu’au moins cinq ou six. Si vous marchez à
environ quatre ou cinq kilomètres à l’heure et que vous passez cinq heures à méditer
en marchant chaque jour, le nombre de kilomètres s’accumule.
Bon pour le développement de l’effort
Le développement de
l’effort, en particulier pour vaincre la somnolence, est le deuxième bénéfice
de la méditation en marchant. Lorsqu’ils
pratiquent la méditation assise, les gens peuvent glisser dans des états de
tranquillité, mais s’ils sont un peu trop « tranquilles », sans conscience, alors
ils risquent de se mettre à piquer du nez, ou même à ronfler. Le temps passe
vite, mais ils n’ont aucune clarté ou conscience, malgré le sentiment de paix. Sans
présence d’esprit ou conscience, la méditation peut tourner à la lourdeur
d’esprit, parce qu’il a été envahi par la paresse et la torpeur. Le
développement de la méditation en marchant peut contrer cette tendance.
Ajahn Chah, par exemple,
nous recommandait habituellement de rester debout toute la nuit une fois par
semaine. On devient très somnolent vers une ou deux heures du matin, alors
Ajahn Chah conseillait de méditer en marchant a reculons pour vaincre cette
somnolence. On ne s’endort pas en marchant a reculons !
Lorsque je vivais au
monastère Bodhinyana, dans l’ouest de l’Australie, je me souviens être sorti tôt
un matin, vers cinq heures, pour méditer un peu en marchant. J’ai vu un des laïcs
qui passait la retraite des pluies au monastère fournir des efforts considérables
pour vaincre la somnolence. Il méditait en marchant au sommet du mur
d’enceinte, à deux mètres du sol, devant le portail d’entrée du monastère, et y
faisait très consciemment ses allers-retours !
Je craignais qu’il tombe
et se fasse du mal. Il faisait pourtant de gros efforts pour être présent à
chaque pas, et il était entrain de surmonter la somnolence en développant une
vigilance aiguë, de l’effort et du zèle.
Bon pour la santé
Le Bouddha a
dit que la méditation
en marchant entretenait la santé. C’est là le
troisième bénéfice de la méditation
en marchant. Nous savons tous que la marche est
considérée comme un bon exercice.
Ces jours on entend même parler de « power walking ».
Ici nous parlons de «
power meditation », développer la méditation en
marchant comme exercice
physique aussi bien que mental. Ainsi la marche peut être
employée à la fois
comme exercice et comme manière de cultiver l’esprit. Mais
pour recevoir ces
deux bénéfices nous devons amener de la conscience au
processus de la marche, plutˆot
que simplement marcher en laissant l’esprit vagabonder et penser
`a autre
chose.
Bon pour la digestion
Le quatrième bénéfice de
la méditation en marchant est que ça promeut une bonne digestion. Ceci est
particulièrement important pour les moines qui mangent un seul repas par jour.
Après un repas, le sang afflue vers l’estomac, à distance du cerveau. Il arrive
donc qu’on se sente lourd. Les moines de forêt insistent qu’après un repas, il
faut passer quelques heures à méditer en marchant, parce que faire des allées
et venues aide la digestion. Pour les laïcs qui méditent aussi, si vous avez
pris un repas lourd, plutôt que d’aller vous allonger, sortez faire une heure
de méditation en marchant. Ça mènera au bien-être physique et sera une occasion
de cultiver l’esprit.
Bon pour le maintient de la concentration
Le cinquième bénéfice
important de la méditation en marchant est que la concentration qui en naît se
maintient longtemps. La position de marche est en fait une position de méditation
assez grossière comparée à celle assise. Assis, il est facile de maintenir sa posture.
Nous avons les yeux fermés, il n’y a donc pas de stimulus visuel, et nous ne
sommes engagés dans aucun mouvement physique. L’assise, donc, comparée à la
marche, est une posture plus raffinée en ce qui concerne l’activité physique.
Il en va de même pour les positions debout et allongée, parce qu’aucun
mouvement n’a lieu.
Lorsque nous marchons, il
y a beaucoup de stimuli sensoriels. Nous regardons où nous allons ; il y a donc
un stimulus visuel, et également un stimulus qui vient du mouvement du corps.
