La Liberté
Ajahn Vajiro
Traduction par Jeanne
Schut
Ce texte est la transcription d’un
enseignement donné par Ajahn Vajiro, du 11 au 13 novembre 2005, au « Refuge », Centre Bouddhique
d’Etude et de Méditation.
Premier jour :
Quand on m’a demandé de suggérer un thème, j’ai pensé
que celui de la liberté serait bien approprié à la France !
La liberté qui m’intéresse, en tant que bouddhiste,
c’est la liberté par rapport à la confusion mentale et à l’ignorance. Ce que je souhaite vraiment, c’est comprendre ce
qui se passe, je veux comprendre l’univers dans lequel je vis. Je souhaite être libéré du sentiment de besoin, ce
sentiment qui consiste à croire qu’il me manque quelque chose pour être enfin
entier. Je voudrais aussi me libérer
du sentiment de refus, d’incapacité à faire face à certaines situations.
J’espère qu’au cours de cette retraite j’aurai
l’occasion de vous apporter quelques éléments qui pourront vous aider. La méditation est la voie la plus directe pour se
libérer de toute confusion mentale et c’est la raison pour laquelle nous sommes
ici aujourd’hui. Je pense que le
Bouddhisme propose les meilleurs outils possibles pour pratiquer la méditation. Il y a quarante techniques et puis des
sous-techniques. Nous n’en
essayerons que deux ou trois ici mais si elles vous conviennent, ce sera déjà
très bien.
Je trouve toujours très utile de commencer par me
dire : « Pourquoi est-ce que je médite ? » et la réponse
est : « Je le fais pour me sentir bien, heureux et indépendant des
conditions et des circonstances. Je
me souhaite vraiment d’être bien. Je
ne le fais pas pour me torturer ou me débarrasser de quoi que ce soit ». Alors recentrons-nous et demandons-nous :
« Qu’est-ce que je fais ici un vendredi soir ? »
J’aime bien commencer par prendre conscience de la
verticalité de ma posture, de ma relation avec ce qui m’entoure ou les
personnes qui m’entourent. Ensuite
j’ouvre cette conscience à une conscience plus vaste d’espace et de temps dans
laquelle je me situe. Si l’attitude
de départ est juste, tout le reste suit beaucoup plus facilement. Si tout ce que l’on fait pendant la méditation,
c’est se relier à un souhait clair et sincère de bien-être pour soi-même, c’est
déjà beaucoup.
Appréciez bien ce moment !
….. (Méditation silencieuse.)
Prenez conscience de ce que vous venez de vivre de
façon à ne pas le perdre.
…..
Je vais vous raconter une histoire qui illustre la
façon dont je peux vous aider. Je
pense qu’elle est juste car l’image vient du monde naturel. C’est l’histoire d’un homme qui trouve un papillon
sur le point de sortir de sa chrysalide et qui, pour l’aider, force l’ouverture
de la chrysalide. Quand le papillon
sort, l’homme constate que ses ailes n’arrivent pas à s’ouvrir complètement. Il comprend alors qu’une des choses qui permettent
au papillon de déployer ses ailes, c’est la force qu’il doit mettre en œuvre
pour sortir de sa chrysalide. C’est
cet effort qui permet ensuite aux ailes de s’ouvrir.
La leçon de cette histoire, c’est qu’il ne faut pas trop aider les autres. Nous devons parfois faire des efforts pour
parvenir à découvrir toute l’étendue de nos ailes.
Un disciple d’Ajahn Chah lui demanda un jour quelles
techniques il enseignait : satipatthana
(les Quatre Fondements de l’Attention) ou bien ānāpānasati (l’attention au souffle) ou autre chose encore. La réponse d’Ajahn Chah fut : « Je me
contente de torturer mes disciples ! » Mais je ne pense pas que vous
croyiez que je vous aime assez pour agir de même avec vous. Je vais donc évoquer quelques techniques de
méditation avec lesquelles vous pourrez vous amuser.
L’attention au souffle a été la base de la méditation
du Bouddha tout au long de sa vie.
C’est d’ailleurs ce qu’il pratiquait quand il a atteint l’éveil. Cette forme d’attention ne nécessite rien de très
spécial : on est simplement conscient d’inspirer quand on inspire et
conscient d’expirer quand on expire.
Mais si vous arrivez à véritablement connaître consciemment UNE SEULE
respiration complète, ce sera suffisant pour connaître AB-SO-LU-MENT TOUT. Tout est basé sur une unique respiration. Notre premier souffle a été une inspiration, notre
dernier souffle sera une expiration.
On ne peut pas se contenter d’inspirer — imaginez ce qui se passerait si vous
décidiez : « Demain je vais seulement inspirer » ! La
respiration est aussi un révélateur : ce n’est pas quelque chose que l’on
peut feindre, elle nous apprend où nous en sommes sur le plan émotionnel dans
l’instant précis.
