Le Dhamma de la Forêt



Comprendre le bouddhisme

Ajahn Suchart

Traduit de l’anglais par Julien (Phra Pajjoto)

http://www.dhammadelaforet.org/



Ce qui suit est une interview qu'Ajahn Suchart a accordée à une chaîne de télévision thaïlandaise en 2007 

(cf. www.kammatthana.com/dhamma_talks.htm).


Question : Pouvez-vous s'il vous plaît nous parler de votre vie avant de devenir moine ?

Ajahn Suchart : Je suis né en 1947 à Bangkok. Quand j’avais environ 10 ans, mes parents ont déménagé à Pattaya. Ils m'ont envoyé étudier à Bangkok dans une école de missionnaires américains fondée par une organisation chrétienne nommée Les Adventistes du Septième Jour. Elle s'appelle maintenant "Ekamai International School". L’enseignement est donné en anglais sur la base du système d'éducation américain.

Après le lycée, j'ai travaillé environ un an et demi en tant que traducteur-interprète, ce qui m’a permis d’économiser assez d’argent pour aller à l'université aux États-Unis, en Californie, où j'ai obtenu un diplôme d’ingénieur en génie civil. Ensuite, je suis rentré en Thaïlande et j’ai pris du temps pour moi, pour apprendre des choses qui m'intéressaient, en particulier la religion.

Finalement, j'ai été amené à pratiquer la méditation bouddhiste et j'ai découvert qu’elle m’était profitable, dans le sens où j’y trouvais la paix de l’esprit et un grand bonheur intérieur. J’ai donc cherché à continuer sur cette voie et le seul moyen était de devenir moine. En effet, le but principal du moine est de rechercher la paix intérieure en pratiquant la méditation. Pour cela, il doit renoncer à tout confort matériel et rechercher uniquement la paix et la joie de l'esprit. C'est pour cette raison que je me suis fait ordonner, en février 1975.



Question : Quel est le quotidien d'un moine à Wat Yanasangwararam ?

Ajahn Suchart : La journée commence à environ 4h du matin. Quand la cloche sonne, les moines se retrouvent dans l'édifice principal pour une heure de méditation suivie de 30 minutes de « chants » (ou, plus exactement, de récitations psalmodiées). Ensuite, nous nous préparons à partir en quête de nourriture dans les villages environnants. Des pickups et des minibus nous déposent dans différents villages. Là, nous marchons en silence dans la rue et des laïcs nous offrent de la nourriture, pendant environ 30 minutes. Ensuite, nous nous retrouvons dans la salle à manger du monastère où nous partageons ce que nous avons collecté, et recevons encore de la nourriture de la part de personnes venues de Pattaya ou de Rayong.

Une fois par semaine a lieu le jour d'observance lunaire que l'on nomme en thaï wan phra. C’est le jour de la semaine où les bouddhistes vont dans un monastère pour y accomplir leurs devoirs religieux, comme offrir de la nourriture aux moines et renouveler la prise des Cinq Préceptes : s'abstenir de tuer, de voler, de commettre l’adultère, de mentir et de consommer de l’alcool ou des drogues. Ce sont les cinq règles principales que le Bouddha a données aux laïcs pour les protéger de toutes sortes de difficultés.

Avant de manger, je donne aux laïcs un enseignement d’une demi-heure sur divers aspects de l'enseignement du Bouddha. Puis les moines commencent à manger, et les laïcs peuvent se servir de la nourriture qu’ils ont laissée. Après le repas, les laïcs retournent chez eux ou vont travailler, tandis que les moines nettoient la salle à manger. Ils retournent ensuite dans leur habitation, et sont libres de pratiquer la méditation, d'étudier les textes ou simplement de se reposer.

Dans l'après-midi, vers 15h, ils sont autorisés à consommer des boissons, comme thé, café ou jus de fruits. Ici nous ne mangeons qu'une fois par jour car nous suivons la tradition des moines de la forêt.

Il y a deux types de traditions dans le bouddhisme thaïlandais, celle de la ville et celle de la forêt. Les moines de la ville prennent deux repas par jour : un repas léger le matin et un autre avant midi, vers 11h. Leur tâche principale est l'étude des Écritures, tandis que les moines de la forêt recherchent la tranquillité de la nature pour pratiquer la méditation. Ils ne mangent qu'une fois par jour parce que c'est plus simple quand on vit dans la forêt, d’autant que les gens qui nous donnent à manger sont généralement des fermiers qui doivent aller travailler dans les rizières après nous avoir offert la nourriture le matin. Ne manger qu’une fois par jour est également une aide pour la méditation car moins nous mangeons, moins nous risquons de somnoler lorsque nous méditons. Quand on mange beaucoup, généralement on s'endort.

