Le Dhamma de la Forêt


Les bienfaits de la simplicité

Ajahn Sundara


Traduit par Hervé Panchaud

http://www.dhammadelaforet.org/


Le temps que j'ai passé en Thaïlande à pratiquer la méditation de manière intensive a été une excellente expérience d'apprentissage. Pendant près de deux ans et demi, cela m'a donné l'opportunité de baigner dans une culture incroyablement différente de la nôtre par sa conception de la vie et m'a donné d'être dans un environnement qui m'a fait comprendre à quel point mon esprit était conditionné par les valeurs occidentales, les théories, les préjugés et la suffisance.

Dans un premier temps, de nombreux aspects de cette culture m'étaient totalement étrangers. Il y avait tant de choses que je trouvais impossibles à comprendre. Mais lorsque vint le moment de partir, je m'y sentais comme à la maison. J'aimerais donc partager avec vous quelques aspects de cette période passée dans ce merveilleux pays.

Dans la zone rurale où se trouve le monastère, les gens sont, pour la plupart, des paysans, des gens simples menant une vie simple. Contrairement à nous, ils ne s'encombrent pas de problèmes psychologiques ou de dilemmes existentiels. Leur vie tourne autour de la satisfaction des besoins immédiats comme la nourriture, le logement, les nécessités de la vie quotidienne et les plaisirs simples de la vie. Les Thaïlandais savent rire et s'amuser.

Lorsque je rencontrai pour la première fois mon maître, Ajahn Anan, il me demanda comment allait ma pratique. Je lui répondis qu'une des raisons qui m'amenaient en Thaïlande était d'avoir l'opportunité de la développer. Puis il me demanda si je ressentais certaines difficultés ; et je lui expliquai quelle était ma façon de pratiquer et comment je me sentais à ce moment-là.

Ce fut assez extraordinaire : pendant que je parlais, je sentis comme si j'avais, en face de moi, un grand miroir dans lequel je vis ce « moi » fonctionnant sur son mode habituel de justifications savantes soudain se transformer en un gros nuage de bavardages oiseux. Ce fut une prise de conscience merveilleuse. Avec n'importe qui d'autre, j'aurais pu me sentir offensée ou croire que je n'étais pas prise au sérieux, mais avec lui – peut-être parce qu'il était pleinement lui-même et profondément naturel – ce fut un énorme sentiment de soulagement.

La manière dont les Thaïlandais approchent l'enseignement et se considèrent eux-mêmes est profondément influencée par le bouddhisme et par la psychologie bouddhiste. Même leur langage de tous les jours est parsemé de nombreux mots palis. Je me rappelle combien leur façon de parler du cœur/esprit (citta) peut nous paraître froide et insensible. Si vous traversez de grandes souffrances, des angoisses ou revivez des souvenirs douloureux, le maître peut simplement dire : « Bon, ce ne sont que des kilesa, des états mentaux négatifs », ou bien « Votre cœur n'est pas heureux ? ».

Curieusement, dans ce contexte, de telles réflexions pouvaient complètement désamorcer les habitudes de penser telles que : « C'est moi qui ai un grave problème qu'il est urgent de résoudre ! ». Et il y avait toujours ce miroir puissant et plein de compassion. Si quelqu'un d'autre avait réduit mon « problème » à un simple sentiment d'insatisfaction, j'aurais sûrement été fâchée et me serais sentie rejetée ; mais avec Ajahn Anan, en qui j'avais une totale confiance, j'ai été en mesure de voir comment mon esprit fonctionnait et, quand il y avait de la confusion, de la dissiper. J'étais ramenée au moment présent par ces questions : « Que se passe-t-il maintenant ? Votre cœur est-il malheureux ? »

Bien sûr, dans le moment présent, il ne se passait pas grand-chose parce que le monastère, situé dans une belle forêt à flanc de montagne, était très paisible. C'était un endroit simple, calme et retiré, où il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire que de recevoir les offrandes de nourriture, manger et balayer son allée pendant environ une demi-heure. C'était tout. Le reste du temps était dédié au développement de la pratique formelle. Mon esprit s'apaisa beaucoup.

