Le Dhamma de la Forêt |
Le Supérieur de
l'Institut m'a invité à vous donner aujourd'hui un enseignement. Je vous demanderai
donc à tous de vous asseoir en silence et de pacifier votre esprit. Du fait du
problème de la langue, nous devrons avoir recours à un traducteur, alors si
vous ne prêtez pas toute votre attention à ce qui va être dit, vous risquez de
ne pas comprendre.
Mon séjour ici a été
très agréable. Tant le Maître que vous, ses disciples, avez été très gentils
avec moi, amicaux et souriants comme il convient à ceux qui pratiquent le
véritable Dhamma. Ce lieu est également très inspirant mais si grand ! J'admire
l'énergie que vous consacrez à le rénover pour en faire un lieu de pratique du
Dhamma.
Comme cela fait de
longues années que j'enseigne, j'ai eu ma part de difficultés dans ce domaine.
Il y a maintenant environ quarante monastères affiliés à mon monastère, Wat Pah
Pong, au nord-est de la Thaïlande[1]
et pourtant, aujourd'hui encore, j'ai des disciples difficiles à former.
Certains comprennent mais ne prennent pas la peine de pratiquer, tandis que
d'autres ne comprennent pas et n'essaient pas de comprendre. Je ne sais pas que
faire d'eux. Pourquoi les êtres humains fonctionnent-ils ainsi ? Ce n'est tout
de même pas une si bonne chose que d'être ignorant ! Mais j'ai beau le leur
dire, ils n'écoutent pas. Je ne sais pas ce que je peux faire de plus.
Les gens ont
tellement de doutes quand ils pratiquent ! Ils passent leur temps à
douter. Ils veulent tous atteindre le nirvana mais sans vouloir prendre le
chemin qui y conduit. C'est incroyable ! Quand je leur dis de méditer, ils
ont peur ou, s'ils n'ont pas peur, ils s'endorment, tout simplement. De manière
générale, disons qu'ils préfèrent faire les choses que je n'enseigne pas !
Quand j'ai rencontré votre Supérieur, ici présent, je lui ai demandé comment
étaient ses disciples et il m'a dit qu'ils étaient pareils. C'est le casse-tête
des enseignants.
L'enseignement que je
vous propose aujourd'hui est un moyen de résoudre les problèmes dans l'instant
présent et dans la vie présente. Certains prétendent avoir trop de travail pour
trouver le temps de pratiquer le Dhamma, alors ils demandent : « Que
pouvons-nous faire ? » Je leur réponds : « Est-ce que vous respirez pendant que
vous travaillez ? » « Oui, bien sûr que nous respirons ! » « Et comment se
fait-il que vous ayez le temps de respirer alors que vous êtes si occupés ? »
Ils ne savent pas quoi répondre. « Si vous avez simplement sati en
travaillant, vous aurez tout le temps de méditer. »
Pratiquer la
méditation c'est comme respirer. Quand on travaille on respire, quand on dort
on respire, quand on est assis on respire... Pourquoi trouvons-nous toujours le
temps de respirer ? Tout simplement parce que nous avons conscience de
l'importance de la respiration. De la même façon, si nous avons conscience de
l'importance de la pratique de la méditation, nous trouverons le temps de
pratiquer.
Avez-vous déjà connu
la souffrance ? Avez-vous déjà connu le bonheur ?... C'est précisément dans ces
moments-là que se trouve la vérité, c'est là que vous devez pratiquer le
Dhamma. Qui est heureux ? C'est le mental. Qui souffre ? C'est le mental. C'est
à l'endroit même où ces phénomènes apparaissent qu'ils cesseront. Avez-vous
fait l'expérience du bonheur ? Avez-vous fait l'expérience de la souffrance ?
Pourquoi ces choses-là existent-elles ? Qu'est-ce qui les cause ? Voilà l'objet
de notre recherche. Si nous connaissons la souffrance[2],
la cause de la souffrance, la cessation de la souffrance et la voie qui mène à
la cessation de toute souffrance, nous pouvons voir aboutir notre recherche.