Mais retournons aux devoirs du moine. Donc vers 15h, les moines vont à ce que nous appelons le « coffee shop » où ils peuvent boire des boissons chaudes ou froides. Ensuite, ils balayent les allées et tout le monastère. Cela fait, ils se lavent et se préparent pour la méditation et les chants du soir, qui commencent vers 18h et durent jusqu'à 19h30. Puis ils retournent dans leurs quartiers pour continuer la pratique de la méditation en marchant ou assis. Ensuite ils se préparent pour le lendemain et se couchent pour la nuit.

Voilà notre routine quotidienne. Il n'y a pas de jour de congé ! En réalité, être moine c'est un peu comme être en vacances dans le sens où nous n’avons pas à aller travailler, payer des factures ou un loyer. Tout est pris en charge par les disciples laïcs.  La seule chose attendue de nous est : faire le bien, s'abstenir de faire le mal et purifier l'esprit en éliminant les trois impuretés mentales que sont le désir, l'aversion (ou animosité) et les croyances erronées. Ce sont les causes de tous les conflits dans le monde et en nous-mêmes. Si nous ne sommes ni satisfaits ni heureux, c’est à cause de ces trois impuretés mentales. Si nous pouvions nous en libérer, nous pourrions être paisibles tout le temps. Nous ne serions plus avides de quoi que ce soit.



Question : Que signifie « kamma » ? Et comment pouvons-nous être heureux dans la vie tout le temps ?

Ajahn Suchart : Kamma, dans le bouddhisme, signifie « action » ; mais ce mot recouvre en réalité tout ce que nous pensons, disons et faisons qui va causer joie ou tristesse. Nous devons donc surveiller tout ce que nous faisons, disons et pensons. En particulier ce que nous pensons car ce sont les pensées qui dictent nos actes et nos paroles. Aujourd'hui, par exemple, avant de venir, vous avez d'abord dû penser que vous vouliez venir me voir. Ensuite vous avez dû dire à vos amis de préparer l'équipement et de venir ici. Ces trois actions sont le kamma : pensées, mots et actes ; ils peuvent être bons, mauvais ou ni l'un ni l'autre. Si vous faites une bonne action, vous êtes heureux et vous vous sentez bien. Parfois, en Thaïlande, à l’occasion de leur anniversaire, les gens font des actions charitables, comme donner de la nourriture aux personnes défavorisées ou handicapées, par exemple. Quand on agit ainsi, on se sent bien. À l'inverse, si vous commettez un vol ou si vous dites quelque chose de méchant à quelqu'un, vous allez vous sentir mal par la suite. Donc si vous faites seulement des bonnes actions, vous serez toujours heureux mais si vous agissez mal, vous vous sentirez toujours mal. C'est pourquoi le Bouddha a insisté sur ces deux actions que j'ai mentionnées plus tôt : faire le bien et s'abstenir de faire le mal.

En plus de cela, vous devez aussi vous libérer des trois impuretés mentales que sont le désir, l'aversion et les croyances erronées, parce qu'elles sont la source de nos mauvaises actions, même si cela ne vous semble pas évident. Lorsque vous désirez quelque chose et que vous pouvez l'obtenir de façon légale ou morale, il n’y a pas de problème ; mais si vous ne pouvez pas vous l'offrir et que néanmoins vous continuez à le vouloir, vous pourriez en venir à le voler ou à dévaliser une banque pour arriver à vos fins. Tout cela vient de l'avidité : avoir des désirs, vouloir ceci ou cela.

En réalité, nous n'avons pas besoin de quoi que ce soit pour être heureux, juste de nous asseoir calmement. Mais nous n’y parvenons pas car nos désirs nous poussent continuellement à aller quelque part ou à acquérir des choses, ce qui nous crée des problèmes. Nous sommes amenés à rivaliser avec d’autres et nous risquons d’avoir à faire des choses qui ne sont pas justes, correctes ou légales, ce qui va nous attirer des ennuis.  Mais si nous pouvons surmonter notre avidité et nos désirs de posséder ceci ou de faire cela, nous pourrons simplement rester chez nous, sains et saufs.