Si nous pouvons concentrer l’esprit pendant que nous marchons et que nous
recevons tous ces stimuli sensoriels, lorsque nous quittons cette posture pour
aller vers une position plus raffinée, notre concentration devient alors plus
facile à maintenir. Ainsi, quand nous nous asseyons, la force de l’esprit et la
puissance de cette concentration se transfèrent facilement à cette position
plus raffinée.
Par contre, si l’on n’a
que développé la concentration dans la position assise, quand on quitte cette
position et qu’on commence à faire des mouvements physiques plus grossiers tels
que marcher, il est plus difficile de maintenir ce niveau de concentration.
C’est parce qu’on va du raffiné au grossier. La méditation en marchant peut
donc aider à développer de la force et de la clarté d’esprit ainsi qu’une
concentration qui peut se transférer à d’autres positions de méditation moins
actives.
Se préparer à méditer en marchant
Trouver un lieu convenable
L’endroit où le Bouddha
pratiquait la méditation en marchant à Bodhgaya après son Illumination existe
encore aujourd’hui. Son chemin de méditation était long de dix-sept pas. De nos
jours les moines de forêt tendent à faire des chemins de méditation beaucoup
plus longs. Le débutant risque de trouver trente pas un peu trop long, parce
que sa présence d’esprit n’est pas encore développée. Au moment où il arrive au
bout du chemin, son esprit a parfois déjà fait le tour du monde. Souvenez-vous,
la marche, c’est une position stimulante et, au début, l’esprit tend à
vagabonder beaucoup. On conseille d’habitude aux débutants de commencer sur un
chemin plus court ; une quinzaine de pas est une bonne longueur.
Si vous voulez méditer en
marchant à l’extérieur, trouvez-vous un endroit retiré où vous ne serez pas
distrait ou dérangé. Il est bon de trouver un chemin de méditation qui soit
légèrement à l’abri. Ça peut être distrayant de marcher dans un espace ouvert où
il y a un panorama, puisque vous risquez de trouver que l’esprit est attiré par
le spectacle. Un espace protégé est particulièrement convenable aux personnes
de nature spéculative, qui aiment penser beaucoup ; ça les aide à calmer
l’esprit (Vsm, III, 103). Si le chemin est protégé, ça tend à ramener l’esprit
à l’intérieur, en dedans de soi et vers la paix.
Préparer le corps et l’esprit
Une fois que vous avez
choisi un chemin adéquat, tenez-vous debout à l’une de ses extrémités.
Tenez-vous droit. Placez votre main droite par-dessus la gauche devant vous. Ne
marchez pas les mains dans le dos. Je me souviens d’un maître de méditation qui
visitait le monastère et, en voyant un visiteur qui faisait ses allers-retours
les mains dans le dos, a dit : « Il ne médite pas lui, il se promène ! » Il a
fait cette remarque parce qu’il manquait une détermination suffisamment claire
pour focaliser l’esprit sur la marche en plaçant les mains devant, et ça ne
permettait pas de faire la distinction entre la méditation et la marche
normale.
La pratique consiste tout
d’abord à développer samādhi, et ça requiert un effort focalisé. Le mot pali samādhi
signifie focaliser l’esprit, développer l’esprit vers l’unification par étapes
successives de présence d’esprit et de concentration. Pour focaliser l’esprit,
il faut être diligent et déterminé. Ça demande un certain degré de calme
physique aussi bien que mental. On construit tout d’abord ce calme en ramenant
les mains devant soi. Calmer le corps aide à calmer l’esprit. Après avoir calmé
le corps, il faut se tenir immobile et amener la conscience et l’attention au
corps. Puis levez les mains en anjali, un geste de respect, et, les yeux fermés,
rappelez-vous les qualités du Bouddha, du Dhamma et de la Sangha
(Buddhanussati, Dhammanussati et Sanghanussati).
Vous pouvez
contempler le
refuge pris dans le Bouddha, le sage, celui qui sait et voit,
l’Éveillé, celui
qui est parfaitement illuminé. Pendant quelques minutes,
réfléchissez dans
votre coeur aux qualités du Bouddha. Ensuite rappelez-vous les
qualités du
Dhamma, la vérité que vous aspirez à
réaliser et à cultiver sur le chemin de
méditation.
Finalement, pensez aux qualités de la Sangha, surtout `a ceux
qui, pleinement
illuminés, ont réalisé la vérité en
cultivant la méditation. Puis ramenez les
mains devant vous et déterminez mentalement le temps que vous
allez passer à méditer
en marchant, que ce soit une demi-heure, une heure, ou plus. Quelque
soit la
durée déterminée pour marcher, adhérez-y.
