Le Dhamma de la Forêt

La Liberté 

Ajahn Vajiro


Traduction par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/

 

 Ce texte est la transcription d’un enseignement donné par Ajahn Vajiro, du 11 au 13 novembre 2005, au « Refuge », Centre Bouddhique d’Etude et de Méditation.

Troisième jour :

Matinée du dimanche 13 novembre 2005

Nous avons parlé du fait de « donner », d’accorder de l’attention à ce qui nous entoure et à ce qui nous habite, ainsi que de l’attitude et l’intention qui sont derrière cette offrande d’attention, cette attitude qui consiste à offrir, sans chercher à gagner quoi que ce soit de la situation. La contrepartie de cette offrande, c’est la capacité à « recevoir » de la pratique de méditation que l’on a entreprise. Quand l’objet de méditation est la respiration, il s’agit de savoir recevoir la respiration, l’accueillir pleinement, en faire l’expérience totale. Voir ainsi que dans la méditation, il y a, d’une part, le don de l’attention et, d’autre part, un cadeau à recevoir de la pratique.

Par exemple, si on pratique l’attention à travers un « balayage » du corps, on « reçoit » des sensations physiques. De même, si on pratique l’attention au corps qui consiste à prendre conscience des 32 parties du corps et à les examiner l’une après l’autre — en particulier les cheveux, les poils, les dents, les ongles et la peau — l’intérêt est de « recevoir » profondément tout ce qui émerge de cette observation.

Il y a deux termes palis pour parler des formes de méditation : vitakka et vicāra. Vitakka consiste à choisir un objet de méditation et s’en saisir, tandis que vicāra correspond à tenir cet objet en main, l’examiner et le ressentir pleinement. C’est un travail de la pensée mais on laisse aussi émerger de l’intérieur ce qui vient, on « reçoit ». Cela correspond aux termes que j’ai employés : donner et recevoir. C’est la même chose. L’idée de recevoir les choses telles qu’elles sont, sans souhaiter qu’elles soient autrement et la capacité de supporter ces choses, si nécessaire.

Je me souviens qu’en Thaïlande les moustiques me mettaient très en colère, alors qu’en fait ils étaient supportables. En Occident, où il n’y a que peu d’insectes, on est parfois terriblement agacé par une simple petite bête qui se pose sur le visage pendant la méditation. En réalité, c’est une chance quand ce genre de chose se produit, parce que cela nous oblige à être très clairs dans notre ressenti. Sachant que ce n’est pas dangereux, que sommes-nous capables de supporter ? Pouvons-nous simplement « recevoir » cet élément dans notre méditation ? Pratiquons avec les petites choses comme celles-ci, parce que la vie risque de devenir de plus en plus difficile avec l’âge ! ...

QUESTION : Pour quelle raison faut-il supporter ?

C’est un exercice d’endurance, pour apprendre à développer la patience dans une situation que l’on maîtrise et dans laquelle on se souhaite vraiment d’être bien. Un insecte qui se déplace sur le visage, ce n’est pas un poids très lourd à supporter, comparé à certaines situations de la vie — même si on a l’impression que c’est absolument in-sup-por-table !

Si on apprend à développer une capacité d’endurance dans les petites choses, on pourra supporter davantage dans la vie. Par contre, si on n’est pas capable de supporter les petits désagréments, on va avoir beaucoup de mal à survivre aux choses graves de la vie sur lesquelles on n’aura aucun contrôle. Le simple fait de se souvenir que l’on a été capable de supporter des moments difficiles, de savoir que ce que nous considérions comme insupportable a pu être supporté, va nous aider au moment où quelque chose d’apparemment insupportable va nous arriver dans la vie car nous aurons fait l’expérience d’un sentiment semblable qui a évolué et s’est transformé. « Ce n’est pas sûr. Tout est incertain, anicca. Tout peut changer ». On peut se détendre dans ce dhamma. La limite de ce que l’on croyait impossible va se déplacer.

C’est très beau de se trouver à la limite de sa perception — même si c’est un peu effrayant aussi.

