Le Dhamma de la Forêt |
Le moment est venu de méditer. Asseyez-vous jambes croisées en plaçant la jambe droite sur la jambe gauche et la main droite sur la main gauche. Dans cette posture assise, que votre dos soit bien droit. Quand on s’assoit pour méditer, c’est le moment de s’arrêter. Fermez les yeux car vous n’en avez pas besoin : il n’y a rien à faire et nulle part où aller. Une fois les yeux fermés, évoquez le Bouddha, le Dhamma et le Sangha qui sont tous trois dans votre esprit. Ne croyez pas qu’ils sont extérieurs à vous. C’est votre esprit seul qui récite silencieusement « Bouddho » à chaque respiration ; c’est votre esprit seul qui est le fondement du Bouddha, du Dhamma et du Sangha. C’est en lui que la pratique se déroule. Les enseignements que le Bouddha a donnés, le Dhamma-Vinaya, ont tous pour but d’apaiser notre esprit et d’atténuer puis d’abandonner complètement l’avidité, l’aversion et la vision erronée que nous avons des choses.
Les enseignements du Bouddha ont été dispensés sur une période de quarante-cinq ans, entre son Eveil et le jour de sa mort ou parinibbāna. Dans les Ecritures bouddhiques, on regroupe ces enseignements en trois sections : les discours (sutta), le code de discipline monastique (vinaya) et les commentaires (abhidhamma). On dit qu’il y a en tout quatre-vingt-quatre mille enseignements. Dans l’optique des principes du Dhamma, notre corps est comme une armoire en bois sculpté dans laquelle reposent les Ecritures. Les discours, le code monastique et les commentaires sont comme les actes, les paroles et les pensées d’une seule et même personne. Nous pouvons utiliser cette image parce que chaque enseignement fut donné pour être pleinement réalisé par le disciple qui le recevait. Alors, dans notre pratique, observons les préceptes (5, 8, 10 ou 227 selon notre situation), pratiquons la méditation et développons la sagesse. La pratique spirituelle a été résumée par le Bouddha comme un entraînement sur trois plans : moralité, méditation et sagesse. Si notre moralité est pure et que notre méditation est assez concentrée pour faire place à la sagesse, la voie de la libération des pollutions mentales est ouverte.
Quand vous êtes assis en méditation, ne vous laissez pas berner par le démon des pensées. Ceux qui méditent peu de temps ou pas du tout sont ceux qui écoutent le démon des pensées. Quelqu’un décide, par exemple, de méditer avant le lever du jour et le démon des pensées va lui dire que c’est trop tôt, qu’il peut bien méditer plus tard ... S’il l’écoute, sa méditation est perdue ; il ne s’assiéra pas. Plus tard, dans la matinée, il oubliera de méditer ou bien, s’il y pense, au moment de faire l’effort de s’assoir, le démon des pensées va lui souffler : « Tu n’en as pas vraiment envie. Tu viens de prendre ton petit déjeuner, ton estomac est encore plein. Commence par faire un petit somme. Tu pourras toujours méditer dans l’après-midi. » S’il l’écoute, il est tombé dans le piège. Avant l’aube, il se dit qu’il méditera plus tard et, plus tard, il se dit qu’il méditera dans l’après-midi : « Tu te sentiras mieux quand tu auras digéré ». Si nous écoutons ce genre de pensées, nous ne nous assiérons jamais en méditation parce que, l’après-midi, elles reviendront à la charge. Finalement, nous écouterons toujours le démon des pensées, de jour comme de nuit, et ne profiterons jamais des bienfaits de la méditation.