Il y a deux sortes de
souffrance : la souffrance ordinaire et l'extraordinaire. La souffrance
ordinaire est celle qui est liée à la nature inhérente des conditions : être
debout peut faire souffrir, être assis peut faire souffrir, être couché peut
faire souffrir. C'est la souffrance inhérente à tous les phénomènes
conditionnés. Le Bouddha a lui-même vécu ces choses-là, il a connu aussi bien
le confort que la douleur, mais il a su les voir comme des conditions
naturelles. Il savait comment dépasser ces sensations naturelles et ordinaires,
de confort comme de douleur, en comprenant leur véritable nature. C'est parce
qu'il comprenait cette forme de souffrance naturelle qu'elle ne le perturbait
pas.
La forme de
souffrance la plus répandue est la deuxième sorte, la souffrance qui
s'introduit depuis l'extérieur, la souffrance « extraordinaire ». Quand nous
sommes malades, il arrive que nous devions aller chez le médecin pour nous
faire faire une piqûre. Quand l'aiguille pénètre sous la peau, il y a une
certaine douleur, ce qui est tout à fait naturel et puis, quand on retire
l'aiguille, cette douleur disparaît. Il s'agit là de la souffrance ordinaire,
ce n'est pas un problème, nous la connaissons tous. La souffrance
extraordinaire est celle engendrée par upadana, c'est-à-dire le fait de
s'attacher aux choses. Alors c'est comme si notre seringue était remplie de
poison. Cette fois il ne s'agit plus d'une douleur ordinaire mais d'une douleur
qui se terminera dans la mort. Voilà à quoi ressemble la souffrance causée par
l'attachement.
Avoir une vision
erronée des choses, ne pas connaître la nature impermanente des phénomènes
conditionnés, est une autre source de problèmes. Les choses conditionnées sont
du domaine du samsara. Si nous refusons que les choses changent, il est
inévitable que nous souffrions. Quand nous croyons que nous sommes le corps ou
qu'il nous appartient, nous prenons peur en constatant combien il change. Et
pourtant, regardez le souffle : une fois que nous avons inspiré, nous devons
expirer; l'air qui est entré doit ressortir. C'est la nature et c'est ce qui nous maintient en vie. Si nous ne
faisions qu'inspirer ou qu'expirer, nous ne pourrions pas vivre. Les choses ne
fonctionnent pas comme cela. Voilà ce que sont les conditions naturelles mais
nous ne voulons pas le comprendre.
Supposons que nous
perdions quelque chose. Si nous pensons que cette chose nous appartient
vraiment, nous en serons très affectés. Si nous sommes incapables de la
considérer comme un objet conditionné qui évolue selon les lois de la nature,
nous ressentirons de la souffrance. Mais peut-on vivre si on inspire sans
expirer ou si on expire sans inspirer ? De la même façon, les choses
conditionnées doivent naturellement changer. Voir cela, c'est voir le Dhamma,
voir aniccam, le changement. Notre
vie dépend de ce changement. Quand nous comprendrons comment les choses
fonctionnent, nous pourrons les accepter.
Pratiquer le Dhamma,
c'est développer une compréhension des choses qui permette d'éviter
l'apparition de la souffrance. Si notre compréhension est incorrecte, nous
sommes en conflit avec le monde, avec le Dhamma et avec la vérité. Supposez que
vous soyez malade et que vous deviez aller à l'hôpital. Le plupart des gens
diraient : « S'il vous plaît, ne me laissez pas mourir, je veux m'en
sortir. » Mais c'est là une forme de pensée erronée qui ne peut conduire
qu’à la souffrance. Il vaudrait mieux vous dire : « Si je guéris, je guéris et
si je meurs, je meurs. » C'est la pensée juste parce que, en fin de
compte, nous ne pouvons pas maîtriser les conditions. Si vous considérez les
choses ainsi, que vous mourriez ou que vous guérissiez, vous n'avez rien à
craindre, aucun souci à vous faire. Vouloir guérir à tout prix et avoir peur de
mourir, c'est le fait d'un esprit qui ne comprend pas les conditions. Il faut
vous dire : « Si je vais mieux, c'est bien et si je ne vais pas mieux, c'est
bien. » Ainsi vous ne pouvez pas vous égarer, vous n'avez pas à avoir peur
ni à pleurer, tout simplement parce que vous êtes en harmonie avec le flot
naturel de la vie.