La source de tous nos problèmes vient donc de notre avidité, de notre aversion et de nos illusions. Lorsque nous voulons quelque chose et qu'une personne nous empêche de l'avoir, nous sommes furieux contre elle, en colère et nous voulons lui faire du mal. Ce sont nos croyances erronées qui nous rendent avides et qui nous empêchent de savoir ce qu'est le véritable bonheur. Nos illusions nous disent qu'il y a toujours quelque chose de mieux de l'autre côté de la clôture, que l'herbe y est toujours plus verte. Mais en réalité, il n'y a rien dans ce monde qui puisse nous apporter le véritable bonheur. Tout est accompagné de problèmes, de souffrances, d'anxiétés et d'inquiétudes, parce que tout change, rien n’est immuable.

Lorsque l'on obtient ce que l'on désire, au début c'est plaisant mais en l'espace de quelques jours, les choses tournent à l’aigre ou se gâtent et l'on doit rechercher quelque chose d'autre. Cela s'applique à tout : humains, animaux, animés ou inanimés. Le Bouddha a dit que tout est impermanent et devient cause de tension, d’anxiété et d’inquiétude. Si l'on désire une vie calme et paisible, on doit renoncer à toutes ces choses, ne plus compter sur elles. C'est ce que l'on nomme la sagesse. Nous devons être capables de nous dire que rien dans ce monde n'en vaut la peine et qu'il vaut mieux vivre sans ces choses. Mais c'est difficile car nos illusions et notre avidité nous bousculent constamment, nous empêchant de rester en place, chez nous, sans rien faire. Nous nous sentons très mal, seuls et déprimés, nous nous ennuyons lorsque nous n’avons rien à faire.

Mais ces émotions peuvent être surmontées avec la pratique que le Bouddha a prescrite pour chacun de nous, ces trois actions : faire le bien, éviter de faire le mal et éliminer les trois impuretés mentales. Faire le bien signifie aider autrui ou se montrer généreux ; éviter de faire le mal signifie ne pas blesser autrui en observant les Cinq Préceptes ; et, pour éliminer les trois impuretés mentales – avidité, aversion et compréhension incorrecte de la réalité – nous devons méditer.

Pour méditer, l'on doit s'asseoir et se concentrer sur un objet précis – la respiration, par exemple. L'attention doit être simplement posée sur cet objet en essayant d'éviter de penser à quoi que ce soit. Nous devons rester seulement concentrés sur la respiration. Quand nous inspirons, être conscients que nous inspirons. Quand nous expirons, être conscients que nous expirons. Il faut observer l’esprit, ne pas le laisser vagabonder ailleurs. Si nous persévérons ainsi, en restant centrés sur la respiration, tôt ou tard, l'esprit s’unifiera et tombera dans le calme, comme une balle de golf tombe dans un trou : une fois dedans, elle ne peut plus bouger. De la même manière, lorsque l'esprit converge en un point unique, il va se poser et être en paix avec lui-même. À ce stade, nous faisons l’expérience de la « béatitude », une sensation de bien-être, de calme et de satisfaction. Si nous éprouvons cela ne serait-ce qu’une fois, nous saurons que c'est ce que nous recherchons tous. C'est le « Saint Graal » bouddhique.



Question : Ceux qui ont péché, peuvent-ils être pardonnés ?

Ajahn Suchart : Non, les péchés – ou actions négatives – une fois commis, vont porter des fruits qui vont nous revenir tôt ou tard. Peut-être pas dans cette vie, peut-être dans la suivante. Mais nous pouvons déjà ressentir dans notre esprit le résultat de nos mauvaises actions : un malaise, une angoisse, une inquiétude – et si l'on croise un policier, on peut vraiment avoir peur. C'est déjà le fruit de nos péchés, ils ne peuvent être ni absous ni lavés.


Question : L'enfer et le paradis existent-t-il réellement après la vie ?

