Le Dhamma de la Forêt |
Méditez en récitant «
Bouddho, Bouddho … », jusqu’à ce que le sens de ce mot pénètre le cœur de
votre conscience (citta). Le mot « Bouddho »
représente l’attention et la sagesse du Bouddha. Dans votre pratique, vous
devez vous appuyer sur ce mot plus que sur tout autre chose. L’attention ainsi
éveillée vous conduira à la compréhension de la nature de votre esprit. C’est
là un véritable refuge. En d’autres termes, la répétition de ce mot éveille
aussi bien l’attention que la vision pénétrante.
Les animaux sauvages
sont capables d’une certaine forme d’attention. Ils sont attentifs quand ils
guettent leur proie et se préparent à attaquer. Le prédateur lui-même a besoin
d’une vigilance sans faille pour maintenir entre ses griffes la proie qu’il a
capturée et qui se débat pour échapper à la mort. Il s’agit là d’une certaine
forme d’attention mais il en existe différentes formes que vous devez être
capable de distinguer.
Le Bouddha nous a
appris à méditer en utilisant le mot « Bouddho » pour y concentrer notre
esprit. Quand vous concentrez consciemment votre esprit sur un objet, cette
attention le maintient éveillé. Une fois qu’une certaine prise de conscience a
émergé par le biais de la méditation, vous pouvez contempler clairement votre
esprit. Mais tant qu’il reste privé de la conscience de « Bouddho », même
si l’attention ordinaire est présente, il est comme endormi et privé de vision
pénétrante. Il ne vous conduira nulle part. Sati,
la vigilance, dépend de la présence de Bouddho, la
connaissance. Cette
connaissance doit être limpide et apporter de plus en plus de
clarté et de
luminosité à l’esprit. On peut comparer cette
illumination de l’esprit
qu’apporte la connaissance claire à l’illumination
progressive d’une pièce
sombre. Tant que la pièce est plongée dans
l’obscurité, les objets qu’elle
contient sont, soit difficiles à distinguer, soit
complètement invisibles du
fait de l’absence de lumière. Mais quand on commence
à éclairer la pièce, la
lumière pénètre et permet de voir de plus en plus
clair, d’instant en instant,
et donc de distinguer de mieux en mieux les détails de tous les
objets qui
l’habitent. Quand vous avez la conscience de «
Bouddho », l’esprit est
plus sage, il a un niveau de conscience plus raffiné que
d’ordinaire. Cette
conscience vous permet de voir les conditions de l’esprit ainsi
que l’esprit
lui-même ; vous êtes en mesure de percevoir
l’état de votre esprit au cœur
même de tous les phénomènes. C’est ainsi
qu’il vous est tout naturellement
possible d’employer des moyens habiles pour travailler sur votre
esprit. Si
vous êtes piégé par le doute ou tout autre
obstacle, considérez-le simplement
comme un phénomène mental qui s’élève
dans l’esprit et qui doit être observé
puis résolu par l’esprit.
La
tâche ultime de
l’esprit est d’appliquer tous ses efforts à vaincre
les réactions engendrées
par toutes les stimulations sensorielles ou mentales qui se
présentent à nous.
Il doit s’attaquer à chacun des objets qui entre en
contact avec lui. Tous les
sens et leurs objets convergent vers l’esprit. En concentrant
toute son
attention sur l’esprit et seulement l’esprit, on arrive
à comprendre et à
percevoir clairement comment fonctionnent les yeux, les oreilles, le
nez, la
langue, le corps, ainsi que l’esprit et toutes ses productions.
L’esprit est
déjà là, l’important est donc
d’être bien centré en lui et prêt à
tout
observer. Plus votre observation de l’esprit sera profonde, plus
la
connaissance qui en émergera sera claire et
pénétrante.
J’insiste sur ce
point parce qu’il est crucial pour votre pratique que vous le compreniez bien.
En temps normal, lorsque vous recevez un message de vos sens et entrez en
contact avec différents objets, l’esprit non éclairé est tout prêt à réagir en
termes d’attirance ou d’aversion. Il va être pris au piège de la bonne ou de la
mauvaise humeur selon le type de stimulation qu’il aura reçu.