Avant que le Bouddha ne trouve l’Eveil, c’est précisément ces sortes de pensées qui faisaient obstacle à son avancement ; il ne cessait de reporter à plus tard. Six ans se sont écoulés entre le moment où il quitta sa famille et le moment où il comprit finalement qu’il devait cesser d’écouter le démon des pensées. Essayez de visualiser ce moment. Le jour de son Eveil, celui qui allait devenir le Bouddha s’assit le dos contre un arbre, face à l’est, et prit la ferme détermination, le vœu solennel, de ne pas bouger de là tant qu’il n’aurait pas trouvé l’Eveil, quoi qu’il arrive, dût-il en mourir. Le futur Bouddha avait vu clair dans le jeu du démon des pensées ; il avait compris que c’était parce qu’il était régulièrement tombé dans le piège des mensonges du démon des pensées qu’il n’était toujours pas éveillé.
Ce soir de la pleine lune du mois de mai, le Bouddha resta assis sous son arbre sans bouger. Les Ecritures disent que les filles de Marā – symbolisant toutes les tentations – l’attaquèrent en force mais le Bouddha ne broncha pas. Elles firent tout pour l’inciter à se lever et à abandonner sa quête mais il ne céda pas. Il concentra son attention sur sa respiration. Il savait que ce qui l’attendait s’il se levait, c’était la mort – même s’il pouvait la repousser jusqu’à quatre-vingts ou cent ans au mieux. Alors il concentra toute son attention sur sa respiration. En l’observant, il se dit que si, après avoir inspiré, une chose ou une autre l’empêchait d’expirer, il mourrait. Si, après avoir expiré, un blocage dans les poumons l’empêchait d’inspirer, il mourrait aussi. Le Bouddha resta proche de sa respiration et vit la mort dans chaque inspiration et dans chaque expiration. Il n’y avait pas encore de Bouddha, de Dhamma ni de Sangha ; le Bouddha n’était pas encore le Bouddha car, pendant longtemps, son esprit avait été bousculé dans tous les sens par le démon des pensées. Il prit donc le thème de la mort pour instruire son esprit à chaque inspiration et à chaque expiration jusqu’à ce qu’une conviction profonde jaillisse avec clarté : la mort est une certitude ; quand la respiration cesse, la mort est inévitable.
Le Bouddha contempla longuement et intensément l’inéluctabilité de la mort à chaque respiration. Il se dit : « Nul ne naît en ce monde sans mourir. Si les gens ne meurent pas enfants, ils meurent adultes et, sinon, ils meurent quand ils sont vieux. Si tout le monde meurt, je dois mourir aussi. Alors je dois me libérer complètement de toutes les pollutions mentales que sont l’avidité, l’aversion et la vision erronée avant de mourir. Je dois réaliser l’Eveil. » Celui qui allait devenir le Bouddha prit alors un engagement irrévocable. Il fit appel à toutes les vertus qu’il avait développées jusqu’à la perfection : la générosité, l’honnêteté, le renoncement, la sagesse, l’endurance, la détermination, la bonté et l’équanimité, et il les fit pénétrer dans son esprit tout en demeurant conscient de sa respiration. Son esprit était alors aussi ferme que la terre – plus même, peut-être, car il arrive que la terre tremble. L’esprit du futur Bouddha, tandis qu’il se remémorait la charité, la moralité et la méditation qu’il avait pratiquées et se concentrait dessus, était plus ferme et solide que la Terre Mère, absolument inamovible. Il se sentit alors prêt à sacrifier jusqu’à sa propre vie. S’il avait dû faire face à la mort à cet instant, il n’aurait pas ressenti la moindre crainte.
Les anciens ont utilisé une image pour décrire ce moment. Ils ont dit que la déesse de la terre essora l’eau de sa longue chevelure et que cette eau – symbolisant les actes bénéfiques du Bouddha – était si abondante qu’elle emporta les hordes de Marā dans la gueule d’un immense crocodile. C’est un langage imagé : la déesse de la terre est la terre ; quand notre esprit est ferme et stable comme la terre, nous pouvons vaincre le démon des pensées, le démon des pollutions mentales, et dépasser les innombrables formes d’avidité et d’attachement. Quelle est la nature de la terre ? Pendant la mousson, elle est inondée de pluie mais demeure impassible. Pendant la saison chaude, le soleil la brûle assez pour causer des incendies mais elle demeure impassible. En hiver, il fait tellement froid que du givre recouvre l’herbe mais la terre demeure impassible. L’humanité apparaît et divise le monde en pays ; nous creusons, brûlons et faisons exploser la terre jusqu’à lui lancer des bombes atomiques, mais elle demeure impassible.
