Le Dhamma de la Forêt |
Le Bouddha a appelé la religion qu’il a fondée le Dhamma-vinaya, c’est-à-dire « la doctrine et la discipline » ou plus simplement le Dhamma (Dharma en sanskrit). Pour apporter une structure sociale qui soutienne la pratique du Dhamma et pour préserver ses enseignements pour la postérité, le Bouddha a établi le Sangha, l’ordre des bhikkhu (moines) et des bhikkhuni (nonnes), qui continue aujourd’hui encore à transmettre les enseignements, tant aux religieux qu’aux laïcs.
Mais dans les deux siècles qui suivirent la mort du Bouddha, tandis que le Dhamma se répandait sur la majeure partie du territoire indien, plusieurs interprétations différentes de certains de ses enseignements originaux sont apparues, en conséquence de quoi des schismes se produisirent au sein du Sangha et dix-huit écoles distinctes virent le jour. L’une d’elles, le Mahasanghika, donna finalement lieu à un mouvement de réforme qui prit le nom de Mahayana, « Le Grand Véhicule », et donna par dérision aux autres écoles le nom de Hinayana ou « Petit Véhicule ».
Ce que nous appelons Theravada aujourd’hui est la seule école survivante de toutes les branches non mahayanistes de l’époque. Pour éviter la connotation péjorative de ces noms, il est convenu aujourd’hui d’appeler le Theravada « le bouddhisme du sud » — car il se concentre historiquement sur l’Asie du Sud-est — et le Mahayana « le bouddhisme du nord » car il a surtout émigré au nord de l’Inde vers la Chine, le Tibet, le Japon et la Corée.
Quant à l’Ecole de la Forêt, elle fait partie du Theravada et remonte
à l’un des plus grands disciples du Bouddha, Mahakassapa. Tout au long
de sa vie, Mahakassapa reçut l’éloge du Maître pour la qualité de sa
pratique et son mode de vie simple et discipliné, voué à la méditation
et à l’écoute des lois de la nature. A la mort du Bouddha, Mahakassapa
se retrouva tout naturellement à la tête du Sangha pour diriger le
Premier Concile.
L’HISTOIRE DE MAHAKASSAPA
Quand le jeune Kassapa entendit parler du Bouddha, il quitta sa jeune femme dont la quête spirituelle était semblable à la sienne, prit l’habit du renonçant et s’engagea dans la forêt. Sentant qu’un disciple très particulier lui arrivait, le Bouddha alla à sa rencontre et lui apparut tout nimbé de lumière. Kassapa le reconnut aussitôt et mit sa vie à ses pieds. Touché par sa ferveur et sa sincérité, le Bouddha lui donna aussitôt un enseignement en trois règles :
- Humilité et conscience de ses actes grâce à une claire perception de la loi du karma (hiriottapa).
- Attitude attentive par rapport à tous les enseignements reçus, examen
approfondi des notions entendues et assimilation dans le cœur.
- Attention au corps liée à la joie.
Puis maître et disciple prirent la route et, lorsque le Bouddha voulut se reposer, Kassapa lui offrit de s’asseoir sur son vêtement plié et le pria ensuite de garder ce vêtement. Le Bouddha répondit : « Mais, Kassapa, pourras-tu porter ces vêtements de chanvre et de chiffons usés qui sont miens ? » « Certainement, Vénérable, répondit Kassapa empli de joie, je peux porter les vêtements de chiffons usés et rugueux du Bouddha. »
Cet
honneur ne fut accordé à aucun autre disciple et les Commentaires
précisent que l’intention du Bouddha était d’encourager Kassapa à
observer les pratiques d’austérité dès son entrée dans le Sangha. La
Voie du Milieu dénonçait l’ascétisme extrême mais le Bouddha
encourageait tout de même les moines à adopter des vœux d’austérité
favorables à la simplicité, au contentement, au renoncement et à la
vigueur. En fait, dès ce moment-là, Kassapa prit l’engagement
d’observer un mode de vie ascétique. Des années plus tard, le Bouddha
lui suggéra, du fait de son âge, d’accepter le confort d’un monastère
au lieu de continuer à vivre dans la forêt, mais Mahakassapa refusa et
il s’en expliqua ainsi :
«
D’une part, il me plaît de demeurer ainsi* et, d’autre part, je pense
que lorsque les générations de moines à venir entendront parler de
cette manière de vivre, ils voudront peut-être l’imiter. »
Le
Bouddha répondit : « Bien parlé, Kassapa ! Bien parlé ! Tu vis pour le
bonheur d’un grand nombre, par compassion pour le monde, pour le
bienfait et le bien-être des dieux et des humains. Tu peux garder tes
vêtements rugueux en haillons, sortir pour demander l’aumône et vivre
dans la forêt. » (SN16 :5)
L’ECOLE DE LA FORET EN THAÏLANDE
A la fin du XIXe siècle, un moine, le vénérable Ajahn Mun, retrouva en lui le potentiel des bienfaits de la vie dans la forêt. Il se souvint que le Bouddha était né dans la forêt, avait trouvé l’Eveil dans la forêt, avait enseigné dans la forêt, et était mort dans la forêt. Et puis le célèbre exemple de Mahakassapa l’inspira. La simplicité, le renoncement et la nature ne formaient-ils pas le cadre idéal pour parfaire la méditation et atteindre ce que les disciples du Bouddha ne croyaient plus possible d’atteindre 25 siècles plus tard : l’Eveil ?