C’est à ce moment-là
qu’il faut examiner le fonctionnement de l’esprit avec une attention ferme et
inébranlable. Quand il entre en contact avec différents objets des sens, il ne
doit pas se perdre dans la prolifération mentale, il ne doit pas se laisser
piéger par un train de pensées erronées. Telle est la pratique de vipassana : elle s’appuie sur la
sagesse de la vision pénétrante pour observer tous les objets des sens. La
méditation vipassana développe la
sagesse.
L’utilisation des
différents objets de la méditation samatha
— que ce soit la récitation d’un mot comme Bouddho, Dhammo, Sangho ou
l’attention au souffle — a pour effet d’apporter à l’esprit le calme et la
stabilité du samadhi. Dans la
méditation samatha vous concentrez
votre attention sur un seul objet et vous oubliez momentanément tout le reste.
Dans un certain sens, la méditation vipassana
est assez semblable dans la mesure où vous répétez « N’y crois pas » à
chaque stimulation sensorielle. Dans la pratique de vipassana, vous ne permettez à aucun objet des sens de vous tromper
sur sa nature réelle. Vous êtes conscient de chaque objet, dès l’instant où il
entre en contact avec votre esprit — que ce contact se fasse par
l’intermédiaire des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps ou du
mental — et vous utilisez la formule « N’y crois pas », un peu comme un
objet de méditation verbal que l’on répète encore et encore. C’est ainsi que
chaque objet devient source de connaissance. Vous utilisez l’esprit fermement
établi en samadhi pour observer la
nature impermanente de toute chose. A chaque stimulation sensorielle vous répondez
par une formule : « Ceci n’est pas réel » ou bien : « Cela
est impermanent ». Si vous vous laissez piéger par l’illusion et que vous
croyez en la réalité de l’objet dont vous faites l’expérience, vous souffrez
parce que tous ces dhamma
(phénomènes) n’ont aucune existence propre (anatta).
Si vous vous attachez à un objet qui n’a pas d’existence propre et lui conférez
une telle existence, il deviendra automatiquement une occasion de souffrance et
de détresse et cela parce que vous vous serez attaché à des perceptions
erronées.
* * *
Lorsque vous utilisez
la méditation de la vision pénétrante pour observer les trois caractéristiques
et pénétrer la véritable nature des phénomènes, il n’y a rien à faire de
spécial. Inutile de pousser les choses à l’extrême. Ne vous rendez pas la tâche
difficile. Concentrez directement votre attention sur vos perceptions, comme si
vous accueilliez des invités dans une salle de réception où il n’y aurait qu’un
seul siège, celui où vous êtes assis. Ainsi, les invités qui s’avancent vers
vous ne peuvent pas s’asseoir, ils sont obligés de se présenter directement à
vous et vous pouvez les identifier immédiatement. Même si deux ou trois
visiteurs se présentent en même temps, vous ne pouvez pas les manquer et vous
les reconnaissez immédiatement. De plus, comme ils n’ont nulle part où
s’asseoir, ils ne s’attardent pas longtemps. Vous pouvez observer tous les
visiteurs à votre aise parce qu’ils n’ont pas la possibilité de s’installer.
Vous concentrez votre
attention sur les trois caractéristiques que sont l’impermanence, la souffrance
et le non-soi et vous maintenez une attention sans faille à cette
contemplation. Ainsi la vision de la nature impermanente, insatisfaisante et
inexistante de tous les phénomènes deviendra toujours plus claire et plus
vaste. Votre compréhension en sera plus profonde. Cette clarté de perception
engendrera un sentiment de paix qui pénètrera votre cœur plus profondément que
tout ce que vous pourriez expérimenter dans la pratique de samatha — la méditation de la tranquillité. C’est la clarté et la
complétude de cette vision pénétrante de la nature réelle de toutes choses qui
a une action purifiante sur l’esprit. La sagesse qui naît de cette vision
profonde, aussi limpide que le cristal, est un agent de purification. Au fil du
temps, d’investigations et de contemplations nombreuses et répétées de la
vérité, votre façon de considérer les choses va changer et ce que vous
perceviez autrefois comme attirant perdra peu à peu de son pouvoir tandis que
sa nature véritable vous apparaîtra.