Si l’esprit d’une personne – moine, nonne ou laïc – a une confiance claire et absolue dans les enseignements du Bouddha, il ne bougera pas d’un pouce. Pour une telle personne, la fatigue et l’épuisement relèvent seulement des agrégats. Il est naturel que partout où il existe un corps – l’agrégat de la forme – règnent la faim, la soif et la fatigue. Le corps a besoin de manger et de dormir, il a besoin de toutes sortes de choses mais cela relève des agrégats, des éléments. Nous ne devons pas permettre à notre esprit d’osciller en réponse à ces conditions. Quand nous prenons la décision de faire quelque chose – comme nous assoir en méditation, par exemple –, ne laissons pas les démons des pensées et des pollutions mentales nous piéger. Ou bien si, en tant que moine, vous vous engagez à suivre la pratique ascétique consistant à ne pas s’allonger, affermissez votre résolution ; ne commencez pas à vous inquiéter des répercussions de cette pratique sur votre santé. Il n’y a pas de maladie qui soit plus grave que la mort ; la mort est le pire qui puisse vous arriver. Si vous n’arrivez pas à dormir, même si vous en souffrez vraiment, au pire vous mourrez – c’est tout ! Faites clairement savoir au démon des pensées que vous êtes prêt à regarder la mort en face et il n’essaiera plus de vous éloigner de votre but.
Asseyez-vous et développez la pratique de « Bouddho » à chaque inspiration et expiration. Si l’esprit du méditant est fermement posé ainsi, il se sent léger et inondé de lumière et de clarté, comme si une force puissante jaillissait en lui. Un tel esprit est brave et courageux, il ne craint ni la mort ni l’épuisement ; il n’est ni fragile ni timide.
Quand vous avez du temps libre, allez vite méditer. Vite ! C’est urgent. Si vous n’avez pas envie de le faire tout de suite, vous ne le ferez pas du tout. Vous écouterez le démon des pensées ou les gens qui ne s’intéressent pas à la méditation et qui essaieront de vous décourager. Le Bouddha a dit : Tutitturitam singhasingham, c’est-à-dire : « Vite ! Dépêchez-vous ! C’est urgent ! » Méditez avec chaque inspiration et chaque expiration. Prenez, dès cet instant, l’engagement de méditer. Sinon, les démons des pensées et des pollutions mentales vous entraîneront vers la vieillesse et la mort et, même le jour de votre mort, vous n’aurez pas le temps. Les gens qui n’ont pas le temps de pratiquer sont ceux qui écoutent le démon des pensées.
Vous tous qui pratiquez le Dhamma, n’écoutez pas le démon des pensées. Montrez-lui, à chaque respiration : « Voilà le souffle. Il peut cesser à tout moment. » Le Bouddha lui-même utilisait le processus de la respiration comme objet de méditation pour calmer l’esprit et aussi comme fondement d’investigation profonde. C’était le terrain de sa pratique du Dhamma. Tout comme lui, nous inspirons et nous expirons, nous avons un corps et un esprit. Comme le Bouddha l’a fait, si nous dépassons les pollutions qui obscurcissent notre cœur, nous percevrons clairement le nibbāna – c’est une certitude. Pourquoi perdre du temps à en douter ? L’indécision, le refus de s’engager dans la pratique régulière du Dhamma ou de faire un effort à cet instant précis … c’est précisément cet état mental que le Bouddha appelait « le doute ». Débarrassez-vous de vos doutes !