Le Bouddha a vu les
choses avec lucidité. Son enseignement est toujours aussi valable, aussi vrai
aujourd'hui que de tout temps; il ne s'est pas démodé parce que les conditions
du monde n'ont pas changé. Si nous pratiquons cet enseignement avec cœur, nous
bénéficierons de la paix et du bien-être qu'il apporte.
Dans les
enseignements, il y a une réflexion sur le non-soi : « Ceci n'est pas moi, cela
ne m'appartient pas. » Mais les gens n'aiment pas entendre ce genre
d'enseignement parce qu'ils sont attachés à l'idée d'un soi. Or voilà : c'est la cause même de la souffrance.
Il ne faut pas perdre cela de vue.
Aujourd'hui une dame m'a demandé
comment elle pouvait maîtriser sa colère. Je lui ai répondu que la prochaine
fois qu'elle serait en colère, elle remonte son réveil et se donne deux heures
pour que la colère s'en aille. S'il s'agissait vraiment de « sa »
colère, elle pourrait certainement s'en débarrasser en lui disant : « D'ici
deux heures, il faut que tu aies disparu. » Mais voilà, la colère ne nous
appartient pas, alors nous ne pouvons pas lui donner des ordres. Il arrive que
deux heures plus tard elle soit toujours là et puis, d'autres fois, elle
disparaîtra en une heure. S'attacher à la colère comme si elle nous appartenait
en propre ne peut que nous faire souffrir. Si elle était vraiment à nous, elle
devrait nous obéir. Si elle n'obéit pas, c'est que nous faisons erreur. Ne vous
laissez pas piéger par cette erreur. Que l'esprit soit heureux ou triste, n'y
croyez pas ! Que l'esprit adore ou déteste quelque chose, n'y croyez pas ! Tout
cela ne sont que des vues erronées.
Avez-vous déjà été en
colère ? Comment vous sentez-vous à ce moment-là ? Bien ou mal ? Si vous vous
sentez mal, pourquoi ne pas laisser partir cette émotion ? Pourquoi vous faire
du mal en la gardant ? Comment pouvez-vous vous prétendre sage et intelligent
quand vous vous accrochez à de telles choses ? Depuis votre naissance, combien
de fois le mental vous a-t-il piégé dans la colère ? A certaines occasions, le
mental peut même déclencher toute une querelle de famille ou encore vous faire
pleurer une nuit entière. Et pourtant vous continuez à vous mettez en colère,
vous continuez à vous accrocher aux choses et vous souffrez. Si vous ne voyez
pas l'origine de la souffrance, il va falloir continuer à souffrir. Si
aujourd'hui vous voyez la souffrance que peut causer la colère, jetez-la bien
loin ; sinon elle continuera à vous faire souffrir indéfiniment, sans
répit — c'est le monde du samsara. Mais si vous savez comment
fonctionnent les choses, vous pouvez vous débarrasser de ces problèmes.
Dans l'enseignement
du Bouddha, il est dit que le meilleur moyen de dépasser la souffrance est de
voir que « ceci n'est pas moi » et « ceci n'est pas à moi ». C'est la méthode
la plus efficace qui soit. Mais, en général, nous n'y prêtons pas grande
attention et, quand la souffrance arrive, nous nous contentons de nous lamenter
sans rien en apprendre. Pourquoi ? Nous devons absolument approfondir ces
choses et développer « Bouddho », « Ce qui sait ».
