Le Dhamma de la Forêt |
Tout le monde connaît la souffrance, mais ne comprend pas réellement la souffrance. Si nous comprenions réellement la souffrance, alors nous cesserions de souffrir.
Les Occidentaux sont en général très pressés, alors ils connaissent les extrêmes du bonheur et de la souffrance. Le fait qu’ils connaissent davantage de kilesa (obscurcissements mentaux et émotionnels) peut être une source de sagesse par la suite.
Pour vivre une vie de laïc tout en pratiquant le Dhamma, on doit être dans le monde mais rester au-dessus de lui. Sila (la vertu), qui commence avec les cinq préceptes de base, est à l’origine de tout ce qui est bien. Sila peut retirer tout ce qui est négatif dans l’esprit, retirer ce qui cause la douleur et l’agitation. Lorsque ces bases de la souffrance s’en seront allées, l’esprit sera toujours dans un état de samadhi (calme mental).
Au départ, il faut affermir et stabiliser sila. Il faut pratiquer la méditation formelle quand vous en avez l’opportunité. Quelquefois ce sera bien, d’autres fois, non. Ne vous en souciez pas, continuez tout simplement. Si les doutes surviennent, vous devez comprendre qu’ils sont impermanents, comme tout ce qui se produit dans l’esprit.
Si vous vivez dans le monde tout en pratiquant la méditation, certains vous regarderont bizarrement — comme un gong que l’on ne frapperait pas et qui ne produirait aucun son. Ils penseront que vous êtes inutiles, des fous ou des perdants ; mais en fait, c’est tout le contraire.
A partir de sila, samadhi arrivera, mais pas encore la sagesse. Il faudra d’abord observer le fonctionnement de l’esprit : voir les attirances et les répulsions apparaître à partir des contacts sensoriels, et ne pas s’y attacher.
Ne soyez pas inquiets quant au résultat ou à la rapidité des progrès. Un enfant commence par ramper, ensuite il apprend à marcher, puis à courir et lorsqu’il a fini de grandir, il peut faire la moitié du tour de la planète pour venir en Thaïlande.
Si dana (la générosité, le don), est pratiqué avec de bonnes intentions, il peut apporter du bonheur, à soi et aux autres. Mais tant que sila n’a pas atteint sa plénitude, donner n’est pas un acte vraiment pur parce que nous pouvons prendre à une personne pour donner à une autre.
Chercher les plaisirs et avoir du bon temps est sans fin, on n’est jamais satisfait. C’est comme une jarre d’eau qui serait percée. Vous essayez de la remplir, mais l’eau ne cesse de couler. Par contre, la paix de la vie méditative a une fin précise, elle met un terme au cycle de la quête incessante des plaisirs. C’est comme boucher le trou de la jarre !
Moi-même, je n’ai jamais beaucoup questionné mes maîtres, j’ai toujours préféré écouter. Je voulais entendre ce qu’ils avaient à dire, que cela soit vrai ou faux n’avait pas beaucoup d’importance. Ensuite, je le pratiquais, tout simplement. C’est la même chose pour vous qui pratiquez ici. Vous ne devriez pas avoir tant de questions. Si vous savez garder une constante pleine conscience, alors vous pouvez examiner vos propres états mentaux : vous n’avez besoin de personne pour observer vos états d’esprit.
Une fois, alors que je vivais auprès d’un ajahn (maître de méditation), j’ai dû me coudre un nouveau vêtement. A cette époque, il n’y avait pas de machines à coudre, nous devions coudre à la main et c’était une expérience éprouvante. Le tissu était très épais et les aiguilles émoussées ; on se piquait sans cesse avec l’aiguille, les mains devenaient endolories et les gouttes de sang tachaient le tissu. Comme la tâche était difficile, j’avais hâte d’en finir. J’étais à ce point absorbé dans mon travail que je ne remarquai même pas que j’étais assis sous le soleil torride, dégoulinant de sueur.
L’ajahn vint me voir et me demanda pourquoi j’étais assis en plein soleil et non dans un endroit plus frais. « Pourquoi te dépêches–tu ainsi ? », me demanda-t-il. « Je veux terminer ce travail pour pouvoir aller pratiquer la méditation assise et la méditation marchée », lui ai-je répondu. Alors, il me demanda : « Et quand notre travail se termine-t-il ? ». Interloqué, je vis soudain les choses autrement.
« Notre travail n’est jamais terminé, m’expliqua-t-il. Nous devons utiliser les occasions comme celle-ci pour entraîner l’attention, et quand tu as travaillé suffisamment longtemps, tu peux arrêter. Tu poses ton ouvrage et tu poursuis ta pratique assise et en marchant. »
A partir de ce moment-là, j’ai commencé à comprendre son enseignement. Avant, quand je cousais, mon esprit aussi cousait et même quand je mettais de côté mon travail de couture, mon esprit continuait à coudre. Une fois que j’ai compris l’enseignement de mon maître, j’ai enfin pu poser mon ouvrage de couture. Quand je cousais, mon esprit cousait, quand je posais mon ouvrage de couture, mon esprit faisait de même. Quand j’arrêtais de coudre, mon esprit aussi cessait de coudre.