QUESTION : Est-ce aussi une façon d’échapper aux schémas habituels d’attraction - répulsion ?

Pas pour y échapper mais pour ne pas se laisser influencer, gouverner par eux. On est conscient de ce que les choses sont vraiment, de ce qu’une sensation est vraiment. Les sensations révèlent leur véritable nature : elles sont impermanentes, elles créent une tension, elles n’ont rien de personnel et ne peuvent donc pas être sous notre contrôle.

Quand le cœur-mental permet que les choses nous soient révélées ainsi, toute notre attitude vis-à-vis de ces choses-là change. Soudain vous pouvez supporter facilement le passage d’un insecte sur le visage ou la piqûre d’un moustique.

QUESTION : Jusqu’où aller dans cette attitude d’endurance, cette non-réaction à la douleur ? Quel est l’intérêt de se laisser piquer par une abeille, par exemple ?

J’ai entendu parler d’un Tibétain qui est resté de longues années à être torturé en prison et dont la plus grande peur était d’en venir un jour à détester ses bourreaux. C’était un peu plus dur à supporter que la piqûre d’un insecte.

Il y a aussi des moines qui se sont fait mordre par un scorpion pendant qu’ils faisaient les récitations (chanting) et cela ne les a pas arrêtés. Ces choses-là sont relativement faciles à supporter. Par contre, je ne vous encouragerais pas à subir sans rien dire une douleur interne, un genou qui fait trop mal, un problème physiologique, parce que l’on peut causer de véritables dégâts à son corps à vouloir endurer certaines choses. Mais un insecte qui chatouille ou qui pique, c’est très supportable … si l’on peut ! Si on ne peut pas, on ne peut pas — mais c’est bien de le savoir.


Matinée du dimanche 13 novembre 2005

Etre libre de toute confusion mentale, c’est voir les choses telles qu’elles sont réellement. Ce n’est pas ainsi que nous les voyons habituellement. Nous aimons considérer les choses comme étant agréables, durables et personnelles. C’est ce que l’on appelle les « perversions » mais le mot est un peu fort. Personne n’a envie de croire qu’il est perverti. On peut aussi dire, de manière plus neutre, les « déformations ».

Ajahn Chah aimait bien amener les gens à cette limite dont nous avons parlé tout à l’heure, qui se situe au bord du connu, quand on est face à l’inconnu. A cet endroit, on connaît le doute, l’incertitude ; ce n’est pas particulièrement attrayant au premier abord mais, personnellement, je trouve cet espace de plus en plus attirant. Le doute est l’un de ces « empêchements », de ces obstacles qui nous lient mais c’est aussi un portail ; on peut le considérer comme un portail qui s’ouvre sur l’inconnu — si on est capable d’endurer le doute.

La question est : Qu’est-ce que je perçois véritablement en cet instant ? Suis-je en train d’évoluer dans mes habitudes en mettant des étiquettes partout, en recherchant le plaisir et le confort dans tout ce que je fais ? Ou bien suis-je capable de rester à la limite de la perception sans véritablement savoir ce que je perçois, ce qui se passe ? Est-ce que c’est un espace agréable ?

Non. C’est un lieu de peur.

Un lieu de peur, oui … Quand on ne sait pas ce qui va se passer, on a deux possibilités (peut-être plus, mais nous allons simplifier) : soit on décide que cela fait peur, soit on décide que c’est passionnant, que c’est un beau cadeau qui nous arrive, emballé dans cette situation inconnue. On n’a peut-être pas envie de savoir ce que cache l’emballage. Il peut être passionnant de ne pas savoir.

QUESTION : Que peut-on faire contre l’endormissement pendant la méditation ?

Le Bouddha a proposé dix solutions et la dernière est simplement d’aller se coucher avec l’intention de se réveiller vite. Sinon, les autres recommandations sont, par exemple, ouvrir les yeux, se tirer les oreilles, visualiser de la lumière, se rafraîchir le visage avec de l’eau, sortir regarder les étoiles, passer à la méditation en marchant … L’important est d’avoir la conscience de l’instant où vous basculez dans le sommeil. Bien sûr, c’est ce qui est le plus difficile !