De telles expériences m'ont donné le goût pour la vie simple et pour un état d’esprit « normal », c’est-à-dire qui ne crée pas de problème à partir de ce qui est. Je ne dis pas que cette méthode, apparemment simple et directe, d'appréhender l'esprit est la bonne ou pas, mais je trouve que pratiquer dans cet environnement et dans cette culture pendant plus de deux années a eu un effet puissant. Cela m'a aidé à rompre avec cette habitude de me percevoir comme une identité individuelle – ce qui fut très libérateur. Avec l'esprit apaisé, j'ai pu voir très clairement la sensation de « soi », à chaque fois qu'elle se manifestait.

L'enseignement insiste sur le fait que, si l'on souffre de cette sensation de « soi », on ne peut pas avancer très loin dans la pratique, la vision intérieure ne peut se développer de manière suffisamment profonde pour venir couper l'attachement. La culture thaïe, dans son ensemble, facilite cette approche. Si l'on pense trop, les gens considèrent que l'on est sur le chemin de la folie. Vous pouvez vérifier auprès de n'importe quel Thaïlandais : quand quelqu'un pense trop, ils disent qu'il (ou elle) a le cœur chaud – et si vous êtes « chaud » (« ron » en thaï), on vous considèrera comme un insensé. Dire de quelqu'un qu'il est « djaï ron » (le cœur chaud) est négatif, voire même insultant. Les gens, là-bas, ne mettent pas l'accent sur la réflexion – je ne suis pas en train de dire que c'est bien ou mal, mais ils ne se fient pas trop à l'intellectualisation. C'était très différent de la culture d'où je venais où la réflexion est mise en avant, où des tombereaux de livres sont rédigés et où les gens comptent beaucoup sur l'intelligence. J'ai trouvé très intéressant d'être baignée dans une autre culture, plus intuitive, plus féminine.

Ce qui m'a le plus frappée, quand je suis revenue en Europe, c’est la complexité du mode de vie occidental et j'ai pu constater comment l'accès à de nombreuses traditions spirituelles et à de nombreux maîtres a transformé notre société, sur le plan de la spiritualité, en un immense supermarché. Ce n'est pas tout à fait négatif, mais c’est très perturbant pour un esprit déjà très sollicité par tout ce qu'il reçoit à travers les organes des sens. Il n'est pas étonnant que les gens deviennent névrosés après avoir été exposés à tant d'informations et tant de choix !

Quand vous êtes dans la forêt, il y a seulement quelques oiseaux, quelques bestioles et la nature tout autour. Les jours naissent, s'écoulent et le soleil se couche sans que rien d'autre ne se produise, et vous vous habituez à ce rythme très simple et paisible. J'ai trouvé cette vie extrêmement plaisante et je savais qu'elle était propice au développement de la pratique. En fait, je me sentais très à l'aise et vraiment privilégiée de pouvoir bénéficier de cette opportunité. La culture, à dominante bouddhiste, rendait les choses simples ; ce n'est pas un environnement dans lequel on se sent stimulé intellectuellement et il est vraiment étonnant de voir l'effet que cela produit sur l'esprit. Celui-ci ralentit naturellement pour devenir tout à fait tranquille. J'étais, du coup, effrayée de devoir retourner en Occident et, chaque fois que j'évoquais ce retour, mon esprit se représentait l'image d'une noyade au milieu d'un immense océan de pensées – vraiment pas un signe de bon augure !

Même si j'ai dû m'adapter et suivre l'étiquette des mae-chee, « la chorégraphie des nonnes thaïlandaises » comme j'avais coutume de désigner cela – marcher tout au bout de la file pour recevoir la nourriture, même derrière les plus jeunes des moines ; m'accroupir à chaque fois que je devais m'adresser à un moine ... – tout cela était peu de chose en comparaison à ce que j'ai pu recevoir là-bas.

Je n'étais donc pas certaine de pouvoir me faire à la vie et au rythme du monastère d'Amaravati, en Angleterre. Je décidai que, si je devais enseigner, je veillerais à garder les choses simples, ne parler que de la pratique, m'en tenir aux faits : anapanasati, les Cinq Khandha ou l'Interdépendance. Je ne voulais pas embrouiller les gens avec davantage de mots, de concepts et d'idées.