Sachez distinguer le bien du mal quand vous voyagez ou quand vous vivez quelque part. Vous ne trouverez pas la paix sur une montagne ou dans une grotte ; vous pouvez vous rendre à l’endroit où le Bouddha connut l’Eveil, sans pour autant être plus proche de l’Eveil vous-même. Ce qui importe, c’est d’être attentifs à vous-mêmes, où que vous soyez, quoi que vous fassiez. Viriya, l’effort, n’est pas ce que vous pouvez faire en apparence, mais simplement la constante attention et la constante modération intérieure.
L’important n’est pas de regarder les autres et de leur trouver des défauts. S’ils se comportent mal, ce n’est pas la peine que vous en souffriez. Si vous leur indiquez ce qui est correct et qu’ils n’agissent pas en conséquence, laissez tomber.
Le Bouddha étudia avec divers enseignants et il comprit que leurs méthodes n’étaient pas les bonnes, mais il ne les dénigra pas pour autant. Il étudia avec humilité et respect pour les maîtres, il pratiqua sérieusement et comprit que leur système n’était pas complet, mais comme lui-même n’avait pas atteint l’Eveil, il ne les critiqua pas et ne tenta pas de leur apprendre quoi que ce soit. Après qu’il eut atteint l’Eveil, il alla à la rencontre de ceux avec qui il avait étudié et pratiqué, afin de partager avec eux la connaissance nouvelle qu’il avait trouvée.
Nous pratiquons pour être libérés de la souffrance, mais être libéré de la souffrance ne veut pas dire posséder tout ce que vous aimez, ou que chacun se comporte comme vous souhaitez qu’il le fasse, ou ne parle que de ce qui vous plaît. Ne vous laissez pas emporter par l’imagination. En général, la vérité est une chose et l’imagination en est une autre. Nous devons avoir plus de sagesse que d’idées, alors il n’y aura pas de problème. Quand la pensée prend plus de place que la sagesse, les ennuis commencent.
Dans la pratique, tanha (le désir), peut être un ami ou un ennemi. Au départ, il va nous inciter à venir et pratiquer : nous voulons changer les choses et mettre fin à la souffrance. Mais si nous désirons toujours ce qui n’est pas encore apparu, si nous voulons que les choses soient autres que ce qu’elles sont, alors cela causera plus de souffrance.
Parfois nous voulons forcer l’esprit à être calme, et cet effort nous rend plus perturbés qu’avant. Alors nous arrêtons de forcer et samadhi apparaît. Et avec cet état de calme, nous commençons à nous demander : « Que se passe-t-il ? A quoi cela rime-t-il ? » … et nous revoilà au milieu de l’agitation mentale !
La veille du premier concile bouddhique (Sanghayana), l’un des disciples du Bouddha vint voir Ananda et lui dit : « Demain, le Sangha se réunit mais seuls les arahant (nobles êtres éveillés) pourront participer. » A cette époque, Ananda n’avait pas encore connu l’Eveil. Il prit alors la détermination : « Cette nuit, je dois y parvenir ! » Il pratiqua avec ardeur toute la nuit, cherchant à connaître l’Eveil, mais tout ce qu’il obtint c’est d’être exténué. Alors, il décida de se reposer un peu car tous ses efforts ne le menaient nulle part. Ayant lâché prise, aussitôt qu’il s’étendit et que sa tête toucha l’oreiller, il connut l’Eveil.
Les conditions extérieures ne vous font pas souffrir, la souffrance vient d’une mauvaise compréhension. Les sensations de plaisir et de peine, d’attirance et de rejet, apparaissent en lien avec les contacts sensoriels : vous devez en prendre conscience dès qu’elles apparaissent, ne pas vous en saisir, ne pas les poursuivre ; ainsi vous ne laisserez pas libre cours à la convoitise et à l’attachement, lesquels occasionnent ensuite le devenir et la naissance d’un « moi ». Si vous entendez une personne parler, cela risque de perturber votre méditation, vous pensez que cela a détruit votre calme, mais si vous entendez un oiseau chanter, vous n’en pensez rien, c’est un son comme un autre et il ne vous gêne pas.
Il ne faut pas vous presser ou vous bousculer dans votre pratique. Voyez plutôt les choses sur le long terme. Maintenant il y a la « nouvelle méditation » (retraites de 10 jours) ; mais avec « l’ancienne méditation », on peut pratiquer dans toutes les situations, que l’on récite les textes, que l’on travaille ou que l’on soit assis dans son kouti (cabane de méditation dans la forêt). Il est inutile d’aller chercher des endroits particuliers pour pratiquer. Vouloir méditer seul est à la fois bien et mal. Ce n’est pas que je décourage la pratique intensive de la méditation formelle (samadhi) mais il faut savoir quand s’arrêter — après sept jours, deux semaines, un mois, deux mois — et puis retourner vers les gens et les situations normales de la vie. C’est là que l’on acquiert la sagesse. La seule chose que l’on gagne à trop pratiquer samadhi, c’est le risque de devenir fou. Beaucoup de moines qui recherchaient la solitude sont partis et sont morts dans la solitude !
Penser que la pratique formelle est la manière complète et unique de pratiquer, et dédaigner les situations de la vie ordinaire, cela s’appelle être intoxiqué par la méditation.
La méditation doit faire croître la sagesse de l’esprit, et cela, nous pouvons
le pratiquer partout, à tout moment et dans toutes les postures.