Pour combattre l’endormissement et la torpeur, on recommande aussi de réfléchir à certains enseignements du Bouddha ou de réciter des listes comme les douze étapes de l’Interdépendance, les trente-sept bodhipakkhiya dhamma ou composants de l’Eveil, l’Octuple Sentier, les Quatre Noble Vérités, les Quatre Fondements de l’Attention, le nom des vingt-huit Bouddhas, ou encore de se remémorer les paroles d’un « chanting ». L’idée est d’utiliser délibérément les facultés mentales de la pensée et de la mémoire pour s’éveiller. Il y a aussi le petit truc qui consiste simplement à se poser une boîte d’allumettes sur la tête - si elle tombe parce que nous dodelinons du chef, nous nous réveillons aussitôt !

Souvent le problème est que l’on s’installe en méditation pour se calmer, pour se détendre et être bien … si bien que l’on s’endort !

Il est important d’avoir plaisir à méditer pour ne pas sombrer dans l’ennui. Mais parfois, s’endormir en méditation devient une habitude qui correspond à un désir d’oubli, de fuite. Ou bien, si on vit dans la colère, on peut vouloir tirer le rideau dessus pendant un moment ... Mais parfois il s’agit simplement d’une petite torpeur pendant la digestion !

QUESTION : L’état de « non-savoir » correspond-il au fait de percevoir des phénomènes intérieurs ou extérieurs avant que la pensée n’intervienne — jugements, concepts, etc. ?

C’est effectivement un espace qui se situe avant que la pensée s’éveille. C’est un peu comme se réveiller un matin dans un lieu inconnu. La première perception sera peut-être celle de la lumière et de l’obscurité, un début de forme. Ensuite, peut-être, l’idée d’une fenêtre et là vous commencez à sentir l’apparition de la pensée. Ensuite, il y a le sentiment de « moi dans cette pièce » et, enfin, toute l’histoire qui m’a fait arriver à cette pièce.

Donc la perception est présente avant la pensée. Quand on est assis en méditation, on peut surveiller les sens : les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit. Etre le gardien de ses sens, se poster juste au lieu de contact. C’est cela la limite, c’est là qu’il faut être.

QUESTION : Est-ce que l’état de « non-savoir » conjugué au calme mental et à la clarté d’esprit que nous cultivons dans la méditation conduisent à la réalisation naturelle des trois caractéristiques de l’existence : anicca, dukkha et anatta ?

Effectivement, c’est cela qui permet aux trois caractéristiques de se révéler.

Vous pouvez passer beaucoup de temps à penser à la façon dont fonctionnent les choses, dont apparaissent anicca, dukkha et anatta, mais cela ne fait qu’ajouter plus de doutes. Rien ne sera transformé à l’intérieur. Le Dhamma se révèle tout seul et il le fait à chaque instant.

QUESTION : J’ai l’impression que la réalisation de ces trois caractéristiques de l’existence est une porte d’accès au nibbana, même si ce n’est pas la Libération elle-même puisque le nibbana semble indescriptible et inconcevable.

Etre libre de toute confusion mentale, de toute avidité et de toute aversion. Selon moi, tel est le moyen « pratique » d’atteindre le nibbana. C’est comme cela que je décrirais la Réalisation.

C’est vrai qu’il est très difficile de décrire une chose qui est une absence — comme il serait difficile de décrire un éléphant qui ne serait pas présent !

QUESTION : Le fait de ne pas nommer, de ne pas mettre de mots sur la perception, aide-t-il à rester au bord de cette limite de la perception ?

Il y a des gens qui ne pensent pas avec des mots. Le « non-savoir » c’est rester sur le bord, avant le mot lui-même.

Il y a le fait de savoir et puis d’être conscient de la qualité de ce savoir et enfin savoir que l’on est conscient de ce savoir. Le processus retourne sur lui-même. Je n’essaie pas de compliquer les choses mais c’est ainsi que cela fonctionne. Il est bon de le savoir de façon à ne pas être prisonnier de l’habitude de ne pas savoir ce qui se passe en nous. L’habitude est aveugle et nous nous laissons guider par elle.