Mais j'ai reçu une vraie leçon de lâcher-prise quand, il y a quelques semaines, je suis allée enseigner à un groupe de méditants. En chemin, j'ai demandé, de manière innocente, au responsable du groupe, comment il envisageait le déroulement de ce week-end. Bien sûr, j'avais quant à moi quelques idées : « Je vais simplement méditer avec eux. Je vais leur indiquer comment pratiquer, bien plus que je ne vais discourir. Ensuite, nous partagerons nos expériences. » Mais le responsable m'a répondu : « Eh bien, nous voudrions vraiment discuter avec vous de la pratique, vous poser des questions et avoir une discussion sur le Dhamma, et puis... » J'ai pensé : « Oh non ! Pas cela ! » J'ai dû alors lâcher prise, tout simplement. Je me suis rappelé l'enseignement du Vénérable Sumedho : « Prenez la vie comme elle est. N'en faites pas un problème. Ouvrez-vous à ce qui est. »

Les Thaïlandais ne semblent pas souffrir de la haine de soi ; ils ne semblent même pas savoir ce que cela peut vouloir dire ! Une fois, par curiosité, j'ai demandé à une femme très instruite qui était venue me rendre visite : « Vous arrive-t-il de ne pas vous aimer ? » Elle me répondit : « Non, jamais. » J'ai été très surprise : elle venait juste de me parler de certains sujets très pénibles de sa vie personnelle et pourtant, elle ne se blâmait pas. Le sentiment négatif de soi ne semble pas faire partie de leur profil psychologique, alors que nous, nous sommes torturés par lui. Cela rend difficile nos débuts dans la pratique parce que la première étape consiste à faire la paix dans son cœur – ce qui ne peut pas se faire si l'on éprouve de la haine pour soi.

Heureusement, Ajahn Sumedho, qui est très au fait de l'esprit des Occidentaux, a conçu un très bon moyen de faire face à cette tendance que nous avons de mettre l'accent sur le côté négatif des choses, d'être critiques : simplement voir et accepter cette tendance dans un espace de paisible tolérance, d'amour et de détente. C’est là une approche pleine de maturité car, pour la plupart d’entre nous, il est difficile de créer un espace autour de notre vécu. Nous avons tendance, au contraire, à nous fondre avec les pensées qui traversent notre esprit et à fabriquer un « moi » à partir de là.

Si, par exemple, nous ressentons de l'ennui ; si nous ne sommes pas vraiment attentifs, nous nous laissons envahir par cette sensation et nous devenons quelqu'un qui s'ennuie, quelqu'un qui a un problème avec l'ennui et qui a besoin de résoudre ce problème. Cette approche complique singulièrement une expérience aussi simple que la sensation d'ennui. Tout ce qu'il est nécessaire de faire est d'aménager un espace intérieur afin de pouvoir contempler cette sensation, au lieu d'en faire un problème. En Thaïlande, où la psychologie et l'enseignement bouddhistes sont étroitement liés, Ajahn Anan dirait tout simplement : « Bon, c'est juste un obstacle. » C'est simple n'est-ce pas ? Mais souvent, pour nous, il ne peut pas s'agir d'une simple sensation d'ennui – c'est sûrement un ennui très particulier et qui nous est tout à fait personnel !

Une des choses qui m'a le plus attirée dans l'enseignement bouddhiste est la simplicité de son approche – c'est, je crois, ce que nous souhaitons tous atteindre dans notre pratique et dans notre vie. Le Bouddha a dit : « Observez-vous, tout simplement. Qui êtes-vous ? Que pensez-vous être ? ... Observez vos yeux, les objets visuels et la façon dont se passe le contact entre les sens et l'objet des sens. Que sont les yeux, le nez, la langue, le corps et les oreilles ? Que sont les pensées ? » Il nous demande d'enquêter sur l'expérience sensorielle, plutôt que de nous laisser entraîner par elle et de réagir à la peine ou au plaisir. Il dit d'observer et de voir la nature de l'expérience, directement, très simplement, sans en faire une histoire. Simplement laisser entrer le calme et la tranquillité dans le cœur et observer.

L'expérience sensorielle est vraiment ce qui forge notre monde. Sans en connaître la cause et ses effets, il est très difficile de sortir du cercle vicieux du « moi », de « mon problème qui doit être résolu », de ce « moi » qui aime ou qui déteste – tous ces tiraillements qui agitent le cœur. Plutôt que de nous laisser balloter par ces tiraillements, nous observons et, sans prendre partie, nous comprenons les choses telles qu'elles sont : impermanentes, insatisfaisantes et dénuées d'un « soi » personnel. Mais parvenir à cela nécessite certaines conditions, cela ne se fait pas tout seul.

