Le Dhamma de la Forêt |
En ouvrant notre esprit, en « lâchant prise », nous portons notre attention sur un point unique, nous sommes un simple observateur, le témoin silencieux et conscient de ce qui va et vient. Avec vipassanā (la vision pénétrante), nous utilisons les trois caractéristiques de anicca (le changement), dukkha (le caractère insatisfaisant) et anattā (l’absence d’identité propre) pour observer les phénomènes relatifs au corps et au mental. Nous libérons ainsi l’esprit de sa tendance à refouler les choses aveuglément. Si nous faisons une obsession sur des pensées futiles, par exemple, ou sur des peurs, des doutes, des angoisses ou de la colère, il ne sera pas utile de les analyser, nous n’avons pas à comprendre pourquoi ces pensées nous obsèdent, simplement à les amener sous le projecteur de la conscience.
Si vous avez très peur de quelque chose, ayez-en peur consciemment. N’évitez pas d’y penser, observez plutôt votre désir de vous en débarrasser. Faites complètement remonter à la surface ce qui vous fait peur, pensez-y délibérément et écoutez-vous penser. Il ne s’agit pas d’analyser cette peur mais de l’amener jusqu’au bout absurde de son parcours, là où elle devient si ridicule que vous pouvez en rire. Ecoutez aussi le désir, cette pensée folle qui dit : « Je veux ceci, je veux cela, il faut absolument que je l’aie, je ne sais pas ce que je ferai si je ne l’obtiens pas … » Parfois l’esprit se met à hurler « Je le veux ! » et vous êtes simplement là, à l’écouter.
J’ai lu un article sur les groupes de thérapie où les gens se crient à la figure toutes les choses qu’ils ont refoulées jusque là. C’est une espèce de catharsis, une forme de délivrance, mais il y manque réflexion et sagesse. Il manque la capacité d’écouter ces cris avec recul, de voir sa colère comme un phénomène conditionné au lieu de « se défouler » à dire ce que l’on pense. Il manque à l’esprit cette stabilité qui permet d’accueillir les pires pensées. Quand nous en sommes capables, nous voyons clairement que nos problèmes ne sont pas « personnels ». Mentalement, nous pouvons amener la peur et la colère jusqu’à leurs limites absurdes et voir alors qu’elles ne sont qu’un enchaînement naturel de pensées. Nous accueillons délibérément toutes les choses dont nous avons peur, non pas aveuglément mais en témoin, en les écoutant et les observant comme les « conditions mentales » qu’elles sont et non comme des problèmes ou des échecs personnels.
Donc, dans notre pratique, nous apprenons à ne plus saisir nos pensées obsessionnellement mais à les observer puis à les laisser passer. Il ne s’agit pas non plus d’aller chercher des sujets d’investigation mais quand les pensées se présentent d’elles-mêmes de manière répétitive, quand elles vous obsèdent et vous dérangent et que vous sentez l’envie de vous en débarrasser, mettez-les au contraire plus en lumière. Pensez-y consciemment et écoutez ce qui vient à l’esprit comme si vous écoutiez une vieille commère parler : « Nous avons fait ceci et nous avons fait cela et puis nous avons fait ceci et puis nous avons fait cela … » et la vieille dame n’en finit pas de radoter ! Exercez-vous à écouter simplement le son de cette voix sans la juger. N’allez pas penser : « Oh, j’espère que ce n’est pas moi, que ce n’est pas ma vraie nature » ni essayer de la faire taire : « Vieille râleuse, fiche le camp ! » Nous avons tous cette tendance ; je l’ai moi aussi. Mais ce n’est qu’un phénomène conditionné tout à fait naturel, pas une personne.
Notre tendance à nous lamenter — « Je me donne tellement de mal et personne n’apprécie ce que je fais » — est donc une condition, pas une personne. Quand vous êtes de mauvaise humeur, vous constatez souvent que les gens font tout de travers et même quand ils font les choses bien, ils les font mal ! C’est encore une condition de l’esprit, pas une personne. La mauvaise humeur, cet état d’esprit désagréable, n’est qu’une condition qui, comme toutes les conditions, est anicca (changeante), dukkha (insatisfaisante) et anattā (sans identité propre). Et puis il y a la peur de ce que les autres vont penser de vous si vous arrivez en retard. Vous avez oublié de vous réveiller, vous entrez et vous commencez à vous demander ce que les autres vont penser de vous et de votre retard — « Ils croient que je suis paresseux ». S’inquiéter de ce que pensent les autres est aussi une condition du mental. Ou bien vous êtes toujours à l’heure et quelqu’un arrive en retard et vous vous dites : « Il est toujours en retard celui-là. Il ne pourrait pas être à l’heure, pour une fois ! ». C’est encore une condition du mental.
J’aborde ces choses triviales pour les mettre en pleine lumière parce que nous avons tendance à les refouler du fait de leur trivialité et parce que les choses triviales ne nous intéressent pas. Mais voilà, quand on ne s’y intéresse pas, elles sont réprimées et finissent par causer un problème. Nous commençons à être inquiets, mécontents de nous et des autres ou bien déprimés et tout cela vient de notre refus d’accueillir consciemment les conditions mentales, les petites choses comme les choses horribles.