On observe les
phénomènes pour voir s’ils sont vraiment permanents ou de nature éphémère. Au
début on récite simplement l’enseignement selon lequel toutes les conditions
sont impermanentes mais, au bout d’un moment, on le vérifie par soi-même, à
partir de sa propre expérience. La vérité se tient à notre portée, précisément
à cet instant d’observation. C’est cela le siège sur lequel vous accueillez vos
visiteurs. Nulle part ailleurs pourrez-vous trouver un meilleur endroit pour
développer la vision pénétrante. Il vous faut rester assis là, sur l’unique
chaise du lieu. Quand les visiteurs y pénètrent, il vous est facile d’observer
leur apparence et leur comportement puisqu’ils n’ont nulle part où
s’installer ; ainsi pouvez-vous tout savoir d’eux. En d’autres termes,
vous parvenez à une compréhension claire et lucide de la nature impermanente,
insatisfaisante et non-personnelle de tous ces phénomènes, et cette vision est
tellement saisissante et inébranlable qu’elle met un point final à tous les
doutes que vous avez pu entretenir sur la véritable nature des choses. Vous
avez la certitude absolue qu’il n’y a aucune autre façon de considérer les
événements de la vie. Telle est la réalisation du Dhamma à son niveau le plus
profond.
A ce stade, votre
méditation consiste à maintenir cette connaissance et à la faire suivre d’un
continuel lâcher-prise au fur et à mesure que vous contemplez les objets des
sens par le biais des yeux, des oreilles, du nez, le la langue, du corps et de
l’esprit. C’est tout ce qu’il vous reste à faire, inutile d’y ajouter quoi que
ce soit.
* * *
Quand on commence à
méditer, il semble que tout ce que l’on sache faire c’est douter et se poser
des questions à tout propos. L’esprit ne cesse de s’agiter, de basculer de
droite à gauche. On passe tout son temps dans des pensées qui ne cessent de
proliférer. On remet absolument tout en question. Pourquoi ? A cause de
l’impatience. Vous voulez connaître toutes les réponses tout de suite. Vous
voulez obtenir une vision juste rapidement sans rien avoir à faire. Vous
voudriez connaître la réalité des choses telles qu’elles sont mais ce désir est
trop fort, plus fort même que la vision que vous espérez. C’est pourquoi la
pratique doit avancer par étapes. Il faut y aller un pas après l’autre. Avant
tout, il faut y investir un effort constant, de même que le soutien permanent
de vos bonnes actions passées et le développement des dix perfections
spirituelles ou parami*. Efforcez-vous toujours d’entraîner votre esprit. Cessez d’espérer
des résultats rapides, c’est un piège. Vous n’en seriez que plus déçu et
frustré si la vision pénétrante était longue à venir. De telles pensées ne vont
aideront pas. Croyez-vous qu’il soit légitime de s’attendre à vivre, d’un seul
coup, des expériences profondes et durables, libres de tout plaisir et de toute
souffrance ? Ne vous inquiétez pas de ce que l’esprit vous renvoie. Au
moment où vous êtes envahi par le plaisir ou la douleur engendrés par le
contact entre l’esprit et les différents objets des sens, vous n’avez aucune
idée du niveau atteint par votre pratique ; mais bientôt tous ces états
d’âme perdront de leur pouvoir.
En fait, de tels
obstacles peuvent s’avérer bénéfiques car ils sont un rappel à la vigilance.
Vous apprenez à reconnaître dans votre esprit toutes les réactions engendrées
par les objets des sens, les pensées et les perceptions. Vous savez quand elles
vont entraîner l’esprit vers l’agitation et la souffrance et quand elles vont
le laisser en paix. Certains méditants souhaitent uniquement observer les
réactions de l’esprit au contact d’objets agréables ; ils ne veulent
étudier que les humeurs plaisantes. Mais ce n’est pas comme cela qu’ils
atteindront la vision pénétrante. Ils resteront limités. En vérité, il faut
également savoir comment l’esprit réagit au contact d’expériences désagréables.
En fin de compte, c’est comme cela que l’on doit s’entraîner.
Soyez vigilants et puis laissez les choses suivre naturellement leur cours. Alors votre esprit s’apaisera comme les eaux claires d’un étang de forêt. Toutes sortes d’animaux rares viendront s’y abreuver, vous verrez beaucoup de choses étranges et merveilleuses apparaître et disparaître, mais vous demeurerez dans la paix …