QUESTION : Le fait de « savoir » précède donc la perception ?

Oui. Savoir, être conscient de ce qui est, précède la perception et la pensée. Ce « savoir », cette conscience, c’est le Bouddha en nous qui connaît le Dhamma, c’est cette connaissance imminente, indépendante de tout objet de connaissance.


Après-midi du dimanche 13 novembre 2005

Je voudrais parler des Cinq Préceptes. Quand on en a une compréhension claire et profonde, ils permettent, d’une part, de comprendre toute la question du karma que l’on crée et, d’autre part, ils sont une forme de protection dans la vie spirituelle.

Je sais que c’est difficile à dire en France, mais je voudrais insister sur l’importance du cinquième Précepte. La première fois que je me suis senti ivre, c’était en France ! J’étais petit garçon et on m’a servi du vin avec un peu d’eau, comme on fait ici pour les enfants mais ça m’a rendu ivre — et malade aussi, d’ailleurs !

De nos jours, c’est un fait acquis qu’une petite quantité d’alcool empêche de conduire correctement une voiture. Il n’en faut pas beaucoup pour que l’on ne soit plus parfaitement maître de ses réflexes, même si on ne se sent pas ivre du tout. Il est reconnu aujourd’hui que, dans cet état, on est un danger sur la route, pour soi et pour les autres.

Est-ce que vous conduisez souvent votre vie plus ou moins sous l’influence de l’alcool ?

De nombreuses décisions sont prises, dans le monde des affaires ou de la politique, autour d’une bonne table où les apéritifs et le vin coulent à flots. Avec une telle consommation d’alcool on ne serait pas autorisé à conduire mais on est autorisé à prendre des décisions qui concernent des milliers ou des millions de personnes ! Je trouve cela plutôt triste.

Si vraiment on est incapable de suivre ce précepte, je trouve important d’en être clairement conscient. Cela rejoint le quatrième précepte sur la parole juste. Mieux vaut être conscient que l’on n’a pas tenu le précepte et le reprendre en essayant de le tenir cette fois, que prétendre qu’on ne l’a pas enfreint et ajouter le mensonge au problème initial. Si c’est vraiment trop difficile, on peut aussi s’engager à ne suivre les Cinq Préceptes que certains jours particuliers et faire un effort à ce moment-là.

En ce qui concerne le quatrième Précepte, la parole juste — c’est-à-dire, notamment, s’abstenir de mentir — il est aussi important d’y voir très clair. Est-ce qu’on a menti ? Est-ce qu’on a tendance à mentir ? Est-ce qu’on est en train de mentir dans l’instant ? Ne pas se dire avec trop d’indulgence qu’on a parlé un peu vite, sans réfléchir ou qu’on a un peu exagéré mais être conscient qu’on n’a pas dit la vérité. Ce qui nous intéresse, c’est la vérité. Si on contrefait la vérité, indirectement on perd de sa force.

Le troisième Précepte concerne notre relation à cette énergie très puissante qu’est la sexualité — puissante au point d’être à l’origine de la vie humaine ! Quelle relation pouvons-nous avoir avec la sexualité pour qu’elle soit une bénédiction et non une cause de souffrance, de pouvoir ou d’abus ? Il n’y a rien de mal dans la sexualité, c’est au contraire très beau, mais quand elle n’est pas utilisée ainsi, elle peut causer énormément de souffrance.

Le second précepte, c’est prendre délibérément une chose qui ne nous a pas été offerte, tout en sachant qu’elle appartient à quelqu’un d’autre. Cela peut aller plus loin que le vol évident. Par exemple, tricher dans sa déclaration d’impôts : il y a une différence entre essayer de payer le moins d’impôts possible en utilisant toutes les ficelles légales et mentir sur les montants annoncés. Il y a aussi la question des logiciels … Oui, je sais que vous n’avez pas envie d’entendre cela mais je suis obligé de faire mon travail ! … Je ne sais pas si vous allez m’inviter à nouveau !!

