Le Dhamma de la Forêt


La conque

Saṅkha Sutta (SN 42: 8)


Suivi d’un commentaire de Bhante Gunaratana

Traduction de Jeanne Schut

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En une certaine occasion, le Bouddha séjournait près de Nalanda, dans le verger de mangues de Pavarika. Ce jour-là, le chef de clan, Asibandhakaputta, disciple des Niganthas [la secte des Jaïns], alla voir le Bouddha. À son arrivée, il s'inclina devant lui puis s’assit sur le côté. Tandis qu'il était assis là, le Bouddha lui demanda :

– Chef de clan, comment Nigantha Nataputta [le chef de la secte des Jaïns] enseigne-t-il le Dhamma à ses disciples ?

– Voici comment Nigantha Nataputta enseigne le Dhamma à ses disciples, Vénérable. Il déclare : « Tous ceux qui ôtent la vie sont destinés à une sphère de souffrance, sont destinés à l'enfer. Tous ceux qui volent, tous ceux qui se livrent à des relations sexuelles illicites, tous ceux qui disent des mensonges, sont destinés à une sphère de souffrance, sont destinés à l'enfer. Ce que l’on répète fréquemment finit toujours par nous dominer. » Voilà comment Nigantha Nataputta enseigne le Dhamma à ses disciples.

– Selon les propres paroles de Nigantha Nataputta, s’il est vrai que « ce que l’on répète fréquemment finit toujours par nous dominer », personne n'est destiné à une sphère de souffrance ni destiné à l'enfer. Dites-moi, chef de clan, si quelqu'un prend une vie, en tenant compte du temps passé à agir ainsi et à ne pas agir ainsi, que ce soit de jour comme de nuit, à quoi passe-t-il plus de temps : à ôter la vie ou à ne pas ôter la vie ?

– Vénérable, si quelqu'un prend une vie, en tenant compte du temps passé à agir ainsi et à ne pas agir ainsi, que ce soit de jour comme de nuit, le temps qu’il passe à ôter la vie est moindre, et le temps passé sans ôter la vie est certainement supérieur. S’il est vrai que « ce que l’on répète fréquemment finit toujours par nous dominer », personne n'est destiné à une sphère de souffrance ni destiné à l'enfer comme le dit Nigantha Nataputta.

– Dites-moi, chef de clan, si quelqu'un vole, se livre à des relations sexuelles illicites ou dit des mensonges, en tenant compte du temps passé à agir ainsi et à ne pas agir ainsi, que ce soit de jour comme de nuit, à quoi passe-t-il plus de temps : à agir ainsi ou à ne pas agir ainsi ?

– Vénérable, si quelqu'un vole, se livre à des relations sexuelles illicites ou dit des mensonges, en tenant compte du temps passé à agir ainsi et à ne pas agir ainsi, que ce soit de jour comme de nuit, le temps qu’il passe à agir ainsi est moindre, et le temps passé sans agir ainsi est certainement supérieur. S’il est vrai que « ce que l’on répète fréquemment finit toujours par nous dominer », personne n'est destiné à une sphère de souffrance ni destiné à l'enfer comme le dit Nigantha Nataputta.

– Écoutez bien, chef de clan. Il arrive qu’un enseignant soutienne une certaine doctrine, un certain point de vue comme : « Tous ceux qui ôtent la vie sont destinés à une sphère de souffrance, sont destinés à l'enfer. » Un disciple qui a foi en son maître va se dire : « Notre maître soutient la doctrine, le point de vue selon lequel tous ceux qui ôtent la vie sont destinés à une sphère de souffrance, sont destinés à l'enfer. Il m’est arrivé de tuer des êtres vivants. Je suis donc, moi aussi, destiné à une sphère de souffrance, je suis destiné à l’enfer » et il va s’accrocher à cette idée. S'il n'abandonne pas cette doctrine, s’il n'abandonne pas cet état d'esprit, s’il n'abandonne pas ce point de vue, il ira effectivement tout droit en enfer, aussi directement que si on l’y transportait.

