Le Dhamma de la Forêt |
Chapitre 6 : Voir les choses telles qu’elles sont réellement
Le
Bouddha a enseigné
qu’il faut observer tout ce qui se présente. Les
choses ne durent pas. Après
s’être manifestées, elles
cessent ; ayant cessé, elles apparaissent
à
nouveau puis, étant apparues, elles cessent encore. Mais
quelqu’un dont
l’esprit est confus et qui n’a pas la connaissance,
ne veut pas qu’il en soit
ainsi. Quand nous méditons et que l’esprit
s’apaise, nous voulons demeurer
ainsi, sans être dérangés, mais ce
n’est pas réaliste. Le Bouddha nous a
recommandé de regarder d’abord les faits et de
voir combien ces choses sont
trompeuses ; ensuite seulement pouvons-nous trouver la paix.
Quand nous ne
connaissons pas les choses telles qu’elles sont, nous croyons
les posséder et
le piège du « sentiment de
soi » fait surface. Nous devons donc
remonter à l’origine et découvrir
comment cela s’est produit. Il faut que nous
comprenions comment les choses sont en réalité,
comment elles entrent en
contact avec l’esprit et comment l’esprit
réagit ; après, nous pourrons
être en paix. Voilà ce que nous devons
étudier à fond. Si nous refusons que les
choses se passent comme elles se passent, nous ne pouvons pas
connaître la
paix. Où que nous tentions de nous échapper, les
choses se produisent toujours
de la même manière — c’est
leur nature.
En
termes simples, ceci
est la vérité. L’impermanence, la
souffrance et l’absence de soi sont la nature
même des phénomènes. Ils ne sont rien
d’autre que cela, mais nous donnons aux
choses bien plus de sens qu’elles n’en ont en
réalité.
Il
n’est pas vraiment si
difficile de permettre à la sagesse
d’émerger. Il s’agit simplement de
chercher
les causes et de comprendre la nature des choses. Quand votre esprit
est agité,
vous pouvez vous dire : « Cet
état n’est pas certain. Tout est
impermanent. » Et quand l’esprit est
calme, ne vous dites
pas : « Oh !
C’est vraiment la paix ! »
— parce
que cela non plus n’est pas certain.
Si
on vous demande :
« Quel type de nourriture
préférez-vous ? » ne
prenez pas la
question trop au sérieux. Si vous dites que vous aimez
vraiment quelque chose,
quelle importance ?
Réfléchissez : si vous en mangiez tous
les jours,
l’aimeriez-vous toujours autant ? Vous en viendriez
probablement à
dire : « Oh, non ! Pas
encore de ça ! »
Vous
comprenez ? On peut
finir par se rendre malade précisément avec ce
que l’on croyait aimer et cela à
cause de la nature changeante de toute chose. Voilà ce
qu’il vous faut
découvrir. Le plaisir est incertain, le malheur est
incertain, l’amour est
incertain, la tranquillité est incertaine,
l’agitation est incertaine. Tout,
absolument tout, est incertain. Donc, quoi qu’il arrive, si
nous comprenons
cela, nous ne sommes piégés par rien. Tout ce que
nous pouvons vivre, sans
exception, est incertain car tout, par nature, est impermanent.
L’impermanence
signifie que les choses ne sont pas figées, ne sont pas
stables et, en termes
très simples, cette vérité est le
Bouddha.
Anicca,
l’incertitude, est
la vérité. La vérité est
là, sous nos yeux, mais nous ne lui accordons pas un
regard clair et direct. Le Bouddha a dit :
« Ceux qui voient le
Dhamma me voient. » Si nous voyons anicca
— cette qualité d’incertitude
—
en toute chose, alors apparaîtront le détachement
et le désintéressement par
rapport au monde : « Oh ! Ce
n’est que ceci. Bah ! Ce n’est
que cela. Il n’y a là rien
d’extraordinaire, ce n’est que cela.»
L’esprit se
stabilise dans cette réalisation :
« Ce n’est rien
d’extraordinaire.
Bah ! » Quand on a réalisé
cela, il n’y a rien de bien difficile à faire
en méditation. Quoi qu’il se présente,
l’esprit dit : « Ce
n’est que
cela », et il s’arrête.