La première condition est la paix et le calme ; sans cela, il est très difficile de voir quoi que ce soit. C'est pourquoi une grande part de notre pratique consiste à apporter au cœur l'équilibre et le calme. La plupart des gens sont dans un état de constante réactivité. Si vous leur demandez s'ils souffrent, ils vous répondront : « Non ». Ils pensent qu'ils vont bien. Mais quelqu'un qui a vu la souffrance qu'engendre cette réactivité en vient à réaliser que ce n'est pas le meilleur moyen de comprendre la vie ; c'est une vision très limitée – toujours cette même expérience de « soi », du « moi », du « nous ». Mais quand la sensation de l'ego diminue, la réactivité aussi diminue.

Ce n'est pas tant la sensation de soi qui fait obstacle ; c'est notre identification à ce « moi ». Les Quatre Nobles Vérités mettent l'accent sur ce point : la souffrance due à l'attachement au soi, la croyance en un ego permanent. Un maître a comparé l'ego à un collier : lorsque les perles sont maintenues ensemble par un fil, elles constituent un collier ; mais si le fil vient à céder, les voilà qui s'éparpillent – il n’y a plus de collier !

J'ai passé de nombreuses années à observer de près cette sensation d'un « soi ». Je me souviens, dans les premiers temps, Ajahn Sumedho me disait : « Bon, vous ne devriez pas souffrir pour çà. Vous avez pris les Refuges et... » - mais cela me faisait bouillir : « Oui, mais moi ! Je souffre là, maintenant ! » J'avais l'impression qu'il se fichait bien de mon gros problème personnel, qu'il ne me prenait pas au sérieux. Pendant tant d'années, je m’étais attachée à cet ego sans vraiment le connaître. Je ne pensais pas être dans l’erreur, non, je me prenais simplement au sérieux.

En Thaïlande, si vous souffrez et que vous parlez de cette souffrance, vous avez rapidement l'impression que votre pratique va à vau-l'eau. Ceci est dû au fait que, dans l'environnement paisible et simple d'un monastère de forêt, la pratique formelle est fortement enracinée dans le développement de la concentration, samādhi. L'approche est différente, là-bas.

Au monastère d'Amaravati, la base de notre pratique est les Quatre Nobles Vérités, qui mettent l'accent sur la souffrance, l'origine de celle-ci, sa cessation et le chemin qui y mène. Il n'est pas aussi facile, ici, d'atteindre les états de calme profond de l'esprit parce que nous sommes en permanence bombardés par des contacts sensoriels : des objets, le travail, le fait de vivre au milieu d'esprits forts ... Ajahn Sumedho enseigne que, pour libérer l'esprit, il suffit de mettre cet enseignement en pratique et de s'y tenir jusqu'à la mort.

J'ai été frappée de voir combien le tempérament de la population thaïlandaise était doux et agréable comparé au nôtre ; je trouve que ce sont des gens avec qui il est facile de vivre. Ils aiment beaucoup rire, et ils ne considèrent pas la vie comme un problème. Ils vous trouvent bien stupides de voir la vie ainsi. Même les plus simples des villageois penseront que vous êtes bien insensés de faire de la vie un problème. Cela fait une grande différence avec notre tendance à tout compliquer et créer des problèmes là où il n'y en a pas – très souvent, parce que nous n'avons pas appris à réagir différemment. Toute notre culture est basée sur l'idée que le monde doit être compris à partir d'un système de pensée, plutôt que par la connaissance née d'un esprit éveillé silencieux.

Pour que notre pratique porte ses fruits, il est important de ne pas trop nous soucier de nous-mêmes. Tant que nous serons fascinés par notre ego, nous ressentirons la souffrance. Quand l'esprit est miné par un flot de pensées égotiques telles que : « Je ne m'aime pas », « je pense que j'ai un gros problème », etc., c'est comme s'il ingérait des aliments nocifs, des états mentaux négatifs (akusala dhamma).