« Il va se dire : ‘Notre maître soutient la doctrine, le point de vue selon lequel tous ceux qui volent, tous ceux qui se livrent à des relations sexuelles illicites, tous ceux qui disent des mensonges, sont destinés à une sphère de souffrance, sont destinés à l'enfer. Il m’est arrivé de dire des mensonges. Je suis donc, moi aussi, destiné à une sphère de souffrance, je suis destiné à l’enfer’ et il va s’accrocher à cette idée. S'il n'abandonne pas cette doctrine, s’il n'abandonne pas cet état d'esprit, s’il n'abandonne pas ce point de vue, il ira effectivement tout droit en enfer, aussi directement que si on l’y transportait.

« Écoutez, chef de clan. Il arrive qu’un Tathagata [un être parfaitement éveillé] apparaisse dans le monde, un être digne qui s’est éveillé par lui-même, parfait dans la connaissance claire et le comportement, qui a dépassé toutes les limites, expert dans le cosmos, capable de former de manière inégalée ceux qui sont prêts à être formés, qui enseigne aux dévas et aux êtres humains, éveillé, béni. De diverses manières, il critique et censure le fait d’ôter la vie, et déclare : ‘Abstenez-vous d’ôter la vie.’ Il critique et censure le vol, et déclare : ‘Abstenez-vous de voler.’ Il critique et censure le fait de se livrer à des relations sexuelles illicites, et déclare : ‘Abstenez-vous de vous livrer à des relations sexuelles illicites.’ Il critique et censure le mensonge et déclare : ‘Abstenez-vous de mentir.’

« Un disciple qui a foi en ce maître va se dire : ‘Le Bouddha critique et censure de diverses manières le fait d’ôter la vie. Il a déclaré : Abstenez-vous d’ôter la vie. Or j’ai moi-même ôté la vie à des êtres vivants dans une mesure plus ou moins grande. Ce n'était pas bien. Ce n'était pas juste. Mais si je me ronge de remords aujourd’hui, cela n’effacera pas ces mauvaises actions.’ En réfléchissant ainsi, il abandonne aussitôt la tendance à ôter la vie, et s’abstient, à l’avenir, d’ôter la vie. C'est ainsi qu’une mauvaise action est abandonnée. C'est ainsi qu’une mauvaise action est transcendée.

« Il se dit : ‘Le Bouddha critique et censure de diverses manières le vol, le fait de se livrer à des relations sexuelles illicites, le fait de mentir. Il a déclaré : Abstenez-vous de mentir. Or il m’est arrivé de dire des mensonges. Ce n'était pas bien. Ce n'était pas juste. Mais si je me ronge de remords aujourd’hui, cela n’effacera pas ces mauvaises actions.’ En réfléchissant ainsi, il abandonne aussitôt la tendance à mentir, et s’abstient, à l’avenir, de dire des mensonges. C'est ainsi qu’une mauvaise action est abandonnée. C'est ainsi qu’une mauvaise action est transcendée.

« Ayant abandonné la tendance à ôter la vie, il s'abstient d’ôter la vie. Ayant abandonné le vol, il s'abstient de voler. Ayant abandonné les relations sexuelles illicites, il s'abstient de relations sexuelles illicites. Ayant abandonné le mensonge, il s'abstient de mentir. Ayant abandonné les paroles qui divisent, il s'abstient de paroles qui divisent. Ayant abandonné les paroles dures, il s'abstient de paroles dures. Ayant abandonné le bavardage inutile, il s'abstient de bavardage inutile. Ayant abandonné la convoitise, il se libère de la convoitise. Ayant abandonné l’aversion et la colère, son esprit se libère de toute aversion. Ayant abandonné les opinions erronées, il adopte une vision juste des choses.