De cette manière vous nourrissez
l’esprit d’enthousiasme, d’inspiration et de
confiance pendant cette étape
initiale de la méditation.
Il est important de se
souvenir de garder les yeux au sol, à environ un mètre et demi ou deux devant
soi. Ne vous laissez pas distraire par ceci et cela autour de vous. Maintenez
la conscience sur la sensation de la plante des pieds ; vous développez ainsi
une attention plus raffinée, et une connaissance claire de la marche pendant la
marche.
Les bases de la méditation en marchant et le choix d’un objet
Le Bouddha a enseigné
quarante différents objets de méditation (Vsm, III, 104), nombre desquels
peuvent être utilisés sur le chemin de marche. Certains sont toutefois mieux adaptés
que d’autres. Je vais présenter un certain nombre de ces objets de méditation ici,
en commençant par ceux qui sont employés le plus fréquemment.
Conscience de la position de marche
Dans cette méthode, vous
placez toute votre attention sur la plante des pieds, sur les sensations
ressenties à mesure qu’elles apparaissent et disparaissent. Il est présumé que
vous marchez pieds nus, comme le font la plupart des moines ; vous pouvez
porter des chaussures à semelles légères si nécessaire. Lorsque vous commencez à
marcher, la sensation change. Quand le pied est levé et redescend au contact du
chemin, une nouvelle sensation apparaît. Soyez conscient de cette sensation
telle qu’elle est ressentie par la plante du pied. Lorsque le pied est à
nouveau levé, notez mentalement la nouvelle sensation tandis qu’elle apparaît.
Chaque fois que vous levez le pied et le reposez, connaissez les sensations ressenties.
A chaque nouveau pas, de nouvelles sensations sont ressenties et de vieilles
sensations cessent. Elles doivent être connues avec présence d’esprit. A chaque
pas se fait l’expérience de nouvelles sensations. Une sensation qui apparaît,
une sensation qui disparaît. Une sensation qui apparaît, une sensation qui
disparaît.
Nous plaçons ici l’attention
sur la sensation même de la marche, à chaque pas, sur les vedanā (les
sensations agréables, désagréables ou neutres). Nous sommes conscients du type
de vedanā qui apparaît à la plante des pieds, quel qu’il soit. Quand nous
sommes debout, il y a une sensation ressentie au contact du sol. Ce contact peut
produire une douleur, de la chaleur ou d’autres sensations.
Nous plaçons notre
attention consciente sur ces sensations, les connaissant pleinement. En levant
le pied pour faire un pas, la sensation change dès que le pied quitte le sol.
En reposant le pied, une nouvelle sensation apparaît dès qu’il reprend contact
avec le sol. En marchant, les sensations changent constamment et se renouvellent.
Nous remarquons attentivement l’apparition et la disparition des sensations à
mesure que les pieds quittent ou reviennent au sol. Nous gardons ainsi notre
pleine attention sur les sensations simples qui apparaissent au cours de la
marche.
Aviez-vous franchement déjà
remarqué les sensations dans les pieds au cours de la marche ? Elles sont présentes
chaque fois que nous marchons, mais nous tendons à ne pas remarquer ces choses subtiles
dans la vie. Lorsque nous marchons, notre esprit a tendance à être ailleurs. La
méditation en marchant est une façon de simplifier ce que nous faisons, pendant
que nous le faisons. Nous ramenons l’esprit « ici et maintenant », à l’unisson
avec la marche pendant la marche. Nous simplifions tout, calmant l’esprit en
connaissant simplement les sensations tandis qu’elles apparaissent et
disparaissent.
A quelle vitesse faut-il
marcher ? Ajahn Chah conseillait de marcher à un rythme naturel, ni trop vite
ni trop lentement. Si vous marchez vite, vous pourriez trouver très difficile
de vous concentrer pour ressentir les sensations qui apparaissent et
disparaissent. Il vous faut peut-être ralentir un peu. Pour d’autres personnes,
au contraire, il est nécessaire d’aller un peu plus rapidement. Ça dépend de la
personne. Il vous faut trouver votre propre rythme, celui qui fonctionne pour
vous. Vous pouvez commencer doucement et progressivement arriver à votre rythme
de marche normal.