La compréhension du Dhamma dépend aussi de la force de notre esprit car, comment cette compréhension peut-elle se produire s'il n'y a pas un certain niveau d'énergie positive ? C'est pourquoi mettā (la bienveillance et l'acceptation) est très important. On ne peut rendre lumineux l'esprit en le remplissant d'états mentaux négatifs ; bien au contraire, cela l'affaiblit. Que ce soit la colère, l'avidité, la jalousie ou le désespoir, si la véritable nature de ces états mentaux n'est pas comprise, ceux-ci affaibliront citta, le cœur. Mais, lorsque nous les observons à la lumière de l'attention, ils n'ont plus aucun pouvoir sur nous. Durant la méditation, essayez d'emplir votre cœur avec mettā d'abord, puis avec des lamentations et enfin, avec de la joie – vous verrez la différence, c'est très simple. Vous pouvez faire de même avec la colère : pensez, durant un moment, à des choses qui vous mettent en colère, puis voyez l'effet que cela produit au niveau de votre cœur. Ce ne sont là que des états mentaux conditionnés mais, bien souvent, nous ne sommes pas attentifs à la manière dont ils peuvent nous affecter ; cela, à cause de l'ignorance.

Voir très clairement la différence entre ce qui est bénéfique et ce qui est malsain, non pas d'un point de vue intellectuel, mais avec les yeux de la sagesse, est un progrès certain. Les enseignements du Bouddha sont comme un plan qui nous aide à distinguer les dhamma bénéfiques des dhamma malsains que nous devons savoir reconnaître et laisser aller.

Souvenez-vous que votre cœur est comme un récipient rempli de choses qui viennent du passé. Si nous avons été, dans le passé, un voleur, un paresseux ou un arrogant, ou bien un être aimant et généreux, nous aurons conservé certaines de ces habitudes. Quand nous méditons, nous recevons les conséquences de nos habitudes – nous ne pouvons pas nous en débarrasser aussi facilement. Ce serait pourtant merveilleux, si nous pouvions le faire : nous serions tous des Eveillés depuis longtemps ! Savoir composer avec son kamma, patiemment et avec compassion, est très important.

Une chose est devenue claire grâce à mon expérience en Thaïlande : si la pratique est quelque chose qui se passe ici et maintenant, c'est aussi un processus progressif, comme le développement d'un savoir-faire. Elle nécessite de la concentration, de l'attention et de l'effort. Ce sont là les outils indispensables pour mieux comprendre nos attachements et les laisser aller. Nous sommes tous ici pour libérer notre cœur de l'ignorance, pour apprendre comment vivre libres du remords ou de la confusion. Pour que les fruits de la pratique puissent croître dans notre cœur, nous devons développer ces qualités de l'esprit.

Ici, en Occident, nous faisons grand cas de notre corps et nous lui en demandons beaucoup. Il doit être sain, fort, et en bonne santé, tandis que dans les pays d'Asie, on en fait moins cas. Le corps est important, bien sûr, car sans lui nous ne serions pas en capacité de méditer. Mais s'il se met à craquer ou s'il se dégrade, il n'y a pas là matière à perturber l'esprit. Des méditants qui parlent trop de leur corps ou ont tendance à trop dormir sont considérés comme de bien piètres pratiquants ! Dans la perspective bouddhiste, l'esprit est plus important car c'est lui qui conditionne ce qui advient au moment où nous mourrons. Quand l'esprit est fort et sain, le corps s'apaise naturellement et retire bien plus de bienfaits que lorsque nous nous laissons accabler par des inquiétudes quant à notre bien-être. Cette façon de voir m'a donné une vision plus objective de ce qu'est le corps physique, un plus grand détachement et la capacité de le considérer avec plus de distance. Il est facile, pour l’esprit, de s’attarder sur ce qui ne va pas chez nous ou chez les autres ; c'est la façon la plus simple de regarder la vie. La chose la plus difficile est d'entraîner le cœur à suivre le chemin de la bonté, kusala dhamma (les dhamma bénéfiques).