Ajahn Suchart : L'enfer et le paradis existent déjà ici, dans cette vie, mais aussi dans l'après-vie. Lorsque l'on se sent bien après avoir fait une bonne action, c'est déjà le paradis. Tout se passe dans l'esprit. Lorsque l'on agit mal, on se sent mal, ce qui est déjà l'enfer, dans cette vie même. Dans le bouddhisme, paradis et enfer existent aussi dans l'après-vie. C'est le résultat de notre kamma, de nos actions passées. Par exemple, lorsque l'on meurt, s'il est temps pour nos mauvaises actions de porter leurs fruits, on doit aller en enfer, et si le temps est venu pour nos bonnes actions de porter leurs fruits, on va se retrouver dans ce que l'on nomme paradis.

Mais le paradis et l'enfer ne se trouvent pas à un lieu particulier. Il s’agit plutôt d’états d'esprit. La nature de l'esprit est très difficile à saisir. Nous avons tous un esprit. Sans l'esprit, nous ne serions ni conscients ni capables de sentir et de connaître ce qui nous entoure. L'esprit est la conscience, ce qui sait, la graine de nos émotions, de nos souffrances et de nos joies, le produit de ce que nous faisons, disons et particulièrement de ce que nous pensons. Lorsque nous avons de bonnes pensées, nous nous sentons bien, et c'est déjà le paradis à cet instant.

Tout ce que nous faisons de positif comme de négatif, va s'accumuler et devenir une habitude qui va nous pousser à répéter ces actes encore et encore. Le paradis et l'enfer se situent dans l'esprit, et ne peuvent pas être perçus à l'œil nu. La seule façon de percevoir l'esprit et d'apprendre à le connaître, est de pratiquer la méditation où nous fixons notre attention sur un objet mental spécifique, tel que la respiration, jusqu'à ce que l'esprit converge et s'immobilise dans la paix et le calme. C'est à ce moment-là que nous pourrons voir l'esprit car, dans cet état, l'esprit est temporairement détaché du corps et de toutes les données sensorielles, comme les formes, les sons, les odeurs, le goût et le toucher qui dépendent des portes sensorielles correspondantes : les yeux, les oreilles, le nez, les papilles et la peau. Nous verrons l'esprit dans sa forme pure et nous saurons que c’est là que se situent le paradis et l'enfer.

En effet, lorsque le corps cesse de fonctionner, l'esprit ne s'arrête pas avec lui. Il va continuer à évoluer à partir de l'état d'esprit que nous aurons développé. Si nous avons régulièrement bien agi, un bon état d'esprit comme le paradis ou le nirvana va se manifester. Dans l'état de nirvana, l'esprit est complètement libre de toutes souffrances parce que les trois impuretés ont été complètement supprimées. Si nous avons régulièrement mal agi, des états d'esprit négatifs comme angoisses, inquiétudes ou anxiété vont ronger l'esprit. C'est l'enfer.

Donc pour répondre à votre question, l'enfer et le paradis existent vraiment, mais ne se trouvent pas à un endroit particulier. Il s'agit plutôt d'un état d'esprit au moment de la mort du corps. Il peut durer très longtemps mais sera finalement remplacé par un autre état d'esprit. S'il est joyeux, nous goûterons au paradis, tandis que si l'esprit est tourmenté par les feux de la peine, l'anxiété, l'inquiétude, la colère ou la peur, nous endurerons l'enfer pendant un certain temps. Plus tard, un autre état d'esprit supplantera encore celui-là, et ainsi de suite.

Ce processus continue sans arrêt sous l’effet du kamma engendré précédemment, jusqu'à ce que nous obtenions à nouveau l’état d'esprit d’un être humain. Nous naîtrons alors en tant qu’humain, tandis que si nous avons l'état d'esprit d'un animal, nous renaîtrons en tant qu'animal. Ce qui sépare l'humain de l'animal, c’est le respect des Cinq Préceptes. Si nous pouvons maintenir une conduite morale vertueuse, nous créons un futur état d'esprit humain, tandis que si nous menons notre vie de façon immorale, nous créons un futur état d'esprit animal. Ce sont les bons et mauvais kamma qui nous façonnent en humains ou en animaux et qui nous envoient au paradis ou en enfer.



Question : Vous nous avez parlé des tâches d'un moine au sein d'un monastère, mais que pensez-vous de celles d'un laïc ?

Ajahn Suchart : Pour les laïcs, les trois catégories d'action que j'ai mentionnées plus tôt s'appliquent aussi, mais à un moindre degré.