Soyez attentifs.
Certains d'entre vous ne se rendent peut-être pas compte qu'ils sont en train
d'entendre le Dhamma. Je vous enseigne ici un Dhamma que vous ne trouverez pas
dans les Ecritures. Beaucoup lisent les Ecritures sans voir le Dhamma.
Aujourd'hui je vous donne un enseignement qui n'est pas dans les Ecritures.
Faites attention à ne pas manquer l'essentiel ni à vous méprendre sur son sens.
Imaginons deux hommes
qui se promènent ensemble et voient, en chemin, un canard et un poussin. L'un
dit : « Pourquoi ce poussin n'est-il pas comme le canard et pourquoi le canard
n'est-il pas comme le poussin ? » Il veut que le poussin soit un canard et le
canard un poussin. Mais voilà, c'est impossible. Alors, même si cet homme
passait le reste de sa vie à souhaiter que le canard soit un poussin et que le poussin
soit un canard, cela n'arriverait pas parce qu'un poussin est un poussin et un
canard est un canard. Tant qu'il se cassera la tête ainsi, il souffrira. Quant
à l'autre homme, il voit que le poussin est un poussin et que le canard est un
canard et puis c'est tout. Il n'y a pas de problème. Il voit les choses
correctement. Si vous voulez que le canard soit un poussin et le poussin un
canard, vous vous préparez beaucoup de souffrance.
De la même manière,
la loi d'aniccam nous dit que tout est impermanent. Si on veut que les
choses soient permanentes, on se prépare beaucoup de souffrance. A chaque fois
qu'apparaîtra un signe d'impermanence, on sera malheureux. Par contre, si on
voit que les choses changent parce que c'est dans leur nature, on est en paix,
il n'y a pas de conflit. Si on veut que les choses soient permanentes, on va
vivre sans cesse en conflit, on peut même arriver à en perdre le sommeil. Tout
cela à cause de l'ignorance d'aniccam, l'impermanence, l'enseignement du
Bouddha.
Si vous voulez connaître
le Dhamma, où allez-vous le chercher ? Il faut le chercher à l'intérieur de
votre corps et de votre esprit. Vous ne le trouverez pas sur les étagères d'une
bibliothèque. Pour vraiment voir le Dhamma, vous devrez regarder dans votre
propre corps et dans votre esprit. C'est tout ce que nous avons, d'ailleurs, le
corps et l'esprit ! L'esprit n'étant pas visible à l'œil nu, il faudra
l'étudier avec « le regard intérieur ». Avant de pouvoir réaliser le
Dhamma, vous devez savoir où le chercher. Le Dhamma né du corps doit être vu
dans le corps. Et comment regarderez-vous le corps ? Avec l'esprit. Vous
ne trouverez le Dhamma nulle part ailleurs, parce que c'est précisément là que
naissent aussi bien le bonheur que la souffrance. A moins que vous n'ayez déjà
vu le bonheur apparaître dans les arbres ? Ou sortir des rivières ? Ou tomber
du ciel ? Le bonheur et la souffrance sont des émotions qui naissent dans notre
corps et dans notre esprit.
Voilà pourquoi le
Bouddha nous dit de prendre conscience du Dhamma ici même. Le Dhamma est ici
même, nous devons regarder ici même. Votre Maître vous dira peut-être de
regarder le Dhamma dans les livres mais si vous croyez que c'est vraiment là
qu'il se trouve, vous ne le verrez jamais. Après avoir lu les livres, il faut rediriger
les enseignements vers l'intérieur. Alors vous pourrez les comprendre. Où se
trouve le véritable Dhamma ? Ici même, dans ce corps et dans cet esprit qui
sont tout ce que vous possédez. Utilisez l'esprit pour contempler le corps.
