Le Dhamma de la Forêt


Le véritable amour est éveillé

Anthony de Mello

Extraits de Autoliberación

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


La spiritualité, c’est l’Éveil, parce que c’est seulement quand nous sommes éveillés que nous pouvons pénétrer la vérité et découvrir les nœuds qui nous empêchent d’être libres. Voilà ce qu’est l’Éveil, l’illumination ! C’est comme le lever du soleil sur la nuit, l’apparition de la lumière dans l’obscurité. C’est la joie qui se découvre elle-même, dénuée de toute forme.

La douleur existe, tandis que la souffrance n’apparaît que lorsqu’on résiste à la douleur. Si on accepte la douleur, la souffrance n’existe pas. La douleur n’est pas insupportable ; ce qui est insupportable, c’est d’avoir le corps ici et l’esprit dans le passé ou dans le futur. L’intolérable, c’est vouloir changer la réalité. Voilà ce qui est intolérable. C’est une lutte inutile, aussi inutile que son aboutissement : la souffrance. On ne peut pas lutter pour une chose qui n’existe pas.

Il est inutile de chercher le bonheur là où il n’est pas, ni de prendre la vie pour ce qu’elle n’est pas, car ainsi nous créons une souffrance qui est purement et simplement le produit de notre propre résistance à l’inévitabilité de ce qui est. Ensuite, avec cette souffrance arrivent le malaise, l’angoisse, la peur, l’insécurité, etc. Rien de tout cela n’existe, excepté dans notre esprit endormi. Lorsque nous nous éveillons, tout disparaît.

Résister à la réalité en faisant des histoires à tout propos, c’est se donner de l’importance. Or ce qui est sûr, c’est que nous, en tant qu’individus, nous ne sommes pas importants du tout. Ni nous, ni nos décisions ni nos actions n’ont d’importance dans le grand mouvement de la vie. C’est la vie qui importe et la vie suit son cours [Voir à ce propos le merveilleux texte de J.B. Priestley, La flamme blanche de la Vie]. C’est seulement lorsque nous comprenons cela et que nous nous harmonisons avec le tout, que la vie prend tout son sens.

D’habitude nous cherchons simplement à être soulagés de nos souffrances, pas à guérir. Quand vous souffrez, êtes-vous prêt à prendre suffisamment de recul par rapport à cette souffrance pour l’analyser et découvrir son origine cachée ? Vous dites-vous : « Ma vie est pleine de confusion. Suis-je capable de le reconnaître ? J’ai besoin d’être davantage à l’écoute de ce qui se passe en moi. Suis-je capable de voir que c’est moi qui crée ma propre souffrance et mes angoisses ? » Si vous parvenez à ce genre de considération, c’est que vous commencez à vous éveiller.

Le Bouddha a dit : « Le monde est plein de douleur et cette douleur engendre la souffrance. La racine de la souffrance est le désir. Si vous voulez vous débarrasser de cette forme de douleur, il faudra vous débarrasser du désir. »

Le désir est-il une bonne chose ? C’est une question de vocabulaire. Dans notre langue, le mot « désir » inclut les bons désirs qui stimulent l’action, et les désirs stériles qui ne mènent à rien. Pour que ce soit bien clair, nous appellerons ces derniers « désirs-attachements ».

La cause fondamentale de la souffrance est le désir-attachement. Dans la mesure où nous désirons une chose de manière compulsive et que nous investissons en elle toute notre soif de bonheur, nous nous exposons à la désillusion de ne pas l’obtenir. Si vous n’aviez pas autant désiré que votre ami vous accueille, vous écoute et vous prenne en considération, vous ne seriez pas blessé par son indifférence ni par son rejet.

Là où il n’y a pas de désir-attachement, il n’y a pas de peur parce que la peur est la face cachée du désir, elle est inséparable de lui. Sans ce type de désirs, personne ne peut vous intimider, personne ne peut vous dominer ni vous voler parce que, si vous n’avez pas de désirs, vous ne craignez pas que l’on vous prenne quoi que ce soit.

Là où il y a l’amour il n’y a pas de désir. Voilà pourquoi l’amour est dépourvu de peur. Si vous aimez vraiment votre ami, vous devez pouvoir lui dire en toute sincérité : « Ainsi, sans les lunettes teintées par le désir, je te vois comme tu es et non pas comme j’aimerais que tu sois ; et c’est ainsi que je t’aime déjà, sans craindre que tu ne t’échappes, que tu me manques ou que tu ne m’aimes pas. »

Parce qu’en réalité, que voulez-vous ? Aimer cette personne telle qu’elle est ou une image qui n’existe pas ?

Dans la mesure où nous pouvons nous défaire de ces désirs-attachements, nous pouvons aimer. Le reste, ne doit pas être appelé « amour » parce que c’est tout le contraire du véritable sens de l’amour.

Les personnes peu sûres d’elles ne souhaitent pas vraiment être heureuses parce qu’elles ne veulent pas prendre le risque d’être libres. C’est pour cela qu’elles préfèrent noyer leur insécurité dans l’exaltation du désir. Mais avec les désirs viennent la peur, l’anxiété, les tensions et, bien entendu, la désillusion et la souffrance persistante. On passe ainsi de l’exaltation au désespoir. Combien de temps dure le plaisir de croire que l’on a obtenu ce que l’on désirait ? La première gorgée de plaisir est un enchantement, mais elle est aussitôt inévitablement rattrapée par la peur de le perdre.

Et quand on commence à être rongé par le doute, la tristesse arrive. La joie et l’exaltation de voir votre ami arriver sont proportionnelles à la peur et à la douleur de le voir partir… ou quand vous l’attendez et qu’il ne vient pas… Cela en vaut-il la peine ? Là où il y a la peur, il n’y a pas d’amour – vous pouvez en être absolument certain.

Quand nous sortons de notre sommeil et que nous voyons la réalité telle qu’elle est, notre insécurité cesse et les peurs disparaissent. Nous comprenons et acceptons que la réalité est ce qu’elle est, et que rien ne pourra la changer. Dès lors, je peux dire à cette personne : « Comme je n’ai pas peur de te perdre, car tu n’es pas un objet que l’on peut s’approprier, je peux t’aimer telle que tu es, sans désir, sans attachement ni conditions, sans égoïsme et sans vouloir te posséder. »

Et cette forme d’amour est une joie infinie.