Le Dhamma de la Forêt


VIRIYA (l’énergie)

Ajahn Munindo

Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/
 




Extrait du livret « Assis dans la salle d’attente du Bouddha »



Ceux qui sont énergiquement engagés sur la Voie,
qui sont purs et attentifs dans l'effort,
modérés et vertueux dans la conduite,
ont un éclat qui ne cesse d’augmenter.

Dhammapada 24



Tournons-nous à présent vers la troisième face de la pyramide, viriya. Ce mot est généralement traduit par « énergie », parfois par « vigueur » ou encore « effort ». Le mot qui, selon moi, permet d’établir une véritable connexion avec ce principe du Dhamma est « motivation ».

Viriya fait avancer les choses. Il peut nous aider à nous lever le matin et nous motiver à faire nos exercices avant de nous installer en méditation assise. On a besoin de viriya pour supporter les difficultés. Même après avoir fait l’expérience de profondes révélations, on a encore besoin de fournir beaucoup d'efforts pour être en mesure de vivre pleinement à partir de cette nouvelle compréhension.

Viriya est nécessaire pour vaincre l'inertie et prendre des initiatives ; cela signifie que nous ne nous contentons pas d’un statu quo. Sans viriya, le futur Bouddha n'aurait pas entrepris le voyage vers l'éveil. Sans viriya, il aurait peut-être accepté l'invitation de ses deux premiers maîtres : s'arrêter là et les aider à gérer leur communauté ; il aurait peut-être même abandonné son aspiration à se libérer complètement et définitivement de toute souffrance.

Sans viriya, Ajahn Sumedho aurait pu rester à Wat Pah Nanachat et n'aurait pas passé des années à lancer et à soutenir le développement de nombreux monastères en Occident. Sans viriya, l'abbé que j'ai mentionné plus tôt1 – qui s'est retrouvé à subir la douleur que quelqu'un d'autre projetait sur lui – n'aurait pas pris le temps de voir vraiment à quel point il en avait été affecté.

Dans les premiers temps du monastère de Chithurst, on m’a demandé de déménager les affaires d'Ajahn Sumedho depuis une petite pièce de la maison principale jusqu’à « la Grange » qui venait d’être redécorée. Il n'y avait pas grand-chose à déplacer et je croyais être assez attentif en mettant les choses dans des cartons. J'aime à penser que j'ai été particulièrement prudent dans l'emballage des objets de son petit autel. En réalité, j'aurais dû être plus attentif car quelque part entre la maison principale et la Grange, la tête d’une statue du Bouddha en quartz rose appartenant à Ajahn Sumedho s’est cassée. Ce que je n’ai pas oublié, c'est surtout l’enseignement que donna Ajahn Sumedho ce soir-là. Il expliqua comment, au lieu de prétendre qu’il n’était pas contrarié ou de se complaire dans la contrariété, il avait fait un effort pour simplement supporter la souffrance qui avait surgi en apprenant que sa jolie statue du Bouddha était cassée, jusqu'à ce que la souffrance s'estompe.

Rien ne dit que la pratique nous amènera à un degré de vision profonde où toutes nos souffrances disparaitront d’un seul coup. Cela arrive parfois pour certains, mais le plus probable, c'est que des éclairs de compréhension nous ouvrent progressivement à une autre façon de nous relier à la souffrance. La vision profonde nous donne une nouvelle perspective. Dès lors, viriya est indispensable tandis que nous endurons la brûlure de la purification et de l'intégration de ce qui nous a été révélé.

Lorsque nous contemplons la faculté spirituelle de viriya, nous devrions revoir les enseignements du Bouddha sur « les quatre efforts justes ». Il est facile de mémoriser et d'énumérer la liste des quatre efforts, mais que signifie réellement mettre en œuvre ces quatre types d'effort ?

Cela commence par « faire un effort pour protéger les bonnes choses déjà apparues ». À titre d'expérience, évoquez un aspect positif de votre caractère, puis demandez-vous : « Que dois-je faire pour protéger cette qualité ? » Disons que vous ayez décidé de prendre les préceptes au sérieux depuis quelque temps – au lieu de simplement les réciter en pali sans la moindre intention de les observer – et que vous ayez réussi à honorer cette résolution. Cependant, les fêtes du Nouvel An approchent et vous craignez de vous laisser aller. Une façon de faire un effort pour protéger votre juste engagement déjà existant est de faire appel à un ami dans le Dhamma pour attester de votre détermination à maintenir les cinq préceptes. Peu importe si nous ne savons pas vraiment pourquoi cela fait une différence si quelqu'un que nous respectons est au courant de l'effort que nous faisons ; nous pouvons simplement essayer de faire confiance et voir si cela aide. Autre exemple : si vous avez atteint, dans votre pratique de la méditation, un niveau où vous pouvez voir que les bienfaits des assises régulières rejaillissent sur la vie quotidienne et que vous ressentez de plus en plus de clarté et de calme, une façon de faire un effort pour maintenir ces bienfaits consiste à décider de prendre des habitudes régulières de sommeil : mettre une alarme à dix heures du soir et être au lit à dix heures trente, par exemple. Nous savons qu’un sommeil irrégulier n’est pas bon pour la pratique et que rester éveillé tard à traiter des e-mails est perturbateur ; prendre la résolution d'être au lit à une certaine heure peut être un soutien.