Le Bouddha nous a appris à ne pas nous tourner vers le passé ou le futur, faute de quoi nous sommes pris au piège et n’allons nulle part. Par contre, si nous enracinons l’esprit dans le présent, nous sommes témoins de « ce qui sait » à l’intérieur de nous. Si cette connaissance intérieure n’existait pas, comment pourrions-nous parler, comment pourrions-nous venir écouter le Dhamma ? Elle existe et c’est précisément en « ce qui sait » que se trouvent notre vertu et toute l’accumulation de notre pureté. Nous méditons de façon à regrouper toutes les énergies de l’esprit en ce qui sait en nous. Nous laissons tomber les pensées et la conscience sensorielle, cet esprit confus en quête de distractions extérieures. Nous cessons de penser à la famille et aux amis, à la forêt et au ruisseau, à tout ce qui n’est pas dans l’instant présent. Tout est faux et incorrect. Ce qui est vrai et juste est ce que le Bouddha a appelé tattha : « ce lieu-ci ». Ce lieu-ci, c’est ce qui sait en nous.
Quand l’énergie de l’esprit est pacifiée, unifiée et enracinée dans cette connaissance intérieure, s’élèvent une foi et une confiance fermes et profondes en « ce qui sait ». Sīla est présent, et c’est cette connaissance intérieure qui observe sīla et qui veille à la qualité de nos actions et de nos paroles. Samādhi est présent, et c’est cette connaissance intérieure qui est stabilité. Paññā est présent et c’est cette connaissance intérieure qui sait, de manière directe, distinguer les conditions mentales et physiques. Rien n’existe au-delà de l’esprit.
Notre esprit peut connaître les choses de manière juste ou de manière erronée. Quand nous lui permettons de suivre aveuglément formes, sons, odeurs, saveurs, objets tactiles et idées, il est berné jour et nuit, depuis la naissance jusqu’à la vieillesse, et de la vieillesse jusqu’à la mort. Il est fort possible qu’il soit fasciné par ces choses pendant un nombre incalculable de vies. Quand nous venons méditer, nous faisons l’effort de brûler les pollutions qui obscurcissent notre cœur pour qu’elles diminuent et finissent par disparaître complètement. Notre effort est donc concentré sur notre esprit. Nous nous répétons sans cesse qu’en dehors de cette connaissance intérieure établie dans l’instant présent, tout le reste – passé ou futur, bon ou mauvais – est impermanent. Il n’y a rien qui dure dans ce monde. En dehors de « ce qui sait » en nous, tout est insatisfaisant et impersonnel. Cette connaissance intérieure elle-même n’est pas certaine si la masse des pollutions la remplit et l’encercle. Nous devons faire tous nos efforts pour brûler définitivement les pollutions là où elles se trouvent. Nous devons développer la générosité, la vertu et la méditation ici-même, dans cet esprit qui sait à l’instant présent. Méfiez-vous des formes qui retiennent votre regard et des sons qui pénètrent vos oreilles, ne les suivez pas. Les odeurs qui chatouillent le nez, les saveurs qui caressent la langue, les sensations de froid et de chaud, de dur et de mou, ne vous laissez pas prendre par elles. Ne vous laissez pas induire en erreur par le train de vos pensées. Ne vous laissez pas piéger par les phénomènes qui conditionnent.
Pourquoi le Bouddha ne voulait-il pas que nous soyons piégés ? A ce stade, nous avons tous eu l’occasion d’acquérir des connaissances mais où cela nous a-t-il menés ? A la vieillesse et à la mort. La mort et puis la naissance, et encore la mort et la naissance. Voyez-vous le processus ? Tous les êtres humains naissent et puis meurent, tout comme un son qui se fait entendre puis se tait ou comme une forme qui, après avoir été créée, finit par disparaître. Partout où il y a apparition, il faut qu’il y ait disparition. Le Bouddha voulait que nous ayons pleinement conscience de cette vérité. C’est son enseignement et celui de tous ses nobles disciples. Ils nous apprennent tous à connaître le fonctionnement de notre esprit, à être conscients de nous-mêmes, à ne pas nous laisser emporter par nos états mentaux, nos pensées ou nos désirs.