Parfois nous n’avons pas conscience des conséquences de nos actes. Nous croyons bien faire et nous ne voyons pas que nous nous fourvoyons. Mon rôle, je crois, c’est justement de vous faire prendre conscience de ces choses. Il ne s’agit pas vous attaquer et encore moins de vous culpabiliser. Mais si je ne vous présentais pas une image claire de ce que signifient les Préceptes, j’aurais l’impression de ne pas vous donner une vision complète des choses et de vous priver d’outils de travail. Ensuite, vous êtes libre de décider de ce que vous voulez en faire, de ce que vous voulez travailler ou pas, au quotidien.

Souvenez-vous de tout cela, au moins quand vous venez dans ce lieu, pratiquer comme aujourd’hui : au moment où vous êtes assis en méditation, les Cinq Préceptes sont préservés ! C’est un exercice de prise de conscience.

Ces Préceptes sont un outil extrêmement utile pour nous aider à nous libérer de la confusion mentale, de l’avidité et de l’aversion. Si vous voulez être absolument sûr de ne jamais aller en enfer, l’un des moyens est d’observer les Préceptes car il est écrit que « les portes de l’enfer sont fermées à ceux qui observent les Cinq Préceptes » ! On a également plus de chances de renaître dans un corps humain. Par contre, le précepte qui concerne l’alcool est celui qui nous rapproche le plus du monde animal à cause de la désensibilisation qui se produit quand on est ivre.

QUESTION : Je pensais que le premier précepte, respecter la vie, était le plus important.

Ne tuez pas vos parents, c’est important, oui ! Mais si vous avez des parasites intestinaux, il va falloir les tuer. Si votre maison est infestée d’animaux ou d’insectes, il peut être nécessaire de tuer. Il est quasiment impossible d’éviter certaines formes de mort, même si vous êtes végétalien.

QUESTION : Je vais me faire l’avocat du diable, alors, et vous demander : si quelqu’un m’attaque, ai-je le droit de le tuer ?

Si vous tuez un être humain intentionnellement, il y aura des conséquences. Par exemple, la version monastique du premier précepte c’est aussi ne pas encourager quelqu’un à abréger la vie d’un être humain, sinon on perd automatiquement le statut de moine. C’est une offense très grave.

Quand les gens viennent au monastère demander une bénédiction à l’occasion de leur anniversaire, j’essaie de les persuader de prendre les Cinq Préceptes pour la journée pour leur éviter d’aller boire le soir ! Parfois ils rient et ils acceptent ! Quand on me demande de donner une bénédiction, je réponds : « La plus grande bénédiction que vous puissiez recevoir pour vous et pour les autres, c’est d’observer les Cinq Préceptes ».

En ce qui me concerne, je vois que les personnes en qui j’ai confiance sont des personnes qui observent les Cinq Préceptes. Il est moins facile de faire confiance à des gens qui ne les observent pas. Ils pourraient être ivres, me mentir, essayer de m’exploiter sexuellement, de me voler ou de me tuer !

Mais qui est la personne en laquelle on peut avoir le plus confiance ? … Soi-même ! C’est être généreux envers vous-même et les autres que de prendre et de garder les Cinq Préceptes.

QUESTION : Que dire de l’alcool comme remède ? Le vin rouge, par exemple, très symbolique et « bon » dans la religion chrétienne est recommandé pour lutter contre les problèmes de cœur ou la maladie d’Alzheimer. Pourquoi dire que toute consommation d’alcool est quelque chose de mal ?

Je n’ai jamais dit que c’était mal … Mais les gens qui disent que c’est bon pour le cœur oublient qu’il est encore meilleur de faire vingt minutes d’exercices quotidiens … même si c’est moins agréable au goût ! Je ne dis pas cela pour vous culpabiliser, seulement pour que les choses soient aussi claires que possible. Il vaut mieux être clair avec vous-même : savoir que vous avez effectivement enfreint un précepte et savoir pourquoi vous l’avez fait ; ainsi vous ne prétendez pas que vous respectez parfaitement les Préceptes et vous ne vous sentez pas coupable au fond. La culpabilité n’a rien de bon ­— le Bouddha n’en a jamais rien dit de bon — pas plus que le blâme. Ils ne font que renforcer le sentiment d’un « moi ». Par contre, ce qui protège le monde, c’est un honnête sentiment de honte par rapport au respect de soi et un état d’attention par rapport à ce qui est dangereux. Le Bouddha appelle cela les « gardiens » du monde. Par contre la culpabilité n’est jamais louée par le Bouddha, c’est quelque chose que l’on ajoute à une situation donnée. Etre simplement conscient de ce que l’on fait, « savoir ».