C’est la fin. On comprend que tous les
phénomènes
ne sont que tromperies ; rien n’est stable ni
permanent ; au
contraire, tout change constamment et présente les
caractéristiques de
l’impermanence, de la souffrance et du non-soi.
C’est comme une boule de fer en
fusion que l’on aurait mise à chauffer dans un
four. Quelle partie sera fraîche ?
Essayez d’y toucher et vous verrez. Touchez le dessus, il
sera brûlant. Touchez
le dessous, il sera brûlant. Touchez les
côtés, ils seront brûlants. Pourquoi
est-ce brûlant ? Parce qu’une boule de
métal en fusion est brûlante
partout. Quand on comprend cela, on n’y touche pas. Quand
vous vous dites, à
propos de quelque chose : « Oh !
Comme c’est bon ! J’aime
ça, je le veux ! », n’accordez
aucun crédit à ces pensées, ne les
prenez
pas trop au sérieux car elles sont comme la boule de
métal en fusion : quelle
que soit la partie que vous touchiez, si vous essayez de la prendre,
vous vous
brûlerez, vous aurez très mal, votre peau se
fendra et vous saignerez.
Nous
devrions contempler
cela à tout moment, quand nous marchons, quand nous sommes
debout, assis ou
couchés ; même quand nous sommes aux
toilettes, quand nous allons quelque
part, quand nous mangeons ou, après avoir mangé,
quand nous déféquons les
résidus de notre repas. A tout moment, nous devrions voir
que tout ce dont nous
faisons l’expérience est instable et impermanent
ainsi qu’insatisfaisant et non
personnel. Les choses qui sont instables et impermanentes sont
incertaines et
sans réalité absolue. Sans exception, elles sont
toutes illusoires. C’est
exactement comme la boule de fer brûlante :
où pourrions-nous y trouver un
endroit non brûlant ? Toutes ses parties sont
brûlantes, alors nous
cessons d’essayer de la toucher.
Il
n’y a rien là qui exige
un entraînement difficile. Par exemple, des parents
préviennent un enfant qu’il
ne doit pas jouer avec le feu : « Ne
t’approche pas du feu, c’est
dangereux, tu vas te brûler ! »
L’enfant peut ne pas croire ses
parents ou ne pas comprendre de quoi ils parlent mais, s’il
touche le feu une
seule fois et se brûle, ses parents n’auront plus
besoin de lui expliquer les
choses ni de le surveiller.
Peu
importe l’attirance ou
le plaisir que l’esprit peut éprouver,
rappelez-vous seulement : « Ce
n’est pas sûr ! Ce n’est pas
permanent ! » Par exemple, si on
vous offre un verre que vous trouvez très beau, vous vous
direz
peut-être : « Quel beau
verre ! Je vais le ranger et en prendre
grand soin pour éviter qu’il ne se
casse. » Mais ajoutez ensuite :
« Ce n’est pas
certain. » Il se peut que, après avoir
bu, vous posiez
le verre près de vous et que, dans un moment
d’inattention, vous lui donniez un
coup de coude et qu’il se casse. S’il ne se casse
pas aujourd’hui, il se
cassera demain et s’il ne se casse pas demain, ce sera le
jour suivant. Ne
placez pas votre confiance dans des choses susceptibles de se casser.
Cette
impermanence est le
véritable Dhamma. Les choses ne sont ni stables ni
réelles. Rien en elles n’est
réel — voilà ce qui est
réel. Allez-vous mettre en doute cette
évidence ?
C’est la chose la plus certaine qui soit : nous
naissons et puis
inévitablement nous vieillissons, tombons malades et
mourons. Telle est la
réalité permanente et certaine, et cette
vérité permanente est née de la
vérité
de l’impermanence. Quand on étudie les choses en
profondeur, à l’aune de ce
« pas permanent, pas certain »,
il se produit une transformation en
quelque chose de permanent et de certain et, à partir de
là, on cesse de porter
le poids des choses.
Les
disciples
du Bouddha
se sont éveillés à la
vérité de
l’impermanence. Parce qu’ils ont
réalisé
l’impermanence de tous les phénomènes,
ils ont
connu le détachement et le
désintéressement par rapport aux choses
— nibbida.