Telle est l'essence de la pratique de la contemplation.
Si nous pratiquons
ainsi, la sagesse s'éveillera dans notre esprit. Quand la sagesse est présente
dans notre esprit, où que nous regardions, nous voyons le Dhamma, nous voyons aniccam,
dukkham et anatta à tout moment. Aniccam signifie
changement. Dukkham, c'est la souffrance qui naît quand nous nous
attachons à ce qui change, parce que ces choses ne sont ni nous ni nôtres : anatta.
Mais nous ne voyons pas les choses ainsi. Nous les voyons toujours comme étant
nous ou nôtres, ce qui signifie que nous ne comprenons pas bien ce que sont les
conventions.
Il faut comprendre les conventions. Par exemple, nous tous, assis ici,
avons un nom. Notre nom est-il né avec nous ou nous a-t-il été donné
après ? Vous comprenez ? C'est une convention. Les conventions sont-elles
utiles ? Oui, bien sûr. Prenons quatre hommes, A, B, C et D. Il faut qu'ils
aient un nom qui leur soit propre pour faciliter la communication et le travail
en commun. Si nous voulions parler à monsieur A, nous pourrions l'appeler par
son nom et c’est lui qui viendrait, pas les autres. C'est le côté pratique des
conventions. Mais si nous regardons bien les choses, si nous transcendons
l'apparence, nous constatons qu'en réalité il n'y a personne derrière le nom,
il n'y a que de la terre, de l'eau, de l'air et du feu — les quatre éléments.
C'est tout ce que contient un corps humain.
Malheureusement, du
fait du pouvoir d'attachement de attāvad-upādāna[3],
nous ne voyons pas les choses de cette manière. Si nous analysions les choses à
fond, nous constaterions que ce que nous appelons « une personne »
n'est vraiment pas grand-chose. La partie solide, c'est l'élément terre; la
partie liquide, l'élément eau; la partie qui souffle ici et là s'appelle
l'élément air ; et la partie qui donne sa chaleur au corps est l'élément
feu. Quand la terre, l'eau, l'air et le feu se combinent d'une certaine
manière, ils donnent un être humain. Quand nous décomposons les choses ainsi,
nous constatons qu'il n'y a que de la terre, de l'eau, de l'air et du feu. Où
voyez-vous une personne là-dedans ? Il n'y en a pas.
C'est la raison pour
laquelle le Bouddha a dit que la plus grande des pratiques consiste à voir que «
ceci n'est pas moi et cela ne m'appartient pas » — voir qu'il ne s'agit
que de conventions. Si nous comprenons clairement tout cela, nous serons en
paix. Si nous réalisons à cet instant la vérité de l'impermanence, que les
choses ne sont ni nous ni à nous, au moment où elles se désintègreront nous
serons en paix sachant qu'elles n'appartenaient à personne de toute façon,
simples agrégats des quatre éléments.
Il est difficile de voir les choses sous cet angle-là, mais ce n'est
pas impossible. Si nous y parvenons, nous trouverons l'apaisement, nous ne
serons plus autant affectés par la colère, l'avidité ou l'illusion. Le Dhamma
sera toujours présent dans notre cœur. Il n'y aura plus aucune raison de
jalouser ou de mépriser les autres puisque nous sommes tous de simples agrégats
de terre, d'eau, d'air et de feu. Rien de plus. Quand nous aurons accepté cette
idée, nous verrons la vérité contenue dans les enseignements du Bouddha.
Si nous pouvions voir la vérité des enseignements du Bouddha, nous
n'aurions pas besoin de tant de maîtres ! Il serait inutile d'écouter des
discours tous les jours. Quand nous comprenons, nous agissons simplement de
manière appropriée aux situations. Si les gens sont si difficiles à enseigner,
c'est qu'ils n'acceptent pas l'enseignement et s'opposent aux enseignants comme
aux enseignements. Devant le maître ils se comportent à peu près bien mais
derrière son dos ils deviennent comme des voleurs ! Les gens sont vraiment
difficiles à enseigner. Les Thaïlandais sont comme cela, c'est pourquoi ils ont
tant de maîtres !
