Le Dhamma de la Forêt |
Aussi bonne que puisse paraître votre concentration et quelle que soit la félicité ou les connaissances exceptionnelles que vous en retiriez, si la profonde vision des trois caractéristiques de l’existence que sont l’impermanence, l’insatisfaction et l’impersonnalité des phénomènes n’a pas encore jailli, cela signifie que votre concentration n’est pas encore correcte.
Nous nous attachons à des choses qui ne nous appartiennent absolument pas. Pensez à ce que vous considérez comme votre argent, vos biens, votre maison. Sont-ils vraiment vôtres ? Quand vous aurez poussé votre dernier soupir, vous n’aurez plus aucun droit sur tout cela. Et que dire de « mes enfants », « mon conjoint » ? Rien dans ce monde ne nous appartient et nous ne lui appartenons pas davantage. Le Bouddha l’a dit très clairement : Adhuvo loko. Sabbam pahaya gamaniyam (« Le monde change. Nous devons avancer en abandonnant tout derrière nous. »)
Réfléchissez bien à cela. Vous ne pourrez rien emporter de ce à quoi vous êtes attaché, que ce soit extérieurement ou intérieurement. Vous ne pourrez emporter avec vous aucun des cinq agrégats – corps, ressentis, perception/mémoire, fabrications mentales/pensées, et conscience sensorielle.
Prenons le corps, par exemple, avec ses 32 parties composées des éléments terre, eau, feu et air. L’esprit s’y attache et dit : « C’est moi », mais est-ce vraiment vous ? Il vous appartient peut-être tant que vous respirez, mais quand le souffle s’arrête, l’esprit peut-il continuer à veiller sur lui ? Peut-il s’y accrocher ? Peut-il l’emporter avec lui ?
Il en va de même pour les ressentis puisque les sensations de plaisir, de douleur ou neutres dépendent des contacts avec les organes des sens. Les ressentis naissent lorsqu’une forme entre en contact avec les yeux, qu’une saveur passe par la langue et vous permet de savoir si elle est douce ou acide, ou quand la chaleur, le froid, le doux ou le rugueux entrent en contact avec le corps, ou quand des souvenirs ou des idées entrent en contact avec l’esprit. Lorsque ces contacts se produisent, l’esprit se réveille et se met au travail. C’est à ce moment-là que des ressentis de plaisir ou de douleur peuvent apparaître, que les perceptions et les étiquettes mentales peuvent apparaître, et que les pensées fabriquées par ces contacts apparaissent.
Mais l’esprit peut-il s’accrocher à des ressentis de plaisir et de douleur au point de s’y identifier ? « Je suis cette douleur, j’ai mal. Je suis ce plaisir, je suis heureux. » N’oublions pas que ces ressentis vont passer ! Quand une sensation agréable est présente, l’esprit peut-il empêcher la douleur d’apparaître plus tard ? Peut-il faire durer le plaisir indéfiniment et empêcher qu’il s’évanouisse ? A-t-il le moindre pouvoir sur ces choses ? Et quand vous utilisez la perception pour étudier et mémoriser des informations, avez-vous le pouvoir de ne pas oublier ou confondre les choses que vous avez mémorisées ? Pouvez-vous maîtriser l’apparition des bonnes et des mauvaises pensées ? Pouvez-vous ordonner à vos pensées d’arrêter de vous tourmenter ? Pouvez-vous les forcer à n’évoquer que de bonnes choses ?
Il en va de même pour la conscience sensorielle. Que vous le vouliez ou pas, elle s’éveille au niveau des yeux, des oreilles, des narines, de la langue, du corps et de l’esprit en fonction des phénomènes physiques et mentaux qui se présentent à vos sens. Pouvez-vous vous attacher aux états de conscience qui se présentent alors et prétendre qu’ils sont « vous » ou qu’ils vous appartiennent ?
Comme l’a dit le Bouddha, « Les formes apparaissent en fonction de circonstances qui sont fluctuantes, insatisfaisantes et impersonnelles ; alors comment les formes pourraient-elles être constantes, agréables et nous appartenir ? Les sensations, les perceptions, les fabrications mentales et la conscience sensorielle apparaissent en fonction de circonstances qui sont fluctuantes, insatisfaisantes et impersonnelles ; alors comment pourraient-elles être constantes, agréables et nous appartenir ? »
Le Bouddha a condensé toutes les choses auquel l’esprit s’attache, en un ensemble de phénomènes physiques et mentaux qu’il a appelé « les cinq agrégats » ; et à toutes ces choses il a appliqué les mêmes caractéristiques : tout est « fabriqué » [fruit d’une série de circonstances] et tout ce qui est fabriqué est sujet au changement, source de souffrance et impersonnel.
Dans votre pratique, quoi qu’il arrive, quelles que soient les révélations que vous pouvez avoir en méditation, vous devez utiliser ces trois caractéristiques comme critère de jugement.
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Les phénomènes physiques et mentaux dépendent de trois conditions : la conscience sensorielle, les fabrications mentales et avijja. Ce mot avijja signifie « manque de présence à soi », ne pas avoir conscience de l’insatisfaction profonde qui est en nous, ne pas avoir conscience de sa cause, de la possibilité d’éradiquer cette cause ni de la voie pour y parvenir. Voilà ce qu’enseigne le Bouddha. Dans cette absence de conscience, il y a bien une présence mais il y a une chose à laquelle nous ne sommes pas présents : nous-mêmes. C’est comme les yeux : ils peuvent tout voir sauf eux-mêmes ; si nous pouvons les voir, c’est à cause de l’invention du miroir. Il en va de même pour la présence consciente de l’esprit.
Le Bouddha a dit : « Le manque d’attention est la voie qui mène à la mort. » Dans ce contexte, le mot « mort » ne se réfère pas à la mort du corps mais à celle de l’esprit : l’esprit meurt lorsqu’il s’éloigne de la voie et des fruits de la voie qui mène à l’Éveil. Or l’essence de l’enseignement du Bouddha est le fruit de l’état d’arahant : la libération ultime et irréversible.
Manquer d’attention signifie manquer de présence à soi et de vigilance, permettre à l’esprit de vagabonder partout sauf vers son propre corps et son propre esprit ; le laisser se perdre dans toutes les préoccupations du monde, dans les choses que l’on voit, les sons, les odeurs, les saveurs, les sensations tactiles et les pensées. Si vous êtes ce genre de personne, le Bouddha dit que vous manquez d’attention et que, même si votre corps est en vie, vous êtes comme mort.
Le Bouddha a dit aussi : « L’attention est la voie qui mène au-delà de la mort. » Autrement dit, quand nous sommes attentifs à ce qui est bon, quand nous développons consciemment la vertu, la concentration et la sagesse, nous pouvons être sûrs, qu’après la mort du corps, nous irons dans une sphère céleste ou sur la voie et ses fruits qui mènent à l’Éveil – et cela plus ou moins vite, selon l’énergie que nous investissons dans la pratique.
Être présent à soi signifie maintenir l’attention focalisée sur son propre corps et sur son propre esprit. Être conscients de la façon dont nous réagissons à toutes les stimulations sensorielles et voir aussitôt qu’elles sont changeantes, insatisfaisantes et impersonnelles pour les laisser passer sans nous y attacher le moins du monde. Que nous soyons assis, debout, en train de marcher ou allongés, aucun de nos mouvements ne doit interrompre cette attention. C’est seulement alors que nous pouvons dire que nous sommes pleinement présents et conscients.
Vous comprenez ?