Pour eux, faire le bien signifie aider autrui, comme les personnes handicapées, les personnes âgées, les personnes dans le besoin ou les moines, car ceux-ci ne peuvent pas gagner leur vie eux-mêmes. Ils dépendent de la générosité des laïcs pour vivre. C'est pourquoi en Thaïlande, chaque matin les laïcs donnent de la nourriture aux moines qui passent devant leur maison. Si cette occasion ne se présente pas, ils attendent le jour d'observance ou le week-end pour venir au monastère offrir de la nourriture aux moines. Ces exemples ne sont qu’un petit aperçu de ce que signifie faire le bien, car cela peut couvrir toute forme de charité ou toute action bénéfique qui ne nuit pas à autrui ou aux animaux.

Si vous fournissez l'abri et la nourriture à un chien errant, c'est aussi une bonne action. Mais les bouddhistes en Thaïlande croient que donner aux moines va leur apporter plus de mérite, car les moines étudient et pratiquent l'enseignement du Bouddha et par la suite instruisent les laïcs qui n'ont pas le temps d'étudier eux-mêmes et se reposent sur les moines pour leur enseigner le Dhamma.

S'abstenir de faire le mal signifie maintenir les Cinq Préceptes, qui sont adaptés aux laïcs : s'abstenir de tuer, de voler, de commettre l'adultère, de mentir, et de consommer de l'alcool ou des drogues. La raison pour laquelle nous devons nous abstenir de boissons alcoolisées et de drogues, c’est qu’elles nous font perdre notre faculté à contrôler nos pensées et notre esprit. Nous allons penser des choses insensées et puis les réaliser, ce qui pourrait heurter autrui. Mais si vous voulez vraiment en consommer, vous devriez d'abord vous attacher, par exemple à un lit, pour être sûr de ne nuire à personne.

Pour réussir à éliminer notre avidité, notre colère et notre incompréhension de la réalité, nous devons méditer. Le plus simple pour les laïcs est la récitation de versets. En se concentrant sur le chant, et en ne pensant à rien d'autre, l'esprit va progressivement devenir calme et satisfait, parce qu'il n'a pas l'opportunité de penser et de s’inquiéter. C'est la forme de méditation la plus simple qui va nous préparer à nous concentrer sur un objet précis, tel que l'inspiration et l'expiration.

Nous méditons pour deux raisons : développer le calme mental et la sagesse, c’est-à-dire percevoir la vraie nature de tous les processus physiques et mentaux. Une fois l'esprit paisible, il devient raisonnable, logique et impassible, prêt à percevoir la réalité de la vie, à laquelle nous seront tous obligés d’être confrontés. Ayant pris naissance, nous sommes tous sujets à la vieillesse, à la maladie et à la mort à laquelle personne n'échappe. La meilleure façon d'y faire face est de s'y préparer.

Le corps ne sait pas qu'il va vieillir, être malade et mourir. L'esprit s'identifie au corps et s'y attache à cause de nos croyances erronées. Lorsque le corps vieillit, tombe malade et meurt, l'esprit pense qu'il est celui qui subit ce processus, alors qu'en réalité il n'en est rien. L'esprit poursuit son chemin après la dissolution du corps. Donc nous devons apprendre à notre esprit à être courageux et à affronter la réalité du corps humain. Lorsque l'esprit deviendra calme et posé, il acceptera ce fait sans anxiété ni agitation. Ceci est le développement de la sagesse dans le bouddhisme ; connaître la réalité de la vie et y faire face calmement, parce que l'esprit n'est pas sujet à la vieillesse, à la maladie ou à la mort, seul le corps l'est. L’esprit interprète mal les choses quand il croit qu’il devient vieux, qu’il est malade et qu’il va mourir.

Une fois que l'esprit a réalisé la vérité, il ne va plus résister ni avoir peur. Il va l'accepter simplement comme tout le reste, comme la pluie, la tempête, le beau ou le mauvais temps. Ils vont et viennent mais l'esprit ne change pas pour autant. Il en prend juste conscience.

Voilà les trois tâches que le Bouddha a recommandées pour les laïcs ; pratiquer la charité, s'abstenir d'un comportement immoral en observant les Cinq Préceptes, et pratiquer la méditation pour apaiser l'esprit et ensuite méditer en profondeur sur l'impermanence de la vie



Question : Pourquoi et comment nous défaire de nos possessions matérielles ?