Nous pouvons nous sentir déprimés, mais nous devons comprendre que c'est un état mental, un moment passager ; voulons-nous faire perdurer cet état mental toute notre vie ? Ou vaut-il mieux, grâce à la sagesse, voir qu'il ne s'agit là que d'un moment passager, une sensation, une pensée ? Une telle compréhension entraîne un réel sentiment d'urgence. Si nous devons éprouver des sensations, ou bien avoir des pensées – chose que nous ne pouvons pas éviter –, mieux vaut alors guider notre esprit vers des pensées qui soient bénéfiques. Tout le reste nous entraîne vers l'enfer ... en fait, nous agissons bien souvent de la sorte sans même le savoir.

Nous avons donc le choix: soit nous demeurons alternativement en enfer dans le monde de la souffrance et au paradis dans le monde de la félicité, soit nous demeurons dans un état de paix, fruit de la sagesse qui consiste à voir clairement que l’impression d’être au paradis est liée aux sensations agréables et l’impression d’être en enfer est liée aux sensations désagréables. Dès que nous comprenons cela, nous sommes libérés, n’est-ce pas ? L’esprit cesse de se préoccuper des sensations – c'est la voie du milieu. Nous ne pouvons pas contrôler la vie et il faut du temps pour dépasser notre désir pour le paradis et notre peur de l'enfer.

Souvent, la seule façon dont les gens marchent ou ouvrent une porte, leur manière de parler, de manger, peuvent nous envoyer en enfer ou au paradis. Il n'en faut pas davantage. N'est-ce pas ridicule ? Parfois, nous pouvons connaître une parfaite félicité et nous sentir en harmonie avec tout l'univers, puis, en rentrant chez nous, il suffit qu'une personne fasse un peu de bruit pour que nous sentions monter la colère. Voyez qu'il suffit de peu de chose. La vie est très instable. Pourtant, il y a la connaissance, ce moment de liberté quand vous comprenez : « Ce n'est qu'une sensation, un contact des sens, de l'oreille, du nez ... »

L'enseignement du Bouddha, souvenez-vous, est d'observer le contact des sens, son objet et l'effet de ce contact sur le cœur. Quand nous entendons nos voisins faire beaucoup de bruit, nous pensons : « C'est intolérable. Je vais aller leur dire deux mots ! » Mais si nous sommes capables de lâcher prise, nous pouvons constater que ce bruit ne nous dérange pas vraiment … mais le bruit recommence, et finalement, nous nous retrouvons à frapper à la porte : « Pouvez-vous arrêter ce bruit ? » Et bien sûr, si à ce moment, il n'y a pas de sagesse, pas d’attention, nous ressentirons du remords par la suite : « J'ai été odieux... je n'aurais pas dû faire çà ... », et le cycle complet de la souffrance recommence.

La voie tracée par le Bouddha est très simple. Nous devons nous rappeler encore et encore de maintenir sati, l'attention. C'est comme une ritournelle sans fin : sati, sati, sati. Où en sommes-nous maintenant ? ... La pratique de l'attention se situe toujours dans le moment présent. Il n'y a pas de connaissance dans l'avenir ou le passé. Nous pouvons avoir une pensée qui nous tourne vers le passé ou vers le futur mais, dans le moment présent, il n'y a que la connaissance, la présence consciente.

Nous pouvons nous rappeler que nous sommes ici pour entraîner et maintenir une pratique simple. Savoir ce qui nourrit le cœur : la vérité, la paix, le calme, la compassion, mettā. Quand nous ressentons mettā, l'ego, le « soi » peut se dissoudre. Voyez comment, lorsque des gens ressentent mettā à notre égard, la paix croît en nous. Quand des gens éprouvent de l'amour bienveillant pour nous, nous nous sentons calmes et en paix. Nous pouvons faire cela pour nous-mêmes et, si chacun de nous fait cela pour une autre personne, ce sera une bonne base pour la pratique.

Avant de vous quitter, je voudrais vous dire ceci : il faut garder les choses très simples et nous rappeler qu'il ne faut pas faire confiance à ce qui complique la vie. Cela ressemble davantage au travail de notre ami Mara, le soi, l'ego. Quand le cœur est en paix et qu'il y a compréhension, les choses sont simples et paisibles. Je vous souhaite de cultiver la bienveillance et une patience infinie envers vous-mêmes et envers toutes les conséquences des kamma que vous devez traverser et qui peuvent vous perturber en ce moment. C'est pourquoi le Bouddha a enseigné que la patience et la persévérance sont les plus grandes vertus à développer.