Soyez vigilant sinon vous ne verrez pas le Dhamma. Il faut être
circonspect : écouter l'enseignement et puis l'étudier bien à fond. Est-ce que
cette fleur est belle ?... Etes-vous capable de voir la laideur à travers la
beauté de la fleur ? Pendant combien de jours va-t-elle être belle ? Comment
va-t-elle évoluer ? Pourquoi change-t-elle ainsi ? Dici trois ou quatre jours
il faudra la jeter, n'est-ce pas ? Elle aura perdu toute sa beauté. Les gens
s'attachent à ce qui est beau, s'attachent à ce qui est bon. Si quelque chose
leur plaît, ils sont complètement séduits.
Le Bouddha nous dit de regarder les belles choses, de voir qu'elles
sont belles mais sans nous y attacher. De même, si une sensation est agréable,
nous ne devons pas nous laisser piéger par elle. Rien n'est sûr : ni la beauté
ni la bonté. Rien n'est certain, il n'y a rien en ce monde qui soit une
certitude. C'est la vérité. Les choses qui ne sont pas réelles sont les choses
qui changent, comme la beauté. La seule vérité qu'elle contienne c'est qu'elle
est en perpétuel changement. Si nous croyons que les choses sont vraiment
belles en elles-mêmes, quand leur beauté s'étiolera, notre esprit s'étiolera
aussi. De même, quand les choses ne sont plus aussi bonnes, notre esprit perd
également de sa bonté. Nous « investissons » ainsi notre esprit dans les choses
matérielles et quand elles sont détruites ou abîmées, nous souffrons parce que
nous nous y sommes attachés croyant qu'elles étaient à nous. Le Bouddha nous
dit de considérer ces choses comme de simples constructions naturelles. La
beauté apparaît et peu de temps après elle s'étiole. Voir cela c'est avoir la
sagesse.
En conséquence, il faut que nous soyons conscients de l'impermanence.
Si nous trouvons quelque chose beau, nous devons nous dire qu’il ne l'est pas
vraiment. De même si nous trouvons quelque chose laid, nous devons nous dire
qu’il ne l'est pas vraiment. Essayez de voir les choses ainsi. Réfléchissez
constamment de cette manière. Ainsi vous pourrez voir la vérité au cœur même de
choses mensongères, et voir la certitude au cœur de choses incertaines.
Aujourd'hui je vous ai expliqué comment comprendre la souffrance, ce
qui la cause, ce qui la fait cesser, et comment la faire cesser. Quand vous
comprenez l'origine de la souffrance, vous devez pouvoir vous en libérer.
Pratiquez pour connaître la cessation de la souffrance. Prenez conscience d'aniccam,
dukkam et anatta et la souffrance disparaîtra.
Et ensuite ? Quand la souffrance s'arrête, que faisons-nous ? Pourquoi
pratiquons-nous encore ? Nous
pratiquons pour abandonner et non pour obtenir quoi que ce soit. Une
dame, cet après-midi, m'a dit qu'elle souffrait. Je lui ai demandé ce qu'elle
souhaitait et elle a répondu qu'elle voulait être « éveillée ». Alors
j'ai dit : « Tant que vous souhaiterez être éveillée, vous ne pourrez pas
l'être. Ne souhaitez rien. »
Quand nous comprenons la souffrance, nous nous en libérons. Quand nous
en connaissons la cause, nous cessons
de créer ces causes (la croyance en un « moi », le désir de changer les
choses au lieu de les accepter comme elles sont, et le refus face aux
changements naturels des conditions) et passons enfin à la pratique pour en
finir définitivement avec la souffrance. Cette pratique qui mène à la cessation
de la souffrance, c'est voir que « ceci n'est pas une personne », « ceci
n'est pas moi ni eux ». Voir les choses ainsi permet à la souffrance de
cesser. C'est comme atteindre une destination et s'arrêter. C'est cela la
cessation, c'est se rapprocher du nirvana.