Si votre présence d’esprit
est faible (c’est-à-dire si votre esprit vagabonde beaucoup), marchez très
lentement, jusqu’à ce que vous puissiez rester dans le moment présent à chaque
pas. Commencez par établir la présence d’esprit au début du chemin. Quand vous passez
le milieu du chemin, demandez-vous : « Où est mon esprit ? Est-il sur les
sensations de la plante des pieds ? Suis-je entrain de connaître le contact ici
et maintenant, dans ce moment présent ? »
Si l’esprit est parti se
promener, ramenez-le à nouveau aux sensations de la plante des pieds et
continuez à marcher. Quand vous arrivez au bout du chemin, retournez-vous
lentement et rétablissez la présence d’esprit. Où est l’esprit ? Connaît-il les
sensations au niveau de la plante des pieds ? Ou est-il parti se promener ? L’esprit
a tendance à partir se promener ailleurs, à courir après des pensées
d’angoisse, de peur, de bonheur, de chagrin, de soucis, de doutes, de plaisirs,
de frustrations et une myriade de pensées susceptibles d’apparaître. Si la
conscience de l’objet de méditation n’est pas présente, rétablissez-la d’abord,
puis reprenez la marche. Rétablissez l’esprit sur la simple action de marcher
et commencez à marcher vers l’autre extrémité du chemin. En passant par le milieu
du chemin, remarquez : « Je suis maintenant au milieu du chemin » et vérifiez
si l’esprit est avec l’objet de méditation. Puis, en arrivant au bout du
chemin, prenez note : « Où est l’esprit ? » Vous marchez ainsi, faisant des
allers-retours en ressentant consciemment les sensations qui apparaissent et
disparaissent. En marchant, rétablissez constamment votre présence d’esprit,
ramenez et attirez l’esprit en dedans, devenez conscient, connaissez la sensation
à chaque moment tandis qu’elle apparaît et disparaît.
En maintenant l’esprit présent
sur le ressenti au niveau de la plante des pieds, nous remarquons que l’esprit
se distrait moins. L’esprit est moins enclin à sortir explorer les choses qui
se passent autour de nous. Nous nous calmons. L’esprit va se calmer à mesure qu’il
se pose. Une fois que l’esprit est calme et tranquille, il est possible que
vous trouviez la position en marchant trop grossière pour cette qualité
d’esprit. Vous aurez simplement envie d’ˆêtre immobile. Alors arrêtez-vous et
restez debout pour permettre à l’esprit de goûter à ce calme et cette
tranquillité. On appelle ça passaddhi ; c’est un des facteurs d’Eveil.
Si en marchant l’esprit
devient très raffiné, vous pourriez trouver qu’il est impossible de continuer.
La marche implique la volition de se déplacer, et votre esprit pourrait être
trop focalisé sur l’objet de méditation pour cela. A ce moment, arrêtez-vous
sur le chemin de méditation, et poursuivez la pratique dans la position debout.
La méditation concerne le travail de l’esprit, et non une position particulière.
La position physique est simplement un moyen pratique de rehausser le travail
de l’esprit.
La concentration et la
tranquillité travaillent de concert avec la présence d’esprit. Combinées aux
facteurs d’énergie, d’investigation du Dhamma, de joie et d’égalité d’humeur,
ce sont les « sept facteurs d’éveil ». Quand, dans la méditation, l’esprit est
tranquille, cette tranquillité va provoquer l’apparition de sentiments de joie,
de ravissement et de béatitude. Le Bouddha a dit que la béatitude de la paix
est le plus grand des bonheurs (MN, I, 454), et un esprit concentré goûte à
cette paix. Il nous est possible trouver cette paix dans nos vies.
Une fois que nous avons
développé la pratique de la méditation en marchant dans un contexte formel,
nous pouvons alors utiliser cette activité comme méditation lorsque nous allons
ici et là dans notre vie quotidienne, aux magasins, d’une pièce à l’autre ou même
à la salle de bains. Nous pouvons alors être simplement conscients de la marche,
être juste avec ce processus. Notre esprit peut être calme et paisible. C’est
une fa¸con de développer la concentration et la tranquillité dans notre vie
quotidienne.
