Le Dhamma de la Forêt |
La tradition du bouddhisme Theravada prend sa source et sa force dans les enseignements originaux du Bouddha. L’ensemble des discours sur le Dhamma (la vérité ou loi de la nature), aphorismes, histoires et règles de conduite monastiques qui composent le Tipitaka regroupe les enseignements du Bouddha les plus historiquement fiables. Lorsque ces enseignements sont compris et intégrés dans tous les aspects de la vie du pratiquant, ils mènent progressivement à la libération de l’esprit et du cœur que l’on appelle Éveil ou nibbāna. Cet éveil de la conscience a été décrit par le Bouddha comme la forme de bonheur la plus élevée et la plus satisfaisante qui soit.
La voie du Bouddha est solidement fondée sur un mode de vie pur et bienfaisant, sur le développement de la paix intérieure par la méditation, et sur la libération de l’esprit grâce à une sagesse profonde et pénétrante. La tradition du Theravada est bien établie dans les pays du sud-est asiatique comme la Thaïlande, le Sri Lanka et la Birmanie, et c’est du Theravada qu’est née la pratique connue sous le nom de Vipassana.
Depuis l’époque du Bouddha, il y a toujours eu des moines et des nonnes qui se sont retirés dans les profondeurs des forêts, des montagnes et des grottes, à la recherche d’une solitude propice au développement de la méditation et à la pleine réalisation du Dhamma, la vérité de l’enseignement du Bouddha. Que ce soit dans la solitude ou en petit groupe, ces renonçants mènent une vie de simplicité, d’austérité et de persévérance dans l’effort. On compte parmi eux les plus grands maîtres de méditation depuis le Bouddha lui-même. Loin de l’agitation des villes, prêts à affronter les rigueurs et les difficultés de la vie dans un environnement sauvage pour avoir l’occasion d’apprendre les leçons de la nature, et n’accordant aucun intérêt à la célébrité ou la reconnaissance publique, ces moines et nonnes de la forêt restent souvent inconnus, l’histoire de leur vie perdue dans les fourrés de la jungle et les sommets des montagnes.
La Tradition de la Forêt contemporaine thaïlandaise est un mouvement très simple de retour aux racines qui se réfère au modèle du Bouddha et de ses premiers grands disciples éveillés pour tout ce qui concerne la pratique de la méditation et le mode de vie. En dépit de l’avènement de l’ère moderne, les monastères de forêt maintiennent bien vivantes les anciennes traditions en suivant le Code de Discipline ou Vinaya qui inclut les règles d’entraînement monastique formulées par le Bouddha.
Jusqu’au milieu du 20ème siècle, la plupart des monastères de Thaïlande étaient essentiellement des centres d’éducation. Dans les villes et les villages, les moines faisaient l’école aux enfants en mettant l’accent sur l’étude des écritures bouddhiques. Les cérémonies jouaient aussi un grand rôle dans leur vie. En général, ces monastères ne mentionnaient quasiment pas la méditation, géraient leurs propres finances et n’observaient pas rigoureusement les règles monastiques.
Le renouveau thaïlandais de la Tradition de la Forêt au 19ème siècle visait à revenir au style de vie et aux formes d’entraînement pratiquées à l’époque du Bouddha. Les deux principaux protagonistes de ce mouvement ont été le Vénérable Ajahn Mun Bhuridatta et le Vénérable Ajahn Sao Kantasilo.
Leur intention était de réaliser, dans leur propre cœur et dans leur esprit, la paix intérieure et la sagesse du Dhamma. Ils ont quitté les monastères de village trop bruyants pour le calme et la tranquillité de la nature. Ils suivaient scrupuleusement les règles du Vinaya, ne négligeant aucun détail. Les moines vivaient sans argent, acceptaient ce qui leur était offert et supportaient patiemment le manque quand ils ne recevaient rien. Ils intégraient à leur quotidien les pratiques ascétiques recommandées par le Bouddha, comme, par exemple, ne prendre qu’un repas par jour mangé directement dans le bol à aumône, ne porter que des vêtements faits de morceaux de tissu rapiécés, et vivre dans la forêt ou dans des cimetières.
Souvent les moines se déplaçaient à travers le pays à la recherche de lieux favorables à la méditation, portant leurs maigres possessions : un bol à aumône, trois vêtements, un glot (grand parapluie avec moustiquaire que l’on suspend à un arbre et que l’on utilise comme une tente) et quelques affaires personnelles de première nécessité.
Ajahn Mun, Ajahn Sao et leurs nombreux disciples émérites ont légué des exemples forts et pertinents d’un mode de vie discipliné et sans complications. Leurs enseignements s’adressent à ceux qui souhaitent purifier leur esprit en suivant la voie du Bouddha. Le cœur même de la Tradition de la Forêt est la pratique de la méditation. En développant de profonds états de paix intérieure et en investiguant systématiquement le corps et l’esprit, une vision de la véritable nature de l’existence apparaît.