Ajahn Suchart : Les possessions peuvent être à la fois bénéfiques et nuisibles. Certaines sont nécessaires pour vivre confortablement. Le corps a quatre nécessités pour se maintenir en vie ; il a besoin de nourriture, d'une habitation, de vêtements et de médicaments. Mais nous ne devrions pas posséder plus que le nécessaire. Le surplus ne sera qu'un fardeau dont nous devrons prendre soin. Si nous vivons simplement, nous pouvons nous débarrasser de beaucoup de choses. Posez-vous ces questions à chaque fois que vous désirez quelque chose : "En ai-je vraiment besoin ? Puis-je vivre sans ?" Si vous pouvez vivre sans et n'en avez pas réellement besoin, vous pouvez vous en débarrasser.



Question : Comment pensez-vous que les gens perçoivent le bouddhisme à notre époque?

Ajahn Suchart : Aujourd'hui, leur compréhension est plutôt éloignée du cœur de l'enseignement du bouddhisme. Le Bouddha a toujours enseigné le principe du kamma : on ne peut compter que sur soi, le Bouddha lui-même ne peut pas vous aider. Pourtant, souvent les gens vont au temple, prient et demandent des choses aux représentations du Bouddha. Ceci n'est pas son enseignement, car il a toujours dit : "Vous êtes votre propre refuge".

Vous devez faire le bien pour obtenir de bonnes choses dans la vie et vous abstenir de faire le mal si vous ne voulez pas en supporter les conséquences. Vous devez vous défaire de votre avidité, de vos aversions et de votre compréhension erronée de la réalité. Mais, au lieu de cela, les gens s'adressent au Bouddha avec avidité, ils veulent que leur conjoint leur soit fidèle ; ils veulent être toujours en bonne santé… Le Bouddha ne peut pas nous offrir ces choses-là, car notre santé dépend de notre mode de vie. Si vous ne buvez pas d'alcool et faites de l’exercice, vous serez en meilleure santé que quelqu'un qui boit et ne fait rien. Vous ne devez compter que sur vous-même, le Bouddha est juste un enseignant.

Mais la plupart des bouddhistes en Thaïlande n'en sont pas conscients. Ils pensent que le Bouddha est un dieu qui va toujours répondre à leurs prières et leurs voeux. S'ils désirent être admis dans une université, ils prient le Bouddha et passent trois jours dans un temple, dans l'espoir d'être accepté par l'université. Parfois cela se réalise, non pas grâce aux prières, mais parce qu'ils ont étudié sérieusement et possèdent le niveau requis. Ceux qui ne font pas la distinction entre les causes et les effets vont croire que telle représentation du Bouddha ou tel moine éminent peut influencer le cours des choses. S'ils ont besoin de quelque chose, ils vont prier et donner de l'argent. Lorsqu'ils obtiennent ce qu’ils veulent, ils vont raconter à d’autres comment tel moine ou telle représentation du Bouddha est efficace et puissante. Ces derniers vont alors se précipiter au temple sans penser qu’il s’agit d’une simple coïncidence. Beaucoup de bouddhistes thaïlandais ont ces croyances erronées parce qu'ils n'étudient pas l'enseignement du Bouddha.



Question : Pourquoi est-ce que des étrangers se font moines et viennent vivre dans les monastères ? Qu'est-ce qui les attire autant dans le bouddhisme ?

Ajahn Suchart : Parce qu'ils étudient le bouddhisme, ils comprennent et apprécient cet enseignement. Ils savent qu'en le mettant en pratique, ils en obtiendront des bienfaits. Comme moi, lorsque j'ai commencé à étudier l'enseignement du Bouddha et à le mettre en pratique dans mon quotidien en pratiquant la méditation. J'ai découvert en moi quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant mais que nous avons tous en nous.

Nous regardons continuellement à l'extérieur, à la recherche d'argent et de possessions, mais nous ne sommes jamais vraiment heureux avec ce que nous avons, parce que les possessions ne sont pas la réponse à notre désir de bonheur. Le vrai bonheur nous attend à l'intérieur de nous-mêmes. En méditant, nous pouvons rassembler l'esprit dans un état d'absorption et d'unité où nous allons faire l'expérience d'un bonheur jamais encore vécu.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les étrangers deviennent moines en Thaïlande. Ils étudient d’abord l'enseignement du Bouddha et puis ils le mettent en pratique au quotidien en effectuant des actions charitables, en s'abstenant de nuire à autrui, et en méditant. Ils observent alors de bons résultats, ce qui leur donne envie d'en avoir plus, et la meilleure façon pour cela est de devenir moine. Or la Thaïlande est probablement le meilleur endroit pour se faire ordonner, car la tradition monastique y est établie depuis longtemps. Je pense que c'est la raison pour laquelle la plupart des étrangers viennent en Thaïlande pour devenir moines.