De la méditation assise au chemin de marche
Si, lors de la méditation
assise, l’esprit devient tranquille en utilisant un certain objet de
méditation, employez alors le même objet en marchant. Avec certains objets de
méditation subtils, toutefois, tels que la respiration, l’esprit doit d’abord
atteindre un certain degré de stabilité dans cette tranquillité. Si l’esprit
n’est pas encore tranquille et que vous entamez la méditation en marchant en focalisant
l’attention sur la respiration, ce sera très difficile, parce que la
respiration est un objet très subtil. Il est généralement préférable de
commencer avec un objet de méditation plus grossier, comme les sensations dans
les pieds.
Il existe de nombreux
objets de méditation qui se transfèrent très bien de la position assise à la
marche, comme par exemple les quatre demeures divines : la bienveillance, la
compassion, la joie sympathique et l’égalité d’âme. Au cours de vos
allers-retours, développez des pensées expansives basées sur la bienveillance :
« Puissent tous les êtres être heureux, puissent tous les êtres trouver la
paix, puissent tous les êtres connaître la liberté de toute souffrance ». On
peut utiliser la position de la marche en complément à l’assise, en développant
la méditation sur le même objet mais dans une position différente.
Le choix d’un mantra
Au cours de la méditation
en marchant, si vous vous retrouvez à somnoler, alors activez l’esprit plutôt
que de le calmer, en employant un mantra pour le focaliser et l’éveiller d’avantage.
Utilisez un mantra comme Bouddho, en répétant le mot silencieusement fois après
fois. Si l’esprit vadrouille toujours, commencez alors à dire Bouddho très
rapidement et à marcher à plus vive allure. En marchant, récitez Bouddho,
Bouddho, Bouddho. L’esprit peut ainsi devenir très rapidement focalisé.
Lorsque Tan Ajahn Mun, le
célèbre maître de méditation de forêt, vivait parmi les tribus dans les
collines du nord de la Thaïlande, ceux-ci ne connaissaient rien à la méditation,
ni aux moines qui méditaient. Ce sont toutefois des gens très curieux. En le voyant
faire ses allers-retours sur son chemin, ils se mirent à le suivre à la queue leu
leu. Quand il s’est retourné au bout de son chemin, tout le village était là !
Ils l’avaient aperçu
faisant ses allers-retours les yeux baissés et avaient présumé qu’il cherchait quelque chose. Ils l’ont interrogé
: « Cherchez-vous quelque chose, Vénérable ? Pourrions-nous vous aider à le
retrouver ? » Il a astucieusement répondu : « Je cherche Bouddho, le Bouddha
dans le coeur. Vous pouvez m’aider à le trouver en faisant des allers-retours
sur vos propre chemins ». C’est avec cette instruction simple et belle que de
nombreux villageois se sont mis à méditer, et Tan Ajahn Mun a dit qu’ils ont obtenu
de très bons résultats.
La contemplation des choses telles qu’elles sont
L’investigation du Dhamma
(Dhammavicaya) est un des Facteurs de l’Eveil. C’est une façon de contempler
les enseignements Bouddha et les lois de la nature qui peut être utilisée
pendant les va-et-vient sur le chemin de méditation. Cela ne signifie pas que l’on
se met à cogiter ou qu’on spécule au sujet de tout et de rien. Plutôt, c’est
une réflexion et une contemplation constante de la vérité (Dhamma).
L’examen de l’impermanence
On peut par exemple
contempler l’impermanence en observant le processus de changement, voyant
comment toute chose est sujette `a changement. On développe une perception
claire de l’apparition et la disparition de toute expérience. La « vie » est un
processus constant d’apparition et de disparition, et toute expérience conditionnée
est sujette à cette loi de la nature. Par la contemplation de cette vérité, on
remarque les caractéristiques de l’existence. On voit que tout est sujet `a
changement. Toute chose est insatisfaisante. Toute chose est sans identité
intrinsèque. On peut examiner ces caractéristiques fondamentales de la nature
sur le chemin de méditation.
Se rappeler la générosité et la vertu
Le Bouddha revenait sans cesse
sur l’importance de la générosité (It, 26) et de la vertu (SN, V, 354). Quand
on est sur le chemin de marche, on peut se rappeler sa vertu ou les actes de
générosité. En faisant vos allers-retours, demandez-vous : « Quelles actes de bien
ai-je fait aujourd’hui ? ».