Quand on pénètre dans un bon monastère de forêt, l’esprit de la pratique méditative est visible partout. Il y a une atmosphère de simplicité. Les bâtiments sont propres et ordonnés. Le lieu, éloigné des villes et villages, dégage un air de renoncement. Des cabanes simples, sans ornements, sont nichées individuellement dans de petites clairières de la forêt. Moines et nonnes accomplissent leurs tâches paisiblement, consciemment, ou bien méditent assis ou en marchant.
Quand on pratique la méditation, il est possible de rencontrer de nombreux obstacles mais les maîtres de la forêt sont connus pour leur créativité dans les moyens de dépasser les complications et la confusion de l’esprit. Ils se sont distingués par leur détermination audacieuse à trouver l’Éveil. Les disciples d’Ajahn Mun et d’Ajahn Sao se sont multipliés peu à peu et, du fait de l’excellent enseignement qu’ils ont reçu et de l’intensité de leurs efforts, nombre d’entre eux sont devenus de grands maîtres à leur tour. Aujourd’hui la Tradition de la Forêt est bien établie en Thaïlande et elle commence à prendre racine dans les pays occidentaux.
La
Thaïlande a la chance de compter un grand nombre de maîtres de
méditation bouddhistes dotés d’une moralité impeccable et d’une
profonde sagesse. L’un des plus éminents est le Vénérable Ajahn
Chah. Né en 1918 dans un petit village de la province d’Ubon, au
nord-est du pays, il a d’abord étudié dans le petit monastère
local où il a été ordonné. Plus tard, il a cherché des
monastères de forêt isolés où il a été formé par de grands
maîtres de son époque comme Ajahn Mun, Ajahn Kinaree et Ajahn
Taungrut, avant d’établir son propre monastère de forêt près de
son village natal. Jusqu’à sa mort, en 1992, il a guidé et formé
ses disciples à la façon simple, austère et paisible du Bouddha.
Pendant
les nombreuses années où Ajahn Chah a vécu et pratiqué seul la
méditation dans la forêt, il a rencontré de nombreuses difficultés
et les qualités de patience et d’endurance qu’il a développées
alors ont pris une importance capitale dans les enseignements qu’il
donnait à ses disciples. Il était extrêmement stimulé dans sa
pratique du Dhamma par son désir de découvrir les causes de la
souffrance du monde et la source de la véritable liberté. Selon ses
propres dires, il ne gardait rien pour lui ; il offrait tout au
Dhamma. Malgré toutes les difficultés rencontrées – souffrance,
maladie, douleur et doute – il n’a jamais abandonné la lutte. De
tous ces efforts et de cette détermination sans peur sont nés une
paix inébranlable, une profonde sagesse et un immense amour pour
tous les êtres
La façon d’enseigner d’Ajahn Chah était directe, sans complication et sans détour. Ses instructions étaient souvent pleines de charme et d’humour. Il était maître dans l’art d’utiliser les situations de la vie quotidienne comme des occasions d’apprentissage. Il répétait souvent que la vision juste ne peut jamais naître d’une simple compréhension intellectuelle ; elle vient uniquement d’une expérience personnelle directe et transformatrice. Le bonheur durable est le résultat de la sagesse qui apparaît naturellement quand l’esprit est calme, paisible et rayonnant.
Il encourageait les gens à affronter les pollutions qui empoisonnent l’esprit et à utiliser, pour y parvenir, les outils que sont le renoncement, la pleine conscience et la persévérance. Il poussait ses disciples à apprendre comment ne pas se perdre dans leurs états d’âme et leurs émotions ; à s’entraîner plutôt à voir clairement et à faire directement l’expérience de la véritable nature de l’esprit et du monde.
La popularité d’Ajahn Chah n’a cessé de grandir, tant auprès des Thaïlandais que des Occidentaux. Le nombre de ses disciples non thaïlandais a tellement augmenté qu’en 1975 Ajahn Chah a établi un monastère affilié, exprès pour eux, à quelques kilomètres de son propre monastère. Le premier disciple occidental d’Ajahn Chah, le Vénérable Ajahn Sumedho, a été invité à devenir l’abbé du « Monastère de Forêt International » (en thaï Wat Pah Nanachat). Ce dernier a essaimé à son tour en Occident. Il y a aujourd’hui plus de 300 monastères affiliés (y compris en Thaïlande) qui trouvent leurs enseignements et leur inspiration dans l’exemple d’Ajahn Chah.
Les Maîtres de la Tradition de la forêt