QUESTION : Je ne suis pas sûre que le Bouddha ait parlé des logiciels …

En fait, le précepte concernant le vol est la seconde des règles majeures des moines. Il y a quatre règles de ce type dont la transgression entraîne automatiquement la fin du statut de moine. La première concerne toute relation sexuelle ; la seconde concerne le vol sous toutes ses formes ; la troisième, raccourcir délibérément la vie d’un être humain ; la quatrième, prétendre avoir atteint un certain degré d’éveil ou de pouvoir sachant que ce n’est pas le cas. Si l’une de ces règles n’est pas respectée, je ne suis plus moine et je ne pourrai plus jamais le redevenir dans cette vie.

Donc, pour en revenir au second — concernant le vol et les logiciels ! — il inclut un nombre incroyable de détails sur le fait de priver qui que ce soit de quoi que ce soit, d’un revenu d’argent par exemple.

QUESTION : Je ne comprends pas pourquoi la chasteté est imposée aux moines et aux nonnes parce que la chasteté n’est pas un facteur d’Eveil. Une relation sexuelle saine et honnête ne porte pas préjudice comme le vol, le mensonge, etc.

Par définition, la vie d’un moine ne doit comporter aucune forme de relation sexuelle. Il suffit de savoir ce que l’on veut. Si j’ai envie de relations sexuelles, je renonce à l’état de moine. Il est très facile de quitter la vie de moine. Il suffit de dire à quelqu’un qui comprend ce que cela signifie : « Je ne veux plus être moine » et c’est fait ! Je n’ai pas besoin de la permission de quelqu’un d’autre et personne ne me blâmera pour cela. Alors, au lieu d’avoir une relation sexuelle pendant que je suis moine — ce qui me priverait de pouvoir redevenir moine plus tard — il suffit que je dise ces mots à quelqu’un qui en comprend toute la portée et puis j’abandonne l’état de moine. On peut faire cela au maximum sept fois dans sa vie, je crois.

La chasteté fait partie des Huit Préceptes — et bien sûr des 227 Préceptes du Vinaya pour les moines. Dès que l’on devient novice on prend les Huit Préceptes. On demande aussi aux laïcs qui vivent dans un monastère ou qui suivent des retraites assez longues et intensives, de prendre les Huit Préceptes et donc de respecter une chasteté complète pendant ce temps.

Quant à l’importance de la chasteté pour l’Eveil, on dit que les trois premières des quatre étapes qui mènent à l’Eveil suprême sont accessibles à tous mais qu’il faut être moine ou nonne pour accéder au 4ème niveau. Ceci dit, je connais l’histoire d’une femme qui, à l’âge de 7 ans avait déjà atteint le premier stade d’Eveil et qui était complètement réalisée à 16 ans. Ensuite elle s’est mariée et a eu de très nombreux enfants …

Les quatre étapes de l’Eveil sont :

1/ Sotāpanna : celui qui est entré dans le courant. Il est libéré de trois des Empêchements : le doute, la croyance en un « soi » et l’attachement aux rites et aux rituels.

2/ Sakadāgāmī : celui qui ne reviendra qu’une fois. Il n’a plus que de très faibles sentiments de désir et d’aversion.

3/ Anāgāmī : celui qui ne reviendra pas. Presque complètement réalisé, il trouve encore un certain délice dans les formes immatérielles et raffinées.

4/ Arhat : littéralement « l’émancipé », celui qui s’est libéré de tout et en particulier des attachements les plus subtils dans les domaines de l’agitation, de l’orgueil d’être et de l’ignorance.