Alors, on prend conscience de sa respiration — est-elle
brève, profonde, etc. ? — et on
entraîne l’attention pour arriver à connaître à fond toute une respiration ou
pour être clairement conscient de tout le corps en train de respirer. On constate souvent, à ce moment-là, que le corps
s’apaise, on sent s’éveiller un certain bien-être et de la joie. On peut ensuite voir comment tout notre système
est attiré ou repoussé par certaines circonstances et on est en mesure de
calmer tout cela. Cette approche
peut encore être développée bien davantage.
En général, dans l’observation de la respiration, je
propose de porter son attention au niveau du ventre.
On inspire au niveau de l’abdomen et on sent le ventre gonfler et puis on
expire et on le sent s’abaisser. Ce
n’est pas forcément ce qui se passe pour vous en ce moment. Peut-être que quand vous inspirez, le ventre
rentre et quand vous expirez, il se gonfle.
Mais si vous observez un bébé quand il est bien détendu, quand il inspire, son
ventre sort et quand il expire, il rentre.
Certains enseignants proposent des « trucs »
pour maintenir l’attention comme, par exemple, compter les respirations. Le Bouddha n’en a jamais parlé mais c’est une
technique qui peut aider. La façon
la plus simple est de compter de 1 à 10 pendant une inspiration et puis de 1 à
10 pendant l’expiration. On peut
jouer avec cette technique car on peut varier la longueur de l’inspiration et
de l’expiration en comptant à des rythmes différents.
Ce n’est pas vraiment passionnant mais c’est une technique et au moins, pendant
que l’on pratique, on est conscient et présent.
Il y a aussi la possibilité de compter 1 à l’inspiration
et 2 à l’expiration et continuer comme cela jusqu’à 5 ou 10. On peut aussi compter seulement les expirations ou
seulement les inspirations.
L’une des manières les plus compliquées de compter ses
respirations — qui peut être utile si on veut vraiment bloquer tout le
processus de la pensée et s’entraîner sérieusement — est un véritable test
d’honnêteté. C’est assez compliqué,
alors écoutez bien :
- On compte 1 à la
première expiration
- 1 à l’expiration
suivante
- 2 à l’expiration
suivante
- 1 à l’expiration
suivante
Ensuite
- 1 à l’expiration
suivante
- 2 à l’expiration
suivante
- 3 à l’expiration
suivante
- 2 à l’expiration
suivante
- 1 à l’expiration
suivante
Ensuite
- 1 à l’expiration
suivante
- 2 à l’expiration
suivante
- 3 à l’expiration
suivante
- 4 à l’expiration
suivante
- 3 à l’expiration
suivante
- 2 à l’expiration
suivante
- 1 à l’expiration
suivante
On continue comme cela jusqu’à 10 et puis on redescend
à l’envers jusqu’à 1. Il se peut que
vous mettiez pas mal de temps à faire une série complète !
Cette technique demande beaucoup de concentration
mais, pour certaines personnes, elle fonctionne très bien et le mental est
vraiment apaisé. Quant au test
d’honnêteté dont nous parlions, en voici les termes : quand on se perd en
route, on doit recommencer au début !
Mais il paraît que ce n’est pas la technique la plus
difficile pour compter les respirations : il y en a une qui propose de
compter 1 à la première expiration et si aucune pensée ne se présente, compter
2 à l’expiration suivante … !
Ce qui nous intéresse vraiment, c’est d’être conscient
et présent à ce qui se passe. Le but
de toutes ces techniques est simplement d’être clairement conscient. Nous parlions de la libération par rapport à la
confusion or la confusion c’est nier ce qui se passe.
C’est cela qui est important.
La respiration vous indiquera toujours où vous en êtes. Il est vraiment très bon d’apprendre à connaître
sa respiration. Avec la respiration,
on peut aussi déplacer son attention aux différents endroits du corps où elle
se manifeste clairement ou la déplacer dans tout le corps en restant
attentif au souffle. C’est vraiment
un outil de travail merveilleux.
Les gens posent souvent des questions sur la
concentration. La concentration sert
à lâcher prise, pas à s’agripper à quelque chose pour se concentrer dessus. Le but de la concentration est de
« donner » son attention et non de « prêter »
attention et attendre quelque chose en retour.
Soyons généreux avec nous-mêmes, « donnons » !
On pose aussi des questions sur l’endroit précis où
l’attention au souffle doit être portée : le bout du nez ou la lèvre
supérieure ? Je me suis moi-même posé cette question pendant 4 jours lors
de ma première retraite de méditation ! … D’autres personnes disent qu’on
ne devrait porter l’attention qu’au niveau de l’abdomen.
Pourquoi pas ?
J’aime bien cette idée de « donner » de
l’attention à l’objet de méditation.