Considérons maintenant le deuxième effort juste : qu'est-ce qu'implique « faire un effort pour faire naître des états d'esprit sains jusqu'alors non apparus » ? Peut-être êtes-vous quelqu'un qui trouve facile d'être généreux, mais pour qui il est très difficile de pardonner à ceux qui, selon vous, vous ont fait du mal. Une façon de faire l'effort de développer la qualité de pardon pourrait être de prendre conscience de la douleur que nous nous infligeons en nous attachant au ressentiment – pas seulement en le comprenant mentalement mais en ressentant la douleur et la tension qui en résultent dans le corps. C’est seulement quand nous prenons pleinement conscience du fait que nous nous rendons nous-mêmes malheureux que nous trouvons la motivation pour arrêter de le faire. Et peut-être qu'en reconnaissant les conséquences de l’attachement au ressentiment, nous découvrirons que nous pouvons analyser plus clairement les processus mentaux impliqués. Nous en arriverons ainsi à voir que les souvenirs de blessures passées ne sont pas vraiment un problème. La souffrance du non-pardon vient du fait que nous ajoutons de la négativité à ces souvenirs. Les souvenirs et la négativité sont deux choses différentes. Nous ne pourrons peut-être pas libérer notre esprit des souvenirs déplaisants mais nous pouvons parfaitement arrêter d’empirer les choses en y ajoutant du ressentiment. La négativité est en sus. Quand on voit clairement cela, la capacité de pardonner grandit.

Le troisième effort juste est décrit comme « faire l’effort d’éliminer les états d'esprit malsains déjà apparus ». Il est bon de nous familiariser avec ce que le Bouddha a dit au sujet des cinq façons d'éliminer les pensées qui nous distraient [2]. Je vous recommande également de lire ce qu'Ajahn Tiradhammo a écrit dans son livre Travailler avec les cinq obstacles [3].

Quant à moi, l’expérience m’a appris qu’il est bon de se souvenir que le type d'effort requis pour faire face à un obstacle déjà apparu dépend de l'intensité de l'obstacle. Il me semble qu'il y a trois approches. Lorsqu'un obstacle est de faible intensité, nous pouvons nous permettre de simplement l'ignorer, de ne pas lui accorder l'énergie de notre attention. Parfois, cela suffit pour que l'obstacle disparaisse. C’est comme choisir de ne pas répondre au téléphone lorsqu'il sonne. J'appelle cela l'approche « tranchante ».

Cependant, lorsque nous rencontrons un obstacle davantage chargé en énergie, tenter de l'ignorer ou de le « trancher » pourrait aggraver les choses. Il peut sembler s’effacer mais cela ne signifie pas qu'il a disparu ; il est tombé dans la non-conscience et sera peut-être plus difficile à gérer quand il réapparaîtra. Pour ce niveau d'intensité, nous devons faire face à ce qui nous perturbe et utiliser toutes nos facultés pour le comprendre. Nous pourrions appeler cette approche « voir à travers ». Nous utilisons nos facultés mentales, émotionnelles et physiques pour rechercher la source de cet obstacle. Comment nous sentons-nous dans notre cœur face à ce sentiment d'être bloqué dans notre progression ? Dans quel endroit du corps ressentons-nous de la tension ? En d'autres termes, nous élaborons une connexion avec l’obstacle au lieu de l'ignorer. On pourrait même engager la conversation avec lui : « Que veux-tu ? Comment puis-je t’aider? Désolé de t’avoir ignoré. » Au fur et à mesure que nous nous familiariserons avec l'ensemble du ressenti corps-esprit généré par l’obstacle, non seulement notre acuité mentale sera disponible pour soutenir l'investigation, mais aussi notre intuition. Lorsque nous sommes confrontés à une véritable énigme, nous devons être à l'écoute de tout notre être, y compris de nos instincts. Nous constaterons peut-être alors que nous sommes fatigués d'essayer de trouver une solution et nous sortirons faire une longue promenade dans la forêt ou irons nager. L'exercice physique est un élément important de ce processus.

Pour faire face au type d'obstacle le plus intense, il faudra fournir un autre genre d’effort que j'appelle « brûler entièrement. » En ce qui me concerne, cela ressemble souvent à une brûlure physique avec beaucoup de chaleur. Si nous nous trouvons dans ce genre de situation, nous ne pouvons pas faire grand-chose d'autre que sentir la brûlure, rester présents dans le corps et l’esprit, rester souples et ouverts, et être consciemment disposés à endurer, surtout quand cela semble insupportable.