QUESTION : Pouvez-vous nous parler de votre contact personnel avec Ajahn Chah ?

Je ne l’ai connu que vers la fin de sa vie. Je l’ai rencontré en 1977 en Angleterre et à nouveau quand il est revenu en 1979. A ce moment-là, j’étais déjà novice, anagarika. Il était extrêmement gentil. Il avait l’air à l’aise partout où il allait, il ne semblait jamais déplacé. Il m’a appris comment sécher un bol de moine. A une époque, j’étais chargé de laver son bol. Un jour il est venu vers moi et avec l’aide d’un moine qui traduisait — je ne savais pas parler thaï et il ne parlait pas anglais — il m’a montré comment prendre soin d’un bol. A cette époque Ajahn Sumedho était dans les parages. Ajahn Chah m’a dit : « Je t’apprends à prendre soin d’un bol et Ajahn Sumedho t’apprendra comment atteindre l’Eveil. »

Quand je suis arrivé en Thaïlande, Ajahn Chah venait de rentrer lui aussi.Quelqu’un est venu me chercher à l’aéroport et m’a accompagné là où se trouvait encore Ajahn Chah. C’était le matin et nous avons partagé le repas. Il s’est vraiment inquiété de savoir si j’avais assez à manger et si tout allait bien pour moi, alors que je n’étais qu’un jeune moine au bout de la file.

J’espérais être rapidement ordonné moine mais, suite à certaines circonstances, les choses ne se sont pas passées ainsi. J’étais bloqué en Thaïlande, je ne pouvais plus partir parce que je n’avais pas d’argent, alors je vivais au monastère et je pratiquais — c’est tout ! D’abord, j’étais anagārika, novice en blanc, ensuite sāmanera, novice en tenue de moine. Personne n’était resté sāmanera aussi longtemps que moi ! Nous étions quatre à nous préparer à être ordonnés moines. Il nous a fallu coudre nos robes, préparer la teinture et les teindre et puis apprendre certaines récitations par cœur. Quand tout a été prêt, nous avons essayé de demander à Ajahn Chah à quelle date il allait nous ordonner mais rien à faire ! Il ne voulait pas nous le dire !

Nous étions prêts depuis le mois de février et puis le temps a passé. Wesak est arrivé au mois de mai … toujours rien ! Nous allions régulièrement voir Ajahn Chah et nous lui demandions : « Quand allons-nous être ordonnés ? Nous sommes prêts. Nous avons nos robes, nous connaissons les ‘chantings’, nous savons ce qu’il y a à faire pendant la cérémonie. Cela fait un moment que nous attendons … ». Il ne voulait rien nous dire. Simplement : « Pas aujourd’hui » ! Et puis un après-midi, nous y sommes allés vers16 ou 17h — je crois qu’à ce moment-là aucun de nous ne souhaitait encore être moine ! — et Ajahn Chah a dit : « Allez balayer la salle ». Il n’y avait que quelques moines présents au monastère et ce soir-là, vers 19 ou 20h, dans l’obscurité, notre cérémonie a eu lieu. Il y avait un seul laïc présent et peut-être huit moines, pas plus et une seule personne pour faire le « chanting » formel alors qu’il faut normalement être deux.

C’était en 1980, juste le jour de mon 27ème anniversaire … Et nous sommes encore moines tous les quatre ! Les choses sont incertaines …

Quand il était prévu qu’Ajahn Chah vienne en Angleterre, il disait aux gens : « Si les causes et les conditions vont dans ce sens, j’irai en Angleterre ». Il laissait toujours planer un doute autour des choses. Si tout se passe bien, les choses se feront et sinon … c’est comme ça !

Alors, si on annonce haut et fort : « Je rentre à la maison ! » on doit savoir que peut-être, effectivement, on va rentrer mais peut-être pas. Si on dit : « J’ai l’intention de rentrer chez moi », on s’aperçoit que l’on est beaucoup plus proche de la vérité, de ce qui est. On s’habitue aussi à vivre avec l’incertitude. Le cœur grandit. Les choses sont plus vivantes.