Ce désintéressement n’est
pas de l’aversion. S’il y a aversion, ce
n’est pas
vraiment du désintéressement
et cela ne devient pas une voie. Nibbida n’est pas ce que
nous
considérons
d’ordinaire comme du désintéressement
par rapport
aux choses de ce monde. La
vie de famille, par exemple, quand les relations ne sont pas bonnes,
peut
donner à penser que nous sommes vraiment devenus
désenchantés, comme il est dit
dans les enseignements, mais ce n’est pas le cas. Il ne
s’agit, dans ce cas,
que de
« pollutions mentales »
qui
s’accumulent et oppressent
notre cœur. Quand vous vous dites :
« J’en
ai vraiment assez. Je vais
tout abandonner ! », il s’agit
d’une
lassitude due aux pollutions
mentales. Ce qui se passe, en réalité,
c’est que
ces pollutions sont plus
fortes maintenant qu’avant que vous ne vous mettiez en
tête
cette idée de
lassitude par rapport aux choses qui vous posent problème.
C’est
comme l’idée que
nous nous faisons de mettā, l’amour bienveillant. Nous
croyons que nous sommes
censés aimer tout le monde et tous les êtres
vivants, alors nous nous
disons : « Je ne devrais pas être
en colère contre eux ; je devrais
avoir de la compassion ; les êtres vivants sont
vraiment dignes
d’amour. » Au début, vous avez
de l’affection pour eux et, à la fin, cette
affection se transforme en désir et en attachement. Faites
attention ! Il
ne s’agit pas de ce que nous appelons
généralement
« amour », ce
n’est pas mettā dans le sens du Dhamma, c’est mettā
mélangé à de
l’égoïsme.
Nous voulons obtenir quelque chose des autres et nous appelons cela
mettā.
C’est un peu comme notre
soi-disant désintérêt pour le
monde.
« Oh ! Oui, je suis vraiment
fatigué de tout cela, je me
retire ! » C’est tout simplement
une grosse pollution mentale, pas
une lassitude du monde ou un détachement. On emploie les
mêmes termes mais pas
dans le sens que leur a donné le Bouddha. Si c’est
authentique, il y a
renoncement sans aversion ni agressivité, sans
qu’aucun mal ne soit fait à
personne. On ne se lamente pas, on ne blâme rien. On
considère simplement tout
comme étant vide.
On
arrive alors à ce point
où l’esprit est vide, vide de tout attachement aux
choses. Cela ne veut pas
dire qu’il n’y a rien, ni gens ni objets dans le
monde. Il y a l’esprit
vide ; il y a les gens, il y a les choses, mais dans
l’esprit tout ceci
est perçu dans sa vérité,
c’est-à-dire comme quelque chose
d’incertain. On voit
les choses pour ce qu’elles sont, on voit qu’elles
suivent leur cours naturel
comme éléments de la nature apparaissant et
disparaissant.
Imaginons
que vous ayez un
vase. Pour vous, c’est un bel objet mais, de son
côté, le vase existe de
manière neutre. Il n’a rien à dire.
Vous êtes le seul à avoir des sentiments
à
son sujet, à en faire une question de vie ou de mort. Si
vous ne l’aimez pas ou
si vous le détestez carrément, cela ne le touche
pas, c’est votre affaire, il y
est indifférent ; tandis que vous, vous avez des
sentiments d’attirance ou
d’aversion et vous vous y attachez. Nous jugeons les choses
comme étant bonnes
ou mauvaises. Ce « bon » trouble
notre cœur et ce
« mauvais » trouble notre
cœur. Tous deux sont des pollutions
mentales, le produit d’une compréhension
erronée.
Il
est inutile de nous
enfuir ailleurs ; tout ce que nous avons à faire,
c’est regarder et
étudier cela à fond. L’esprit est
ainsi. Quand nous n’aimons pas quelque chose,
l’objet de notre aversion n’est pas
touché, il reste tel quel. Quand nous
aimons quelque chose, cette chose n’est pas
touchée par notre attirance, elle
reste telle quelle. Tout ce que nous faisons, c’est nous
rendre fous.