Le Bouddha a parlé de trois types de désir : le désir de plaisirs sensoriels, le désir de devenir ou d’exister, et le désir de supprimer ou de ne plus exister – le premier étant le plus grossier, le second moyennement grossier et le troisième, plus subtil. Toutes ces formes de désir sont enracinées dans l’esprit et, pour les abandonner et non nous laisser emporter par elles, il faut déployer de gros efforts et faire preuve d’une grande vigilance. La pratique implique donc de ne pas suivre les caprices, les envies et les désirs quand ils se manifestent. Quand le désir commence à créer détresse et remous dans l’esprit, nous le pacifions en toute connaissance de cause.
Le Bouddha nous a appris à lire clairement dans cet esprit mais aussi à voir les choses extérieures qui l’entourent. Il voulait que nous comprenions que rien, nulle part, n’est permanent ou substantiel, et que rien ne peut nous apporter un bonheur durable. Tout est dukkha, insatisfaisant. Nous nous asseyons en méditation et dukkha est dans la posture assise ; nous nous allongeons et dukkha est dans la position allongée ; nous nous levons et dukkha est encore là ; nous marchons et dukkha est dans la marche. Même quand nous parlons du Dhamma, dukkha est présent.
Il n’y a pas de véritable bonheur. Toutes ces choses que nous prenons pour du bonheur sont fausses. S’il s’agissait vraiment de bonheur, pourquoi renaîtrions-nous après la mort ? Il n’y a pas de véritable bonheur. Ce que l’on appelle généralement « bonheur » n’est qu’une illusion des gens qui vivent dans le monde. Les Eveillés disent qu’il s’agit en réalité de dukkha et de non-connaissance. C’est pourquoi le Bouddha et ses disciples, tant éveillés que non éveillés, pratiquent la méditation de la tranquillité et la méditation de la vision pénétrante dans toutes les postures. A tout moment, ils mettent de l’énergie dans leur méditation et accélèrent sans cesse leurs efforts. Il arrive qu’ils se passent de sommeil. Si, dans la bataille intérieure contre les pollutions mentales, nous nous réfugions dans le repos et le sommeil, les pollutions vont nous écraser et nous ne serons plus en mesure de les éliminer. Si, au contraire, nous nous levons et nous asseyons en méditation pour contempler l’aspect repoussant du corps (asubha) ou bien les éléments qui le composent (dhatu) pour voir l’insatisfaction inhérente au corps et au mental, si nous montrons cela clairement à notre esprit paresseux et enclin au plaisir, ce sera une manière de faire des efforts en vue d’éradiquer les pollutions de l’ignorance et de la pensée erronée. A chaque fois que notre vision des choses est déformée par la recherche du plaisir, nous perdons la conscience de nous-mêmes et nous nous retrouvons dans l’obscurité la plus profonde. Aucune voie ne nous mènera aussi sûrement à l’obscurité totale que les pensées erronées, l’ignorance de la véritable nature du corps et de l’esprit, l’incapacité à voir les trois caractéristiques de l’existence et à avoir une claire conscience du moment présent. L’esprit confus ne fait aucun effort pour se libérer de sa confusion dans l’instant présent. Il est complètement tourné vers le plaisir qu’il trouve dans les formes, les sons, les odeurs, les saveurs, les contacts physiques et les états mentaux, et prend ce plaisir pour du bonheur. Mais ce bonheur est complètement dépendant du monde matériel, ce n’est pas un véritable bonheur. Le Bouddha a dit que le véritable bonheur est le bonheur du nibbāna.