En d'autres termes, avancer est souffrance, reculer est souffrance et
s'arrêter est souffrance. Ne pas avancer, ne pas reculer, ne pas s'arrêter...
Que nous reste-t-il ? Le corps et
l'esprit cessent à cet instant précis. C'est la cessation de la
souffrance. C'est dur à comprendre, n'est-ce pas ? Mais si nous étudions cet
enseignement avec diligence et persévérance, nous transcenderons les choses et
pourrons les comprendre. Il y aura cessation. C'est l'enseignement ultime du
Bouddha, le point final. L'enseignement du Bouddha s'arrête à l'instant de l'abandon total.
Aujourd'hui j'offre cet enseignement à vous tous réunis ici ainsi qu'à
votre vénérable maître. Si ce que j'ai dit contient des erreurs, je vous en
demande pardon mais ne soyez pas trop prompts à juger, commencez par bien
écouter. Si je vous donnais un fruit en vous disant qu'il est délicieux, vous
m'écouteriez sans pour autant me croire aveuglément parce que vous ne l'auriez
pas encore goûté. C'est la même chose pour l'enseignement que je vous ai donné
aujourd'hui : si vous voulez savoir si le « fruit » est doux ou acide, il
faudra que vous en coupiez un morceau et que vous le goûtiez. Alors votre
connaîtrez sa douceur ou son acidité et vous pourrez me croire parce que vous
l'aurez expérimenté par vous-même. C'est pourquoi je vous prie de ne pas jeter
ce « fruit ». Gardez-le et goûtez-le, découvrez son goût par vous-même.
Le Bouddha n'avait pas de maître, vous savez. Un jour un ascète lui
demanda qui était son maître et le Bouddha répondit qu'il n'en avait pas[4].
L'ascète repartit en secouant la tête. Le Bouddha s'était montré trop honnête.
Il s'adressait à quelqu'un qui était incapable de comprendre ou d'accepter la
vérité. C'est pourquoi je vous dis de ne pas me croire. Le Bouddha a dit que se
contenter de croire les autres était stupide parce qu'il n'y a pas cette
compréhension claire qui vient de l'intérieur. C'est ainsi qu'il a pu dire : «
Je n'ai pas de maître. » C'est la vérité. Mais attention à ne pas déformer
cela. Si vous l'interprétez mal, vous n'allez plus respecter votre maître.
N'allez pas dire : « Je n'ai pas de maître. » Vous devez apprendre de
votre maître et ensuite vous pourrez pratiquer selon les bases qu'il vous aura
transmises.
Nous avons tous beaucoup de chance aujourd'hui. J'ai eu l'occasion de
vous rencontrer, ainsi que votre vénérable maître, ce qui aurait pu paraître
inimaginable étant donné la distance qui sépare nos pays. Il doit y avoir une
raison particulière qui a permis cette rencontre. Le Bouddha a dit que tout ce
qui arrive doit avoir une cause, ne l'oubliez pas, il doit y avoir une raison.
Peut-être avons-nous été frères et sœurs d'une même famille dans une existence
précédente — c'est possible. Ce n'est pas un autre enseignant du Dhamma qui est
venu mais moi. Pourquoi cela ? Mais peut-être sommes-nous en train de créer la
cause en ce moment même, c'est aussi possible.
Je vais vous quitter là-dessus. Puissiez-vous être diligents et
assidus dans votre pratique. Il n'y a rien qui surpasse la pratique du Dhamma.