Nous
croyons certaines
choses bonnes, nous voyons d’autres choses comme
fantastiques, mais nous ne
faisons que projeter ces idées à partir de
nous-mêmes. Si nous sommes
conscients de nous-mêmes, nous comprendrons que toutes ces
choses sont égales.
Nous
pouvons aisément
illustrer cela avec l’exemple de la nourriture. Nous trouvons
que tel ou tel
aliment est délicieux ; quand nous voyons les plats
sur la table, ils nous
attirent ; mais une fois que tout est
mélangé dans notre estomac, c’est
une autre histoire. Pourtant nous regardons tous les plats et
disons :
« Celui-ci est pour moi, celui-là est
à toi, celui-là est à
elle. »
Mais quand nous aurons fini de manger et que la nourriture ressortira
de
l’autre côté, il est probable que
personne ne va se pencher dessus pour
dire : « Ceci est à moi et cela
est à toi », n’est-ce pas ?
Serez-vous toujours aussi possessif et gourmand à ce
moment-là ?
Ceci
pour exprimer les
choses brièvement et simplement. Si notre vision est claire
et que nous
fonctionnons en conséquence, tout aura une même
valeur à nos yeux. Quand nous
avons des désirs et que nous pensons en termes de
« mien » et de
« tien », les choses se terminent
en conflit. Quand nous donnons une
même valeur à tout, il n’y a pas
d’appartenance à qui que ce soit, ce ne sont
que des conditions qui existent telles qu’elles sont. Quel
que soit le raffinement
de la nourriture que nous mangeons, une fois transformée en
excrément, personne
ne veut la ramasser et en faire toute une histoire, personne ne va se
battre
pour elle.
Quand
nous réalisons que
toute chose fait partie de ce Dhamma unique, que tout est de
même nature, nous
relâchons notre saisie, nous posons les choses ;
nous voyons qu’elles sont
vides et nous ne ressentons ni amour ni haine pour elles. Nous sommes
en paix.
Il est dit : « Le nibbāna est le bonheur
suprême, le nibbāna est la
vacuité suprême. »
Je
vous demande de bien
écouter ceci : le bonheur dans le monde
n’est pas le bonheur suprême, le
bonheur ultime. Ce que nous concevons comme la vacuité
n’est pas la vacuité
suprême. S’il s’agit
réellement de la vacuité suprême, il y
a la fin de la
saisie et de l’attachement. S’il s’agit
réellement du bonheur suprême, il y a
la paix. Mais la paix que nous connaissons n’est pas encore
suprême, le bonheur
que nous connaissons n’est pas suprême. Si nous
atteignons le nibbāna, la
vacuité est suprême, le bonheur est
suprême. Et il y a une
transformation : le bonheur est transformé en
paix ; le bonheur est
présent mais on ne lui accorde pas de sens
particulier ; et la souffrance
est également présente. Quand bonheur et
souffrance apparaissent, on les voit
comme égaux, ils ont la même valeur.
Les
expériences
sensorielles que nous aimons ou n’aimons pas sont, dans
l’absolu, de même
valeur, mais quand elles nous touchent, nous ne les percevons pas
ainsi. Si
quelque chose nous plaît, nous nous en
réjouissons ; si quelque chose nous
déplaît, nous voulons que cela disparaisse. Donc
les expériences sont
différentes pour nous mais, en vérité,
elles sont égales. Nous devons nous
exercer à les voir ainsi : les choses sont de même
valeur dans la mesure où
elles sont toutes instables et impermanentes.
C’est
comme l’exemple de
la nourriture. Nous disons que ce type d’aliment est bon, ce
plat est
délicieux, celui-là est merveilleux. Mais quand
ils se retrouvent tous mélangés
dans le corps et quand ils sont ensuite éjectés,
c’est tout pareil. A ce
moment-là, personne ne va se plaindre qu’il
n’en a pas eu assez ; à ce
moment-là, l’esprit ne va pas se laisser emporter.
Si
nous ne voyons pas la
vérité de l’impermanence, de
l’insatisfaction et du non-soi, il ne peut y avoir
de fin à la souffrance. Si nous sommes attentifs, nous
pouvons voir cette
vérité à tout moment. Elle est
présente dans l’esprit et le corps et nous
pouvons la voir. C’est là que nous trouvons la
paix.