Le bonheur du nibbāna est un bonheur auquel on ne s’accroche pas. Il ne dépend pas du fait que l’on obtienne ou que l’on rejette quelque chose. C’est la totale annihilation du désir, de la haine et de la vision erronée des choses, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. C’est parce qu’il ne reste pas la moindre trace de pollution que l’on peut dire qu’il s’agit d’un véritable bonheur qui ne change pas, qui n’est ni capricieux ni trompeur. Quant au bonheur que l’on peut trouver dans le monde, aussi intense soit-il, il sera toujours trompeur. Même les millionnaires, les multimillionnaires, les rois et les empereurs doivent tous passer par la souffrance qui résulte de leur vision erronée de la réalité. Le Bouddha a appelé ces pollutions « un feu ». Le feu est brûlant et, partout où le feu du désir apparaît, il brûle. Quand le feu de l’aversion et de l’ignorance est présent, il brûle tout sur son passage. Où ce feu apparaît-il ? Dans l’esprit qui ne voit pas les choses correctement, qui n’a pas la connaissance ; l’esprit qui ne sait pas lâcher prise, abandonner, se détendre.
L’esprit a tendance à s’attacher à l’idée d’un « moi ». Il s’attache au corps en pensant qu’il est lui mais, après la mort, le corps pourrit dans la terre ou bien il est brûlé. Vous le savez, n’est-ce pas ? Si vous n’avez pas encore réalisé que le même sort vous attend, regardez autour de vous : où s’en sont allés vos parents, vos grands-parents ? Ils sont morts. Et après leur mort, où s’en est allé leur corps ? Il est retourné à la terre. Au bout du compte, ce corps auquel nous sommes attachés et que nous considérons comme « nous » et « nôtre » retournera à la terre et nous ne pouvons rien faire pour empêcher cela. Nous ne pouvons pas interdire au vieillissement, à la maladie et à la mort de venir. Mais le Bouddha a dit que nous pouvions tout de même faire quelque chose : empêcher l’esprit de tomber dans le piège des pensées erronées.
Eveillez « ce qui sait » en vous. En dehors de cela, tout est aniccam, impermanent ; ne vous laissez pas piéger par tout cela, à aucun prix. En dehors de « ce qui sait », tout est dukkham, insatisfaisant et incertain. En dehors de « ce qui sait », il n’y a pas d’attā, pas d’entité indépendante. Moi et les autres ne sont qu’une convention que l’on utilise dans le monde. En réalité, il n’y a aucun « soi », il n’y a rien qui soit vraiment « moi » ou « mien ». Faites-en l’expérience en visualisant l’une après l’autre, les parties du corps : les cheveux, les poils, les dents, les ongles, la peau, la chair et les os. Voyez-les aussi sous la forme des quatre éléments : terre, eau, air et feu. Voyez ce qui est réellement. Il n’y a rien de substantiel là-dedans ; seulement des concepts, des conventions sociales. Ne vous laissez pas berner par eux.
Allez à l’encontre de la tendance de l’esprit à se tourner vers l’extérieur. Entrez en samādhi et pacifiez votre esprit. Etablissez-vous dans la pratique du Dhamma et ne cessez pas de brûler les pollutions mentales que sont le désir, l’aversion et l’ignorance de la réalité des choses. Tant qu’ils sont présents, continuez à essayer de les éliminer progressivement. C’est ce que l’on appelle « ne pas faire machine arrière ». Viriyena dukkhamacenti a dit le Bouddha : « Dukkha est transcendé par l’effort ». Quand l’effort est présent dans notre esprit, nous pouvons nous libérer de la souffrance. Si ceux qui pratiquent le Dhamma croient de tout leur cœur en la vérité de ces paroles, s’ils ne relâchent pas leur effort mais, au contraire, prennent la ferme résolution de pratiquer la méditation de la tranquillité et la méditation de la vision pénétrante du mieux de leurs capacités, leur facultés spirituelles et la pureté qu’ils accumuleront vont arriver à leur pleine maturation et ils réaliseront l’Eveil. Cela ne fait aucun doute. Vous m’avez écouté parler des moyens habiles pour y parvenir et vous en avez clairement apprécié la vérité dans votre cœur. Il est temps maintenant d’en imprégner votre mémoire et de les emporter avec vous pour les mettre en pratique de votre mieux, pour pouvoir en bénéficier et trouver le bonheur.
Référence : Access to Insight, 26 mai 2010.