Un maître de méditation
auprès duquel je suis resté expliquait souvent qu’une des raisons pour
lesquelles les gens qui méditent ne parviennent pas à s’apaiser, c’est qu’ils
n’ont pas fait suffisamment de bien pendant la journée. Le bien est un coussin
pour la tranquillité, une base pour la paix. Si nous avons fait des actes de gentillesse
pendant la journée, un mot gentil, une bonne action, si on a été généreux ou
compatissant, alors l’esprit va goûter à de la joie et de la félicité. Le pouvoir
du bien et de la générosité mène au bonheur, et c’est ce bonheur sain qui sert
de fondation pour la concentration et la sagesse.
Le rappel de nos bonnes
actions est un sujet de méditation très approprié lorsque l’esprit est agité,
turbulent, en colère ou frustré. Si l’esprit manque de paix, rappelez-vous
alors vos bonnes actions passées. Le but n’est pas de gonfler son ego, mais une
reconnaissance du pouvoir du bien et de ce qui est sain. Les actes de
gentillesse, la vertu et la générosité amènent de la joie `a l’esprit, et la
joie est un facteur d’éveil (SN, V, 68).
Se rappeler
ses actes de
générosité. Réfléchir aux
bénéfices du don. Se rappeler sa propre vertu. Contempler
la pureté de l’innocence, la pureté de
l’honnêteté, la pureté de l’attitude
correcte dans les relations sexuelles, la pureté de la
véracité la pureté de
l’absence de confusion mentale quand on évite les
substances intoxicantes. Tous
ces rappels peuvent servir d’objet de méditation sur le
chemin de marche.
Se rappeler la nature du corps
On peut aussi
méditer sur la
mort, ou sur cette nature répugnante du corps, sur les
contemplations asubha,
sur les différentes étapes de décomposition
d’un cadavre. On peut mettre le
corps en pièces par le biais de la visualisation, exactement
comme un étudiant
en médecine dissèquerait un corps. On « pèle
» la peau et on « voit » ce qu’il
y a dessous, les couches de chair, les tendons, les os, les organes.
Mentalement, on peut ôter chaque organe du corps pour
l’examiner et le
comprendre. De quoi le corps est-il fait ? Quelles sont ses composantes
?
Est-ce moi ? Est-ce permanent ? Est-ce digne d’être
appelé « soi » ?
Le corps n’est qu’un
aspect de la nature, tout comme un arbre ou un nuage : il n’y a aucune différence.
Le problème fondamental, c’est l’attachement au corps ; c’est là où l’esprit
s’accroche à l’idée que ce corps, c’est mon corps, il s’enchante de « mon »
corps, s’enchante du corps des autres. Ceci, c’est « moi ». Ceci, c’est « soi ».
Je possède ceci.
On peut défier cet
attachement au corps par la contemplation et l’investigation. On peut prendre
comme objet les os du corps. Visualisons un os et méditons en marchant, le
voyant blanchir, se briser et retourner à l’élément terre. Un os, c’est du
calcium qui est absorbé par le corps lors de la consommation de matières
végétales et animales ; ça vient de la terre. Des composés chimiques s’assemblent
pour former un os, et au bout du compte cet os retournera à la terre.
Le calcium, ce n’est que
du calcium ; il ne possède pas la propriété d’être « mon » calcium ou celui de
quelqu’un d’autre. Ce n’est que de la terre qui retourne à la terre, tout comme
chaque élément retourne à sa forme naturelle. Cet os, ce n’est pas moi ; ce n’est
pas le mien ; il ne mérite pas d’être appelé un « soi ». Nous méditons sur un
os et le réduisons aux éléments qui le composent, et le rendons `a la terre.
Nous le rétablissons, puis le démontons à nouveau, et nous poursuivons ce
processus continuellement jusqu’à ce qu’un aperçu spirituel tranché et clair émerge.
Si vous méditez sur le corps
et n’avez pas encore complètement réduit l’objet de votre enquête aux quatre
éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - puis reconstitué, le travail de
la méditation n’est pas encore terminé. L’exercice mental n’a pas encore été
complété ; le travail n’est pas accompli. Persévérez. Continuez à marcher.
Faites vos allers-retours et examinez jusqu’`a ce que vous soyez capable d’établir
dans l’esprit la perception d’asubha dans le subha : de voir ce qui n’est pas
beau, ce qui n’est pas ravissant et ce qui n’est pas attirant dans ce qui est
pris pour beau, ravissant et attirant. Nous réduisons ce corps aux éléments qui
le constituent et le restituons à la nature, pour le voir tel qu’il est
vraiment.