Notre travail est basé sur l’intention d’être bienveillant envers soi, pas
d’exiger quelque chose.
« Donner » notre attention c’est différent de « je veux absolument
savoir ce qui se passe » ; c’est s’ouvrir, découvrir, pas
« s’emparer » de quelque chose.
De plus, l’avantage de la respiration, c’est qu’elle
nous accompagne quand on marche, quand on mâche du chewing-gum, quand on écoute
quelqu’un parler : on peut toujours savoir si on est en train d’inspirer
ou d’expirer. On peut même parler en
étant conscient de son inspiration et de son expiration.
Parfois des enfants des écoles voisines viennent à
notre monastère d’Amaravati et c’est moi qui leur fais visiter les lieux. Quand ils descendent du bus, je leur dis :
« Ici, vous pouvez méditer.
Tout le temps que vous serez ici, vous pourrez savoir si vous êtes en train
d’inspirer ou d’expirer ».
Ensuite, au cours de la visite, je me tourne parfois vers eux et je leur demande :
« Vous êtes en train d’inspirer ou d’expirer ? » Ils adorent ça
!
QUESTION : Qu’est-ce que l’attention en un
point ? D’après ce que je comprends « donner » de l’attention
est une forme d’ouverture, alors que l’on recommande souvent de porter l’attention
en un seul point pour calmer le mental.
Oui, un des points d’attention est le bout du nez ou
la lèvre supérieure, l’autre l’abdomen.
Le Bouddha a comparé ce travail d’attention au travail de la scie. Quand on scie un objet, on ne regarde pas
l’ensemble de la scie, on concentre son attention sur l’endroit où elle coupe. Donc certaines personnes donnent seulement de
l’attention au niveau des narines mais cela pourrait être presque à n’importe
quel niveau de la respiration.
D’autres aiment suivre leur souffle en trois endroits : le nez, la
poitrine et le ventre. C’est vrai
que le Bouddha a proposé cette comparaison avec la scie pour enseigner la
concentration mais il n’a pas précisé en quel point.
Le mieux c’est d’essayer d’être attentif au moment où
le mental lâche effectivement prise et passe à l’état de concentration. Peut-être qu’à ce moment-là, la respiration
elle-même est lâchée. Mais si vous
restez assis à vous demander ce qui va bien pouvoir se passer, il ne va rien se
passer !
QUESTION : Est-il bon de changer d’objet de
méditation pendant une même assise ?
On renforce le corps en lui donnant beaucoup de choses
à faire, en le faisant bouger. Mais
pour le cœur, la force vient quand on fait une seule chose à la fois. Je ne vous dis pas de garder absolument le même
objet de méditation mais tâchez de trouver le moyen de prendre plaisir à ce que
vous faites et souvenez-vous de pourquoi vous le faites.
Avez-vous le sentiment de rechercher la Libération ou êtes-vous en train de
vous forcer ? Etre libre, c’est savoir ce qui ce passe maintenant, c’est
ressentir que le cœur est inébranlable.
…… (Méditation silencieuse.)
Faire confiance à ce que l’on a vécu, à ce que l’on a
ressenti. Etre conscient de ce qui
s’est passé. Faire confiance à ce
qui est, ici et maintenant.
……
Avant de vous coucher ce soir et demain matin au
réveil, rappelez-vous l’intention qui vous a conduits à ce lieu de retraite.
QUESTION : Quand la détente s’installe, je sens
de la tristesse qui monte.
Cette tristesse empêche-t-elle de voir clairement ce
qui ce passe ?
Oui, je vois
la tristesse et ça me distrait.
Il y a deux choses que l’on peut faire pour éviter
d’être distrait. La première, c’est
prendre conscience de cette distraction et puis de retourner à l’objet premier
de la méditation. La deuxième, si
l’objet de distraction est très fort et persistant, consiste à le transformer
lui-même en objet de contemplation.
Nous pouvons traiter tous les obstacles de la même manière, pour pouvoir les
dépasser, d’abord, et puis finir par les lâcher complètement.
On peut encore ajouter quelque chose à cette manière
de traiter les obstacles : avant de commencer à méditer, on peut se poser
une question formulée très clairement — par exemple, dans ce cas précis :
« Que signifie cette tristesse ? ».
On n’aura pas forcément la réponse au cours de la méditation mais on l’aura
plus tard.
La tristesse est une émotion parfois très compliquée. S’il s’agit simplement d’un sentiment de lassitude
par rapport au monde, elle peut être un encouragement pour continuer à pratiquer. Mais si elle est liée à un sentiment d’aversion,
comme c’est parfois le cas, même de manière subtile — « Je ne veux pas que
ceci se produise » ou « Je n’aurais pas voulu que les choses se
passent ainsi » — il faut commencer par reconnaître qu’il s’agit d’une
forme d’aversion.