Le Dhamma de la Forêt

Samatha et vipassana

 Ajahn Chah

Traduction de Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Il y a deux sortes de paix que l’on peut obtenir de la méditation : la paix qui vient de la concentration, samatha, et la paix qui vient de la sagesse, vipassāna.

Pour pratiquer samatha dans les meilleures conditions, il faut s’éloigner de toute activité et de tout contact avec les autres. L’œil doit être éloigné des objets visuels, l’oreille éloignée des sons, et de même pour tous les autres sens. Quand on ne voit pas, que l’on n’entend pas, etc., on peut atteindre la tranquillité. Mais cette forme de paix est de courte durée, on ne peut pas s’y fier. Quand les sens vont à nouveau entrer en contact avec des objets agréables ou désagréables, l’esprit va s’agiter : il sera attiré par ces objets ou souhaitera au contraire s’en débarrasser et c’en sera fini du calme. Ainsi vous avez toujours le sentiment que l’esprit n’est pas en paix à cause de facteurs extérieurs, qu’il doit toujours lutter contre les objets des sens – or aucune sagesse ne peut naître de ce conflit. Par contre, si vous êtes déterminé à ne pas fuir et à regarder les choses en face, vous découvrirez que le manque de tranquillité n’est pas dû aux situations ou aux objets extérieurs mais simplement à une mauvaise compréhension des choses : il s’agit de regarder les choses autrement.

Quoi qu’il se produise dans le champ de notre expérience, c’est simplement « ce qui est ». Généralement, si une chose nous plaît, nous disons qu’elle est bonne et si elle nous déplaît, nous disons qu’elle n’est pas bonne. En réalité, c’est seulement notre esprit conditionné qui donne un sens aux objets extérieurs. Si nous comprenons cela, nous aurons une base pour étudier ces phénomènes et les voir tels qu’ils sont réellement. Lorsque l’esprit est suffisamment apaisé, apparaît une forme de sensibilité dotée d’une certaine qualité de connaissance. Il ne s’agit pas de la pensée mais du facteur d’Éveil connu sous le nom d’« investigation du Dhamma », dhammavicaya.

Cette forme de tranquillité n’est perturbée ni par les situations ni par les contacts sensoriels. La question qui se pose alors est : « Si c’est la tranquillité, pourquoi se passe-t-il encore des choses ? » En fait, il se passe quelque chose à l’intérieur même de la tranquillité mais pas à la manière ordinaire, c’est-à-dire pas comme lorsque nous nous saisissons des choses pour en faire toute une histoire. Quand quelque chose se passe au sein de la tranquillité, l’esprit en a une pleine et claire conscience, et la sagesse émerge. Nous voyons la façon dont les choses se passent réellement et la tranquillité englobe tout.

Avec cette forme de tranquillité, quand l’œil voit des formes, l’esprit est en paix ; quand l’oreille entend des sons, l’esprit est en paix ; quelle que soit notre expérience, l’esprit ne bronche pas car il reconnaît la véritable nature des choses : il comprend que tous les phénomènes ne font qu’apparaître puis disparaître et qu’ils sont impersonnels dans la mesure où tout cela ne dépend pas de notre volonté propre.

Mais il est important de se souvenir que cette forme de tranquillité doublée de sagesse émerge de l’autre, de la concentration « ignorante ». La sagesse arrive quand l’esprit est calme, et la connaissance arrive quand nous voyons la véritable nature des phénomènes. Ensuite, voyant qu’ils sont porteurs de souffrance, nous lâchons l’attachement que nous leur portions. Ainsi il y a à la fois paix et sagesse et, où que nous soyons, quoi que nous fassions, nous voyons la vérité des choses. À partir de là, il n’y a plus rien à faire, plus rien à corriger ni à résoudre.

Dès lors, nous ne pouvons échapper à la souffrance que par la sagesse, en connaissant les choses telles qu’elles sont et en les transcendant. C’est là que nous trouvons le repos. Quand nous agissons, rien ne peut nous causer de perte ou de mal. Quand nous sommes assis immobiles, rien ne peut nous blesser. Dans toute situation, rien ne peut nous atteindre. La pratique est arrivée à pleine maturité et nous avons atteint notre destination. Peut-être n’aurons-nous pas l’occasion de nous asseoir pour pratiquer samatha aujourd’hui, mais nous sommes bien malgré tout. Méditer ne signifie pas seulement être assis. On peut méditer dans toutes les postures et si nous pratiquons vraiment dans toutes les postures, nous apprécierons encore plus la méditation assise. Rien ne pourra interférer. Nous ne dirons pas : « Je ne me sens pas l’esprit clair en ce moment, je ne peux pas méditer. » Nous ne nous sentirons jamais ainsi. Voilà comment doit être la pratique : libérée du doute et de la confusion mentale.