« Chef de clan, ce disciple des nobles êtres – qui, comme tel, est libre de toute convoitise, libre de toute aversion, parfaitement posé, vigilant et attentif – continue à pénétrer dans la première direction [l'est] avec une conscience imprégnée de bienveillance, de même dans la seconde, de même dans la troisième, de même dans la quatrième direction. Ainsi, au-dessus, au-dessous, et tout autour, absolument partout, il continue à pénétrer l’ensemble du cosmos d’une conscience imprégnée de bienveillance – abondante, élargie, incommensurable, sans hostilité, sans malveillance. De même qu'un puissant souffleur de conque peut se faire entendre dans les quatre directions sans aucune difficulté, lorsque la présence consciente mue par la bienveillance est ainsi développée, ainsi poursuivie, tout acte accompli à une petite échelle s’efface, ne reste plus.

« Alors, ce disciple des nobles êtres – qui, comme tel, est libre de toute convoitise, libre de toute aversion, parfaitement posé, vigilant et attentif – continue à pénétrer dans la première direction avec une conscience imprégnée de compassion, de joie empathique et d'équanimité. Il pénètre de même dans la seconde, de même dans la troisième, de même dans la quatrième direction. Ainsi, au-dessus, au-dessous, et tout autour, absolument partout, il continue à pénétrer l’ensemble du cosmos d’une conscience imprégnée d’équanimité – abondante, élargie, incommensurable, sans hostilité, sans malveillance. De même qu'un puissant souffleur de conque peut se faire entendre dans les quatre directions sans aucune difficulté, lorsque la présence consciente mue par l’équanimité est ainsi développée, ainsi poursuivie, tout acte accompli à une petite échelle s’efface, ne reste plus.

Quand cela fut dit, Asibandhakaputta le chef de clan disciple des Niganthas, a dit au Bouddha : « Magnifique, Vénérable ! Magnifique ! Tout comme si vous aviez redressé ce qui était renversé, révélé ce qui était caché, montré le chemin à une personne égarée ou apporté une lampe dans l'obscurité pour que ceux qui ont des yeux puissent voir des formes, de la même manière, à travers plusieurs raisonnements, vous avez éclairé le Dhamma. Je prends refuge dans le Bouddha, le Dhamma et la communauté des moines. Que le Bouddha se souvienne de moi comme d'un disciple laïc qui a pris refuge ce jour, pour la vie. »



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Commentaire de Bhante Gunaratana 

Dans ce sutta, le Bouddha nous dit : supposons que quelqu'un ait fait quelque chose qu'il regrette, par exemple, d'avoir tué un animal. Plus tard, il se souvient de cette action et se dit : « Je n’aurais pas dû agir ainsi. Ce qui est fait est fait mais dorénavant, je vais pratiquer la bienveillance. » Ainsi il développe la pratique de metta encore et encore, ainsi que la compassion pour tous les êtres vivants. Dès lors, ce sera cette pensée qui dominera dans son esprit et non plus le fait d’avoir tué un animal.

Inversement, si quelqu'un qui a tué un animal se ronge de remords, encore et encore, malgré toutes les bonnes actions qu’il a pu faire par ailleurs, la pensée de cet acte deviendra la pensée dominante de son esprit. Or il lui serait possible de mettre délibérément cette pensée de côté en se disant : « À cause de certaines circonstances, je n'ai pas été attentif à ce moment-là et il est arrivé ce qui est arrivé. Mais aujourd’hui je suis plus sensible, plus raisonnable, plus sage. Si la situation se représentait, je ne commettrais pas cet acte. À partir de maintenant, je vais développer l’attention, plus de bienveillance et plus de compassion. »

Ainsi, cette personne développe une pratique honnête et adopte un comportement plus sain. Son esprit va s’emplir de pensées saines et les choses malsaines seront oubliées. Voilà l’attitude juste à adopter.

Si quelqu'un a mal agi une seule fois dans sa vie et qu’il y repense encore et encore le reste de ses jours, cela devient sa pensée dominante, y compris au moment de la mort – ce sera sa dernière pensée ! Par contre, s’il pense à des choses saines, s’il apprend à ramener son esprit à des actions positives, ce sont ces pensées qui viendront au premier plan de son esprit.