Effectivement,
Ajahn Mun atteint l’Eveil et devint un grand maître. Sa vie simple et
vertueuse fut un exemple de conduite dans une société et un ordre
monastique dégradés et corrompus. Presque tous les maîtres de
méditation accomplis et révérés du XXe siècle en Thaïlande ont été ses
disciples directs ou ont été grandement influencés par lui. L’un des
grands maîtres à avoir suivi son exemple est le vénérable Ajahn Chah.
AJAHN CHAH ET L’ECOLE DE LA FORET EN OCCIDENT
Il
a suffi d’une rencontre avec Ajahn Mun pour que le futur Ajahn Chah
soit débarrassé de ces voiles qui empêchent la lumière de jaillir. Il
méditait encore, approfondissant sa révélation, que déjà son
rayonnement attirait moines et laïcs. Installé au cœur d’une jungle —
endroit idéal disait-il, pour faire face à ses peurs des fantômes et
des tigres ! — sa joie de vivre et sa rigueur attirèrent aussi les
jeunes Occidentaux des années 1960 et 1970 en quête de spiritualité.
Lors de deux voyages en Occident, en 1977 et 1979, il confia à certains
de ses disciples le soin de planter les racines de l’Ecole de la Forêt
de ce côté-ci de la planète. Sous la houlette d’Ajahn Sumedho, son
premier disciple occidental, des monastères ont vu le jour en Europe,
aux Etats-Unis et en Australie, pour le plus grand bonheur de ceux qui
cherchent la vérité du Bouddha dans la simplicité et la nature.
Les
trois enseignements donnés par le Bouddha à Mahakassapa sont
aujourd’hui encore en vigueur dans les monastères de la forêt
thaïlandaise — notamment la méditation sur le corps, trop souvent
négligée en Occident, mais qui est considérée par les maîtres
thaïlandais comme un passage obligé. Quant aux moines, ils portent
toujours des vêtements faits de morceaux de tissu rapiécés qu’ils
teignent eux-mêmes, ils vont mendier leur nourriture pieds nus chaque
matin et, bien entendu, ils vivent dans la forêt.
En Occident, malgré une courageuse tentative de maintenir ces principes, il fallut tenir compte du climat et des coutumes (les gens avaient tendance à mettre des pièces de monnaie et non de la nourriture dans le bol des moines !). Mais les moines occidentaux partent régulièrement à pied, de monastère en monastère, mendiant leur nourriture en chemin, et il existe de nombreux récits vantant la générosité des passants curieux, puis intéressés, puis ouverts et sensibles à la simplicité et à la dépendance totale des moines de la forêt.
*
Mahakassapa a écrit de très beaux vers qui laissent
paraître sa sensibilité aux beautés de la
nature.
Sources :
- Les Grands Disciples du Bouddha, Tome 1, Ed. Claire Lumière.
- http://www.levityisland.org/buddhadust/www.accesstoinsight.org/theravada.html
Référence :
Ajahn Sumedho L’esprit et la Voie, éd. SULLY.