Le Dhamma est ce qui soutient le monde tout entier. De nos jours, les gens sont
dans la confusion parce qu'ils ne connaissent pas le Dhamma. Si nous vivons
avec la conscience du Dhamma, nous serons pleinement satisfaits. Je suis
heureux que m'ait été donnée cette occasion de vous aider, vous et votre
vénérable maître, à développer la pratique du Dhamma. Je vous offre mes vœux
les plus sincères.
Je dois partir demain, je ne sais pas trop vers quelle destination.
C'est dans la nature des choses. Quand il y a arrivée, il doit y avoir départ;
quand il y a départ, il doit y avoir retour. C'est comme cela que fonctionnent
les choses de ce monde. Il ne faut pas nous laisser emballer ou abattre par le
changement. Il y a bonheur et ensuite souffrance; il y a souffrance et ensuite
bonheur; il y a gain et puis perte et il y a perte et puis gain. Ainsi vont les
choses.
A l'époque du Bouddha, certains de ses disciples ne l'aimaient pas
parce qu'il les exhortait sans cesse à être diligents et vigilants. Les plus
paresseux avaient peur de lui et lui en voulaient. Quand il s'est éteint, un
groupe de disciples pleura, se désolant de ne plus l'avoir parmi eux pour les
guider — ceux-là ne voyaient pas les choses clairement. Un autre groupe se
réjouit, se sentant libérés de la présence du Bouddha et de ses exhortations à
pratiquer. Et puis il y avait un troisième groupe de disciples, ceux qui
restèrent dans l'équanimité. Ils avaient compris que ce qui naît dans le monde
doit quitter ce monde, que c'est une conséquence naturelle.
Voilà, il y avait ces trois groupes. Auquel vous identifiez-vous ?
Voulez-vous faire partie de ceux qui se réjouissent ? Le groupe des disciples
qui ont pleuré à la mort du Bouddha n'avait pas encore réalisé le Dhamma. Le
second groupe formé de ceux qui en voulaient au Bouddha parce qu'il leur
interdisait toujours de faire ce qu'ils avaient envie de faire, ceux-là
vivaient dans la peur de ses réprimandes et se réjouirent donc de sa mort.
De nos jours, les choses ne sont pas très différentes. Il est possible
que le maître ici présent ait quelques disciples qui lui en veulent. Peut-être
ne le montrent-ils pas ouvertement mais c'est là, dans leur tête. C'est normal
que les gens qui sont encore dans l'illusion ressentent ce genre de choses. Le
Bouddha lui-même était détesté par certains. Moi aussi j'ai des disciples qui
m'en veulent parce que je leur dis d'abandonner leurs mauvaises actions et
qu'eux adorent se comporter ainsi. Alors ils me détestent. Il y en a beaucoup
comme cela.
Puissiez-vous tous, intelligents comme vous l'êtes, affermir votre
pratique du Dhamma.
[1] A la date d'impression de ce livre, en 1992, il y avait déjà une centaine de monastères de toutes tailles issus de Wat Pah Pong.
[2] Le mot « souffrance» est une traduction inadéquate du mot dukkha mais c'est la plus répandue. Dukkha signifie littéralement « intolérable, insoutenable, difficile à endurer » et peut aussi signifier « imparfait, insatisfaisant » ou encore « incapable d'apporter le bonheur parfait ».
[3] L'une des quatre bases de l'attachement : kamupādāna, l'attachement aux objets des sens; sīlabbatupādāna, l'attachement aux rites et rituels; ditthupādāna, l'attachement aux opinions et attavādupādāna, l'attachement à l'idée d'un soi.
[4] Peu après son éveil, le Bouddha se dirigeait vers Bénarès quand un ascète errant s'approcha de lui et dit : « Tes traits sont clairs, ami, et ton allure sereine... Qui donc est ton maître ? » Le Bouddha répondit qu'il avait trouvé le complet Eveil par lui-même. Le Brahmine ne put comprendre sa réponse et s'éloigna en murmurant : « Eh bien, tant mieux pour toi, ami, tant mieux pour toi. »