Passons maintenant au dernier des quatre efforts justes : que signifie « faire l’effort d’éviter l'apparition d'états d'esprit malsains non encore apparus » ? Prenons comme exemple la situation désagréable d'être en compagnie de quelqu'un qui manque d'empathie. Sachant à quel point un tel manque de développement émotionnel peut faire du mal, nous décidons de faire un effort pour éviter de devenir nous-mêmes comme cela. Ce n'est pas parce que nous méditons régulièrement que nous sommes protégés contre le piège de l'insensibilité. Il y a beaucoup de méditants qui sont tellement absorbés par la résolution de leur propre souffrance qu'ils en sont obsédés et ont la vue courte : en faisant un effort pour gérer leur douleur, ils ont été entraînés dans un vortex. C'est l'un des dangers très réels de la pratique de la méditation. Pour éviter ce danger, nous pouvons augmenter le volume de la compassion.

Comme exercice de méditation formelle, nous pouvons évoquer le visage d'une certaine personne et nous dire : « De même que mes yeux ont versé beaucoup de larmes, ses yeux ont versé des larmes. Tout comme je souffre, elle aussi souffre. Que tous les êtres soient libérés de la souffrance. » Nous pouvons faire le même exercice au quotidien : assis dans un train ou dans un aéroport, nous pouvons regarder le visage de ceux qui nous entourent et imaginer des larmes couler sur leurs joues. On peut supposer que tout le monde a pleuré un jour, et quand nous ressentons ce que nous ressentons en admettant ce fait, les barrières que nous avons construites autour de nous commencent à tomber. Peut-être commencerons-nous à sentir que nous sommes tous dans le même bateau – hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres. Nous souffrons tous et nous aspirons tous à être libérés de la souffrance. L'empathie, la conscience de la souffrance des autres, éveille la compassion et protège notre cœur de la froideur et de l'insensibilité.

Nous pourrions certainement en dire beaucoup plus sur viriya mais il y a au moins un point en particulier qui doit encore être mentionné. Nous avons évoqué l'importance de générer de l'énergie mais nous devons également être prêts à nous harmoniser avec l'énergie qui surgit spontanément. Je fais ici référence à l'intensité émotionnelle que nous ressentons face à une situation difficile.

Lorsque nous sommes au milieu d'un dilemme et que nous nous sentons frustrés, le plus facile est de souhaiter ardemment que dukkhadukkha est éclairé par la sagesse et la modération, cela nous aidera à trouver la motivation pour découvrir la cause de ce dukkha et le moyen d'en sortir. Cependant, notre désir est souvent empreint d'attachement, ce qui ne fait qu'attiser la brûlure de la frustration.

Il est bon de se préparer à l'avance à de tels événements afin de ne pas manquer une précieuse occasion de progresser sur la voie. Un dilemme ou un choc doit être considéré comme une énergie gratuite mise à notre disposition pour que soit purifié l’or qui est en nous. Nous nous y préparons en y réfléchissant judicieusement à l'avance. La perception d'intensité intolérable qui survient avec de telles expériences est le résultat des limitations que nous avons imposées à notre conscience. Lorsque nous décidons que nous ne pouvons pas gérer cette intensité, nous sommes en train d’imposer des limites au cœur de notre conscience : nous nous détournons du refuge qu’est la confiance dans le Bouddha, préférant croire notre tête qui nous raconte que nous ne pouvons pas affronter la situation. Réfléchir à l'avance avec sagesse est une façon de nourrir l'attention et la modération, lesquelles ont le pouvoir de nous empêcher d'oublier le refuge dans le Bouddha, dans une conscience sans limites, impersonnelle, une connaissance simple et absolue. Si nous nous souvenons du refuge, l'intensité énergétique qui se manifeste lorsque nous nous sentons frustrés ou sous l’effet d’un choc est un cadeau dont nous pouvons être reconnaissants. C’est notre habitude de nous attacher aux choses qui crée la perception d'une conscience limitée, et il faut de l'énergie pour nous libérer de cette habitude. Nous bénéficions ou non de l'énergie qui surgit avec force selon la façon dont nous la percevons.

Comme avec la gravité, nous n'avons pas besoin de savoir ce qu'est réellement l'énergie pour nous connecter à elle. Ce qui compte, c'est de savoir comment y accéder et comment la générer afin de ne pas être pris au dépourvu au moment où nous en avons besoin ; et quand une vague d'énergie inattendue apparaît, nous devons savoir comment y faire face sans jugement, sans la contraction de la peur, pour pouvoir en bénéficier.

1 Allusion à une anecdote racontée au début de cet enseignement mais non mentionnée dans cet extrait.