Ils ont également compris que l'acquisition de biens matériels n'est pas la solution. Ils viennent de pays plus riches et développés technologiquement que la Thaïlande et ils savent que ces choses n'apportent pas la sorte de bonheur qu'ils recherchent.



Question : Combien d'entre eux vivent ici aujourd'hui ?

Ajahn Suchart : En ce moment, il n’y a qu’un jeune étudiant Américain qui fait partie d'un programme d'échange organisé par le "Rotary Club". Il est venu me parler dès son arrivée il y a quelques mois, il voulait en savoir plus sur le bouddhisme. Après notre discussion, il a voulu tenter l'expérience et il est donc devenu moine. Il vit ici depuis et observe la routine dont je vous ai parlé plus tôt. Je lui ai demandé comment il allait et il m'a répondu qu'il était très content.



Question : Pour finir, quelles paroles de sagesse aimeriez-vous offrir à nos lecteurs occidentaux ?

Ajahn Suchart : Je vous conseillerais d'être reconnaissant d'avoir rencontré l'enseignement du Bouddha, car ce qu’il a réalisé et qu’il nous a transmis est une vérité extrêmement rare à trouver dans ce monde. Elle peut nous rendre heureux pour toujours et nous libérer de toute forme de souffrance et de chagrin. Si vous étudiez et appliquez son enseignement au quotidien, vous serez toujours heureux.

Premièrement, le Bouddha a dit de faire le bien en développant la générosité et en aidant ceux qui sont moins fortunés que vous.

Deuxièmement, de ne nuire à personne, quoi que vous fassiez.

Et troisièmement, de pratiquer la méditation pour développer la paix de l’esprit. Vous pouvez commencer en chantant mentalement quelques versets que vous connaissez. Continuez à psalmodier sans penser à quoi que ce soit pour libérer votre esprit de son agitation. Lorsque vous pensez, l'esprit s’agite. Si vous arrêtez de penser, l'agitation disparaît. Votre esprit sera alors paisible et heureux.

Le Bouddha a dit que le bonheur qui résulte d'un mental paisible surpasse tous les autres bonheurs. Mais ce n'est pas facile à accomplir, parce qu’il est dans la nature de l'esprit de penser sans arrêt, comme un singe qui va constamment sauter d'une branche à l'autre. L'esprit pense à une histoire puis à une autre et encore une autre, et cela engendre toutes sortes d'émotions. Si nous avons de bonnes pensées, nous allons nous sentir bien, mais si elles sont négatives, nous allons nous sentir mal.

Si vous avez aidé quelqu'un aujourd'hui, le rendant joyeux ou améliorant sa qualité de vie, lorsque vous vous remémorez ce fait, vous allez vous sentir bien. Tandis que si vous avez blessé ou nui à autrui, quand vous y repensez, ce sera inconfortable.

Apprenez à contrôler votre esprit. Dirigez-le vers de bonnes pensées et empêchez-le d'en cultiver de mauvaises. Pour cela, vous devez apprendre à vivre simplement, autrement votre avidité va vous pousser à faire des choses que vous regretterez plus tard. Si vous vivez simplement, vous ne ferez rien qui causera des difficultés ou blessera autrui.

Voici donc le conseil que je peux vous offrir : sachez vous satisfaire de ce que vous avez. Vivez aussi simplement que possible en n’ayant que les quatre nécessités : nourriture, habitation, vêtements, et médicaments. Une fois que vous avez cela, inutile d’avoir plus sinon, ce que vous possédez vous apportera des difficultés et des tensions. Lorsque vous possédez quelque chose, vous voulez le conserver le plus longtemps possible, mais les choses ne durent pas éternellement, elles changent continuellement, elles vont et viennent. Si vous vous y attachez, vous vous sentirez très mal le jour où vous ne les aurez plus.

Donc, prenez les choses comme elles viennent et ne vous attachez à rien. Alors vous serez heureux tout le temps. J'espère que ce que je vous ai dit aujourd'hui va vous aider à comprendre le bouddhisme et la vie monastique.

Merci.