Entraîner l’esprit en
examinant la nature mène à la sagesse. en répétant ces exercices de réduction
du corps à ces quatre éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - l’esprit
voit et comprend que ce n’est pas moi, ce n’est pas le mien, ce n’est pas « soi
». Il voit que les quatre éléments constituant le corps sont simplement des
aspects de la nature. C’est l’esprit qui s’attache à cette croyance que le
corps, c’est « soi ». Par conséquent nous défions cet attachement. Nous
refusons de l’accepter aveuglement, parce que c’est précisément cet attachement
qui est la cause toutes nos souffrances.
D’autres contemplations
Une autre contemplation
qui a été recommandée par le Bouddha est la réflexion sur la paix et sur la
nature de la paix (Vsm, 197). Une autre encore est de considérer les qualités
de l’illumination. Pour changer un peu, on peut faire ses allers-retours en réfléchissant
aux qualités du Bouddha, du Dhamma, ou de la Sangha. On peut encore se rappeler
les êtres célestes, les devas, et les qualités requises pour devenir un être
divin (Vsm, III, 105).
Une utilisation sage de la contemplation
Il existe beaucoup
d’objets de méditation dans le répertoire bouddhiste de méditation. Votre objet
de méditation doit être choisi avec soin. Sélectionnez un objet de méditation
qui stimule l’esprit quand il a besoin d’être stimulé, ou un objet qui le calme
quand il a besoin d’être calmé. Quelques mots de mise en garde sont toutefois
nécessaires quand on utilise ces contemplations sur le chemin de marche, pour éviter
que l’esprit se perde en spéculations ou se mette à errer. Ça peut arriver très
facilement. Il nous faut être très attentifs, et prendre note au début du
chemin, à son milieu et à la fin : « Suis-je vraiment avec mon objet de méditation
ou suis-je entrain de penser à autre chose ? » Si vous marchez sur votre chemin
de méditation pendant quatre heures, mais que votre attention n’est présente
que pendant une seule minute de ces quatre heures, vous n’aurez médité qu’une
minute.
Souvenez-vous : ce n’est
pas combien de méditation nous pratiquons qui compte, mais la qualité de la méditation.
Si vous marchez et que l’esprit se promène ailleurs, alors vous n’êtes pas
entrain de méditer. Vous n’êtes pas entrain de méditer, dans le sens du terme
tel que l’employait le Bouddha, ce sens de bhāvana ou de développement mental
(AN, III, 125-127). C’est la qualité d’esprit qui est importante, plutôt que la
quantité de méditation qu’on pratique.
Conclusion
Dans l’histoire du
bouddhisme, nombre de moines et de nonnes ont eu des révélations, développé de
la sagesse et atteint l’éveil pendant qu’ils étaient sur leur chemin de méditation,
par l’investigation de la vérité. Dans la tradition monastique de forêt, chaque
aspect de notre vie est traité comme une occasion de pratiquer la méditation.
La méditation n’est pas simplement réservée pour la position assise. Tous les
processus de la vie sont pour nous des occasions d’examiner la réalité. Nous
nous battons pour comprendre les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles
apparaissent et disparaissent, pour comprendre la réalité telle qu’elle est
vraiment.
Dans cette discussion de
la méditation en marchant, j’espère vous avoir donné de quoi vous permettre
d’étendre votre répertoire de techniques méditatives. La méditation en marchant
peut être utilisée dans votre quotidien lors de vos activités, aussi bien que lors
des périodes formelles de méditation. Elle peut être un autre mode de développement
mental. Elle donne du travail à faire à l’esprit. Si vous avez des problèmes de
la somnolence, ne restez pas là à piquer du nez ; levez-vous et mettez l’esprit
au travail. C’est ça la voie de kammatthāna : le travail fondamental de
l’esprit.
Dans la tradition de
forêt, chaque fois qu’un maître de méditation rend visite à un monastère, les
chemins de méditation des moines sont un des premiers endroits qu’il va
inspecter , pour voir s’ils portent des traces de pas. Et si ces chemins de méditation
sont bien usés, c’est considéré comme une des marques d’un bon monastère.
Puisse votre chemin de marche être
bien usé.